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mardi 2 juin 2020

Une façade électronique branche Paimbœuf sur le street-art

Une nouvelle façon pour l'artiste d'imprimer sa présence dans nos circuits
Dominique Leroy ravale périodiquement sa façade. C'est ainsi que sa maison de Paimboeuf constitue l'attraction de la métropole estuarienne, la ville branchée entre Nantes et Saint-Nazaire. Un univers que le public peut découvrir quai Boulay-Paty, face à l'estuaire de la Loire. En façade du rez-de-chaussée de sa maison, les cartes électroniques forment des canyons urbains habités par des Tyrannosaurus rex ou des Godzilla, comme des réapparitions de temps géologiques reculés dans notre monde de composants... 

Installé depuis quelques années à Paimboeuf, Dominique Leroy puise son inspiration à la lumière et aux ciels changeants de l'estuaire. La maison comme cadre d'une composition, il en avait eu l'idée en 2012: "J'avais récolté des tissus, sans idée préalable, et l'idée est venue comme on lance un pari: Et si j'habillais ma façade comme un patchwork d'étoffe? Ça devait tenir quinze jours, c'est resté deux ans." Et les restes de décors d'étoffe, sur lesquels Leroy a peint des motifs, sont encore là dans l'entrée de la maison voisine, chez l'artiste Dominique Fournier.
L'idée des circuits imprimés fait donc suite à toute une histoire de décors, pièces de bois, puis patchwork géant de caoutchouc. "Les visiteurs passent et donnent leur avis. C'est une installation, oui, littéralement puisque je l'installe et m'y installe. Avant on me comparait au plasticien Christo." Maintenant, c'est presque l'inverse. L'artiste propose une manière nouvelle de composer avec la lumière de Loire, avec les jeux d'eaux réfractés sur les disques durs fixés aux voliges de bois, et les différentes surfaces juxtaposées en mosaïque, dans une sorte de mélange composite qui peut évoquer les décors de Klimt ou ceux de Basquiat. C'est une architecture imaginaire et verticale qqui sert d'antichambre à l'univers du peintre, car Leroy est avant tout peintre, à situer dans le courant néoexpressionniste, pas loin de Baselitz, de Garouste, de Beckmann. Ce décor de navette spatiale semble répondre aux tubulures rétrofuturistes de la raffinerie de Donges, sur l'autre rive. C'est l'objet le plus photographié de l'ancien port de Nantes.



  




vendredi 11 octobre 2019

À Paimboeuf, Dominique Leroy a ouvert son atelier aux apprentis artistes


< archive 2019>  Sa maison est la plus scrutée de Paimboeuf, la façade tapissée de chambres à air en bord de quai. Même la Loire monte aux fenêtres voir si le travail avance. Du dedans cela fait comme un bateau ivre, avec à la barre un capitaine Nemo un peu Chagall, qui rêve le monde sous forme de visages médusés, de paysages de déluge. C'est la demeure et l'atelier de Dominique Leroy, peintre diplômé. Pas ours pour deux liards, le taulier pose souvent sur sa chaise dans la rue et lie conversation avec le passant.
S'exposer, oui. Il le fait parfois, trop rarement, à Saint-Nazaire ou chez lui, pour fêter le passage d'une flotille avec sa voisine peintre, Do Fournier. Mais enseigner? Il y pensait, mais tiquait à l'idée de poser en vieil académicien dispensateur de recettes. Aujourd'hui le fauve doux fend l'armure et ouvre un atelier d'art. Ne dites école, ni cours, ni leçon. Dites métier, pratique, méditation, sortie de piste, disparition des radars, même.
Dominique Leroy mit son expérience à disposition de quiconque, se sentant comme une fleuriste amnésique, ne sait pas par quel bout prendre le bouquet. À disposition de tout enfant curieux des arts, tout amateur désireux d'aller voir de l'autre côté d'un miroir qui ne lui renvoie que des barques, des chats et des sujets de convention.

