mercredi 19 décembre 2018

Erwan Desplanques: ce père fou d'Amérique



"Ils nous avaient sauvés. Des Allemands, de la ruine, de la mort rapide comme de la mort lente. Ils nous avaient apporté le jazz et l'argent, le bon et le mauvais goût." Ils, ce sont les Américains. Et celui dont les pensées sont rapportées, c'est le père. Un crazy-dingue des USA, le père d'Erwan Desplanques. Ce personnage étonnant, animé d'une passion impossible, car située dans un temps révolu, participe du comique et du tragique. Et ce tragique déborde sur toute la famille, de même que les tumultes d'une vie de couple à la Burton & Taylor. Comment grandir dans l'ombre d'un père qui, entre maquettes de F16, chaussettes de la Maison Blanche et stand de tir, semble une "parodie de GI égarée dans la Marne"?

Autour de ce personnage excessif, Erwan Desplanques raconte sa découverte de la relativité: le monde ne ressemble pas exactement à l'Amérique fantasmée de son père. L'histoire de vies qui se croisent, maladie de l'un, paternité à venir de l'autre, conserve toujours une sorte de tendre modération, le regard amusé ne va donc jamais jusqu'au portrait-charge : Erwan Desplanques nous raconte aussi comment, de cette démesure, est née l'exacte mesure qui guide sa plume bien tempérée. Et la fluidité classique de ce récit n'a d'égale que le sentiment de vérité qui se dégage de ses analyses: "Mon grand-père maternel s'était engagé dans l'armée à dix-neuf ans, mon père à dix-huit. La premier avait été autant marqué par la guerre que le second par son absence. Ma famille s'était bâtie sur cette double fêlure, celle d'une guerre subie et d'une guerre réclamée, et je me voyais comme un dommage collatéral, conscient d'avoir devant lui un écheveau à résoudre et une mémoire à porter." 
Dans cette histoire d'héritage pesant, on rencontre un grand-père psychiatre, qui rencontre sa femme dans un camp de prisonniers, un fils chanteur de rock (feu Sarah W. Papsun), journaliste à Télérama, et un enfant à naître. Le père sera enterré sous le drapeau étoilé, sur l'hymne américain chanté par une inconnue: "Il s'agissait d'Helen Patton, la petite-fille du célèbre général (...). Sa plaisanterie avait fonctionné: les États-Unis s'étaient invités à ses obsèques qu'ils couronnaient de leur exubérance." 
L'histoire, elle poursuit son cours et ensevelit les passions les plus folles, laissant l'Amérique derrière soi pour laisser place à la vie qui survient, à une envie de forêt: un livre qu'on commence à lire avec le sourire et qui vous prend comme une nostalgie, lorsque que les morts sont enterrés et qu'il faut sortir du rêve pour vivre en vrai, en dehors des fables éteintes.
Un livre dont on aime la voix juste et bien placée, situé dans l'après dont on goûte l'amertume et la douceur, cette manière légère de raconter la tristesse et le bonheur, quand les couleurs de l'après-guerre, de l'après-père s'effacent.

Daniel Morvan

Erwan Desplanques: L'Amérique derrière moi. Editions de l'Olivier, 176 pages, 16€. Parution janvier 2019.


Du temps de Sarah W. Papsun © DR

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