samedi 22 avril 2017

Ce soir, l'héritage de José Arribas est en jeu (2005)


Arribas, inventeur d'un jeu alchimique, visionnaire, qui consiste à jouer sans ballon


Le papier du maintien (le mien) en ligue 1


José Arribas, l'entraîneur légendaire des années 1960, fut l'artisan d'un style de jeu révolutionnaire grâce auquel Nantes resta, pendant 42 ans, dans l'élite de L1. Ce soir, c'est tout l'héritage des Canaris qui est en jeu.

Juillet 1937. Personne n'en veut, de ce rafiot. Bordeaux et La Pallice l'ont refoulé. Nantes accepte ce bateau de réfugiés espagnols. On dit que c'est ainsi, sous les habits de la misère, cherchant du pain et de l'eau, que la gloire future fait son entrée dans une ville. Elle a pour nom José Arribas, fils de combattant républicain, réfugié du Pays basque que Franco vient d'envahir.

Nantes ne sait pas que cet enfant sera son roi. Et le gosse court sur pattes non plus. Il a 16 ans, et avec sa soeur, il fuit la soldatesque franquiste. Ils meurent de faim tous les deux. Ils sont accueillis au Champ de Mars de Nantes. « Je n'avais pas vu un morceau de pain depuis six mois, dira-t-il. On nous a donné des brioches et des fruits. Je me croyais au paradis. » 
Sous ses yeux, un terrain vague. Qui n'attend que lui pour devenir le futur stade Marcel-Saupin. L'arène, le chaudron.
Donnez-lui une brioche et quelques fruits, voilà ce que vous rend le petit basque espagnol : treize ans de bonheur. Quelque chose qui dut ressembler à la furia francese sur le pont de Lodi, Pierrot le fou multiplié par onze.
« Papa monnayait son talent, éclaire aujourd'hui José Arribas, l'un des trois fils de José Arribas. Il joua comme inter au Mans, il entraînait aussi le club de Noyant-sur-Sarthe, où il tenait un café.»

Et c'est ce bistrotier surnommé « Bilbao » qui ose se proposer comme entraîneur au FC Nantes. À Nantes, on caresse le cuir et la gloire, sans l'atteindre. Jean Clerfeuille, le président du club, l'a bien claire en effet, pour capter le signe du destin dans une lettre bien brossée d'Arribas. Bluffé par le culot de cet entraîneur de patelin. « Un peu comme un type au bout du rouleau qui achète un billet de loterie. »
Banco. À Nantes, Arribas applique les méthodes de Noyant : confiance accordée aux jeunes, plaisir du jeu collectif. Il y ajoute la mobilité perpétuelle, la brillance improvisatrice, la chatoyance aérienne qui définiront bientôt le « jeu à la nantaise ».

Jouer sans ballon

Le club accède à l'élite en 1963, et décroche le titre de champion de France en 1965 et 1966. Grâce à ce jeu alchimique, visionnaire, qui consiste à jouer sans ballon, avec tout l'espace libre devant, dans lequel l'attaquant sait imaginer non pas une, mais plusieurs figures. Se projeter en vingt, cent espaces de jeu imaginaires afin d'en faire advenir un réel, celui où la balle perfore les lignes.
Le joueur devient un virtuose des possibles, comme le musicien de free jazz : « Le joueur nantais ne peut exister sans son voisin, explique José, le fils. On disait que le jeu nantais ne s'exportait pas, car il aurait fallu exporter les paires de joueurs. Le jeu à la nantaise, c'est anticiper plutôt qu'affronter, éviter les duels. Si tu n'as pas le ballon, tu dois être concerné par celui qui l'a, et lui proposer plusieurs solutions. Pareil pour la défense : les premiers attaquants sont les défenseurs. On anticipe, on intercepte, on relance vite pour surprendre l'adversaire, idéalement on marque sans qu'il ait pu toucher la balle. On ne peut pas jouer tout un match comme ça, l'adversaire a trouvé les parades, mais certains clubs, comme le Real Madrid, ont su jouer ainsi dans leurs meilleures années. »
Survolté par ce vent d'anarchie qui fait table rase du style d'antan, le stade Marcel-Saupin devient une sorte de cage de Faraday, un cyclotron où les équipes adverses entrent tétanisées, comme si le canari avait avalé un cobra.
« Gondet, ton but ! » hurle le stade, mantra rituel pour réclamer au « Vautour » son tir foudroyant à chaque match (36 buts pour la saison 1966).
Jusqu'en 1976, Arribas et ses Canaris connaîtront des hauts et des bas, mais jamais le football n'aura été aussi près des étoiles.


Daniel Morvan

‎samedi‎ ‎28‎ ‎mai‎ ‎2005, 746 mots

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