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lundi 4 octobre 2021

Le blues d'Issa au resto des SDF

Toute une ambiance aux Restos ! Issa, ici devant sa barquette, se réchauffe le cœur en soufflant un air d'harmonica

Les Restos du coeur ont lancé, hier <30 novembre 2007> leur 23e campagne d'hiver. Au centre d'accueil de jour des SDF nantais, ils servent 90 repas chaque midi. 
 
 
« Quand on en sera au fromage, il y aura un peu d'Alzheimer ! » C'est Mamie qui passe les barquettes. Elle fait un malheur, Mamie, avec son Leerdamer.
Ici, c'est le centre d'accueil de jour des Restos du coeur. 7, rue de la Galissonnière, à Nantes. Pas difficile à trouver. Il suffit de suivre les grands noms de l'astronomie, Cassini et Copernic. Vous rasez les puissantes voitures garées le long des trottoirs et vous tournez à gauche. Là, à cent mètres, c'est la galaxie SDF.
Issa finit sa Kro posée sur une poubelle. « C'est leur cantine, leur chez eux, alors ils n'aiment pas trop être embêtés », prévient Sylvie Rateau, la présidente des Restos. Profil bas, vous entrez. « Tu peux te mettre là », me dit Gérard, le directeur du lieu. Ça réchauffe le coeur d'être accepté.

« Les keufs m'ont serré »

Il y a donc Mamie, « une vieille des Restos, depuis 1988 », parmi quinze bénévoles. C'est elle qui distribue : « Taboulé ? Carotte ? Macédoine ? » C'est elle qui pigne pour qu'on ramène les gobelets de plastique, et qui les lave. Il y a Mario au micro-ondes, qui tourne à plein régime pour réchauffer les 90 plats du midi.
Parmi les convives, il y a le vieux briscard qui aligne les vannes : « Pourquoi changer ? Pour être plus con ? » Lui, il a son logement. C'est aussi le cas de Salam, qui discute dehors. RMI, logé, mal logé. Il râle. « Les keufs m'ont serré au Champ de Mars. Je vendais des livres sur le trottoir. 20 centimes l'exemplaire, histoire de boucler le mois. »
Il cligne des yeux. Affûté comme un crayon. Un crayon à mine dure, mais cassante. Raconte son appartement insalubre. Les chiottes bouchées pendant deux ans. Le refus du proprio de réparer. « Une formation ? Non, j'ai une dépression. J'ai peur de me retrouver à la rue. Mon appart, je le supporte plus. Le parquet est rongé. Je chope des microbes. »
Issa a fini sa bière et s'assied. Salue ses amis, poings collés, poing au coeur. Eux vivent en squat.

« J'avais un groupe »

Le micro-onde fait sauter le compteur. « Jo-yeux zanni-versaiiire ! » Re-lumière. Entrée sans porc pour Issa, Sénégalais musulman. « Il aime pas le porc, c'est pas un grand voyageur, ah ah ! », plaisante Mario.
À côté du passe-plat, une petite bibliothèque. Thierry cherche de l'index un livre qu'il n'aurait pas encore lu.
Il y a une place libre devant Issa. Il m'y invite : « Il faut communiquer dans la vie. J'espère qu'il a dit vrai Sarko, sur le droit au logement sans caution. Même si on a l'aide de la Caisse des allocations familiales, les propriétaires ne veulent pas nous loger. » 
Issa dort au foyer Saint-Benoît
Ses allers-retours entre Chantenay, les Assedic, la Caf, l'ANPE.  
« Faut être là à dix heures, sinon il te reste les squats. Dans la rue, tu bois pour te réchauffer. Si tu arrives bourré, t'es viré. Au bout de trois fois, viré définitif. Quand t'es à la rue, tu ne cherches même plus de travail. T'as mal dormi. Le gars ne s'en sort que s'il est posé. »
Issa a un brevet hôtellerie. Quelques remplacements à la Mutualité et au Lieu Unique. Trop courts. Il a dévissé le jour où sa meuf « s'est barrée ». Il me laisse son numéro de portable. L'autre objet qui ne le quitte jamais, c'est son harmonica Hohner « marine band » en mi, le même que Dylan. « J'avais un groupe. J'étais bon à l'harmonica. »
Allez Issa, play it for me, joue-le pour moi. Issa joue. S'interrompt pour me dire : « Mais tu ne manges même pas ? »
Thierry a trouvé à lire. 
Un livre qui parle de la planète et des liens entre ses habitants. Comme l'indique son titre : Terre des hommes.
 
