Critique
Un homme et une femme. Il fait très chaud. Un arbre pousse sous le lino. Ils n'ont pas d'enfant. Il tente de régler les problèmes essentiels. Elle tire une couverture faite de toile la voile, prend une douche, trois gouttes d'eau. Trois autres pour rincer le plancher. Lui revient du bureau. Tombe la veste et se déloque assez naturellement, avant d'ouvrir une bière chaude, de bavasser sur l'avenir du monde et ses propres chances d'ascension hiérarchique. Toute cette banalité accumulée sur un plateau étroit, meublé par un système rudimentaire de captation de l'eau, bidons, cuvettes - ici le plastique est roi - nouilles chinoises, cette banalité est celle d'un mal que tout spectateur reconnaît: le réchauffement climatique et l'entrée dans l'Anthropocène (1).
Un homme et une femme. Il fait très chaud. Un arbre pousse sous le lino. Ils n'ont pas d'enfant. Il tente de régler les problèmes essentiels. Elle tire une couverture faite de toile la voile, prend une douche, trois gouttes d'eau. Trois autres pour rincer le plancher. Lui revient du bureau. Tombe la veste et se déloque assez naturellement, avant d'ouvrir une bière chaude, de bavasser sur l'avenir du monde et ses propres chances d'ascension hiérarchique. Toute cette banalité accumulée sur un plateau étroit, meublé par un système rudimentaire de captation de l'eau, bidons, cuvettes - ici le plastique est roi - nouilles chinoises, cette banalité est celle d'un mal que tout spectateur reconnaît: le réchauffement climatique et l'entrée dans l'Anthropocène (1).
Dans l'histoire de
Zinnie Harris mise en scène par Jean-Marie Lorvellec, le déclin
d'un couple fait fond sur quelque chose de plus puissant, l'aventure
singulière prenant des couleurs plus crépusculaires encore lorsque
vous vous apercevez que l'histoire racontée est déjà bien connue:
Adam et Eve chassés du jardin d'Eden. Eve à l'évier et Adam au burlingue. Cette compression
étrange de couple biblique figé dans un huis-clos à la Marlon
Brando et Vivien Leigh relie les images d'un intérieur américain
très codé par le cinéma (on pense aussi à John Cassavetes) sur un
dehors scénarisé par les climatologues. Le théâtre Amok a
longuement mûri cette création, à travers un stage théâtre, des lectures privées dans le jardin du metteur en
scène, un travail avec la chorégraphe italienne Ambra Senatore. Un travail
dont on mesure toute la minutie, devant cette scénographie de la
survie, et cette dramaturgie en trois actes qui module sur les tentatives du couple pour survivre à
la surchauffe en se raccrochant au précepte: on ne déménage pas, on ne se laisse pas chasser du paradis.
Ainsi décrite, la pièce pourrait sembler excessivement noire. Elle
l'est, et pourtant Lorvellec, d'une maîtrise subjuguante, propose une lecture vibrante et lyrique de cette
histoire de catastrophe et de culpabilité. Le propos est tenu de bout en bout dans toutes ses implications, scéniques, musicales, et cette cohérence produit des effets d'incarnation et de réalisme, marqués par de très belles images comme le tableau final, dont la verticalité de vitrail délivre une sorte de sublime désespéré. Marie-Laure Crochant incarne une Jane
dépressive qui, au risque d'être à nouveau déclarée folle, se
raccroche à l'apparition d'un pommier poussant dans le béton de sa
cuisine. Sa folie, c'est d'espérer. Celle de son mari, de prétendre qu'on le puisse. Et de faire semblant de maîtriser la machine climatique emballée. La marche implacable vers le pire, dosée comme une
intraveineuse de spleen par une musique nappée (partition de
Stéphane Fromentin), un flux sonore qui ponctue avec précision les
temps de l'action, apporte aussi cet espoir d'un nouvel arbre de vie qui ne se laisse pas déraciner. Après tout, Adam
et Ève ne peuvent pas tirer leur révérence comme cela, baisser le
pavillon et partir en laissant derrière eux un pommier mort. Le
couple Crochant et Jérémy Colas est parfait dans cette association
d'aveuglement et de folie lucide, jusqu'au final de fin du monde qui
est une question adressée à chacun: est-ce bien cela que nous
voulons?
Daniel Morvan
Le Jardin, de Zinnie Harris. Théâtre Amok, 1 h 20. Au Grand T (av. du Général Buat, Nantes).
1: le terme anthropocène désigne l'ère de l'homme, période débutant lorsque les activités humaines ont laissé une empreinte sur l'ensemble de la planète.
1: le terme anthropocène désigne l'ère de l'homme, période débutant lorsque les activités humaines ont laissé une empreinte sur l'ensemble de la planète.
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