samedi 22 avril 2017

Dialogues des Carmélites, la voix des martyres


‎vendredi‎ ‎27‎ ‎septembre‎ ‎2013
624 mots
Daniel Morvan
Mireille Delunsch a impressionné le public bordelais par sa direction d'acteurs. Soprano, elle signe sa première mise en scène avec l'opéra de Poulenc. Anne-Catherine Gillet chante le rôle de Blanche de la Force.

Trois questions à ...
Mireille Delunsch, metteur en scène.

Quelle est l'histoire des Dialogues des Carmélites ?

C'est l'histoire de seize religieuses du carmel de Compiègne exécutées le 18 juillet 1794, onze jours avant la chute de Robespierre. C'est une histoire vraie : ces carmélites furent guillotinées pour avoir conservé un portrait de Louis XVI et des vêtements des rois mages de la crèche royale. Le témoignage de la seule rescapée fut publié et inspira une nouvelle à une fille d'officier prussien, Gertrud von Le Fort. Bernanos écrivit les dialogues pour un film inspiré de cette nouvelle. Francis Poulenc rédigea le livret de son opéra à partir de ces dialogues posthumes.

Pourquoi les Dialogues sont-ils considérés comme l'un des plus grands opéras de tous les temps ? Parce qu'ils évoquent la terreur de la mort ?

La première fois que j'ai assisté à cet opéra, j'ai été fascinée par sa grande singularité : voilà un ouvrage sans histoire d'amour, sans brio, sans rien à montrer, sombre, intimiste. Un objet hors du commun. J'ai chanté Blanche de la Force il y a vingt ans et j'ai approché le secret de ce grand classique, classique comme du Verdi alors même que son langage musical n'a rien de moderne (il est contemporain du Marteau sans maître de Boulez). C'est sa construction parfaite qui lui permet d'échapper à l'oubli promis aux œuvres qui ne sont pas de leur temps. Ce qui est fantastique, c'est la progression dramatique, rythmée par le couperet de la guillotine et par les voix qui s'éteignent l'une après l'autre, les cierges s'éteignant aussi un à un [les lumières sont signées Dominique Borrini].

C'est votre première mise en scène puisqu'à l'origine vous êtes chanteuse d'opéra. Qu'apportez-vous de neuf ? Votre direction d'acteur ?

J'ai un imaginaire prédisposé à la mise en scène, j'ai des visions (par exemple une croix de plexiglas avec un Christ momifié...) que je confie au décorateur Rudy Sabounghi, qui reste ensuite libre de ses choix. Quant à la direction d'acteurs, je m'efforce de rendre cohérent le parcours psychologique des chanteurs, en travaillant cet aspect, partition en main. Je veux dire que le mouvement doit précéder la parole, que la vérité musicale doit déjà s'exprimer dans l'interprète avant la première note de musique. Je ne crois pas à l'idée de « la musique avant tout », prima la musica : il faut trouver une spontanéité dans la convention de l'opéra, retrouver la confiance dans le texte en dissociant geste et chant. Je me souviens de la première leçon que j'ai reçue comme comédienne : le metteur en scène, constatant que je disais le texte mécaniquement, m'obligea à le dire tout en empilant des sucres en pyramides. C'est cela : ne pas être passif devant la partition, mais vivre le rôle avant de chanter la musique.
Daniel MORVAN.

Raymond Aubrac: Si vous allez en prison, un conseil: apprenez des poèmes



Raymond Aubrac, en compagnie de sa fille Élisabeth Helfer-Aubrac à la cérémonie du 66e anniversaire des fusillades de Nantes et Châteaubriant.



Le comité du souvenir des fusillés organisait le 19 octobre 2007 une veillée du souvenir devant le monument aux 50 Otages de Nantes. La présence de Raymond Aubrac a donné un relief particulier à la cérémonie.
« Les cérémonies en hommage aux fusillés d'octobre 1941 se tiennent alors que le président de la République  instrumentalise la mémoire de Guy Môquet. » Ces mots de Joël Busson, président du Comité départemental du souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes, disent assez la dimension politique de la cérémonie. La présence d'écoliers, pour une évocation de la Résistance, ajoutait à la charge émotionnelle de cette veillée. Celle de Raymond Aubrac en faisait un événement.
Jean-Marc Ayrault s'est inscrit dans la fidélité à l'héritage de Lucie Aubrac, l'infatigable pédagogue de la Résistance. Les enfants présents étaient donc les grands destinataires du message. On s'attendait à ce qu'il commente la décision, par Nicolas Sarkozy, de faire lire la dernière lettre de Guy Môquet, le plus jeune des 48 fusillés. 
Selon Raymond Aubrac, cette lettre « n'aura qu'une valeur émotive si elle n'est pas restituée dans le contexte historique. Guy Môquet était un jeune résistant communiste qui n'est pas mort pour la France par nationalisme, comme voudrait le faire entendre Nicolas Sarkozy. Guy Môquet, comme bien d'autres de ses jeunes camarades, est mort pour la défense de la patrie, la défense de l'héritage du Front populaire et pour avoir combattu le fascisme. Ils se sont engagés non seulement pour la France mais pour le monde entier. »

Un jour, on m'a lu ma condamnation à mort

Raymond Aubrac (il avait alors 94 ans) a écouté et observé, assis auprès de sa fille Élisabeth Helfer-Aubrac. Un peu plus tard, l'ancien résistant se réchauffe en avalant un grog et en tirant sur sa pipe. La lettre de Guy Môquet, faut-il la lire dans les lycées ? « M. Sarkozy a lancé une idée qu'il fallait reprendre au bond, sans exclure qu'il y ait une arrière-pensée politique. Il ne fait que son métier de chef d'État. Le respect dû à Guy Môquet dépasse la durée d'un mandat. Lire cette lettre, c'est positif. Il faut aussi l'expliquer : c'est l'histoire d'un jeune garçon qui voit son père arrêté, et décide de continuer le boulot. C'est exactement ce qu'on entend dans La Marseillaise : « Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n'y seront plus. »

Pour Raymond Aubrac, la vraie question est : a-t-on le droit de publier les dernières lettres de condamnés ? Et il se souvient de sa propre captivité, en 1943 à Lyon. « Un jour, on m'a lu ma condamnation à mort. Et j'ai, parmi mille choses, pensé à écrire une dernière lettre. À qui écrire ? Qui lira cette lettre ? Je n'ai pas eu à l'écrire, Lucie m'a évadé. Dans des circonstances extraordinaires. » Que l'on connaît par le livre de Lucie Aubrac et le film de Claude Berri. Écrire en prison ? On fusillait pour cela. « Un jour, le feldwebel a réuni les prisonniers devant un cadavre : il avait été surpris à correspondre. Ils ont confisqué tous les crayons. J'avais planqué une mine de graphite. Avec, j'ai écrit le dernier vers d'un poème sur la porte du cachot. Si vous allez en prison, un conseil: apprenez des poèmes. »
Élisabeth : « Je me souviens qu'à la maison, nous avions un recueil de lettres de condamnés. Maman nous laissait tout juste ouvrir ce recueil. »
La lettre de Guy Môquet appartient-elle à ce corpus de textes que l'on ouvre religieusement, en famille ?
Raymond Aubrac confirme : « La lettre de Guy Môquet est un texte sacré. »

Daniel MORVAN.
samedi 20 octobre 2007



Roselyne et la création du monde

Roselyne Gicquiaud-Bouchet

Elle s'est jetée dans la peinture en 2002. Sans prévenir. Grands formats. Couleurs vives. Simples planches de bois. Motifs animaliers et végétaux. Symboles universels qu'elle lance en l'air comme des capsules temporelles.