Daniel MORVAN.


‎samedi‎ ‎1‎ ‎décembre‎ ‎2007
852 mots
ouest-france
 
 

vendredi 10 août 2018

Nice promenade des sanglots (14 juillet 2016)





Je feuillette une dernière fois mon agenda 2016 et m'arrête sur cette date: Du 14 au 18 juillet, festival d’Avignon. Les réservations prises pour les spectacles. Les Damnés (durée: 2h37). Karamazov (4h30). 2666 (12 heures).
Je n’avais jamais couvert le festival « in », et pas question de passer à côté des expériences fortes promises par l’affiche. 2666 est l’adaptation d’un roman infini, car interrompu par la mort de son auteur, Roberto Bolaño. L’interview d’Antoine Ferron, un jeune comédien, et ami de ma fille Mathilde, était déjà calée.
Le soir de la fête nationale, à Nice, un homme a lancé son camion sur la foule, tuant 84 personnes. J’ai barré Avignon sur mon agenda et j’ai écrit: Nice. Cela s’appelle être dérouté. D’Avignon à la Baie des Anges.
J’ai trouvé un ami journaliste à l’hôtel Univers, dans le vieux Nice. Aucun problème de réservation, les touristes quittaient tous le navire. Marc avait déjà engagé son premier reportage, parution le lendemain. Je prenais le relais sans attendre. J’ai d'abord marché sur la promenade des Anglais. J’ai regardé sans voir. Vu sans regarder. 2 km de bitume comme une marelle tragique.
Quelle est la distance acceptable, quel est selon vous le point de vue soutenable sur un attentat suicide?

Des âmes errantes, CNN et NHK

La ville émergeait de vingt quatre heures d’hébétude. Le vieux Nice faisait encore semblant de vivre.
Des âmes errantes se penchaient pour lire les billets déposés par des enfants. On allait sans voir, portant en soi des visions de corps écrasés. Cyclistes lancés à fond. Joggeurs. Selfies. Caméras NHK et CNN dans les parterres de fleurs, le vide de la télé continue en boucle. Je rencontrai l’homme qui avait organisé le « plan blanc » au CHU Pasteur. Sortant de 48 heures d’opération, il me raconta l’arrivée des blessés, les amputations, l’évanouissement des infirmières devant les atroces blessures.
Et je suis retourné sur la Prom’. Je regardais bêtement le ciel. J’ai regardé les gens franchir des barrages de police, serviette éponge sous le bras. Des marchands de glaces passer entre les baigneurs. Soudain, j’ai vu. Quelque chose sans rien à voir avec le massacre se passait là, qui disait tout de Nice. 

Cette chose, c’était la mer.

Et le roulement des galets de la baie des Anges, comme la bande-son du temps. Cela pouvait sembler futile, hors-sujet. Alerte rouge, mais la plage était noire de monde. Je suis allé voir des retraités, un vieux plagiste cambodgien. Ils me disaient cette chose: il faut se baigner, pour montrer qu’on n’a pas peur.

J'ai changé d’avis en rencontrant un jeune couple de Lorient. Ils avaient loué une semaine. "Au Negresco", a plaisanté le garçon (en vrai, juste une chambre dans une rue adjacente). Ils avaient vu le camion « chercher ses victimes », du vrai Stephen King. Ils se sont projetés sur le sable par dessus le parapet et se sont mis à plat ventre sur les galets. Ils revenaient sur la promenade des Anglais, devenue promenade des sanglots.
Revoir la mer, pour se baigner dedans.
« Par nécessité, pour prendre soin de soi, et ne pas céder à la peur. »
Les maillots de bain étaient tous soldés dans le magasin de la place Masséna. A Nice comme ailleurs, la mer est le synonyme d’un autre mot en trois lettres: vie.


dimanche 23 avril 2017

Le prof nantais avec ses élèves et Jacques Chirac aux funérailles de Lucie Aubrac

Jacques Chirac dans la cour des Invalides
Lucie Aubrac est morte le 14 mars 2007, à l'âge de 94 ans, à l'hôpital suisse d'Issy-les-Moulineaux. Ses obsèques avec les honneurs militaires ont eu lieu aux Invalides le 21 mars en présence du chef de l'État, du premier ministre Dominique de Villepin, de plusieurs ministres et candidats de l'élection présidentielle de 2007. Étaient également là quelques élèves de lycée professionnel venus de Nantes avec leur professeur Luc Douillard. 

