samedi 19 décembre 2015
603 mots
Une sculpture d'un Christ en croix espagnol du XVIe siècle est de retour à la cathédrale de Nantes après cinq ans de restauration.
Je suis un fils du peuple. Observez-moi : je suis presque nu. J'ai mal. Je suis le Christ. De quel bois suis-je fait? d'aucun. Mon corps et mon sang sont de plâtre et de vermillon.
Pour s'en apercevoir, il a fallu me descendre de la croix, avec mes quatre clous. Nul larron pour me distraire : cent ans de solitude passés au pilier central de la cathédrale. Dieu attaché à sa tige. Solitude brisée par des femmes de l'art qui vinrent laver mes plaies. Ausculté comme un corps périssable, rare et fragile. Façonné et dressé dans le beau XVIe siècle.
Mon corps lustré brille. Il n'est pas de bois. Il contraste avec le pagne (le périzonium) qui ceint mes reins. Ma tête cassée repose sur l'épaule droite. Mon corps est maigre, plat et ruisselle de sang.
On a repeint mes stigmates lorsqu'ils s'effaçaient. Depuis que je suis né, dans le murmure des oraisons, de pieuses femmes, des jeunes gens viennent gratter mes plaies. Pour recueillir le sang du Christ tel qu'il a été peint, ruisselant de mon flanc. Ces marques de grattage resteront sur ma peau : parfois une trace d'ongle en dit plus sur la foi qu'un traité de théologie.
La science a décidé de m'écorcer du bois. Après être mort je fus un malade. Analyses sanguines, scan crânien et corporel. Ma chair n'est pas de maïs malaxé, comme le sont les Christ mexicains, mes cousins présumés. Je suis d'un mélange de plâtre, de chaux, de fibres végétales et de déjections gâché à l'eau chaude. Je suis creux, mais vivant. À la balance de la croix, le ressuscité de plâtre et de bouses accuse ses 28 kg. Plus pesant que les poids coq de la semaine sainte, qui processionnent léger à Taxco ou Patzcuaro.
Je ne suis même pas un malingre de Burgos, comme on l'a cru. Mais je fus façonné comme si je l'étais, par quelque sculpteur français qui voulait tenter quelque chose. Une expérience qui n'a pas abouti : statue en mortier, pas un métier d'avenir dans une Renaissance qui ne croyait qu'au marbre et au bois. Je suis seul sur ma croix, seul de mon espèce, plâtre et chaux. Me réparer a coûté 35 000 €, payés par l'État laïque de France. Jean-Paul James, évêque de Nantes, se souvient devant moi de la conversion de sainte Thérèse. Thérèse fut bouleversée par un Christ flagellé et ligoté de chanvre. Moi, c'est les clous. Je bouleverse autrement. On m'a réparé comme un corps brisé. Mais on ne répare pas le Christ. On panse ses plaies et on le remonte vite là-haut, où il vous parle de vos souffrances. »
Daniel MORVAN.
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