Les statues zoomorphes des tribus mélanésiennes, les masques taillés dans les fougères arborescentes et montés sur des toiles d'araignée, les gravures rupestres de la Montagne aux écritures... Dans le musée imaginaire de Roselyne Gicquiaud-Bouchet, il y a les arts premiers et ceux qu'ils ont inspirés : « Jules Paressant et ses marines, Gaston Chaissac qui a peint sur des portes de placards, des planches pourries ou des épluchures.»

L'homme, le vrai, se carapatant à toute blinde

La comparaison avec le naïf de Vendée s'arrête là. Roselyne ne peint pas de têtes étonnées et de grands yeux ronds sur des pelles ou des enjoliveurs. L'homme, elle le met à sa place : en fuite, se carapatant à toute blinde. Le bipède n'est qu'une silhouette ironisée, en fuite dans ses grands formats, à propos desquels il faut éviter les mots panneau, panonceau ou enseigne. Sous peine d'être reconduit aux frontières de la couleur, derrière la porte de la galerie.
Jocelyne a du sang dukduk, des ancêtres micronésiens, et une chose est certaine : sa vocation n'a pas mille ans. Cela s'est exactement passé en l'an 2000, un lundi. « Je peignais des pots, j'avais le goût du dessin depuis l'enfance. Je tournais en rond autour de mes pots, et j'ai subitement eu besoin de faire du plat à la peinture. J'achète des planches. Je les scie, je les ponce mais pas trop, je les colle, je les peins. »

La sophistication des supports, caractéristique des arts premiers (avec leurs ligatures, leurs pigments, leurs fines architectures) est absente des tableaux présentés ici pour la première fois, et issus d'une seule année de travail. Le choix des planches assemblées répond à un besoin de rugosité rassurante, de relief, de répondant.
Pour le reste, la planche est une surface lisse où le pinceau glisse sans tourner. Jocelyne a échangé le vélodrome des pots de terre contre le ruban de terre ocre qui mène vers son musée imaginaire: les Danakils, les Peuhls ou les Dogons. La longue distance lui convient mieux, elle y respire à l'aise, définitivement hors-circuit.

Poules acidulées, escargots psychédéliques


« Depuis que j'ai trouvé le bon support, je me sens parfaitement bien. Mes inspirations sont les arts africains, leur spontanéité me touche, même si la dimension sacrée de cet art m'échappe. »
Couleurs crues, schéma bidimensionnel, animaux stylisés entourés de frises géométriques et végétales : Roselyne a-t-elle donné dans le panneau de la peinture décorative ? « Si on me dit que ça fera joli dans le salon, ce n'est pas ce qu'il y a de plus agréable à entendre. Mais c'est venu ainsi, c'est sorti d'un bloc. »
La couleur sortie du pot est d'ailleurs plus subtile dans les dernières œuvres. Les sujets animaliers, toujours ironiques, évoluent eux aussi. Elle a commencé par les plus gros animaux, éléphants, rhinocéros, baleines, ours et crocodiles, pour glisser progressivement vers les poules acidulées, des escargots psychédéliques, des dromadaires philosophes, en « hommage à Théodore » <Monod>. Ils ont tous l'air de sourire. Sauf l'homme, qui a le masque.

Daniel MORVAN.
La création du monde, de Roselyne Gicquiaud-Bouchet.

Paru le ‎mercredi‎ ‎27‎ ‎février‎ ‎2002 (922 mots) dans ouest-france

Il pleut sur Nantes, baisers de Mayotte

Il pleuvait sur Nantes, bons baisers de Mayotte
QUOTIDIEN OUEST-FRANCE
‎samedi‎ ‎7‎ ‎juillet‎ ‎2001
506 mots
Daniel MORVAN
Douchée, la Prairie-aux-Ducs. Comme une échasse gracile, la vocaliste libanaise descend la cale, chaussée de tongues. Pour tuer le temps, Zeid bidouille son Roland MC 303, l'outil des transes trip hop de Beyrouth. Yasmine se met pieds nus, monte sur ses pointes, prend le micro, et soudain, c'est comme si Oum Khalsoum s'était réincarnée en Beth Gibbons, la chanteuse de Portishead.
C'est beau, c'est intime, c'est dépressif.


Sur le Pont du Titanic le tissu des transats bat à vide comme dans un roman de Marguerite Duras. Ce charmant belvédère regarde tristement vers la rive droite ­ Dieu que c'est triste et moche un escorteur d'escadre dans le port de Nantes. Le Pélican, alias Simon La pluie a contraint les organisateurs de Musiques sur l'Ile à retarder les concerts. Une pluie qu'on connaît bien, maintenant, qui vous arrive sur le paletot quand vous ne l'avez plus. Les premiers spectateurs désoeuvrés traînent d'un rhum à l'autre, d'un nozy bé à un bois bandé, sans conviction. Elle a raison, Barbara, c'est quand il pleut sur Nantes qu'il faut se prendre par la main. Et puis Flora la florifère passe par là : ' Dis, tu connais le Pélican ? ' Confus, tu feuillettes ton programme. Le Pélican, c'est Simon Nwambeben. Un peu comme quand on dit ' le nain jaune ' pour Youenn Le Bihan ou ' la cantatrice chauve ' pour... (hum, mieux vaut ne pas dire qui).


Epatant, le pélican. L'oiseau a la réputation de s'arracher sa propre substance pour nourrir ses petits, et c'est un peu ce que fait Simon, sur la scène de la Loire. Une scène en étrave, où les musiciens jouent pour une centaine de personnes. Mais la grosse affaire du début de soirée, c'était Baco. Sur le quai, on était 25 à l'attendre, le Baco. Le temps de causer avec deux mignonnes dames fans d'afro qui ont pris leur ' pass'' et commentent. ' Par contre, on croyait avoir du méringué avec les Dominicains, mais quand je l'ai vu arriver avec son grand pantalon baggy, j'ai compris qu'il y avait maldonne. C'est dommage parce que le méringué, c'est tout de même plus dominicain que le rap. '
Pour le reste, Marie-Claude a pris son plaisir : pas vu Salvador (il était hors ' pass quatre jours '), mais adoré Touré Touré, Massilia Sound System, ses décibels et sa farandole, moins aimé Cheb Mami. Deux choristes belles s'approchent de leurs pupitres, une basse six-cordes chauffe dans les soutes, une monstrueuse machine à rythme se met en place. Baco prend les commandes, et maintenant, on s'en fiche de la météo nantaise. Bons baisers de Mayotte.
Daniel MORVAN.
Cette pluie-là, on commence à la connaître. L'invitée permanente de ' Musiques sur l'Ile ' est parfois un rien collante. Mais lorsque Baco (ci-dessus) accoste, adieu Nantes, bonjour Mayotte.

