dimanche 6 avril 2025

Tourner un film: L'assolement (1979-1980)

Je consigne ici un ensemble de données et de réflexions sur le tournage du film L'Assolement. Un extrait en sera projeté au cours des rencontres agropoétiques qui se tiennent le 11 avril 2025 à l'EHESS, 24 bd Raspail à Paris.



Dans notre groupe de travail sur le cinéma (Centre audio-visuel de l'ENS de Saint-Cloud) nous avons étudié de 1977 à 1980 plusieurs films comme L'Authentique procès de Carl-Emmanuel Jung, de Marcel Hanoun, des films de Danielle Huillet et Jean-Marie Straub (Chronique d'Anna Magdalena Bach, 1968), ou Six fois deux / Sur et sous la communication, série de vidéos réalisées par Godard et Miéville pour la télévision. Inspirations les plus marquantes pour notre tournage: Jean Epstein (Finis terrae, 1929), Robert Flaherty (L'homme d'Aran, 1934), et parmi les contemporains, Johan van der Keuken (La jungle plate, Les vacances du cinéaste). 


Les choses bougent en Bretagne en 1978, année de création de Diwan, de la marée noire de l'Amoco Cadiz, du choix du site de Feunteun-Aod, à Plogoff, pour implanter la future centrale nucléaire d'EDF. C'est aussi la première édition du Festival du cinéma des Minorités nationales, qui entend "donner la parole à des personnes dont la culture et la langue, à l'instar des Bretons, sont dits minoritaires". Ce bouillonnement contestataire, cette irruption de la contre-culture ne sont pas étrangers à notre désir d'apporter notre contribution, et à l'intérêt que nous porte le GREC dirigé par Jean Rouch. 

L'Assolement tourné en juillet 1979 est un travail d'étudiants (m'ont rejoint dans le projet: Jean-Patrice Courtois et Olivier-René Veillon, créateurs du Groupe de travail sur le cinéma, et de mon condisciple breton Jean-Pierre Montier). Je mets à l'épreuve mon vécu de fils de paysan, selon une méthode de reportage filmé avec des intervenants pour partie choisis au préalable, sans voix off (la question est débattue) pour surligner ou dicter un sens fixé à l'avance. 


Les rushes ne seront pas visionnés en cours de tournage et il n'y a pas de scénario écrit. Nous devons anticiper la construction future du film en train de s'élaborer en cours de tournage.

Tournage et montage. L'Assolement ne se réduit pas à confronter les gagnants et les perdants de la mutation agricole. Le montage met l'accent sur le signifiant, les accents et postures, ce que le corps dit de la vie, des ambitions, des douleurs, des désillusions des hommes. Certaines images soulignées par le montage (par exemple, celles d'un étang en contrepoint des mots de l'éleveur de porcs Jean Moal: élargir le cadre ou surface de réflexion) permettent aussi de tisser comme en surimpression le thème de l'eau et l'écologie. le film est monté dans l'ordre du tournage, de sorte que le film raconte aussi l'évolution même de notre pratique de l'outil cinématographique.


Le film, historien du vivant. L'Assolement est tourné en 16 mm noir et blanc (pellicule de récupération, parfois endommagée pour certaines bobines) avec une équipe professionnelle, sans visionnement possible des rushes en cours de tournage. Nous n'avons aucune expérience du cinéma. Le budget d'un court métrage donnera naissance à un long métrage en noir et blanc de 1 h 27.

Dans ce déroulement de scènes aux mouvements raréfiés, sans effets expressifs, sans aucune souplesse dans les transitions, avec certaines images très neutres, c'est l'intensité du vivant qui est recherchée, non la dramaturgie, avec une attention aux accents et même aux hésitations. On entendra les paroles humaines mais aussi le monde muet. La récitation productiviste mais aussi l'attachement d'un éleveur pour son troupeau. Beaucoup de temps est donné à l'observation des paysages, le paysage est l'enjeu du film-historien du vivant, et ces images sont une écoute du monde. Scène cruciale de Jean Moal et Paul Laudren: l'un est la mondialisation qui vient, l'autre est la misère du monde. Séquence qui se poursuit par un mariage fictif, évocateur du célibat paysan, plan séquence d'une longueur inusitée (serait-elle aujourd'hui coupée au montage?).  Une tonalité s'installe, propre aux images de rivages, d'eaux dormantes, de rivière: l'eau, silencieuse comme une pensée de la planète, court dans le film. 

