dimanche 29 septembre 2019

Blandine Rinkel: Postures et impostures




Blandine Rinkel dans l'univers du pseudonyme © D. Morvan


Débarquant à Paris pour ses études, Océane décide qu'elle ne s'appellera plus Océane mais Blandine. La raison? "Quand on est grande, blonde, et qu'on s'appelle Océane, on craint certains soirs de ne plus faire qu'un avec son propre cliché". Changer de prénom résoudrait un problème d'image de soi et un complexe de provinciale honteuse de ses origines. Cela devrait même lui ouvrir les portes de la bourgeoisie parisienne: "A cette époque, tu peux encore tout à fait te perdre toute la journée dans Paris, toile d'araignée, piège de soie qui te capture".
Remarquée pour L'abandon des prétentions (Fayard 2017), très beau portrait de sa mère, Blandine Rinkel analyse dans ce second roman les fasseyements de l'identité, le glissement dans l'univers risqué du pseudonyme. Cette histoire de mutation post-adolescente a pour arrière-plan un drame de la fascination: celle éprouvée par l'ex-Océane pour une amie-miroir, un coup de foudre d'amitié: Elia. La "métamorphose pour tous" n'est-elle pas un droit? Pour faire sa place dans le monde, ne faut-il pas essayer plusieurs versions de soi-même avant de pouvoir dire "je"? On se laisse porter par l'humour d'un portrait qui est l'autoportrait d'une romancière aux multiples talents. Derrière la blonde cérébrale qu'on découvrait il y a trois ans en pleine page du Monde, se cachait donc une lycéenne "perdue sur le grand échiquier des postures", et des impostures.

Daniel Morvan


Blandine Rinkel: le nom secret des choses, Fayard 2019. 298 pages, 19€

dimanche 22 septembre 2019

Premier roman: La Dissonante de Clément Rossi



Il aurait pu être ce que Georges Prêtre fut pour La Callas: un chef d'orchestre inspirateur, un mentor et un complice. Hélas, les espoirs qu'il plaçait en Hannah Burckhardt furent déçus. Celle-ci, qui devait chanter le premier rôle dans l'opéra Tristan et Isolde de Wagner, a fait faux bon un matin de répétition. Et, alors qu'il s'apprête à diriger, l'oreille fine de ce chef d'orchestre est frappé d'une terrible dissonance: "J'ai cru qu'on m'enfonçait dans l'oreille la lame du pic à glace resté sur la table." Depuis qu'enfant il a rencontré la musique, Tristan a vécu dans l'orgueil légitime d'une "compétence définitivement acquise". Mais ce sentiment de "surpuissance" a ses failles. Passée la joie ressentie à embrasser toutes les voix d'une partition complexe et les entendre en lui, Tristan sait qu'il n'a pas satisfait à toutes les promesses. "J'avais travaillé dur et longtemps pour discipliner l'orchestre imaginaire qui jouait à l'intérieur de moi (...), mais quant aux orchestres réels, c'était autre chose. Jamais (...) la musique n'avait été exaucée." Au seuil de la retraite, sur le point d'épouser une femme plus jeune que lui, il est devenu l'homme du ressentiment. Hanté par les acouphènes, il dirige avec le sentiment de "soulever une musique aux ailes de ciment", n'ayant que mépris pour ses interprètes, solistes du choeur régional, "seconds couteaux assez satisfaits de leur sort", ou "clarinettistes dévisageant leur instrument avec une moue d'incompréhension".
D'une dissonance musicale aux amours qui se désaccordent, Clément Rossi (bassiste du trio nantais de post-jazz Qobalt) compose une partition flamboyante sur le thème d'un homme perdu sans musique. Jusqu'à ce que, comme chez Proust, la réminiscence d'une sonate de l'enfance ne le ramène aux origines du don, ce miracle sans lequel "la vie ne serait qu'une erreur".
Daniel Morvan

Clément Rossi: La dissonante. Sygne/Gallimard. 240 pages, 18€. Octobre 2019.