Ils ont entre 17 et 18 ans. 21 élèves de BEP finition, sept plâtriers et quatorze peintres. Luc Douillard, leur professeur de lettres du Lycée professionnel Michelet, à Nantes, aime bien les défis. « Tenter le déclic. Parier qu'en 24 heures, ils seront capables de s'intéresser à leur Histoire. »
Luc Douillard a pour consœur Élisabeth Elfer-Aubrac, fille de Lucie. C'est lui qui a rédigé en 2004 l'appel national (signé par les Aubrac) à défendre « le socle des conquêtes sociales de la Libération ». Deux bonnes raisons pour embarquer ses élèves, grâce au soutien des Pays de la Loire, à l'hommage des Invalides. «C'est une action de guerre contre l'ignorance, dit-il. Les jeunes souffrent d'un manque de personnes à admirer.»





Seuls lycéens de France, à cinq mètres de Jacques Chirac


Sur place, la surprise : pas d'autres lycéens. « Très impressionnant, dit Mélanie. Se dire qu'on est là, à cinq mètres du Président Jacques Chirac, et que visiblement nous sommes les seuls scolaires... » Et même les seuls de France ! Mélanie est peintre et se destine à peindre des trompe-l'oeil. La longue silhouette du chef de l'État s'avance sur les pavés glissants des Invalides : ce n'est pas un trompe-l'oeil. « Si vous voyez des gens âgés avec des médailles, leur a dit leur prof, une étincelle dans le regard, ce seront des résistants. Les plus jeunes auront 80 ans. Allez leur parler, ils seront heureux. »



Avec leur professeur Luc Douillard, les élèves du lycée professionnel Michelet (Nantes) rencontrent des amies de Lucie Aubrac, aux Invalides
Le cercueil de Lucie Aubrac quitte la cour. Le chant des partisans résonne encore dans l'air glacial. Les lycéens, transfigurés par la solennité de l'événement, font cercle autour des anciens résistants. Ils écoutent, affamés de paroles. « Vous l'avez connue, Lucie Aubrac ?», demande Mélanie. « Oui, répond Claude, j'ai enseigné dans le même lycée qu'elle à Rome. Elle ne se contentait jamais de parler, elle agissait. Et toujours en première ligne contre l'injustice dans les conseils de classe. »

Maxime interroge le Breton Gabriel de Tournemine : « Quel âge aviez-vous à l'époque ? - 17 ans en 1940. La Résistance, c'était un grand western. Faut jamais lâcher, les garçons, ni dans votre vie ni dans vos études. »

Silencieuse, Mélanie boit les paroles. Capte des bouts de destins qui viennent d'entrer dans sa vie. «Oui, j'ai envie d'approfondir l'histoire de ces résistants. Ils nous ont promis de venir nous voir. »
Pari gagné, monsieur le professeur. Et chapeau, Luc Douillard.

Daniel MORVAN


Les derniers combats de Lucie Aubrac


Lucie Aubrac à Nantes, en mars 2005 pour la remise de la légion d'honneur à son gendre, Jean-Pierre Helfer, directeur d'Audencia, entourée de sa famille dont sa fille Élisabeth Helfer-Aubrac (3e en haut en partant de gauche).