Nantes-Bastia: Sacré coup de sirocco à La Beaujoire (2001)

 Pris à rebrousse-poil par Bastia, les bétonneurs nantais et leurs supporters ont eu très, très chaud.
‎dimanche‎ ‎15‎ ‎avril‎ ‎2001
594 mots


Il fait pitié avec son petit tambour, le représentant de l'île de Beauté. Pas même un turban ' testa mora ' pour lui orner le front. Ils sont une vingtaine, coincés dans leur camembert du virage sud, scrutés comme des lépreux par des stadiers en rouge, houspillés par des gamins de douze ans qui leur font des gestes éloquents.
Bref, ce Nantes-Bastia, c'est pas l'extase pour le supporter corse. Et puis elle arrive, impériale, foulard bleu et blanc sur les épaules, au bras d'un chevalier servant qui porte le fin collier de barbe de l'hidalgo corse. Elle, c'est l'allégorie du tir canon, avec son port de fille du soleil qui dit : basta ! pour tout Bastia devant 37 000 aficionados.

Il court, il court

Il a fixé son tambour au grillage, fait badaboum sans conviction et vocifère contre les picadors jaunes qui y vont de leur ' Bastiais, Bastiais... ', en se frottant les mains comme si l'affaire était déjà faite. Le speaker annonce de prochains changements de garde-robes avec les nouveaux maillots pour le FCNA, prévus pour la finale, on grignote le BN pocket, antidote anti-boycott distribué à chaque spectateur.
Les 37 000 gosiers braillent le nom des joueurs nantais : Landreau ! Fabbri ! Monterrubio ! Ziani ! Au milieu du virage, la grosse caisse des Corsaires vendéens bat un martèlement de galère. La première percée nantaise va vite dégeler l'ambiance. Il court, il court, Moldovan, seul devant Durand, mais pourquoi il tire pas, pourquoi il tire pas ?
Il a pas tiré. L'ombre des tribunes s'allonge, la tête des supporters aussi, et pourtant, ils ignorent encore que ce ballon poussé un peu trop loin sera la seule action décisive nantaise du match. Les mottes de gazon volent, un corner du gauche part en chandelle, le tambour corse s'étiole, et à 17 h 41 le doute s'installe pour de bon.
La olà semble bien loin dans les têtes, mais un carton jaune pour Nantes devient un but entre les pieds de Monterrubio. Le drapeau jaune à croix verte bat dans l'air froid. Pourquoi ils font pas la vague ? demande une petite fille.
Il faut au moins deux à zéro pour faire une vague, lui explique son papa, et surtout pas un carton rouge pour Nantes, qui vient de sortir ­ le premier depuis des lustres. Alors, petite fille, on pavoise pas trop, d'accord ? Au train où s'engage la deuxième période, question vagues, on est encore loin d'Hawaï. Les Bastiais harcèlent, Landreau sauve, intercepte un penalty (la routine), une cannette fuse vers le camembert corse, le jeu se fait pulsatile, sur le fil du rasoir, on frôle la crise cardiaque. Un grand Landreau, un petit FCNA ? Avec son but d'avance, Nantes bétonne en défense, c'est ce qu'elle a de mieux à faire. La contre-attaque s'enfièvre, les Corses trouvent leur jeu, ça fuse de partout, ça cafouille devant la cage, un hors-jeu miraculeux annule un but corse et sauve la mise aux Nantais, le ballon chatouille la ligne de but. Alors petite, t'as vu ? On appelle ça un coup de sirocco.

Texte : Daniel MORVAN

Un soir d'hiver et d'alcool, la misère à mort

Assises : en janvier 2004, il battait à mort sa compagne

QUOTIDIEN OUEST-FRANCE
‎mercredi‎ ‎11‎ ‎janvier‎ ‎2006
797 mots
Daniel Morvan
En janvier 2004, Marie-Agnès succombait à des coups portés par son compagnon, à Basse-Goulaine, où ils vivaient dans une caravane. Christian *** comparaît pour violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Il risque jusqu'à 20 ans de prison. Verdict aujourd'hui.
Ce n'est pas ce qu'on appelle du mobilier de jardin. C'est de la misère en planches. Une pauvre table et un pauvre banc. Posés là sous les yeux des jurés. Une fois, l'adjointe aux affaires sociales de Basse-Goulaine était venue les voir. Elle, Marie-Agnès Sénane, et lui, Christian Helig. Deux caravanes, un hangar de branches, une table, deux bancs. C'est comme ça qu'ils s'étaient fabriqués un semblant de vie, dans une zone inondable. Avec même une plante sur la table. Marie utilisait une balayette pour nettoyer. « C'était hétéroclite et émouvant. » Émouvant comme deux êtres agrippés à la même planche dans le naufrage de leurs vies.
Le samedi 24 janvier 2004, Marie-Agnès va glisser du banc. Ce sera le terme de sa longue glissade. Christian épatait ses rares copains avec son pot-au-feu. Il savait le faire. On le mangeait les pieds dans la boue, mais on le mangeait. On buvait aussi. Un pote avait apporté un cubi de rosé, un autre de rouge. Un moment, Marie ne tenait plus debout. Raide. Christian était allé chercher du bois mort pour la nuit. Il la trouve par terre, sa « petite bonne femme gentille » qui planquait les litres derrière les arbres. Elle a encore tout cassé le mobilier. Et lui qui lui achète parfois des fleurs, il va la frapper à mort. « Ce soir-là, ça a explosé. »
On ne peut pas trop imaginer ça : Christian et sa grande carcasse et elle, poids plume, 1,58 m, face contre terre dans la boue, vêtue d'une seule chemise, ivre (3,72 g dans le sang). Les dix-sept marques carrées de 22 mm sur 30 mm relevées dans le dos, les lésions d'embrochage de la plèvre et du poumon gauche par les esquilles des côtes fracturées, les plaies crâniennes ne laissent que peu de doutes : il a dû frapper très fort avec ce gros marteau, même s'il dit avoir oublié. Et pourtant, dit-il au président de la cour, « je ne pouvais pas la quitter, je l'aimais, et plus que vous croyez. » Il l'avait déjà dit à un expert : « Qu'est-ce que je l'ai adorée cette fille-là. »
Enfance
Alors, quoi ? L'amour à mort ? Faut-il remonter dans l'enfance ? Faire défiler les images à l'envers, depuis ce gars sombre en pull écru irlandais, costaud, impulsif, mais capable de se défendre, au gosse de la Ddass qui crut trouver l'espoir dans une famille d'accueil ? Espoir insensé : Christian croit même être aimé, être le chouchou de ce « papa » adoptif, lorsque celui-ci meurt brutalement.
« Le jour de l'enterrement, j'ai voulu entrer dans le cercueil. Je suis tombé évanoui dans l'église. » Et ensuite, l'enfant ne cessera de s'évanouir. Tomber devient le motif central de sa vie. Il s'exprime en syncopes. Sa façon à lui de dire ce qui lui arrive.Il rate son CAP horticole (lui qui adore la nature) et s'engage chez les paras. Sa façon de tomber ne doit pas plaire, et il a horreur des armes. Réformé. Il rencontre Sandrine à Verdun. Il tombe (encore) d'une fenêtre en posant une tringle. Une petite Laetitia naît, mais ce n'est pas le bonheur. Sandrine le trompe. Alors Christian saute dans un train qui l'amène jusqu'à Nantes. Foyer, RMI, la rue, la manche, essai de désintoxication. Et un jour, devant la mairie de Chantenay, Marie-Agnès. Il tombe amoureux. Elle traîne avec les clochards, elle est avec un gars tuberculeux qui meurt. Avec Christian, qui « la secoue comme un prunier » deux à trois fois par semaine, Marie va devenir la femme qu'on reconnaît à ses bandages, ses bleus et ses yeux au beurre noir. Mais ils ne peuvent se quitter. Ils glissent ensemble, il la bat, elle se débat, mais reste. Lui aussi. Soudés dans le malheur. « J'aurais voulu faire une bonne vie avec Marie, on a toujours été amoureux. »
Mais, comme si une seule personne ne pouvait à la fois aimer, battre, compatir, dire, hurler toute cette douleur, c'est le fils de Marie-Agnès, Régis, qui est venu pour faire entendre une souffrance audible. Quand on a montré le lourd marteau, on a vu un gosse pleurer. Juste pleurer.
Daniel MORVAN.