Réception. A l'ENS, la bonne marche de ce tournage enlevé grâce aux énergies conjuguées, et à un esprit de camaraderie, plaide en notre faveur. Les caractéristiques de ce film "straubien" peuvent certes intriguer, comme l'absence de commentaires explicatifs, mais ce premier essai tourné sans vision des rushes témoigne, selon le directeur du CAV, d'un projet et d'une écriture.

La séquence introductive du film (une laveuse de linge, figure de la temporalité traditionnelle) lui vaut en 1980 d'être refusé d'emblée par le festival des Minorités nationales, à Douarnenez. Erwan Moalic, membre du jury (qui compte aussi Marc Ruscart, Yves Jardin, Jean-Hervé Le Guellec, Jean-Michel Le Boulanger) m'explique ce refus: les jurés ne voient dans L'Assolement qu'une image convenue, une copie fastidieuse du clip publicitaire de la mère Denis (la publicité pour le lave-linge Vedette). C'est une déception, pourtant, il y aura récidive en 1980 avec un reportage vidéo sur Plogoff, dont la copie s'est ensuite perdue dans un studio de production régional.


Projections du film. Mixé au Musée de l'homme, l'Assolement est projeté en public à Plestin les Grèves, puis au lycée de Nîmes où J.P. Courtois enseignait. Après ces trois séances publiques, il est déposé à la cinémathèque de Brest en 1986, à fins de préservation de cette unique copie. Deux projections sont programmées en 2025 ou 2026 par un chercheur de l'UBO, Alan Cabon, qui prépare une thèse sur le cinéma documentaire des années 1968-1980 en Bretagne.


L'assolement: les deux sens de ce terme. Référence un brin cryptée, qui renvoie à deux notions: 1. Sens cultural: Répartition des cultures sur les parcelles d’une exploitation. 2. Sens philosophique: Chez Soeren Kierkegaard (dans Ou bien… ou bien), il désigne un changement de méthode d'exploitation, la mise en place d’une "technique existentielle de limitation" destinée à intensifier l'expérience perçue comme monotone. Non pas changer de terrain, mais, comme l’assolement véritable, changer de méthode d'exploitation de ses propres affects. La clé de l’assolement tient en une phrase : Plus on se limite soi-même, plus on devient imaginatif. 

Le  titre du film, inspiré par cette philosophie, invite à imaginer un type de culture qui ne passe pas par l'intensification des apports extérieurs, mais un renouvellement de la culture paysanne, avec ses propres moyens.

Données du contexte économique

Contexte économique. La Bretagne occupe en 2020 le 1er rang des treize régions françaises pour la production porcine.

Faiblement industrialisée, la Bretagne a développé son secteur agroalimentaire, qui constitue 46% du tonnage national d'abattage porcin. L'effectif salarié agroalimentaire progresse en 1990 alors qu'il diminue en moyenne nationale (source: Joël Cornette, p. 568).

Le marché du porc breton (MPB) est le pilier de la filière porcine française: Le MPB est "la mémoire vivante du passage d’une agriculture moyenâgeuse à une agriculture moderne et performante", disent ses dirigeants.

À l'origine de cette organisation, des personnalités : Alexis Gourvennec d'abord, créateur de la Sica de Saint-Pol-de-Léon. La SICA était l'émanation directe du mouvement paysan de 1961, appelé "la bataille de l'artichaut". Il avait été mené par des jeunes formés à la JAC, Alexis Gourvennec et Marcel Léon, qui avaient pris d'assaut la sous-préfecture de Morlaix (nuit du 7 au 8 juin 1961) pour dénoncer le prix trop bas des légumes. La SICA organisa un marché au cadran par enchères dégressives, destiné à assurer le contrôle des prix de l'artichaut par les agriculteurs. En 1962, la SICA contrôlait 75% du marché des légumes.

Un fonctionnement similaire fut créé pour le porc. Jean Moal, cofondateur de la Sica de Saint-Pol-de-Léon, organisa le MPB (Marché du porc breton), dont il fut le président de 1981 à 1992. C'est lui que nous voyons dans notre séquence choisie de l'Assolement, à la veille d'endosser la présidence du MPB. 