"Rendre les gens libres"


Résumé du projet? "Rendre les gens plus libres de faire ce qu'ils ont envie, de jeter par dessus bord tout ce qui les ennuie, tout ce qui se répète dans leur manière de peindre, de dessiner. Les chats, les chiens, les bateaux. Cela n'a rien d'un cours classique avec des natures mortes et des aquarelles. Je vous aide seulement à vous rapprocher de ce que vous voulez faire."
La chose est dite, cela dure trois petites heures par semaine, et cela se termine par le thé du patron. Avec conversation à livre ouvert devant des grands albums d'art, pour voir comment les grands prennent du champ avec le monde simplifié qui est nôtre: "l'esprit humain ne peut rien créer, il ne peut être fécondé que par l'expérience et la méditation", est-il écrit quelque part sur un de ses livres. Au test des premières heures d'atelier, le fauve doux se révèle un bon pédagogue, pas dirigiste, vous guidant en douceur, aidant chacun à prolonger son geste, à forcer en bougonnant le passage vers des noirs de charbons impensables. De ces longues mains qui reviennent dans l'esquisse d'une autre, ou encore de ces découpes au cutter qui, incisant un calque opaque, révèle des feuillages. Dans ce bateau ivre, on se décloue du poteau des couleurs.
Au bout de quelques heures vous avez pondu quelque chose d'informe, avec des ombres sur le côté. C'est surtout ces ombres qu'il faut travailler. Tout reste à faire, vous êtes toujours devant les fleurs éparses, sans savoir, et pourtant vous sentez avoir ouvert une brèche. Vers quoi? Votre dessin intérieur?


L'Atelier de Dominique Leroy se situait quai Boulay-Paty et 98 rue du Général-de-Gaulle, 44560 Paimboeuf.

lundi 2 avril 2018

Anne Brégeaut expose ses visions cosmiques

Parfois la nuit, 2020, peinture vinylique sur toile, 200 x 120 cm



Anne Brégeaut expose cet automne 2021 à la biennale d'Issy, sur le thème: Chimères artistiques: figurer le cosmos. 

Nous l'avions rencontrée pour la première fois en 1999. Elle présentait la primeur de son travail à la Galerie de l'école des beaux-arts de Nantes. 



Anne Brégeaut... en 1999 à Nantes


Pendant son post-diplôme, Anne Brégeaut avait semé sur son passage des mouchoirs de papier sur lesquels étaient inscrites, par gaufrage, des questions aussi importantes que : Et si mon amour pour Bashung n'était pas réciproque ? ou C'est déjà pas gai d'être triste. 
A mi-chemin entre Glen Baxter et Droopy, Anne Brégeaut n'avait rien d'une ironiste endurcie ou d'une dadaïste de choc.

Par le biais d'un journal intime, nous allions des illusions à la découverte de la solitude, par petits chocs répétés, défaites, découverte des lois de la compétition amoureuse. Du journal intime au conceptuel: Dès la première année, j'utilisais les mots comme support, c'est la base de mon travail. J'ai commencé par des journaux intimes, avec des dessins et des phrases. Petit à petit, j'ai gagné de la distance. 
Et la personne d'Anne Brégeaut est devenue le personnage de ses oeuvres. Devant ses oeuvres, nous sommes dans le presque rien. Sur un mur, deux chaises peintes, vides. Au-dessus, les phrases : Et qu'est-ce qui se passe entre vous ? Rien, et c'est déjà assez compliqué. 
Sur un autre mur, elle poursuit les images des passagers de sa vie, de ceux qu'elle croise ou quitte, à travers des polaroïds. 

Il s'agit de portraits à développement instantané où, à la place d'un visage, on trouve une formule, un portrait verbal. Armelle, elle a de grands yeux, immenses même, d'ailleurs, c'est pas une fille, c'est une paire d'yeux. 

Vincent, c'est un rêve qui dit qu'il vous aime et qui s'en va. 
Ou encore: Franck. Franck, j'ai dû oublier. 
Chaque texte, qui rappelle les intertitres émaillant les films muets, sonne comme le début d'une nouvelle qu'il nous appartient de poursuivre. 
J'aime beaucoup le haïku, qui dit beaucoup en peu de mots, et je n'ai pas envie de tout dire. C'est vrai que je ne suis pas trop tendre avec les autres dans ces phrases, mais c'est quand même bien moi. 
Anne Brégeaut utilise les éléments et les mots de sa vie de jeune femme, ramenant l'art conceptuel à un théâtre intime, mis en scène avec ce qu'il faut d'ironie, ce qu'il faut de sincérité.


Anne Brégeaut... en 2021 à Issy

Vingt ans après, l'artiste se prête à une actualisation de son portrait. "Je développe un univers intime onirique et fantasmatique très imagé et coloré. Des rapprochements incongrus ou absurdes viennent contaminer un monde au premier regard joyeux, sentimental et presque enfantin le rendant tour à tour inquiétant, ambigu ou fragile. Mon travail est du côté d’une peinture non démonstrative et il privilégie notre attention à la vulnérabilité des choses ainsi que celle de notre propre regard."  
Elle participe à la biennale d'Issy, qui prend ses quartiers au musée de la carte à jouer, sur le thème: Chimères artistiques, figurer le cosmos. 