Affaire Seznec : L'affaire de l'homme sans tête


Des fouilles en février 2018, dans l'ancienne maison des Seznec près de Morlaix, ont relancé l'intérêt pour une affaire ancienne et célèbre, datant de 1923: L'affaire Seznec. Les ossements retrouvés permettront-ils de relancer l'enquête? Une autre hypothèse a été défendue en 2005 par un retraité nantais, à partir d'une découverte faite à Sion-les-Mines, en Loire-Atlantique.

En 1924, Guillaume Seznec est condamné au bagne pour le meurtre de Pierre Quémeneur


Qui était l'homme sans tête trouvé, en 1923, dans un puits de Sion-les-MinesUn cadavre sans tête en 1923, une tête sans corps en 1941. L'énigme subsiste, comme dans un feuilleton dont on attend toujours le nouvel épisode. Ce retraité nantais pense connaître la clef de l'énigme : le cadavre décapité de Sion-les-Mines, "c'est Pierre Quemeneur", le disparu de l'affaire Seznec. Ancien inspecteur de la Mutualité sociale agricole, Michel Sorin a entendu des centaines de personnes dans les campagnes du nord du département. Il propose un nouveau regard sur l'affaire criminelle la plus mystérieuse du vingtième siècle, qui passionna aussi la Loire-Atlantique.

1. Un homme sans tête au fond d'un puits.

Deux mois après la disparition de Pierre Quemeneur, conseiller général du Finistère, en mai 1923, on retrouve un corps sans tête au Puits-Galot, à Sion-les-Mines, dans le Pays de Châteaubriant. L'acte de décès du 27 juillet 1923 le décrit ainsi : « Sans tête, taille 1,60 m, vêtu pantalon usagé sans aucun autre vêtement, sans chaussures, à la hauteur de la cheville et en dedans de la jambe gauche portant une cicatrice. » Ce dernier détail n'est jamais exploité et Jenny, soeur de Quemeneur, refuse de venir identifier le corps.
Selon le docteur Daguin, premier appelé sur les lieux, la décollation a été faite par un spécialiste. Le corps aura séjourné deux mois dans l'eau du puits. Il est vêtu d'un pantalon de marque (« de chez René, tailleur à Rennes »), a les ongles soignés, « ce qui, estime Michel Sorin, ne collait pas avec l'hypothèse d'un « toucheur de bestiaux » qui avait disparu à la même époque et qu'on a retrouvé depuis. Nous voici devant un cadavre tombé du ciel que personne n'a jamais réclamé.»
Le docteur Daguin est convaincu qu'il s'agit de Pierre Quemeneur, l'homme le plus recherché de France, disparu le 25 mai 1923 à Dreux, alors qu'il se rendait à Paris avec Guillaume Seznec, maître de scierie de Morlaix. Quemeneur s'était enrichi grâce à la vente de poteaux de mines aux armées et exploitait des coupes de bois en forêt de Domenech, à 5 km de Sion. Tout comme Seznec. Mais le cadavre est jeté à la fosse commune, comme vagabond, et l'affaire classée.

2. Une tête dans une rivière.

En 1941, dix-huit ans après, un braconnier « lève ses louves » (ses nasses) dans la Chère. Alphonsine, cousine du braconnier, consigne par écrit ce qu'il lui raconte : dans le fond de la rivière asséchée, au Gué-au-Loup, il remarque « un colis attaché à un piquet fixé dans le fond de l'eau. Il découvre un crâne avec des dents en or. Une pensée lui traverse l'esprit : voilà la tête de l'homme du Puits-Galot. » Depuis, le gué a été fouillé sans résultats.

3. Risque-à-tout, l'étrange boucher de Sion.

Boucher, déserteur se faisant appeler Charles Lesage ou Georges L., tout le monde l'appelle Risque-à-tout. « Il avait toujours le revolver sur soi, dit un témoin. On l'aurait même vu, affirme Michel Sorin, décapiter une jument qu'il jugeait trop lente. » Risque-à-tout trafique des pièces d'or et des véhicules des surplus militaires, comme Quemeneur. Risque-à-tout connaît d'ailleurs Louis Quemeneur, frère du conseiller général, dont il garde la propriété de Plourivo. Le boucher disparaît trois jours en juin 1923. Quand il revient, sa domestique, Constance, remarque des traces de sang dans sa voiture. Un chien écrasé, prétend-il, qu'il va enterrer après l'avoir mis dans un sac, en prenant la direction du Puits-Galot.
Lors de cette escapade mystérieuse, Risque-à-tout est accompagné d'un maçon de Sion, Chevance. Ce dernier est arrêté dans la Manche en 1943. Avec, sur lui, les papiers de Pierre Quemeneur. Malheureusement, les archives d'interrogatoire ont disparu dans les bombardements d'Avranches. Chevance se serait ensuite acheté un cinéma dans le midi de la France. La maîtresse de Risque-à-tout (qui meurt assassiné à Nantes en 1926), veuve d'un modeste paysan, est devenue propriétaire de trois maisons à Nantes. Pour Michel Sorin, l'ensemble de ces éléments permet d'imaginer que Quemeneur, qui portait sur lui une forte somme d'argent, est tombé dans un traquenard.

4. 80 ans après

Mais que peut-on découvrir de neuf à propos d'une affaire vieille de plus de 80 ans ? Sur quels éléments concrets mener une contre-enquête, sans cadavre et sans tête ? En aucun cas, il ne peut y avoir de nouveau procès. 
Denis Seznec, arrière-petit-fils de Guillaume, espère l'annulation de la condamnation, afin de «décharger la mémoire des morts», selon les termes de la loi. Et l'hypothèse de Sion-les-Mines n'est pas sa piste préférée. Trop rocambolesque, comme sortie d'un feuilleton populaire des années vingt. On voit mal l'arrière-petit-fils du bagnard jouer les Rouletabille, alors qu'il est en passe de conclure le combat de sa vie.

Michel Sorin pense que le cadavre sans tête de Sion-les-Mines est celui du conseiller général Pierre Quemeneur.
Daniel MORVAN.

le conseiller général Pierre Quéméneur

2005: Les Chantelle, femmes du monde jusqu'au bout

Lucette et Annie Guyomarc'h : les deux cousines ont partagé trente ans de lutte. « Les femmes, quand elles se battent, c'est jusqu'au bout. »

Les Chantelle racontent leurs trente ans à la pointe du combat

Ouest-France ‎mercredi‎ ‎9‎ ‎mars‎ ‎2005
821 mots
Daniel Morvan
Le combat « des filles de Chantelle » a marqué l'histoire ouvrière de la région nantaise. Hier, comme chaque année depuis 1994, les dernières salariées de l'usine de soutiens-gorges fêtaient la journée de la femme. Trente ans à la pointe du combat.
« Je vous emmène où ? Chez Chantelle, à Couëron ? Sacrées femmes ! Jamais elles ne se sont laissé démonter. » En écoutant le chauffeur du taxi, le jeune cadre des soutiens-gorges Chantelle prend la mesure de la popularité des salariées. Même s'il n'en saisit pas vraiment l'origine : « Je ne comprends pas, l'entendra-t-on dire ensuite, qu'on fasse autant de bruit pour vingt-huit filles. »
Bien sûr, quand on fabrique des soutiens-gorges, le monde n'est que douceur féminine et délocalisation. Mais ces vingt-huit filles, monsieur, c'est l'honneur de votre entreprise.

