Christine et Léa Papin lors de leur procès |
Le 2 février 1933, Christine et Léa Papin tuaient leur maîtresse et sa fille dans une maison bourgeoise du Mans.
La carte de visite mentionnant Léa Papin a disparu sur le clavier du digicode. Mais c'est bien dans cet immeuble du quartier Sanitat que le réalisateur Claude Ventura a découvert la trace de Léa Papin. "C'est un peu comme si, lorsque je réalisais un documentaire sur Scott Fitzgerald, j'étais tombé sur l'écrivain", explique le réalisateur.
2 février 1933. La femme et la fille d'un notable du Mans sont retrouvées mortes, mutilées, à leur domicile. Les domestiques de la maison, Christine (28 ans) et Léa Papin (21 ans), sont interpellées dans leur chambre, blotties dans leur lit. Le procès va passionner l'opinion, des écrivains sont dépêchés pour couvrir le procès. Ce meurtre atroce commis par deux femmes réputées "saines d'esprit" demeure incompréhensible : quels secrets veut-on cacher en évitant la thèse de la démence ?
« On s'est battues, on a eu leur peau avant qu'elles aient la nôtre », dit avec aplomb Christine Papin, âgée de 28 ans. À ses côtés, sa cadette Léa, 22 ans. Les deux femmes, cuisinière et femme de chambre depuis sept ans auprès des Lancelin, se lèvent, enfilent leurs bas et leur peignoir et rejoignent le commissariat central, avant d'être incarcérées à la prison du Vert Galant.
Septembre 1933. A 1 h du matin, au terme d'une délibération de quarante minutes, Christine Papin est condamnée à mort. À l'énoncé de la sentence, elle tombe à genoux. Elle ne sera pas guillotinée. Le président Albert Lebrun commue sa peine en travaux forcés à perpétuité. Mais après trois ans et demi derrière les barreaux, son état mental se dégrade. Inapte à la prison, la grande mélancolique est morte dans la section psychiatrique de l'asile de Saint-Méen de Rennes, le 18 mai 1937. Sa cadette Léa purgera sa peine de 10 ans à la maison centrale de femmes de Rennes.
A sa libération en 1943, Léa fut assignée à résidence à Nantes. "L'énorme surprise a été de découvrir qu'elle vivait sous son vrai nom. De la tombe de sa mère à l'immeuble où elle vivait, nous n'avons mis que 24 heures. Ces images n'ont pas été préparées, nous avons filmé nos investigations en direct. Nous avons monté l'escalier le coeur battant. Ce qui est fou, c'est que personne n'était au courant. Quand même, en 1991, Paris-Match consacre encore 7 ou 8 pages à l'affaire !"
Décembre 1999. Au Mans, Claude Ventura et sa narratrice Pascale Thirode filment les lieux du drame, interrogent la mémoire sarthoise. Rencontrent la journaliste Paulette Houdyer, tenante farouche de l'hypothèse homosexuelle.
2000. Mais revenons à Claude Ventura, un an avant la mort de Léa. Il remonte la piste jusqu'à Nantes. Dans un cimetière nantais, la concession funéraire de Clémence Derré, mère des deux bonnes mancelles, est régulièrement renouvelée par la cadette. "Je n'avais jamais imaginé rencontrer Léa Papin en vie, dit Claude Ventura. Si j'avais su qu'elle était vivante, je n'aurais même pas fait le film."
Quand ils frappent à la porte des voisins, ceux-ci renvoient une tout autre image de Léa que la jeune mutique du procès. Ils n'ont pas lu Paris-Match, ni Jean Genêt, ils ignorent son passé. Le réalisateur ne les décille pas. Ils parlent d'elle comme d'une femme active, que tout le monde connaît dans l'immeuble de Notre-Dame du Bon-Port, qui a refait son existence, est devenue couturière. L'image presque idéale d'une réinsertion réussie, d'une vie privée reconstruite sous son propre nom après paiement de la dette.
Aphasique depuis la chute qui l'a contrainte à quitter son domicile, elle se trouvait dans une résidence de long séjour. Claude Ventura et Pascale Thirode s'y présentent et demandent à la voir. "Je n'ai pas voulu qu'elle voie que je la filmais, j'ai seulement filmé le fantôme avec un caméscope, sans vouloir utiliser cette image. Nous lui avons dit que nous venions de la part de ses voisins. Mais je ne lui ai pas parlé de l'affaire, j'aurais trouvé ça moche."
Au cours du montage, l'idée s'impose de clore le suspense par cette image. Muette comme lors de son procès. Mais que sait aujourd'hui Léa de l'affaire Papin ? Ce visage et ces yeux farouches ("Sitting Bull pris par les Yankees") ont traversé le siècle avec leur mystère.
Daniel Morvan
En quête des soeurs Papin, film de Claude Ventura, 2000.
2 février 1933. La femme et la fille d'un notable du Mans sont retrouvées mortes, mutilées, à leur domicile. Les domestiques de la maison, Christine (28 ans) et Léa Papin (21 ans), sont interpellées dans leur chambre, blotties dans leur lit. Le procès va passionner l'opinion, des écrivains sont dépêchés pour couvrir le procès. Ce meurtre atroce commis par deux femmes réputées "saines d'esprit" demeure incompréhensible : quels secrets veut-on cacher en évitant la thèse de la démence ?