CHIMERES ARTISTIQUES, FIGURER LE COSMOS. au Musée de la carte à jouer, 16 rue Auguste Gervais, Issy Les Moulineaux.
 Du 15 Septembre au 7 Novembre 2021
From 16 September to 7 November 2021
https://www.biennaledissy.com/



Anne Brégeaut est née à Clermont-Ferrand. Après son passage à Nantes, où elle a été l'élève de Patrick Reynaud, elle s'est installée à Montreuil.

dimanche 22 octobre 2017

Yves Tanguy, le Breton qui peignait dans un placard

Yves Tanguy avec Peggy Guggenheim, peu avant son départ pour les USA.





Yves Tanguy passa une partie de son enfance à Plestin-les-Grèves, et dans la région nantaise. Il se destinait à la Marine marchande, mais la peinture le conduisit vers des rivages qui ne figurent sur aucune carte. Plus célèbre à l'étranger qu'en France, le Breton fut le premier peintre surréaliste exposé aux Etats-Unis.

C'est l'un des premiers tableaux d'Yves Tanguy, et peut-être le plus beau : « Rue de la Santé » montre une artère qui monte, presque verticale, et que gravit un cycliste. Un drapeau tricolore pend à l'entrée d'une prison, et des immeubles semblent s'effondrer les uns sur les autres. Le tout est baigné d'une lumière froide, mentale. On comprend le coup de foudre d'André Breton pour ce tableau qui procède de « l'automatisme psychique pur ». Mais il n'avait encore rien vu.

Il peint dans un placard

Tanguy n'était certes pas le seul à chercher une peinture qui ne réponde qu'aux ordres de l'inconscient: Max Ernst, Miro, Masson, de Chirico, Dali suivirent cette voie, en insérant des objets familiers dans des univers oniriques, imperméables au langage. Tanguy seul peignit des paysages intérieurs habités par des êtres et des choses issus d'une imagination impulsive.


L'histoire commence à Montparnasse, où Tanguy partage un taudis avec Jacques Prévert ; une bagarre de rue leur permet de faire la connaissance avec Desnos et sa bande. Le poète découvre les toiles fraîches peintes par Tanguy, et diffuse dans tout Paris la nouvelle « d'un peintre très bizarre, il peint dans un placard ».
André Breton se précipite, le placard à balais est intégré à la forteresse surréaliste. Le soir, ils boivent énormément et jouent au « cadavre exquis », divertissement qui érige l'automatisme en principe d'écriture. C'est par ces exercices sur l'inconscient qu'Yves Tanguy fait brutalement surgir son univers méticuleux peuplé d'êtres-objets, en 1926. Un espace improbable, bien que tridimensionnel, avec son horizon laiteux et ses laisses de mer d'où émergent des formes cartilagineuses, homoncules auberginomorphes, aérolithes flasques, phoques tractés par des araignées, moustaches volantes et vertèbres enlisées dans des rougoiements utérins.

Le cousin d'Amérique

Ce sont « de faux paysages où rien n'est reconnaissable ». Même si, à l'évidence, s'y trouve l'image réverbérée des grandes baies bretonnes, en particulier de la grève de Saint-Efflam (Saint-Michel-en-Grève). Comme a pu l'écrire Patrick Waldberg, « la Bretagne engloutie carillonne au fond de son œuvre ».
Tanguy, peintre breton ? Individu et biographie sont très loin derrière l'œuvre, nourrie de nomadisme mental. Soit, on peut repérer quelques éléments: il est fils d'adjudant et de boulangère. Vacances adolescentes à Locronan. Il y amène ses amis avant que le cinéma ne s'en empare. Prévert, Eluard et Nush, Péret. Et Breton y découvre la Bretagne. Tout le reste n'est que folklore. À Plestin-les-Grèves (Côtes d'Armor), personne ne connaît Yves Tanguy, ce cousin d'Amérique qui a sa plaque sur le mur de l'ancien Bazar, devant l'entrée de l'église.