Prêtes à tout

Grèves totales, occupations d'usine : avant de devenir le cauchemar de leurs patrons, les Chantelle étaient des petites couturières des années Sylvie Vartan.
Pour une fille, la liberté, c'était d'avoir du travail. « J'avais suivi les cours de l'école de couture de Basse-Indre, raconte Lucette Guyomarc'h, 35 ans de boîte. Ma mère avait huit enfants à caser. J'étais chez les religieuses, et je ne voulais plus aller à l'école. Je suis devenue mécanicienne à 16 ans et demi, après avoir passé les tests chronométrés. »
Même parcours pour Annie Guyomarc'h, sa cousine : apprentie coiffeuse, elle se fait embaucher à la coupe en 1968. « Je me marie en 1971, j'ai mon fils en 1972 et, dans la foulée, je monte le syndicat CGT. On était cégétiste de famille, mon père me soutenait. On ne parlait pas de la condition des femmes, la question était de se défendre pour pas se faire bouffer. C'est des rapaces. On n'a rien sans rien. On était prêtes à tout. »
Derrière la féminité exaltée par voie d'affiche, le public découvre l'empoignade sociale format 95 D. Les affiches sexy, Annie n'a rien contre : après « Chantelle aime les seins », le slogan « Chantelle habille les femmes du monde » fait chanter les imaginations et le cash-flow. Elles, c'est pour le bifteck qu'elles se battent. Et question bagarre, il y a du monde au balcon : en 1981, elles n'hésitent pas à séquestrer leur directeur. Assises sur le bureau, Code du travail en main, quel vertige pour un homme seul.
Leur tube à elles n'est pas une petite musique aux airs compassés. Ce que chantent les Chantelle c'est « Le chiffon rouge », de Michel Fugain
C'est ça qui leur met les larmes aux yeux, aux Chantelle. « On avait fini par monter une chorale, quand on montait à Paris pour mettre le bazar au Salon de la lingerie. » Et les forces de l'ordre, ce n'est pas avec des effets de bretelles qu'elles les neutralisent. « Vous croyez qu'ils se gênent parce qu'on est des femmes ? On piquait les cognes avec des aiguilles à coudre pour les écarter. »

Quand Annie a bloqué un boulevard

Les Chantelle, joli nom pour des battantes devenues symboles des luttes. Un symbole, ça n'empêche pas une société de se délocaliser en Thaïlande. Mais quand même. « On a marqué les mémoires. Les femmes, quand elles se battent, c'est jusqu'au bout. »
Dans le local syndical, d'autres femmes sont venues nous rejoindre, d'une bouche à l'autre, les souvenirs passent. La fois où elles sont montées à Paris, où elles ont été parquées devant un théâtre qui donnait La peste de Camus. Quand Annie a fait son malaise et qu'elles ont bloqué le boulevard jusqu'à son retour des urgences. Quand elles ont défendu la « contredame » qui avait une hernie discale et le coeur à gauche. Quand elles fêtaient Noël à l'atelier, avec l'aide des paysans, des voisins de Frigécrème et Waterman. Quand elles balançaient les soutifs à la figure des CRS. Quand, pendant la grève de 1994, la longueur du conflit faisait craquer les maris et les ménages.
« La fermeture de l'usine de Saint-Herblain, ça été comme un deuil. » Elles avaient une dernière fois chanté « Le chiffon rouge » dans la rue des Filles-de-Chantelle. C'était un 8 mars, journée de la femme. Et la femme pleurait. Elle pleurait l'usine, les copines, l'âpreté des luttes. La femme Chantelle pleurait et chantait, en vraie femme du monde.


Daniel MORVAN.

Ce soir, l'héritage de José Arribas est en jeu (2005)


Arribas, inventeur d'un jeu alchimique, visionnaire, qui consiste à jouer sans ballon


Le papier du maintien (le mien) en ligue 1


José Arribas, l'entraîneur légendaire des années 1960, fut l'artisan d'un style de jeu révolutionnaire grâce auquel Nantes resta, pendant 42 ans, dans l'élite de L1. Ce soir, c'est tout l'héritage des Canaris qui est en jeu.

Juillet 1937. Personne n'en veut, de ce rafiot. Bordeaux et La Pallice l'ont refoulé. Nantes accepte ce bateau de réfugiés espagnols. On dit que c'est ainsi, sous les habits de la misère, cherchant du pain et de l'eau, que la gloire future fait son entrée dans une ville. Elle a pour nom José Arribas, fils de combattant républicain, réfugié du Pays basque que Franco vient d'envahir.

Nantes ne sait pas que cet enfant sera son roi. Et le gosse court sur pattes non plus. Il a 16 ans, et avec sa soeur, il fuit la soldatesque franquiste. Ils meurent de faim tous les deux. Ils sont accueillis au Champ de Mars de Nantes. « Je n'avais pas vu un morceau de pain depuis six mois, dira-t-il. On nous a donné des brioches et des fruits. Je me croyais au paradis. » 
Sous ses yeux, un terrain vague. Qui n'attend que lui pour devenir le futur stade Marcel-Saupin. L'arène, le chaudron.
Donnez-lui une brioche et quelques fruits, voilà ce que vous rend le petit basque espagnol : treize ans de bonheur. Quelque chose qui dut ressembler à la furia francese sur le pont de Lodi, Pierrot le fou multiplié par onze.
« Papa monnayait son talent, éclaire aujourd'hui José Arribas, l'un des trois fils de José Arribas. Il joua comme inter au Mans, il entraînait aussi le club de Noyant-sur-Sarthe, où il tenait un café.»

Et c'est ce bistrotier surnommé « Bilbao » qui ose se proposer comme entraîneur au FC Nantes. À Nantes, on caresse le cuir et la gloire, sans l'atteindre. Jean Clerfeuille, le président du club, l'a bien claire en effet, pour capter le signe du destin dans une lettre bien brossée d'Arribas. Bluffé par le culot de cet entraîneur de patelin. « Un peu comme un type au bout du rouleau qui achète un billet de loterie. »
Banco. À Nantes, Arribas applique les méthodes de Noyant : confiance accordée aux jeunes, plaisir du jeu collectif. Il y ajoute la mobilité perpétuelle, la brillance improvisatrice, la chatoyance aérienne qui définiront bientôt le « jeu à la nantaise ».