Élisabeth Helfer-Aubrac enseignait au lycée Michelet de Nantes. Pour notre consoeur Isabelle Labarre, elle témoignait en mars 2007 des derniers combats menés par sa mère: "Que ce soit auprès des sans-papiers, des enfants handicapés, des mal logés, ma mère a signé toutes les pétitions qu'il fallait. Sans aucune honte, elle se servait de son nom pour faire entendre une cause, toujours avec un souci de grande honnêteté et fidèle au seul credo de mes parents : le programme du Conseil national de la résistance. Son mot d'ordre, c'était de rester vigilant face aux injustices, au racisme, à l'homophobie. Dans ses dernières interrogations, elle parlait des élections présidentielles. Elle n'a jamais adhéré à un parti depuis la Libération mais en tant que femme de gauche et engagée pour les droits des femmes, elle était sensible à ce qu'une femme, plus jeune, soit candidate... Son dernier déplacement, c'était en octobre dernier, un hommage aux jeunes juifs déportés à Mont-de-Marsan. Nous n'étions pas fiers de la voir partir, déjà grabataire. Depuis quinze ans, elle avait perdu la vue. Mais c'était elle..., une battante jusqu'au bout !
De quelle façon, interroge Isabelle Labarre, cet esprit de résistance a-t-il traversé la vie de famille ?
Avec la guerre, nous avons été élevés de façon chaotique, mon frère, ma soeur et moi. Mais avec cette idée que la justice prime sur tout. On n'avait pas de croyance religieuse, on croyait en l'Homme. Le confort était accessoire : le quotidien, la maison, ça passait après les actions de nos parents. Mon père, Raymond, plus intellectuel. Ma mère, médiatique et efficace. Je ne l'ai jamais vu baisser les bras, elle avait toujours l'intelligence de rebondir devant les difficultés.

samedi 22 avril 2017

Le bouddhisme sans peine, allongé dans l'herbe




‎samedi‎ ‎16‎ ‎août‎ ‎2008
794 mots
Daniel Morvan

9 000 personnes ont assisté, au Zénith de Nantes ou devant un écran géant, à la conférence du dalaï-lama. Un cycle d'enseignement bouddhiste débute aujourd'hui.

Pas de tambours, de trompes ou de conques pour saluer son arrivée au Zénith de Nantes. Juste un immense silence. Précédé d'un élu drapé de tricolore (Charles Gautier, maire de Saint-Herblain), le quatorzième dalaï-lama traverse la scène du Zénith, salue les dignitaires vêtus d'ocre rouge, accroupis, invite le public à sortir de son silence.
L'unique conférence publique du chef spirituel tibétain a pour thème : « Paix intérieure, paix universelle ». Près du dalaï-lama maintenant assis, en toge de moine, le disciple français Matthieu Ricard. L'ancien docteur en biologie (et fils du philosophe Jean-François Revel) parle la bouche masquée d'un pan de sa toge, en signe de respect. C'est lui qui traduira pour les profanes.
Drapeaux déployés
Les profanes sont dans l'herbe, assis, allongés, en position du lotus, attentifs, endormis, les yeux clos. La conférence du Zénith est complète depuis avril, mais le public peut la suivre dehors, sur écran géant. Ils écoutent, comme on contemple les profondeurs d'un lac. Prennent des notes, telle cette rousse en mini, ou tapent sur un clavier, comme cette jeune Anglaise aux yeux immenses qui tient un blog.
Un peu à l'écart, les infatigables adorateurs d'une déité non reconnue par Sa Sainteté scandent leurs slogans. Les drapeaux aux lions des neiges claquent comme sur les flancs de l'Himalaya : les défenseurs du Tibet libre sont là. Yves a épousé une Tibétaine. Tsering est à l'intérieur, et suivra les cinq journées d'enseignement. « Ses parents ont fui le Tibet en 1959, avec le dalaï-lama. Ils espéraient toujours y retourner. Puis ils y sont retournés. Elle a travaillé dans une fabrique de tapis au Népal. Je l'ai connue au Zanskar, et j'ai fini par la ramener à Caen. »
De Mongolie, de Tahiti
Traverser cette foule, c'est s'offrir un petit voyage autour du monde. D'ailleurs, même lorsque le dalaï-lama parle, personne n'est plus aisément abordable qu'un bouddhiste.
Lise, d'origine vietnamienne, se propose même de vous guider. Voici le groupe de Tahiti, assis dans l'herbe. « Oui, nous avons fait 18 000 kilomètres d'avion pour venir écouter le dalaï-lama, dit la Polynésienne Brenda Chinfoo, dont le sourire offre un aperçu du nirvana. Quand nous avons fondé notre centre bouddhiste, nous nous sentions un peu seuls. Il faut être fort pour implanter en terre chrétienne une religion sans dieu. Nous sommes une centaine, pour une population de 250 000 Polynésiens. Nous sommes loin de tout, mais nous restons connectés à la grande famille des îles du Pacifique. »
Un peu plus loin, nous croisons un groupe de jeunes gens : « Nous venons de Mongolie. Nous voulons rencontrer le dalaï-lama. Vous pouvez nous aider ? » Ce sera possible tout à l'heure, lorsque « Océan de sagesse » (traduction possible de « dalaï-lama ») prendra son bain de foule à l'extérieur du Zénith, saluant le drapeau tibétain.
Quelques-uns seront déjà partis, comme Martine, qui est venue voir son papa, Roger, à Nantes. Elle appartient à un groupe de prière. « Bouddhiste, je ne le suis pas encore parfaitement : je mange de la viande. Et il faudrait que j'arrête le tabac. » Papa s'impatiente, propose d'attendre sa fille dans la voiture sur le parking d'Atlantis. Martine hésite. Entre le dalaï-lama et son père, elle choisit son père.
Le bouddhisme est bien une « éducation du coeur ».
Daniel MORVAN.