Dans le Connecticut

La rencontre et la liaison avec Peggy Guggenheim, en 1930, va conduire le peintre vers d'autres cieux : la richissime mécène (dont le père était mort dans le naufrage du Titanic) s'entiche du Breton taciturne et l'expose à Londres. Il commence à vendre ; il divorce et épouse une artiste américaine, Kay Sage. Aux États-Unis, il conserve son univers intact et jouit d'un prestige et d'une aisance inespérée. Kay Sage l'écarte prudemment de New York et de ses tentations alcoolisées (qui le conduisent parfois à manger des araignées et à sortir le couteau pour trancher un débat). Tanguy, naturalisé américain, passe des fantômes cartilagineux aux structures minérales. Il n'aura jamais été aussi fécond que dans sa grange du Connecticut, un atelier spacieux où il travaille de longues heures sur des toiles de plus en plus grandes, comme un peintre de la Renaissance.

Daniel Morvan.

 Fils de marin, il se destinait à la mer. À la mort de son père, il fut d'abord élevé à Pont-Rousseau, avant de partir pour les Côtes d'Armor, dont les rivages imprègnent son œuvre. Au lendemain du centenaire de la naissance de l'artiste, le livre des éditions Palantines apporte l'éclairage français et américain sur ce peintre à double nationalité. Avec analyses, biographie détaillée et 130 reproductions venant des plus grandes collections.


‎vendredi‎ ‎21‎ ‎décembre‎ ‎2001
985 mots

mardi 2 mai 2017

Caroff+Abraham = Compère, qu'as-tu vu ?


‎mercredi‎ ‎28‎ ‎juillet‎ ‎1993
811 mots


« Compère, qu'as-tu vu ? », de Jean-Pierre Abraham et Vonnick Caroff



Vous pouvez aimer à la folie la Bretagne dans ses atours d'été et avoir envie de soulever un pan de ciel bleu pour découvrir une autre Bretagne. « Compère, qu'as-tu vu ? » est votre livre.

Jean-Pierre Abraham, écrivain (auteur de trois récits, « Le Vent », « Armen » et « Le Guet », journaliste à « Armen ») et Vonnick Caroff, peintre à Pont-Croix, ont réalisé ce livre selon les règles d'un pacte enfantin : l'homme de plume a livré ses textes chaque lundi et la dame aux couleurs a dessiné à partir des textes. 


Sans thème préalable, avec pour seule discipline de ne pas manquer le passage du facteur. S'est ainsi écrite une chronique des jours et des lunes dans l'extrême Finistère Un livre aux couleurs de papillon vous bat entre les doigts.
Un livre tissé de quotidien, un trésor de gosses : proverbes et chansonnettes, comptines et amulettes, enluminures et collages. La complicité qui s'est liée entre les deux auteurs du livre est visuelle. « Je voulais te dire/Comme les étoiles les renards ont les yeux bleus en naissant ; plus tard ils deviennent d'ambre. » L'image vérifie le mot. 

 Jean-Pierre Abraham et Vonnick Caroff ont écrit le poème d'un Finistère sombre et lumineux comme un vitrail, chamboulé comme les bateaux-phares du peintre Dilasser. Une dislocation de nuages traversée par des enfants à vélo, des animaux aux yeux fous et des étoiles. Demain, le monde va se refaire, l'homme aussi. Et quelquefois, le ciel semble « proche comme les grillons d'été : le même chant insaisissable ». Peu de livres racontent ainsi l'envers des saisons, l'autre côté des vies où les sentiments n'ont pas encore de nom. On suit le fil ténu de ce texte étrange, plein de poules et d'étoiles. A vrai dire, on se demande à quoi ça tient, mais ça tient. Mais si la poésie n'était capable de ce genre de petits miracles, qui d'autre ? 

Daniel MORVAN.

« Compère, qu'as-tu vu ? », éditions Le temps qu'il fait (Cognac), 150 F. éclairage

Abraham, l'éternel guetteur


« Pourquoi donc ne peut-on continuer toute la vie à guetter le monde comme au temps des amours d'adolescents ? », écrit- il dans « Le Guet » (Gallimard, 1986). Guetteur, il l'est déjà au phare d'Armen, au large de l'île de Sein, où il fut gardien pendant quatre ans : « J'ai découvert Armen lors de mon service militaire à Brest, raconte-t-il avec une étincelle d'amusement dans l'oeil, dans l'atelier où Vonnick Caroff compose ses bleus de matin calme et ses roses bergère. Je me suis tout de suite présenté à mon commandant, en petit pompon, pour lui dire : je veux aller là-bas. Il m'a dit : vous me rappelez mon fils. Allez-y donc ! » 

 Quatre ans dans les cuivres lustrés et le mobilier patiné du phare : « Je me suis toujours demandé comment on avait pu construire Armen. Ses bases semblent si fragiles à marée basse. Les berniques qu'on y trouvait étaient si endurcis qu'ils étaient immangeables. » 