Jouer sans ballon

Le club accède à l'élite en 1963, et décroche le titre de champion de France en 1965 et 1966. Grâce à ce jeu alchimique, visionnaire, qui consiste à jouer sans ballon, avec tout l'espace libre devant, dans lequel l'attaquant sait imaginer non pas une, mais plusieurs figures. Se projeter en vingt, cent espaces de jeu imaginaires afin d'en faire advenir un réel, celui où la balle perfore les lignes.
Le joueur devient un virtuose des possibles, comme le musicien de free jazz : « Le joueur nantais ne peut exister sans son voisin, explique José, le fils. On disait que le jeu nantais ne s'exportait pas, car il aurait fallu exporter les paires de joueurs. Le jeu à la nantaise, c'est anticiper plutôt qu'affronter, éviter les duels. Si tu n'as pas le ballon, tu dois être concerné par celui qui l'a, et lui proposer plusieurs solutions. Pareil pour la défense : les premiers attaquants sont les défenseurs. On anticipe, on intercepte, on relance vite pour surprendre l'adversaire, idéalement on marque sans qu'il ait pu toucher la balle. On ne peut pas jouer tout un match comme ça, l'adversaire a trouvé les parades, mais certains clubs, comme le Real Madrid, ont su jouer ainsi dans leurs meilleures années. »
Survolté par ce vent d'anarchie qui fait table rase du style d'antan, le stade Marcel-Saupin devient une sorte de cage de Faraday, un cyclotron où les équipes adverses entrent tétanisées, comme si le canari avait avalé un cobra.
« Gondet, ton but ! » hurle le stade, mantra rituel pour réclamer au « Vautour » son tir foudroyant à chaque match (36 buts pour la saison 1966).
Jusqu'en 1976, Arribas et ses Canaris connaîtront des hauts et des bas, mais jamais le football n'aura été aussi près des étoiles.


Daniel Morvan

‎samedi‎ ‎28‎ ‎mai‎ ‎2005, 746 mots

Anna Mouglalis, l'oeil musical de Chabrol

L'actrice nantaise irradie ' Merci pour le chocolat '

QUOTIDIEN OUEST-FRANCE
‎mardi‎ ‎31‎ ‎octobre‎ ‎2000
847 mots
Daniel MORVAN
Remarquée au théâtre dans ' L'éveil du printemps ', l'actrice nantaise Anna Mouglalis partage la vedette du 48e film de Claude Chabrol avec Isabelle Huppert et Jacques Dutronc. La comédienne de 22 ans, choisie par Chabrol pour son visage magnétique et mystérieux, rencontrait le public hier soir au Katorza.
Est-ce que votre présence à l'affiche du dernier Chabrol a changé le regard de vos proches ? Ma mère m'a dit : alors, tu peux être dure comme ça avec les gens ? Toutes les personnes qui me connaissent sont troublées par ça dans leur lecture du film. Comment le casting avec Chabrol s'est-il passé ? J'ai une agence, ' Inter-talents ', qui m'a envoyée sur le casting. J'ai rencontré Cécile Maistres, la belle-fille de Chabrol. Elle m'a donné un texte à apprendre et j'ai ensuite fait des essais avec Rudolphe Pauly (qui joue le fils du pianiste). J'ai ensuite rencontré Claude Chabrol, qui m'a dit : ' mademoiselle, j'ai été ravi de vous rencontrer '. J'ai fait la grimace parce que j'étais sûre d'être écartée. Il m'a rappelée le soir même. Il n'y a pas eu de répétition, j'ai été plongée tout de suite dans le tournage. Et c'est ainsi que vous faites votre entrée, en jupette de tennis... J'étais horriblement gênée avec cette jupe plissée, je ne sais pas pourquoi il fallait la porter, je suppose que ça sert les fantasmes des messieurs, non ? La première scène tournée est celle où j'observe Jacques Dutronc à travers une vitre. Un tournage avec Chabrol, c'est comment ? Il accorde une confiance énorme aux acteurs et n'apporte que quelques indications. Finalement, tout est conditionné, il donne au tournage une ambiance familiale. On ne se lève pas trop tôt, on mange super-bien. Et la Suisse, c'est très calme. Dès que j'avais des appréhensions sur une scène, Chabrol m'a toujours suivi dans le rire. Vos relations avec Isabelle Huppert et Jacques Dutronc ? Ils étaient dans un palace, on ne se voyait pas trop en dehors, mais ils m'ont bien accueillie. Cela facilite le jeu de ne pas lire de l'appréhension dans le regard de ses partenaires. Pour vous, être actrice, c'était une vocation ? J'ai été élève en seconde A 3, la classe cinéma du lycée Guist'hau, avec Philippe Jalladeau comme professeur. Mais je ne pensais pas que je ' ferais ' l'actrice. Je suis ensuite allée à Paris, en hypokhâgne à Jules-Ferry. Des pièces de théâtre m'ont déterminée dans cette voie, comme ' L'Ecclésiaste ' de Claude Régy. Tous les spectacles de la Chamaille, à Nantes, m'ont aussi marquée. Pourquoi Chabrol vous a-t-il choisie ? Parce que, dit-il, j'ai ' l'oeil musical '. Un regard un peu opaque qui laisse penser que je suis dans un monde intérieur. Je n'ai fait qu'un an de piano, mais pour le film, il m'a fallu apprendre la partition par coeur. J'ai travaillé un mois sur l'Allegro Barbaro de Bartok, j'en avais des crampes ! Quels sont vos projets ? Je vais sans doute travailler sur le prochain Chabrol. Je termine ma troisième année de Conservatoire et je dois jouer dans un spectacle autour de Pasolini, avec Catherine Marnas. Quand avez-vous fait vos premiers pas sur scène ? Quand je suis entrée au Conservatoire, un membre du jury m'a recrutée pour ' L'éveil du printemps ' de Franz Wedekind. Une année entière pour me former. J'ai pu approfondir mon approche du métier d'actrice, travailler sur cette idée que je ne veux pas me figer à l'intérieur d'un seul personnage. J'ai travaillé sur le problème de l'incarnation. Vous avez le trac ? Je suis assez traqueuse, et quand je ne l'aurai plus, j'arrêterai ce métier. Cette peur me submerge, elle me vide la tête mais quand je la surmonte, elle me donne une force monstrueuse. Vous aimeriez être qui ? Andromaque. La tragédie n'existe que si règne au préalable la possibilité du bonheur absolu. Ce serait un amour si merveilleux, s'il n'y avait pas la guerre de Troie ! La tragédie est un peu partout dans la vie. Aujourd'hui, dans les conservatoires, Andromaque est trop jouée façon sitcom. Alors que dans la tragédie, quand on dit ' je t'aime ', si l'autre dit ' non ', c'est la mort. Mais pourquoi êtes-vous partie à Paris, si vous ne vouliez pas spécialement être actrice ? Bon, je vous le dis : j'étais très amoureuse d'un garçon qui partait faire la Femis, je l'ai suivi. Je suis persuadée qu'il deviendra un grand ingénieur du son. Le problème de l'incarnation, c'est quoi ? Il faut demander au Christ. Daniel MORVAN.
La nantaise Anna Mouglalis termine sa troisième année de Conservatoire. Elle illumine le dernier film de Claude Chabrol.