L'affaire Jezequel. Elle oppose Jacques Jezequel, un éleveur du canton de Lanmeur qui exploite un GAEC de 217 ha et (avec le soutien de la SAFER) veut s'agrandir en achetant une ferme de 19 ha (Le Roniou), dont un jeune légumier qui vit sur 8 ha aurait bien besoin. Mobilisation syndicale. L'enjeu est la concentration des exploitations et l'avenir des jeunes paysans. Selon le maire de Plougasnou qui parle dans le film, "une commune comptant 87 fermes pourrait voir ce nombre se réduire à 7". Le recensement agricole de 2020 dénombrait 416 436 exploitations en France (Métropole et Outre-mer), contre plus de 1,5 million en 1970.




19 juillet 1979, premier jour de tournage à Kervoriou

mardi 25 février 2025

521 Déchet Mathématique à la plage

 


Pareille à la course du versoir

qui va ouvrir le flux des glèbes

la mémoire poursuit son oeuvre de retournement

du sol

elle tranche dans l'étoffe du temps à la façon des ciseaux

du tailleur, elle inverse l'endroit, l'envers elle le déverse

tu étais enfant te voici chêne blessé tu étais vainqueur

te voici renversé par souci de mémoire

tout retourné parmi tes antécédents : je ne rêve pas d'un présent indemne de tout passé

seulement de ses vestiges 


j'aime sa pluie bruissante et fendeuse d'ombres

qui sort du sombre et revient vers sa chair –  souvenir, tu es ce train qui retourne

vers le sifflet qui le précéda, cette vague que la mer ravale ce forçat qu'on libère

- cliquetis d'un convoi lointain

fracas ferroviaire, émotion de palmes 

un son

émerge du chaos


un crissement de plume


sur le papier . bruit d'autrefois . bruit enfant


qui n'est pas pensum (ce mot désignait le poids de laine 

que l’esclave devait filer par jour)

bruit d'un avant, bruit de l'enfant-pluie dans le passé


laisse aller 

laisse tomber la neige sur les yeux levés

du berger


laisse la rotative dévorer la beauté qu'elle moissonne 

comme une largeur de blé sur l'étendue d'un journal de terre

et qu'il en bondisse 

une polka 

une gavotte 

une valse 

Peins ce que tu vois provoque l'accident visuel 

fais trembler la mythologie introduis-y de l'actuel

ne crains trop d'éclat et trop de vivacité

que toute action de Tancrède et d'Argant soit le combat 

que tout amour soit Acis et Galatée 

Pyrame et Thisbée dont j'entends dire

qu'ils furent légendaires


– mais coupons court dans ce fatras mytho et repartons là-bas

puisqu'aujourd'hui est un présent qui se poursuit

dans la question: "qu'ai-je réellement vécu de ce dont

je me souviens?"

tentons une nouvelle fois:

seize ans, un véhicule de petite cylindrée –

c'est assez pour une rencontre au bord de mer


en ces années les teenagers correspondent

par cartes postales tracées à l'encre

bleue des mers du sud. Par exemple, datée du 30 juin,

cette carte qu'elle m'autorise, j'espère, à reproduire,

où l'une aux yeux pers ourdit des conclaves adolescents

et m'invite à la plage :


Maintenant que j'ai mon brevet je commets des fautes énormes

je suis allée au CES chercher un prix de breton (deux mille)

je m'enquiquine par ce temps alors je téléphone et je reste

une demi-heure dans la cabine de Landrellec pour quarante centimes

dis j'espère que les foins sont rentrés parce qu'on avait l'intention

de se réunir un de ces jours toute la bande et les autres

à la plage at Beg Leguer ou à Trébeurden ou à la rigueur

au jardin public

j'ai deux questions à te poser: est-ce que tu vas en vacances et où

est-ce que tu as un solex ou autre cycle motorisé? D. et moi 

on se voit souvent samedi on va au gala de tauromachie à Lannion

et cet été j'irai peut-être à Plestin-les-Ploucs


et je sais d'avance par les livres toute l'ivresse marine

je sais la vague et l'étourdissement du soleil autour

de celles dont il me tarde de voir le rire et

les cheveux d'or dans leur rôle de filles de la plage

pour le reste il suffit au garçon de se référer aux règles basiques de la séduction

en témoigne cette recommandation à tous les adolescents

du monde des sables:


Rire aux éclats pendant les jeux de ballon montre que vous êtes une personne joyeuse et positive, ce qui est irrésistible pour beaucoup. Laissez transparaître votre personnalité chaleureuse et ouverte, ce qui pourra confirmer la bonne impression faite sur vos amis de collège. L'expérience capitalisée sur de longs mois d'étude vous permet de briller dans les jeux tels badminton ou beach-volley, et de paraître non comme le garçon seulement rêvé, mais mieux encore, comme le flirt idéal et possible.


Étais-je aussi chaleureux et ouvert que dans les préceptes

De la presse aux adolescents?

Je possédais un avantage: l'humble véhicule la mobylette bleue 

qui emporte le pâtre sur les ailes de l'amour 

vers celle qui s'en montrait par ses mots disposée 

ouvrant carrière, simple, naïve et sans pompe, 

à l'idylle recommandée par les traités


Venant d'yeux perçants, une autre carte postale vérifie

qu'entre campagne et riviera bretonne il n'est qu'un seul 

lieu où se voir, la plage:


Cher déchet mathématique (*), 

n'ayant rien à faire de plus urgent, 

et ne sachant pas ce que tu es devenu depuis 15 jours, 

je t'écris, comme tu peux d'ailleurs le constater. 

Je suis sur la plage, il n'y a pas encore trop de monde. Pour le moment mon existence

est plutôt monotone, cela ne peut pas être cette accumulation

d'occupations factices la vie? non. si tu as le temps ou mieux à faire écris-moi 

et on peut se retrouver sur la plage de Trestrignel le 15 août 


mots qu'il me sembla aussitôt voir s'envoler portés par des alouettes 

qu'elles tenaient bien haut dans leurs becs: le 15 à Trestrignel


Ce nickname de déchet mathématique sur les initiales

est d'attribution incertaine; interrogeons l'ordinateur des dieux:


*Pour donner un surnom original à un ami, optez pour un jeu de mots mêlant le nom à une qualité ou une passion. Déchet mathématique est-il un bon surnom? Il décrit plaisamment celui qui est perçu comme inefficace dans le domaine des mathématiques. Mais il peut être utile de déconstruire ce terme péjoratif et d'encourager une approche plus positive. 


Ces "je t'écris", ces "je suis sur la plage", riches de combien de commencements

sur leur promesse le cycle motorisé

l'azuréenne 49,9 cc t'emporte sur 36,400 kilomètres

(depuis Trémel-les-Merles jusqu'à Perros-Direct via Saint-Michel-en-gref'

et L'âne-Ion)

mais 

sur la plage, fabuleux séjour de Circé

elles sont mille sur ce champ immense

mille à bronzer: l'exposition en est sublime

aussi nombreuses que sont les étoiles au ciel

mais où trouver celle qui écrit des cartes postales

cette mince nageuse entourée d'amies?

En cette joueuse de syrinx

comme dans les tableaux que Maurice Denis 

peignit là-bas en rose, en ce reposoir de nymphes 

entre le Rocher et le Sphinx?


aucune couleur 

n'y manque ni le blanc lumineux du sable peuplé

de toutes ces formes cellulaires simples (baigneurs)

(plagistes) (nagistes) ni cet alliage

anadyoménal en jaune rouge bleu - toutes les couleurs présentes

mais au blason rêvé de Trestrignel il manque

le rose Daphnis et le vert Myrtile

et parmi ces hannetons en maillot,

ces caractères d'imprimerie rassemblés

en vue de l'édition du 15 août

aucune empreinte féconde 

de ces caractères charnels formant en lettres de sable

le prénom qui signait chaque rendez-vous

  plage de Trestrignel 

le 15 août Herminie


samedi 15 février 2025

034 L'ombre


Quelle déchéance et quelle grâce, ce n'était qu'une mince

silhouette qui marchait dans l'ombre des places

de méchants voituriers, chauffeurs de ministres poireautant

disaient sous cape: la vilaine fille, que fuit-elle?