 La vie le conduit ensuite sur une montagne de Haute-Provence, près de Forcalquier : il en tirera un récit, « Le Guet ». Des choses vues jaillies du coeur du silence. Une chronique banale que vous dévorez comme un polar, pris dans la fascination des êtres. « Le Guet est peut-être le plus breton de mes livres, c'est là-bas, en Haute-Provence, que j'ai pris conscience que j'étais Breton. La Bretagne est peut-être faite pour être rêvée de loin ! » 

Et c'est dans ce livre provençal qu'il dit le mieux son pays, où « j'ai vu des filles insignifiantes devenir belles par vent de suroît » et où, « en toute saison, on n'est jamais très éloigné du mois de septembre». Mais « ras-le-bol du ciel bleu » : son pays, il va le retrouver en prenant un poste de gardien des îles Glénan, où il est nommé professeur à l'école des chefs de bases nautiques. Il y rédige le célèbre « Cours de navigation des Glénan », puis devient rédacteur des instructions nautiques, dont il a toujours admiré la clarté de style. Jean-Pierre Abraham possède la grande qualité des vrais guetteurs, veilleurs et gardiens : le silence. Un silence bruissant et brûlant qui troue la nuit comme les éclats lumineux d'un phare, au large de Sein.

Jean-Pierre Abraham dans l'atelier de Vonnick Caroff, avenue de la Libération à Pont-Croix.

vendredi 28 avril 2017

Pierre Soulages



Un jour, enfant, Pierre Soulages traçait des traits noirs sur du papier. Que dessines-tu? lui demande-t-on. « De la neige », répondit Pierre, provoquant un éclat de rire familial. Pour cet enfant, le noir était une couleur qui éclaire tout le gris.
Né le 24 décembre 1919, Soulages connu pour son usage des reflets de la couleur noire, qu’il appelle «outrenoir ». Le maître de Rodez est au musée de Nantes par des œuvres qui sont des puits de lumière forés dans les profondeurs tectoniques du noir.  « L'outrenoir, dit-il, c'est un autre monde, où vous emmène la réflexion de la lumière par la surface du noir, qui est la plus grande absence de lumière. » Soulages n’est pas seulement le peintre de la densité maximale, il est aussi celui de l’espace: Plus un tableau est grand, mieux il vous emporte. Quelque part dans la grotte Chauvet ou à Altamira, avec ces peintres de la préhistoire, pour qui peindre, c’était broyer le noir, manger du charbon et le projeter sur un mur, pour donner une forme au mystère.

samedi 22 avril 2017

Roselyne et la création du monde

Roselyne Gicquiaud-Bouchet

Elle s'est jetée dans la peinture en 2002. Sans prévenir. Grands formats. Couleurs vives. Simples planches de bois. Motifs animaliers et végétaux. Symboles universels qu'elle lance en l'air comme des capsules temporelles.

Les statues zoomorphes des tribus mélanésiennes, les masques taillés dans les fougères arborescentes et montés sur des toiles d'araignée, les gravures rupestres de la Montagne aux écritures... Dans le musée imaginaire de Roselyne Gicquiaud-Bouchet, il y a les arts premiers et ceux qu'ils ont inspirés : « Jules Paressant et ses marines, Gaston Chaissac qui a peint sur des portes de placards, des planches pourries ou des épluchures.»

L'homme, le vrai, se carapatant à toute blinde

La comparaison avec le naïf de Vendée s'arrête là. Roselyne ne peint pas de têtes étonnées et de grands yeux ronds sur des pelles ou des enjoliveurs. L'homme, elle le met à sa place : en fuite, se carapatant à toute blinde. Le bipède n'est qu'une silhouette ironisée, en fuite dans ses grands formats, à propos desquels il faut éviter les mots panneau, panonceau ou enseigne. Sous peine d'être reconduit aux frontières de la couleur, derrière la porte de la galerie.
Jocelyne a du sang dukduk, des ancêtres micronésiens, et une chose est certaine : sa vocation n'a pas mille ans. Cela s'est exactement passé en l'an 2000, un lundi. « Je peignais des pots, j'avais le goût du dessin depuis l'enfance. Je tournais en rond autour de mes pots, et j'ai subitement eu besoin de faire du plat à la peinture. J'achète des planches. Je les scie, je les ponce mais pas trop, je les colle, je les peins. »

La sophistication des supports, caractéristique des arts premiers (avec leurs ligatures, leurs pigments, leurs fines architectures) est absente des tableaux présentés ici pour la première fois, et issus d'une seule année de travail. Le choix des planches assemblées répond à un besoin de rugosité rassurante, de relief, de répondant.
Pour le reste, la planche est une surface lisse où le pinceau glisse sans tourner. Jocelyne a échangé le vélodrome des pots de terre contre le ruban de terre ocre qui mène vers son musée imaginaire: les Danakils, les Peuhls ou les Dogons. La longue distance lui convient mieux, elle y respire à l'aise, définitivement hors-circuit.