Shoah, rencontre avec Lanzmann


Claude Lanzmann a rencontré hier les étudiants de l'école des Beaux-Arts

QUOTIDIEN OUEST-FRANCE
‎jeudi‎ ‎25‎ ‎novembre‎ ‎1999
799 mots
Daniel MORVAN
L'école des Beaux-arts accueillait hier Claude Lanzmann, pour une rencontre avec les étudiants. L'auteur de ' Shoah ', le film de neuf heures et demie, qui a été vu par 70 millions d'humains, a parlé de son travail sur la mémoire enfouie.
La Shoah et les images. ' La Liste de Schindler ', de Steven Spielberg et récemment le film de Roberto Benigni, ' La vie est belle ' ont posé la question : la Shoah est-elle représentable ? Claude Lanzmann a réglé la question en n'utilisant aucun document. ' C'est un mot que j'interdis. Et quand j'entends prononcer le mot documentaire... ' Le réalisateur, qui a consacré onze ans de sa vie au tournage de ' Shoah ', s'oppose par son oeuvre à toute tentative de reconstitution, de fictionnalisation. Avec lui, le spectateur part du réel, la parole des survivants et des bourreaux nazis (en images volées) et les paysages autour des camps d'extermination, paysages de mémoire latente. ' Benigni rend la Shoah abordable et digeste. C'est un travestissement honteux de l'histoire, mais il n'y a pas de quoi rire. Ils ont besoin de ça à la fin du millénaire. Ce qui m'étonne, c'est que les organisations juives aient soutenu ça. Lorsqu'on me demande si on peut faire de l'art après Auschwitz, je réponds oui, regardez mon film. ' Internet et le révisionnisme. Internet favorise le révisionnisme rampant et lui offre une tribune inespérée. Lorsqu'on demande ' Claude Lanzmann ' à un moteur de recherche français, on peut tomber sur des pages consacrées à la mise en doute des chambres à gaz, comme celle-ci : ' Mon expérience du révisionnisme, par R. Faurisson. ' La ville de Nantes a connu un épisode révisionniste, lorsque fut soutenue en catimini, à la faculté des lettres, une thèse mettant en cause la véracité des témoignages sur les camps de la mort. ' Un témoignage essentiel provenait d'un SS qui convoyait du gaz asphyxiant Zyklon B, explique Yannick Guin, qui fut l'un de deux qui déclenchèrent ' l'affaire Roques '. En revenant à Berlin, il décrit les techniques de gazage à un diplomate suédois. Ce témoin fut interrogé par les Français et les Américains à la Libération. Il existe donc plusieurs versions, et c'est sur cette différence que s'appuient les révisionnistes. ' Pour Claude Lanzmann, ' Internet, c'est la poubelle du monde. Le négationnisme procède comme Internet, par arborescence. Ils passent leur temps à se citer entre eux, comme les pages du web renvoient les unes aux autres. ' L'Holocauste et l'école. ' Même si la Seconde guerre mondiale est au programme de terminale, il faut voir comment l'Holocauste est escamoté. Mais il est question de mettre ' Shoah ' au programme des écoles. ' La diffusion de ' Shoah '. Le film est arrivé lentement dans certains pays. Parmi les bons souvenirs : ' Lorsqu'il a été montré en Tchécoslovaquie, pour la commémoration de la déportation des Juifs de Prague à Terezin, j'ai rencontré Vaclav Havel. Il m'a offert l'un des 24 exemplaires dactylographié de la traduction qu'il avait établie de mon livre ' Shoah ', alors qu'il était en prison. A Moscou, il y a eu une projection réservée à l'intelligentsia. C'était le jour de la mort de Sakharov. Il devait être assis près de moi, à sa place il y avait un petit bouquet de fleurs. ' Les survivants de la Shoah ne disent pas ' je '. Pour en revenir au cinéma : peut-on représenter indirectement la Shoah, l'aborder latéralement, par le biais d'histoires où il y aurait des héros, une happy end ? ' Avec Spielberg, on ne retient qu'une histoire de sauvetage. ' Shoah ' n'est pas un film sur la survie mais sur la radicalité de la mort. Les survivants ne disent pas ' je ', mais ' nous '. Ils sont les porte-parole des morts. Spielberg n'a pas réfléchi sur ce qu'est la Shoah, ni sur ce qu'est le cinéma. Il en arrive à des subterfuges, comme la chambre à gaz qui est une douche, alors que c'était l'inverse. Il transforme ça en histoire de sadisme, avec le chef du camp qui fait des cartons. Mais dans les camps, il n'y avait pas de temps pour le sadisme privé. C'était industriel. ' Recueilli par Daniel MORVAN.

vendredi 21 avril 2017

Fête des langues : toute la beauté du monde / dédicace #lucdouillard



Fête des langues : toute la beauté du monde
‎lundi‎ ‎19‎ ‎juin‎ ‎2000
510 mots

L'association ' Neuf ' organisait samedi, sur le marché du Bouffay, la première fête des langues parlées dans la région nantaise.

'Le français est défendu par des gens dont il n'est pas la langue maternelle.' Luc Douillard, président de Neuf/Nantes est une fête, avait rêvé de réunir toutes les langues parlées de la ville. Pas Babel, mais presque. Il a réuni 42 idiomes, depuis la langue de Jésus, l'araméen, jusqu'à l'espéranto et la langue des signes.
Ni minorités écrasées ni majorités écrasantes : la planète est à notre porte, à visage ouvert, sans peur et sans crainte. "L'idée est venue de Toulouse précise modestement Luc Douillard, qui s'avoue lui-même piètre linguiste. Il s'agit de réunir les langues de nos villes et de nos campagnes, dans un esprit humaniste et pour affirmer qu'elles sont, petites ou grandes, égales en droit et en dignité."
Ce forum a été l'occasion pour des personnes nées à des milliers de kilomètres l'une de l'autre de se connaître et de lier amitié. A l'exemple de cette Hongroise qui étudie le folklore breton, de Stanley le Bolivien qui parle deux langues amérindiennes, le quechua et l'aymara, ou des jeunes kurdes Filiz et Aysen qui se félicitent que la Turquie autorise enfin l'enseignement de leur langue. Les Bretons ? Heureux ! ' La multiplicité des langues, en France, on connaît, dit Armand Tosser, membre de l'association des enseignants bretonnants laïcs Ar Falz. Ici, on parle breton, français, gallo, poitevin, rien de plus normal. '
Du côté du Madagascar, on branche guitare et l'accordéon attaque un maloya bien balancé. Vous prenez votre premier cours de malgache. ' Mon grand-frère a la folie des fleurs ', cela se dit : ' Mangalatra ni voninkazy nyzukiko. ' En créole haïtien, on dira : ' Granfrè m nan gen foliflè. ' Si vous vous écoutiez, vous vous feriez répéter quinze fois ' Il fratello grande va pazzo per i fiori ', tellement c'est joli. Le lettré poitevin, après avoir consulté son dictionnaire, décide que ce sera ' Mun grand fraere, ol at rén que l'aeme pas meu que lès fleurs. ' Et le breton se fend d'un imparable ' Ma breur braz a zo sot gant ar bleunioù. ' Apprendre un parler, c'est d'abord lire les visages, déchiffrer les sourires. Cette quête n'a pas plus de fin que la passion des langues. Comme dit le proverbe vietnamien : ' Parle si tu sais. Mais si tu ne sais pas, appuie-toi à la colonne et écoute. '

Daniel Morvan

10e fête des langues à Nantes: avec les Araméens de Nantes


Araméen, noirmoutrin, malgache : pour son dixième anniversaire, la Fête des langues rassemblait 35 langues sous les halles du Bouffay.

« Vous vous rendez compte ? À la Guérinière, qui touche l'Épine, ils roulent les « ! » Colette pouffe de rire. Non pour rire de ses voisins, mais pour marquer un étonnement émerveillé devant la diversité des parlers. Colette, elle « caôze » la langue de l'Épine, une petite commune de l'île de Noirmoutier. Une langue dont elle vantait les beautés, samedi après-midi sous les halles du Bouffay.
Variante du poitevin saintongeais, le dialecte de l'Épine se distingue par ses diphtongues (alors que le poitevin n'en a pas), et par de beaux subjonctifs. « Nos parents nous ont transmis le subjonctif, alors qu'ils n'allaient pas à l'école. » Ainsi, « que j'aie » se dit « que i'avége ».