Ni vilaine ni fille, elle allait vers un rendez-vous

dans la périphérie de la ville, ou peut-être acheter du lait

et les gardes du corps de l'ancien ministre de l'intérieur

disaient: cette vieille femme décharnée et si laide


On dirait qu'elle va entendre de l'opéra en coulisses

ou fleurir la tombe d'un petit chien qu'elle eut autrefois

et qu'elle pleure encore; et on dirait tant de choses


Dans les boutiques de la rue de province

où marche la petite dame aux cheveux roses

vers les rayons d'un soleil qu'elle sait venir.



samedi 18 janvier 2025

Ecrire la ruralité: Rendez-vous à Langon


 

Je viens de relire "Péquenaude" de Juliette Rousseau, et y trouve tant de beautés et de réussites, tant d'échos et de thèmes communs: Écrire comme un geste par lequel on revient au corps, récepteur des souffrances de la terre, et messager des appels d'un monde en survie; la terre féminisée par l'exploitation; l'appauvrissement de la langue précédant celui du monde; le conflit entre vie rêvée et ce que le corps nous dit des continuités du monde qui nous a été légué.

Nous réunir un soir de février 2025 à Langon (Ille et Vilaine) autour de la notion de ruralité est une belle idée de François-Xavier Ruan. De multiples liens personnels justifiaient cette rencontre dans ce lieu alternatif de Port-de-Roche, à deux pas de la ferme natale de notre ami, par-delà des écritures spécifiques qui ont leur histoire -- ancrée dans une forte expérience militante pour Juliette Rousseau, et pour ma part dans le questionnement du lien entre le parcours personnel et les discours qui l'ont encadré: la ruralité est plurielle, et dans les deux cas est un rapport entre le corps et l'espace. En artiste de la relation humaine, François-Xavier a œuvré pour le jazz (le Pannonica) et la poésie (au sein de la Maison de la poésie de Nantes), dont le point commun est l'improvisation. Concept qui désigne à la fois une technique d'écriture (musicale, poétique) mais peut aussi qualifier les trajectoires des "transfuges de classe" et les "transfuges de territoire", comme le dit Juliette. La fuite en dehors du territoire est une improvisation dans les parcours, par bifurquages, décrochages et évitements, et ce perpétuel est l'essence même du retour. L'écriture de vie née de la perte (d'abord insensible) retrace une sensorialité perdue, tout ce que la production effrénée a dévoré, elle le redessine dans un territoire de mots, elle redéploie ce qui fut appelé "l'édifice immense du souvenir". Alors vient cette merveilleuse image: le corps "est le vaisseau fantastique de notre existence", écrit Juliette Rousseau, et ce poème en est le roman d'anticipation, qui fait d'une histoire de retour, et quel retour ("c'est d'abord pour donner naissance que je suis revenue"), le rêve charnel d'un intime renoué à l'illimité. Écrire la ruralité: puisque les bœufs virgiliens ont quitté la scène, une autre écriture de la campagne acquiert une urgence nouvelle à l'heure des périls, portée par Nina Ferrer-Gleize, Marielle Macé. Par Juliette Rousseau et sa "Péquenaude", où se nouent le poème et l'analyse, le vivre et l'écrire, le constat sociologique et l'étoile clignotante d'une continuité vitale rétablie entre nous et la terre: "Pourtant, quelque chose demeure. Dans les corps, les mémoires, la terre, la langue, le bocage, lesquels sont tous liés."


samedi 11 janvier 2025

Paimboeuf vs Monaco: le derby des villes timbre-poste (536)

Aux vœux du maire par atavisme je m’assieds

Sur les gradins à gauche, un lieu familier

Près des issues, où la presse, à son métier,

Note avec scrupule chaque mot bien pesé.


Mais cette fois pour briser la routine,

Je choisis l’autre bord, me retrouvant

à droite, derrière le député Deville, coudoyant

Un sergent retraité de guerres intestines.


Avant le maire s'élève la voix de l'adjointe

Exposant l'état du monde, ses infortunes,

Et de la commune, 3030 habitants recensés


Sur la surface d'une petite principauté.

“Paimboeuf vaut Monaco, tout bien calculé

dit mon sergent -- sauf pour la fortune.”