jeudi 6 avril 2017

Nono 4, 6 kg à jeun: Les Frankenstein du tapis vert jouent à l'avale-cubes



lundi 4 mars 2002 870 mots
« Des cubes de 100 g, des écrous de 50 g et des cotillons, rien que pour nous ennuyer ! » Pierre-Édouard, l'un des élèves du lycée Saint-Étienne (Cesson-Sévigné), est confiant. Et les concurrents sont terrorisés devant la gloutonnerie de la bestiole : « Saint-Étienne ? Leur robot avale tout ! » Les quinze élèves du team ont travaillé par étapes : « D'abord une maquette dans une boîte à chaussures, puis en Lego, avant de réaliser le prototype en Inox soudé par un tôlier. Notre machine est munie de deux balais rotatifs qui avalent les obstacles. Dans une semaine, la finale à Paris ! » 
« Nous avons mis au point une idée simple qui marche bien, explique Andy, puisque nous sommes douzièmes sur 43. » Sous la coque de la machine, deux moteurs entraînent des fils de nylon. Point de joints toriques ni de soudures Inox. Les membres du club Cistem de Keragayouat ont consacré 50 heures de travail à leur bécane, forts de leur participation en 2001 à Exposciences. Comme cette autre association brestoise, dont les animateurs n'étaient pas vraiment préparés : « On a commencé par essayer de comprendre comment marche un moteur électrique, et on a eu l'idée du Cobra. Le but, c'est surtout de bouger du quartier !» 10f 206
Chantenay : trois clubs en lice, et un entraînement à peaufiner
Le collège de Chantenay ne proposait pas moins de trois robots, présentés par le collège, le foyer des élèves et la classe-relais. Le tout est managé par un aide éducateur. Gilbert Le Guern, enseignant, a imaginé un avale-tout sur tapis roulant : « C'est notre seconde année de participation et l'an dernier, en finale où nous sommes allés, nous avons vu l'efficacité du tapis roulant. Mais cette année, pas évident, avec les gros cubes ! » Même quand ils sont pourvus d'adhésif. Et comme pour tous les groupes, la différence se fait au pilotage. À vos manettes ! Mais à Nantes, l'initiation commence tôt : ainsi ce jeune garçon apprend, sur le stand des « P'tits débrouillards », le fonctionnement d'une simple guirlande (notre photo 10g 206)
Saint-Laurent-sur-Sèvre : la gloutonnerie de Nono 4 est sans bornes
Les terminales S4 de Saint-Gabriel (Saint-Laurent-sur-Sèvre en Vendée) sont les Frankenstein d'un concurrent aussi effrayant que glouton : Nono 4, 6 kg à jeun. «On est un peu remontés, là. Notre adversaire en seizième de finale est venu nous chercher des cubes dans la balance. » Nouvelle version de l'expression « se chercher des poux dans la tête ».
Alors que M6 diffuse des images d'opérations chirurgicales sur le grand écran de la salle Mangin, que les supporters s'égosillent, le groupe de Saint-Gab' n'a guère plus rien à faire qu'à admirer Nono 4, sa transmission surdimensionnée par chaîne et son épaisse carapace. Nono 4, classé septième, ira à la Cité des sciences en finale.

