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samedi 2 février 2019

2 février 1933, l'affaire Papin



Christine et Léa Papin lors de leur procès



Le 2 février 1933, Christine et Léa Papin tuaient leur maîtresse et sa fille dans une maison bourgeoise du Mans.


La carte de visite mentionnant Léa Papin a disparu sur le clavier du digicode. Mais c'est bien dans cet immeuble du quartier Sanitat que le réalisateur Claude Ventura a découvert la trace de Léa Papin. "C'est un peu comme si, lorsque je réalisais un documentaire sur Scott Fitzgerald, j'étais tombé sur l'écrivain", explique le réalisateur. 

2 février 1933. La femme et la fille d'un notable du Mans sont retrouvées mortes, mutilées, à leur domicile. Les domestiques de la maison, Christine (28 ans) et Léa Papin (21 ans), sont interpellées dans leur chambre, blotties dans leur lit. Le procès va passionner l'opinion, des écrivains sont dépêchés pour couvrir le procès. Ce meurtre atroce commis par deux femmes réputées "saines d'esprit" demeure incompréhensible : quels secrets veut-on cacher en évitant la thèse de la démence ?

Un oeil posé sur une marche

2 février 1933. « Vingt dieux ! ». Le gendarme Vérité pénètre dans la maison bourgeoise des Lancelin, 6, rue Bruyère au Mans. "Je vois une chose gluante et flasque qu'il me faut enjamber. Un œil, un œil humain posé sur une marche". Sur le palier, Madame et Mademoiselle Lancelin gisent affalées, tête-bêche, jupes et jupons retroussés, dans une mare de sang et de débris humains. » Les deux victimes énucléées sont âgées de 56 et 21 ans. Au second étage de la demeure, l'agent Vérité découvre les deux bonnes de la maison, couchées dans l'un des lits, «l'une contre l'autre, les épaules dénudées sortant des draps, les cheveux en bataille ».
« On s'est battues, on a eu leur peau avant qu'elles aient la nôtre », dit avec aplomb Christine Papin, âgée de 28 ans. À ses côtés, sa cadette Léa, 22 ans. Les deux femmes, cuisinière et femme de chambre depuis sept ans auprès des Lancelin, se lèvent, enfilent leurs bas et leur peignoir et rejoignent le commissariat central, avant d'être incarcérées à la prison du Vert Galant.

Septembre 1933. A 1 h du matin, au terme d'une délibération de quarante minutes, Christine Papin est condamnée à mort. À l'énoncé de la sentence, elle tombe à genoux. Elle ne sera pas guillotinée. Le président Albert Lebrun commue sa peine en travaux forcés à perpétuité. Mais après trois ans et demi derrière les barreaux, son état mental se dégrade. Inapte à la prison, la grande mélancolique est morte dans la section psychiatrique de l'asile de Saint-Méen de Rennes, le 18 mai 1937. Sa cadette Léa purgera sa peine de 10 ans à la maison centrale de femmes de Rennes.

Sous son vrai nom

1943-2001. Léa Papin bénéfice de circonstances atténuantes. Elle est condamnée à dix ans de travaux forcés assortis de vingt années d'interdiction de séjour. Elle est libérée de la prison de Rennes, en 1943, après avoir purgé sa peine jusqu'au dernier jour. À sa sortie, elle rejoindra sa soeur Clémence à Nantes. Elle est décédée à 90 ans, dans une clinique nantaise, le 24 juillet 2001.

A sa libération en 1943, Léa fut assignée à résidence à Nantes. "L'énorme surprise a été de découvrir qu'elle vivait sous son vrai nom. De la tombe de sa mère à l'immeuble où elle vivait, nous n'avons mis que 24 heures. Ces images n'ont pas été préparées, nous avons filmé nos investigations en direct. Nous avons monté l'escalier le coeur battant. Ce qui est fou, c'est que personne n'était au courant. Quand même, en 1991, Paris-Match consacre encore 7 ou 8 pages à l'affaire !" 

Décembre 1999. Au Mans, Claude Ventura et sa narratrice Pascale Thirode filment les lieux du drame, interrogent la mémoire sarthoise. Rencontrent la journaliste Paulette Houdyer, tenante farouche de l'hypothèse homosexuelle.

2000. Mais revenons à Claude Ventura, un an avant la mort de Léa. Il remonte la piste jusqu'à Nantes. Dans un cimetière nantais, la concession funéraire de Clémence Derré, mère des deux bonnes mancelles, est régulièrement renouvelée par la cadette. "Je n'avais jamais imaginé rencontrer Léa Papin en vie, dit Claude Ventura. Si j'avais su qu'elle était vivante, je n'aurais même pas fait le film."
Quand ils frappent à la porte des voisins, ceux-ci renvoient une tout autre image de Léa que la jeune mutique du procès. Ils n'ont pas lu Paris-Match, ni Jean Genêt, ils ignorent son passé. Le réalisateur ne les décille pas. Ils parlent d'elle comme d'une femme active, que tout le monde connaît dans l'immeuble de Notre-Dame du Bon-Port, qui a refait son existence, est devenue couturière. L'image presque idéale d'une réinsertion réussie, d'une vie privée reconstruite sous son propre nom après paiement de la dette. 
Aphasique depuis la chute qui l'a contrainte à quitter son domicile, elle se trouvait dans une résidence de long séjour. Claude Ventura et Pascale Thirode s'y présentent et demandent à la voir. "Je n'ai pas voulu qu'elle voie que je la filmais, j'ai seulement filmé le fantôme avec un caméscope, sans vouloir utiliser cette image. Nous lui avons dit que nous venions de la part de ses voisins. Mais je ne lui ai pas parlé de l'affaire, j'aurais trouvé ça moche."

