mardi 19 février 2019

Goncourt du premier roman: "Court vêtue", la nymphe et le garçon



Lui stagiaire de quatorze ans, robuste apprenti qu'elle appelle le Garçon, elle Gil, pour Gilberte, "courant d'ait blond doré, porté par des jambes nues et blanches". Lance à goudron et râteau en main, il suit son stage de cantonier sur les routes; elle, chaussée de Scholl blanches, travaille à la supérette du village dont le gérant, un Jacky portant gourmette, l'entreprend dans la réserve. Félix est hébergé par son patron et partage la maison du cantonnier avec Gil. Le père est un homme à briquet qui ne voit rien des aventures de Gil avec des hommes mûrs qu'elle aimerait bien épouser. Elle le considère un peu comme son petit frère, sans imaginer qu'il l'épie dans son bain, guette ses retours du bal ou la scrute dans ses rendez-vous en bord de rivière. "Pour lui la douceur du jour c'était ça: vivre au même moment dans la même maison". Du moins jusqu'au jour où, au bord de la piscine, où Gil ne nage pas très bien, elle s'avise du fait que Félix est en train de devenir un homme: l'intérêt pour l'autre devient mutuel. Ils remplissent ensemble le questionnaire de stage du garçon, surexcités et la tête ailleurs. Lui déchiffre le mode d'emploi d'une cafetière électrique gagnée par Gil en collectionnant ses points, et découvre le pouvoir des mots, qu'il aime écrire et donner à la fille, sur un papier froissé. Naissance de l'écriture et de l'amour dans un moment suspendu dans un village de bord de nationale, près des feux rouges. Ils vont au cinéma qui semble abandonné, elle continue de vivre dangereusement, sur les bords de rivière, jusqu'à s'y perdre. Le petit capital de jours d'été qu'ils partagent s'épuise vite, à s'observer de cette façon, à se noyer dans la contemplation, la saisie des corps vite évaporés avec la chaleur de l'été. Et le lecteur voit avec inquiétude la fin approcher, qui sera aussi la fin de ce petit miracle d'écriture. Marie Gauthier offre ici un premier roman merveilleux, balancé comme comme une chanson de Charles Trenet, triste comme la France contemporaine, d'une écriture impassible, tendue et frémissante, qui raconte l'échouage des rêves.

Daniel Morvan
Marie Gauthier: Court vêtue. 112 pages, 12,50€ 

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