10d 206
Brest, cobra. « Nous avons mis au point une idée simple qui marche bien, explique Andy, puisque nous sommes douzièmes sur 43. » Sous la coque de la machine, deux moteurs entraînent des fils de nylon. Point de joints toriques ni de soudures Inox. Les membres du club Cistem de Keragayouat ont consacré 50 heures de travail à leur bécane, forts de leur participation en 2001 à Exposciences. Comme cette autre association brestoise, dont les animateurs n'étaient pas vraiment préparés : « On a commencé par essayer de comprendre comment marche un moteur électrique, et on a eu l'idée du Cobra. Le but, c'est surtout de bouger du quartier ! »
Robot Daniel Morvan

jeudi 30 mars 2017

Echappée belle à la Madeleine: La Havane sur Loire

DR

Lundi 10 mai 1999, 
989 mots
Si Hemingway vivait et visitait Nantes, c'est à la Conga des Bananes qu'il mangerait, en écoutant Compay Segundo. Et peut-être dirait-il, en exagérant un peu : « La Madeleine, c'est La Havane ».
La preuve que les artistes sont bien dans leur quartier, c'est l'espadon de la Conga des Bananes. Un bar-restaurant sans bananes, mais avec congas. « L'idée de ce nom vient d'un titre d'une bande dessinée de Hugo Pratt. » Alain Peneau a découvert la Madeleine par hasard, en cherchant un lieu pour y loger son rêve de restaurant carribéen, avec un magnifique espadon de résine. « La Madeleine, ce n'est pas le centre ville. Quand on vient ici, c'est parce qu'on a décidé de manger ou de boire un verre à la Conga des Bananes, comme on va à la Belle Équipe ou à la Civelle. Manger ou boire, pas les deux : j'ai découvert ça, les Nantais aiment bien commencer dans un lieu et continuer ailleurs. » Ou l'inverse. Donc, pas le centre ville. D'ailleurs, ce quartier si vivant le jour est, de l'aveu du restaurateur, aussi désert la nuit que la rue principale de La Ferté-Bernard un soir de couvre-feu. « La Madeleine devient un quartier résidentiel, avec beaucoup d'employés du secteur tertiaire. Les squats tendent à disparaître, car on détruit beaucoup d'entrepôts. Cela risque d'altérer le pittoresque, mais les résidents cherchent un environnement plus calme. Ceci dit, nous n'avons jamais eu à nous plaindre des squatters. » Alors, cette conga ? « La conga, c'est un rythme des Caraïbes. A cause des bananes, les gens croient qu'il s'agit d'une ancienne mûrisserie. En réalité, il s'agissait d'une boulangerie. » Ici, on peut déguster sans honte un Romeo Y Julietta, un Monte Cristo ou un Davidoff de la cave du maître de maison, un vieux rhum de La Havane ou de Port-au-Prince, un curry ou un colombo, plats de porc ou de volaille, accompagnés de sauce épicée d'origine indienne. Et écouter de la musique exclusivement acoustique et non amplifiée, en compagnie de personnes qui ne sont pas seulement ces « quadras BCBG » qu'Alain Peneau pensait attirer. « Ici, les 20 ans et les 70 ans cohabitent très bien. » 