Au cours du montage, l'idée s'impose de clore le suspense par cette image. Muette comme lors de son procès. Mais que sait aujourd'hui Léa de l'affaire Papin ? Ce visage et ces yeux farouches ("Sitting Bull pris par les Yankees") ont traversé le siècle avec leur mystère. 

Daniel Morvan

En quête des soeurs Papin, film de Claude Ventura, 2000. 

dimanche 1 avril 2018

Quai de la Fosse, au gros calibre



L'histoire commence un peu comme Les Tontons flingueurs, et elle se continue comme A la recherche du temps perdu. On reprend les mêmes seize ans après, à peine changés, à part la coloration pour les filles. Comme dans les romans de Proust, les demi-mondaines et les noceurs, les anciennes reines de la Nuit et ses marquis rangés des voitures défilent à la barre des témoins. Une histoire de filles, une gifle, peut-être un honneur à laver. Et au petit matin, un tueur qui défouraille au gros calibre dans un club de la Fosse.

Fusillade dans le noir

Ça se passe après 5 h du matin, allée de l'île Gloriette. Deux hommes et deux femmes dînent à une table. À une table voisine, une femme, N., tenancière d'un bar du quai de la Fosse, en compagnie de trois hommes, dont M***.
Le courant passe mal entre les deux tables, à cause d'une querelle sentimentale qui a éclaté deux jours avant. Un revolver à barillet sort d'une ceinture. Premier coup de feu dans le plafond. Extinction des spots lumineux. Trois autres coups de feu dans le noir.
L'un atteint A***, qui reçoit une balle dans l'épaule. Deux autres frappent E***. Une balle dans la jambe, une autre dans la gorge. Mortelle. Magnum 357 ou P38, on ne sait pas, l'arme a disparu.
E, qui travaille dans un bar de nuit, est mort à 24 ans le 17 avril 1992. Ayant pris la fuite pour l'Espagne après les faits, M***, né à Istanbul en 196*, avait été jugé par contumace.
Son extradition par la Belgique permet de le juger en personne.

« Je n'ai tué personne »

Tresses juvéniles, blouson de jean, la brune A. se souvient de cette fin de nuit embrumée, en compagnie d'Eugenio et Tony et d'une autre hôtesse de bar, L. Ce bar était l'étape obligée du circuit des noctambules.
L., aujourd'hui brocanteuse et blonde, se rappelle « un monsieur qui s'est levé précipitamment, a tendu son bras et a tiré ». En 1992, elle distingue le tueur de ses deux compagnons, l'un grisonnant, l'autre de forte corpulence. Le reconnaît-elle aujourd'hui dans le box, ce troisième homme ? « C'est un monsieur qui a l'air gentil. Je reconnais tout de même un certain regard et le même hâle de peau. »
Maigre, émacié, l'accusé l'était déjà en 1992. Pouvait-on le confondre avec les deux amis plutôt carrés que l'on voit sur les photos d'époque ? C'est bien la question. « Je n'ai tué personne, soutient l'accusé, qui précise : A aucun moment je ne portais une arme. »
Dans les auditions de 1992, un autre reconnaît « formellement le turc qui se trouvait avec N. et qui a tiré. » Antonio est lui aussi formel, et semble « bien placé » pour l'être : Il était dans la ligne de mire du calibre. La seconde balle lui avait traversé l'épaule pour frapper son ami à la mâchoire.

Daniel MORVAN.

‎vendredi‎ ‎13‎ ‎juin‎ ‎2008
610 mots

samedi 22 avril 2017

Affaire Seznec : L'affaire de l'homme sans tête


Des fouilles en février 2018, dans l'ancienne maison des Seznec près de Morlaix, ont relancé l'intérêt pour une affaire ancienne et célèbre, datant de 1923: L'affaire Seznec. Les ossements retrouvés permettront-ils de relancer l'enquête? Une autre hypothèse a été défendue en 2005 par un retraité nantais, à partir d'une découverte faite à Sion-les-Mines, en Loire-Atlantique.

En 1924, Guillaume Seznec est condamné au bagne pour le meurtre de Pierre Quémeneur


Qui était l'homme sans tête trouvé, en 1923, dans un puits de Sion-les-MinesUn cadavre sans tête en 1923, une tête sans corps en 1941. L'énigme subsiste, comme dans un feuilleton dont on attend toujours le nouvel épisode. Ce retraité nantais pense connaître la clef de l'énigme : le cadavre décapité de Sion-les-Mines, "c'est Pierre Quemeneur", le disparu de l'affaire Seznec. Ancien inspecteur de la Mutualité sociale agricole, Michel Sorin a entendu des centaines de personnes dans les campagnes du nord du département. Il propose un nouveau regard sur l'affaire criminelle la plus mystérieuse du vingtième siècle, qui passionna aussi la Loire-Atlantique.