Poules acidulées, escargots psychédéliques


« Depuis que j'ai trouvé le bon support, je me sens parfaitement bien. Mes inspirations sont les arts africains, leur spontanéité me touche, même si la dimension sacrée de cet art m'échappe. »
Couleurs crues, schéma bidimensionnel, animaux stylisés entourés de frises géométriques et végétales : Roselyne a-t-elle donné dans le panneau de la peinture décorative ? « Si on me dit que ça fera joli dans le salon, ce n'est pas ce qu'il y a de plus agréable à entendre. Mais c'est venu ainsi, c'est sorti d'un bloc. »
La couleur sortie du pot est d'ailleurs plus subtile dans les dernières œuvres. Les sujets animaliers, toujours ironiques, évoluent eux aussi. Elle a commencé par les plus gros animaux, éléphants, rhinocéros, baleines, ours et crocodiles, pour glisser progressivement vers les poules acidulées, des escargots psychédéliques, des dromadaires philosophes, en « hommage à Théodore » <Monod>. Ils ont tous l'air de sourire. Sauf l'homme, qui a le masque.

Daniel MORVAN.
La création du monde, de Roselyne Gicquiaud-Bouchet.

Paru le ‎mercredi‎ ‎27‎ ‎février‎ ‎2002 (922 mots) dans ouest-france

jeudi 30 mars 2017

Pierre Gallais: L'art m'attend, moi le matheux (archive 1992)

Pierre Gallais est un artiste qui puise son inspiration dans les maths. Première rencontre à Quimper, où ce centralien artiste exposait ses œuvres en 1992. 


"L'art m'attend, il y a mathière à méditer" © DR

En juillet 1992, une galerie quimpéroise (Artem) expose un créateur d'objets mathématiques: Pierre Gallais, centralien atypique, DEA de mathématiques pures, scénographe lumière, rêve d'un monde qui n'opposerait pas art et science, et y met une bonne dose d'humour.

Diplômé de mathématiques pures, le rennais Pierre Gallais avoue avoir longtemps tout ignoré de l'art. « Enfant j'avais le virus de la peinture et je marchais bien à l'école. J'ai mené les deux à fond, intégré l'école Centrale avant de partir vers d'autres horizons. » 


Ce chercheur pur cherchera vite à quitter l'isolement de la tour d'ivoire et à provoquer la rencontre entre les deux courbes de ses passions: poésie et math, au point qu'il nomme l'armathan. "Je ne me suis pas vu construire des ponts et j'ai vite bifurqué. Je me suis mis à jouer sur les hologrammes et à exposer le théorème de Pythagore dans des lieux publics. L'homme a inventé les mathématiques pour comprendre le monde. Elles peuvent aussi l'aider à créer une oeuvre esthétique. » 

Exposition "Mathematics" à la Cité des sciences de Paris © DR


Lorsque les mathématiciens parlent de l'élégance d'une démonstration, de la poésie inhérente à une théorie, ils sont malheureusement les seuls à comprendre ce qu'ils éprouvent. Pierre Gallais fait partie de ces chercheurs pour qui style et poésie peuvent devenir un but en soi. Il planche sur ses équations à seule fin de transmettre ses émotions de chercheur. Des lieux comme le centre Georges Pompidou, le FRAC Rhône-Alpes ou le musée d'Art contemporain de Nice ont accueilli ses interventions géométriques, reliées à des créations laser et électroacoustiques. Pierre Gallais aime à railler le sérieux des idéaux mathématiques en les matérialisant. "Les gens qui ont réussi quelque chose ont suivi divers chemins, dit Juan Miro. Mais aucun ne s'est écarté de son chemin."


Pierre Gallais : « ma thématique appliquée », galerie Artem en transit, 1er étage des halles Saint-François, jusqu'au 30 juillet 1992, de 15 h à 19 h, sauf dimanche et lundi. Entrée gratuite. 

Pierre Gallais, plasticien mathématicien © DR