Des îles dans l'île

À l'Épine, le vocabulaire maritime est omniprésent. Ranger se dit « arrimer », renverser se dit « chavirer » et on ne va pas chercher, mais on « pêche les enfants à l'école ».
Sur l'île, les parlers sont des îles dans l'île. Et il suffit de marcher quelques minutes pour se trouver comme en terre étrangère. Et ce dialecte se parle d'abondance : « Quand je pars en vacances avec ma soeur, nous ne parlons pas un mot de français entre nous ! »
Ce n'est pas comme les Philippines, l'Épine. « Aux Philippines, nous parlons notre langue et celle de l'occupant, constate Loreta, qui accueille le public, vêtue d'une somptueuse robe rouge. Espagnols, Américains nous ont enseigné leur langue. Nous leur prenons des mots, mais nous gardons notre langue. »

L'araméen est-il une langue îlienne ? L'existence d'une zone kurde protégée par les Américains constitue une sorte d'insularité bénéfique pour la langue et la culture araméennes.
Comme le poitevin, l'araméen se subdivise en plusieurs rameaux, et l'araméen natif des chrétiens d'Irak n'est pas le même que celui des musulmans de Syrie (où cette langue se parle aussi !).
L'araméen est une langue liturgique. Simon peut en témoigner, qui est issu du séminaire de Mossoul. En témoigne une photo de lui prise en 1959, dans sa robe de petit séminariste. « Notre araméen est en fait du franco-araméen, comme celui d'Irak est de l'arabo-araméen », note ce grand lettré.
Mais tous dérivent de l'araméen antique, qui était la langue pratiquée par le Christ. Le jeu de mot biblique : « tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église », fonctionne-t-il aussi en araméen ? « En effet ! Pierre se dit « képa », qui est à la fois un nom et un prénom. »

De même, les mots « êli, êli, lama sabachthani » (mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?) du Christ sur la croix ne se diraient guère différemment aujourd'hui : « Elle Elle imana chwaqtan ».

20 familles à Nantes

« Un petit gâteau de figues ? » propose la souriante Ferial, histoire de rompre la gravité de la conversation. Les Araméens de Nantes comptent vingt familles. Il ne cesse d'en arriver de nouvelles chaque année. Toutes parlent leur langue de manière quotidienne, aussi simplement qu'on partage des gâteaux de figues.
Et nous pourrions aller ainsi d'île en île, passant du malgache au noirmoutrin, au gré de la multiplication des parlers, en remontant jusqu'à celui en usage au paradis.
Tous réunis dans une Fête des langues qui pourrait se développer davantage, si ses initiateurs le souhaitaient. Ce qui permettrait à un plus large public de découvrir la diversité des idiomes pratiqués à Nantes.
Une diversité qui n'empêche pas chacun de comprendre l'autre, comme le note la Hongroise Zsofia : « Toutes les langues ont des points communs. Par exemple, les oiseaux sont toujours les messagers des amoureux. »

Simon Kossa montre une photo datée de 1959. Il a 13 ans et est élève au petit séminaire de Mossoul. C'est là qu'il a appris à écrire l'araméen. À sa gauche, son épouse Jeannette (ou Djamila), et Ferial, une amie. Tous pratiquent l'araméen quotidiennement.

Daniel MORVAN.

2014, Nantes: Un parcours poétique grec avec Michel Volkovitch



Le grand traducteur Michel Volkovitch est l'invité d'un parcours poétique et musical grec, le 15 mai à Nantes. Il est organisé par les associations Ahéla (Grecs de Nantes) et Nantes est une fête.
Profil



Michel Volkovitch, quel est pour vous, fin angliciste tombé amoureux de la Grèce, le sens d'un parcours poétique évoquant l'exil grec, l'amour hellène ?

Par-delà les poésies de tel ou tel pays, il y a la poésie universelle. Les traductions sont là pour enrichir cette poésie en faisant circuler les poèmes par-delà les frontières. Tout le monde y gagne : le pays de départ qui donne à ses poètes une plus large audience, et le pays d'arrivée qui découvre des voix et des beautés nouvelles. S'agissant de la Grèce et de la France, nous avons un pays, le nôtre, où la poésie occupe actuellement une place plutôt marginale, et un autre où elle est plus aimée, plus pratiquée. Elle est la langue maternelle des Grecs. La Grèce d'aujourd'hui possède un trésor au moins : sa poésie, l'une des plus riches du monde selon certains. Nous avons donc tout intérêt à écouter ce qui s'écrit là-bas... En consultant par exemple l'Anthologie de la poésie grecque contemporaine 1945-2000 (Poésie/Gallimard), et en suivant le parcours poétique dans les rues de Nantes le 16 mai !

Quels poèmes doivent-ils y figurer selon vous ?

La poésie grecque étant d'une extrême abondance et d'une extrême variété, on ne peut tout faire entendre d'un seul coup. Ce que je souhaite, c'est qu'on ne se limite pas toujours aux mêmes noms. Rìtsos, par exemple, est un grand poète, mais il n'y a pas que lui ! J'ai traduit jusqu'à présent, quant à moi, plus de 150 poètes grecs, dont une grande partie mérite, je crois, d'être connue à l'étranger.

Ce parcours ne se limite pas à des lectures, il est ponctué de musiques. On rendra hommage au « rebetiko », avec un moment « cabaret » dans un bar nantais, le Chavalais. Qu'est-ce donc que cette musique ? Une forme grecque du fado ?

C'est une certaine forme de chanson, apparue vers 1920 dans les ports grecs, composée à l'origine par les mauvais garçons. Les chansons rebètika ont pour thème la misère, la drogue, la prison, la mort, et l'amour bien sûr, malheureux de préférence. Longtemps méprisées, voire interdites, ces chansons sont devenues à la mode après la guerre au point d'être aujourd'hui connues et aimées de tous. Alors même qu'on n'en compose plus de nouvelles depuis 1960. Je viens de publier aux éditions Le miel des anges, sous le titre La Grèce de l'ombre, 130 de ces chansons en version française.

Que pensez-vous de cet élan d'amour pour la Grèce, parti de Nantes avec le mouvement Je suis grec ?

Je me suis joint au mouvement dès le début avec enthousiasme. Il faudrait des dizaines, des centaines d'initiatives comme celle-là pour secouer l'apathie de ce pays fatigué. Et pas seulement en ce qui concerne la Grèce.

Quelle est votre Grèce intime, la plus chère à votre coeur ?

Ma Grèce est moins celle du soleil, des îles et des antiquités que celle qu'on connaît moins, la Grèce des villes, Athènes, Thessalonique, Patras, Yànnena, où les Grecs d'aujourd'hui vivent, travaillent, aiment et souffrent. Et maintenant qu'ils souffrent plus que jamais, il est urgent de les aider en combattant la mauvaise image qu'ils ont parfois à l'étranger. Ma façon à moi de me battre pour eux, c'est de traduire et faire connaître ce qu'ils créent de beau et de fort en poésie, en prose, au théâtre. De les montrer tels qu'ils sont vraiment à travers ce qu'ils écrivent sur eux-mêmes, avec leurs défauts mais aussi leurs grandes qualités.

Daniel MORVAN.