Le merle et l'androïde 

Une mûrisserie, en voici une : rue Émile-Péhant, avec ses claires-voies. Nous sommes à l'Artomatique, un ancien garage automobile simplement rebaptisé en changeant le « u » en « r ». L'Artomatique, lieu officiel d'un collectif d'artistes, héberge neuf ateliers d'artistes répartis dans des coins de garages et des soupentes signalés par des anciennes plaques bleues de rues. 
Cédric Angelin, par exemple, travaille rue de l'Aveyron. Cet ancien élève de l'école Boulle prépare un beau fond rouge, où il a peint des carrés d'or. Ce qu'on peut souhaiter de mieux à un habitant du quartier, c'est d'avoir ce tableau sur l'un de ses murs. Un colosse passe, portant négligemment une poutre de chêne sous le bras. « Ici, c'est un superbe endroit. 
En l'an 2000, un coup de bulldozer là-dedans et hop, terminé ! Mais je préfère être là qu'à ne rien faire dans la rue. Pour le reste, voyez le président. » 
Au fond de la cour, un hangar en planches abrite le lieu des fêtes du collectif. Très excité, Axel Rhod prépare une soirée DJ « spatial kitsch ». Avec des planches récupérées dans des bennes à ordures, il fabrique des soucoupes volantes où, vendredi, les disc jockeys vont emmener tout le monde dans les mondes intergalactiques de la house et du trip hop. 
Axel Rhod n'a pas le temps. Trop speed, mais bon, cinq minutes alors. T'as du feu ? « Je ne m'implique pas directement dans l'association de l'Artomatique, car je démarre un peu dans mon travail de sculpteur. Mieux vaut s'adresser au président. » Des oscars géants pour boîtes de nuit, des totems pour concerts de rock, des femmes androïdes en pièces mécaniques. Bonne chance, l'artiste, dans un monde de vitesse. 
Et que la Madeleine garde sa lenteur. 
Lorsqu'on marche dans les rues de la Madeleine, la Loire est très discrète. Elle se devine seulement au bout de la rue Fouré et des Olivettes. Pour entrer en contact direct avec le fleuve, il faut quitter la Madeleine, prendre un chemin entre le quai Magellan et la Loire, emprunter un ponton aux pieds duquel l'eau coule sans bruit. Tournant le dos aux immeubles, un pêcheur monte et remonte son trémail, mais a sans doute oublié de prier sainte Alose. Quand il n'y aura plus de quartier, il y aura toujours la Loire. 
Encore plus loin, c'est l'îlot Bitche, derrière la Cité des congrès, exemple d'urbanisme de la table rase. Comme un dinosaure de bande dessinée, un tractopelle grignote délicatement la toiture des Hydropath. Ici, la grondante écluse Saint-Félix, derrière laquelle on devine, comme enchaînés aux eaux, des mondes de pépiements, de merles siffleurs, de grives soûlées de soleil, de charrues au front buté, de cris d'enfants chasseurs d'arcs-en-ciel, de cornemuses à ciel ouvert, le vacarme champêtre qui manque à la ville, l'écluse marque le point kilométrique 00,000 du Canal de Nantes à Brest. Le point zéro de l'allée royale des marcheurs. C'est tentant, mais ça ne serait pas sérieux.

Les bleus passés de la Madeleine (1305 mots)

‎vendredi‎ ‎7‎ ‎mai‎ ‎1999
1305 mots


Chaussée de la Madeleine, des arches perdues attendent leurs aventuriers. Chez Robert, il y a Madeleine. Une jeune femme moderne qui allait bien avec les trolleys et va toujours très bien avec la Madeleine. Et des disciples de Jah Rastafari Haile Selassie I, qui brisent les chaînes de l'esclavage mental.

L'épouse de Robert se prénomme Madeleine, comme son quartier. Un beau visage à la Simone de Beauvoir, une distinction qui émane de toute sa personne. On l'imagine sans peine, la jolie môme de Vertou, dans son trolleybus jaune ou sur sa bicyclette bleue, à la veille de la guerre, la tête pleine de rêves. Ses mémoires de jeune fille rangée ? « On devait paraître olé olé à l'époque, s'amuse-t-elle. Les gens se couchaient tôt, vous savez, et il n'y avait pas la télévision. C'est pourquoi ils avaient beaucoup d'enfants. »
Robert et Madeleine se marient très jeunes, à 20 ans (encore mineurs), pour éviter le STO (Service du travail obligatoire, imposé par le régime nazi aux populations d'Europe). Madeleine est secrétaire dans une armurerie.
C'est un couple moderne, qui consacre tous ses loisirs au sport et au tourisme : « Nous, c'est l'aviron et le patin à roulettes qui nous a conservés ! Nous avons fait le tour de Bretagne à vélo. Notre endroit préféré ? Bénodet, Sainte-Marine et Concarneau. »

Ce qui allait de soi de la part de ces personnes de goût. Et puis un beau jour de 1968, le grand saut vers les Baléares : « Notre premier grand voyage sans le vélo ! » 

