Je m'étais entretenu avec Jean d'Ormesson à l'occasion de la sortie du premier tome de son oeuvre romanesque dans la bibliothèque de la Pléiade (Gallimard). Sans doute l'une des personnes les plus agréables du monde en entretien...
Jean d'Ormesson, comment sait-on qu'on va bientôt entrer dans la Pléiade ? Par un coup de fil de la maison Gallimard, comme un simple mortel?
Antoine Gallimard, directeur des éditions, m'a appelé pour me dire qu'il voulait me voir et que c'était un peu pressé. Cela aurait dû m'alerter, pourtant je n'ai pas pensé une seconde qu'il allait me proposer d'entrer dans la Pléiade. Nous nous vîmes et il me fit la proposition tout de go. J'en restai si confus que je lui dis en bredouillant: merci, merci beaucoup, merci infiniment. Puis, reprenant mes esprits, j'ai objecté que j'étais encore en vie. Il m'a dit : Ce n'est absolument pas un problème, ça peut s'arranger.
En réalisant ce volume, vous avez certainement découvert certains secrets de cuisine de la bibliothèque de la Pléiade?
J'ai appris que Saint-John Perse avait truqué sa Pléiade en antidatant des lettres de 1946, présentées comme étant de 1936. Du coup, il passait pour un visionnaire fabuleux ! C'est insensé, moi je n'ai rien truqué.
Cela vous fait drôle d'être imprimé sur du papier bible ?
Comme dit Groucho Marx, je n'entrerais pas dans un club qui accepterait quelqu'un comme moi. Mais Hughes Pradier, le patron de la Pléiade, m'a assuré : nous ne prenons pas dans cette collection les reines d'un jour, mais les auteurs qui resteront dans l'histoire de la littérature.
Une chose me faisait peur : « l'appareil critique » de la collection, qui déballe tout votre passé. J'aurais bien proposé une Pléiade sans appareil critique, comme Kundera.
Par la télévision et par Bernard Pivot, votre plus fidèle serviteur, vos yeux bleus et votre verbe ont régné sur les lettres. Mais quel genre d'écrivain êtes-vous en réalité ?
Jeune, être écrivain ne me traversait pas la tête. Je n'ai pas écrit de poèmes à ma mère à 9 ans, de polar à 15 ans et de tragédie à 20 ans. J'étais élève de normale sup', je ne voyais rien à ajouter à Flaubert.
J'ai écrit pour plaire à une fille, comme tout le monde. J'ai déposé un manuscrit chez Julliard, qui m'a rappelé le lendemain, enthousiaste : J'étais la nouvelle Françoise Sagan. C'était faux, bien sûr. Le livre a fait un bide.
Je suis entré une seconde fois en littérature avec La gloire de l'empire, qui reçut le Grand prix du roman de l'Académie française.
Quel est le secret que vous confieriez à un jeune écrivain ?
J'ai toujours vomi les conseils des vieux académiciens. Le seul conseil valable, c'est : travaillez dur. Certes, mieux vaut être écrivain que mineur de fond. Mais la littérature est un travail excessivement et formidablement difficile. J'écris très péniblement, il me faut récrire chaque page cinq à six fois.
On vous appelle l'écrivain du bonheur. Mais le bonheur d'écriture existe-t-il?
Écrire est «une joie atroce», dit Flaubert. Quel labeur, quels incessants retours sur l'ouvrage. L'été dernier, j'ai écrit 100 pages et j'en ai jeté 99. La production de tout un été, presque entière à la poubelle.
Ce labeur est-il compatible avec la vie mondaine qu'on vous prête ?
J'ai été mondain, mais depuis dix ans on ne me voit plus dans les soirées. La mondanité a disparu de ma vie, je suis sourd comme un pot et je crains les dîners en ville. À vrai dire, je suis maintenant presque muet dans les cocktails.
Recueilli le mercredi 6 mai et publié le jeudi 7 mai 2015
par Daniel MORVAN.
par Daniel MORVAN.
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