Un oeil posé sur une marche
2 février 1933. « Vingt dieux ! ». Le gendarme Vérité pénètre dans la maison bourgeoise des Lancelin, 6, rue Bruyère au Mans. "Je vois une chose gluante et flasque qu'il me faut enjamber. Un œil, un œil humain posé sur une marche". Sur le palier, Madame et Mademoiselle Lancelin gisent affalées, tête-bêche, jupes et jupons retroussés, dans une mare de sang et de débris humains. » Les deux victimes énucléées sont âgées de 56 et 21 ans. Au second étage de la demeure, l'agent Vérité découvre les deux bonnes de la maison, couchées dans l'un des lits, «l'une contre l'autre, les épaules dénudées sortant des draps, les cheveux en bataille ».« On s'est battues, on a eu leur peau avant qu'elles aient la nôtre », dit avec aplomb Christine Papin, âgée de 28 ans. À ses côtés, sa cadette Léa, 22 ans. Les deux femmes, cuisinière et femme de chambre depuis sept ans auprès des Lancelin, se lèvent, enfilent leurs bas et leur peignoir et rejoignent le commissariat central, avant d'être incarcérées à la prison du Vert Galant.
Septembre 1933. A 1 h du matin, au terme d'une délibération de quarante minutes, Christine Papin est condamnée à mort. À l'énoncé de la sentence, elle tombe à genoux. Elle ne sera pas guillotinée. Le président Albert Lebrun commue sa peine en travaux forcés à perpétuité. Mais après trois ans et demi derrière les barreaux, son état mental se dégrade. Inapte à la prison, la grande mélancolique est morte dans la section psychiatrique de l'asile de Saint-Méen de Rennes, le 18 mai 1937. Sa cadette Léa purgera sa peine de 10 ans à la maison centrale de femmes de Rennes.
Sous son vrai nom
1943-2001. Léa Papin bénéfice de circonstances atténuantes. Elle est condamnée à dix ans de travaux forcés assortis de vingt années d'interdiction de séjour. Elle est libérée de la prison de Rennes, en 1943, après avoir purgé sa peine jusqu'au dernier jour. À sa sortie, elle rejoindra sa soeur Clémence à Nantes. Elle est décédée à 90 ans, dans une clinique nantaise, le 24 juillet 2001.A sa libération en 1943, Léa fut assignée à résidence à Nantes. "L'énorme surprise a été de découvrir qu'elle vivait sous son vrai nom. De la tombe de sa mère à l'immeuble où elle vivait, nous n'avons mis que 24 heures. Ces images n'ont pas été préparées, nous avons filmé nos investigations en direct. Nous avons monté l'escalier le coeur battant. Ce qui est fou, c'est que personne n'était au courant. Quand même, en 1991, Paris-Match consacre encore 7 ou 8 pages à l'affaire !"
Décembre 1999. Au Mans, Claude Ventura et sa narratrice Pascale Thirode filment les lieux du drame, interrogent la mémoire sarthoise. Rencontrent la journaliste Paulette Houdyer, tenante farouche de l'hypothèse homosexuelle.
2000. Mais revenons à Claude Ventura, un an avant la mort de Léa. Il remonte la piste jusqu'à Nantes. Dans un cimetière nantais, la concession funéraire de Clémence Derré, mère des deux bonnes mancelles, est régulièrement renouvelée par la cadette. "Je n'avais jamais imaginé rencontrer Léa Papin en vie, dit Claude Ventura. Si j'avais su qu'elle était vivante, je n'aurais même pas fait le film."
Quand ils frappent à la porte des voisins, ceux-ci renvoient une tout autre image de Léa que la jeune mutique du procès. Ils n'ont pas lu Paris-Match, ni Jean Genêt, ils ignorent son passé. Le réalisateur ne les décille pas. Ils parlent d'elle comme d'une femme active, que tout le monde connaît dans l'immeuble de Notre-Dame du Bon-Port, qui a refait son existence, est devenue couturière. L'image presque idéale d'une réinsertion réussie, d'une vie privée reconstruite sous son propre nom après paiement de la dette.
Aphasique depuis la chute qui l'a contrainte à quitter son domicile, elle se trouvait dans une résidence de long séjour. Claude Ventura et Pascale Thirode s'y présentent et demandent à la voir. "Je n'ai pas voulu qu'elle voie que je la filmais, j'ai seulement filmé le fantôme avec un caméscope, sans vouloir utiliser cette image. Nous lui avons dit que nous venions de la part de ses voisins. Mais je ne lui ai pas parlé de l'affaire, j'aurais trouvé ça moche."
Au cours du montage, l'idée s'impose de clore le suspense par cette image. Muette comme lors de son procès. Mais que sait aujourd'hui Léa de l'affaire Papin ? Ce visage et ces yeux farouches ("Sitting Bull pris par les Yankees") ont traversé le siècle avec leur mystère.
Daniel Morvan
En quête des soeurs Papin, film de Claude Ventura, 2000.