La chaussée de la Madeleine marque la limite sud-ouest du quartier. Plusieurs passages sont encore ouverts, révélant les dessous enchevêtrés du faubourg, où luisent les vieux pavés, où les matous ont des indifférences d'aristochats sur leurs toitures de fibrociment, où se démantibulent des ruines et se planquent belles maisons rénovées.
Au fond d'un passage bordé de platanes anarchiques, des râteliers encore en place laissent imaginer des piaffements d'écuries. L'un des projets de Nantes Aménagement est de rénover ces passages, de remettre au jour des arches d'entrée dissimulées derrière des façades et de retrouver l'alignement du XVIIIe siècle. A l'angle, là où Aimé Delrue (l'amuseur public de Nantes) contemple l'éternité sur sa plaque de bronze, sous une immense toile représentant un toucan (signée Alain Thomas), Patrice Nicolas a installé sa menuiserie. « Un emplacement remarquable, proche du centre et du périphérique. » 
L'atelier du bois emploie trois salariés. Un vaste local de 500 m2, odoriférant et clair, entièrement dédié au meuble en pin brut ou teinté. Armoires à croisillons ou à grillages, bibliothèques blanchies façon céruse pour des maisons qu'on n'aura jamais : l'atelier sur cour oscille entre la tendance déco océanique et le sur-mesure pour cadres en jet-lag. Certes, l'Atelier sur cour ne pratique pas les prix d'Ikea, mais le prix n'est peut-être pas ici la donnée première. « Nous sommes intéressants sur les gros volumes, explique Patrick Nicolas. Le rapport à l'artisanat est affaire de culture. Seules viennent nous voir les personnes qui ont une idée précise du meuble désiré. Celui qui achète un meuble dans une grande surface aurait peur, ici, de ne pas savoir ce qu'il veut. C'est pourquoi notre clientèle est très bourgeoise. » 
Dans ce coin de la Madeleine, on trouve de très beaux bleus passés. Par exemple, au no 10 de la rue Columelle, une maison ornée de carreaux de mosaïque, qui a sûrement une sœur au Portugal.

Rue Marmontel, balisée à l'angle par le pochoir de l'Hydropath, un autre bel immeuble à balcons bleus, où pendent des blue jeans en loques ; dans la cour, un entrepôt, lui aussi en loques. La maison des rastas En face, c'est l'Usure, un squatt en état de décomposition avancée, où un jeune sculpteur s'acharne sur une poutre de chêne fendue mais d'un bois dense, pour en tirer une sorte de Neptune joufflu.

C'est le versant presque clandestin de la Madeleine des artistes ; la rue Pélisson, où se trouvent les ateliers des élèves des Beaux-Arts et le gratin du « post-diplôme », étant sa partie officielle. Pour entrer dans la « Maison des rastas », rue Marmontel, il faut montrer patte blanche, prouver qu'on n'est pas de la police. 
A l'arrière de l'ancienne droguerie Delrue, jouxtant les ateliers d'artistes (un bunker à interphones), l'entrée se signale par une peinture murale, quelques coupures de presse sur la dépénalisation du haschisch et une affichette : « Ne pas fumer ». Allons bon ! Ras Préco, le vice-président, explique : culture rasta, la cuisine végétarienne pratiquée comme un art, désignée sous le terme générique de I-tal (20 francs la part pour les adhérents, 30 pour les autres), qu'il s'agisse de riz parfumé au coco ou de boulettes de soja. Le local, sur deux étages, propose un lieu d'exposition, une bibliothèque et vidéothèque, et, sous les toits, un studio d'enregistrement - le repaire des dix membres actifs, les seuls autorisés à fumer des cigarettes. « Le reggae, rasta, hip hop, c'est la grande tendance aujourd'hui, explique le « natty boy ».

Ici, quand on a ouvert la Maison des rastas, on a failli se trouver débordés. Nous regroupons aujourd'hui 30 groupes et artistes solo. C'est même un problème, car ces groupes se plaignent que l'Olympic et Trempolino ne fassent rien pour eux, alors qu'ils sont maintenant la culture musicale dominante. On a vu passer Elmer Food Beat, Dominique A, Dolly and Co, et nous, rien ! » Pas tout à fait quand même : l'association utilise souvent les salons Mauduit pour ses concerts. « C'est pour nous calmer, rétorque Ras Preco. Et c'est pas ce qu'on a demandé : une vraie salle de concert, d'expos et de danse pour la culture rasta. Nous, on n'a pas envie de laisser les autres faire à notre place, on veut faire nous-mêmes. »
Tous Martiniquais, les fondateurs de la Maison des Rastas représentent une vraie force, celle du reggae et de la black music. La Madeleine, dans tout ça ? « Etre rasta, c'est un mode de vie. Il concerne les vêtements, l'alimentation, l'abstinence de boissons alcooliques par exemple, mais c'est avant tout un travail sur la conscience. Le travail, on le fait sur nous-mêmes, avant de parler de l'envi ronnement. On tâche d'être le plus positif possible. » La Maison des Rastas est maintenant l'une des têtes de pont françaises de la culture rasta pour des Martiniquais comme Wakad el Shabbazz, musicien, et tous les « frères » qui recherchent un point de chute.
Daniel Morvan