1. Un homme sans tête au fond d'un puits.

Deux mois après la disparition de Pierre Quemeneur, conseiller général du Finistère, en mai 1923, on retrouve un corps sans tête au Puits-Galot, à Sion-les-Mines, dans le Pays de Châteaubriant. L'acte de décès du 27 juillet 1923 le décrit ainsi : « Sans tête, taille 1,60 m, vêtu pantalon usagé sans aucun autre vêtement, sans chaussures, à la hauteur de la cheville et en dedans de la jambe gauche portant une cicatrice. » Ce dernier détail n'est jamais exploité et Jenny, soeur de Quemeneur, refuse de venir identifier le corps.
Selon le docteur Daguin, premier appelé sur les lieux, la décollation a été faite par un spécialiste. Le corps aura séjourné deux mois dans l'eau du puits. Il est vêtu d'un pantalon de marque (« de chez René, tailleur à Rennes »), a les ongles soignés, « ce qui, estime Michel Sorin, ne collait pas avec l'hypothèse d'un « toucheur de bestiaux » qui avait disparu à la même époque et qu'on a retrouvé depuis. Nous voici devant un cadavre tombé du ciel que personne n'a jamais réclamé.»
Le docteur Daguin est convaincu qu'il s'agit de Pierre Quemeneur, l'homme le plus recherché de France, disparu le 25 mai 1923 à Dreux, alors qu'il se rendait à Paris avec Guillaume Seznec, maître de scierie de Morlaix. Quemeneur s'était enrichi grâce à la vente de poteaux de mines aux armées et exploitait des coupes de bois en forêt de Domenech, à 5 km de Sion. Tout comme Seznec. Mais le cadavre est jeté à la fosse commune, comme vagabond, et l'affaire classée.

2. Une tête dans une rivière.

En 1941, dix-huit ans après, un braconnier « lève ses louves » (ses nasses) dans la Chère. Alphonsine, cousine du braconnier, consigne par écrit ce qu'il lui raconte : dans le fond de la rivière asséchée, au Gué-au-Loup, il remarque « un colis attaché à un piquet fixé dans le fond de l'eau. Il découvre un crâne avec des dents en or. Une pensée lui traverse l'esprit : voilà la tête de l'homme du Puits-Galot. » Depuis, le gué a été fouillé sans résultats.

3. Risque-à-tout, l'étrange boucher de Sion.

Boucher, déserteur se faisant appeler Charles Lesage ou Georges L., tout le monde l'appelle Risque-à-tout. « Il avait toujours le revolver sur soi, dit un témoin. On l'aurait même vu, affirme Michel Sorin, décapiter une jument qu'il jugeait trop lente. » Risque-à-tout trafique des pièces d'or et des véhicules des surplus militaires, comme Quemeneur. Risque-à-tout connaît d'ailleurs Louis Quemeneur, frère du conseiller général, dont il garde la propriété de Plourivo. Le boucher disparaît trois jours en juin 1923. Quand il revient, sa domestique, Constance, remarque des traces de sang dans sa voiture. Un chien écrasé, prétend-il, qu'il va enterrer après l'avoir mis dans un sac, en prenant la direction du Puits-Galot.
Lors de cette escapade mystérieuse, Risque-à-tout est accompagné d'un maçon de Sion, Chevance. Ce dernier est arrêté dans la Manche en 1943. Avec, sur lui, les papiers de Pierre Quemeneur. Malheureusement, les archives d'interrogatoire ont disparu dans les bombardements d'Avranches. Chevance se serait ensuite acheté un cinéma dans le midi de la France. La maîtresse de Risque-à-tout (qui meurt assassiné à Nantes en 1926), veuve d'un modeste paysan, est devenue propriétaire de trois maisons à Nantes. Pour Michel Sorin, l'ensemble de ces éléments permet d'imaginer que Quemeneur, qui portait sur lui une forte somme d'argent, est tombé dans un traquenard.

4. 80 ans après

Mais que peut-on découvrir de neuf à propos d'une affaire vieille de plus de 80 ans ? Sur quels éléments concrets mener une contre-enquête, sans cadavre et sans tête ? En aucun cas, il ne peut y avoir de nouveau procès. 
Denis Seznec, arrière-petit-fils de Guillaume, espère l'annulation de la condamnation, afin de «décharger la mémoire des morts», selon les termes de la loi. Et l'hypothèse de Sion-les-Mines n'est pas sa piste préférée. Trop rocambolesque, comme sortie d'un feuilleton populaire des années vingt. On voit mal l'arrière-petit-fils du bagnard jouer les Rouletabille, alors qu'il est en passe de conclure le combat de sa vie.

Michel Sorin pense que le cadavre sans tête de Sion-les-Mines est celui du conseiller général Pierre Quemeneur.
Daniel MORVAN.

le conseiller général Pierre Quéméneur