Affichage des articles dont le libellé est Nantes. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Nantes. Afficher tous les articles

vendredi 21 avril 2017

Fête des langues : toute la beauté du monde / dédicace #lucdouillard



Fête des langues : toute la beauté du monde
‎lundi‎ ‎19‎ ‎juin‎ ‎2000
510 mots

L'association ' Neuf ' organisait samedi, sur le marché du Bouffay, la première fête des langues parlées dans la région nantaise.

'Le français est défendu par des gens dont il n'est pas la langue maternelle.' Luc Douillard, président de Neuf/Nantes est une fête, avait rêvé de réunir toutes les langues parlées de la ville. Pas Babel, mais presque. Il a réuni 42 idiomes, depuis la langue de Jésus, l'araméen, jusqu'à l'espéranto et la langue des signes.
Ni minorités écrasées ni majorités écrasantes : la planète est à notre porte, à visage ouvert, sans peur et sans crainte. "L'idée est venue de Toulouse précise modestement Luc Douillard, qui s'avoue lui-même piètre linguiste. Il s'agit de réunir les langues de nos villes et de nos campagnes, dans un esprit humaniste et pour affirmer qu'elles sont, petites ou grandes, égales en droit et en dignité."
Ce forum a été l'occasion pour des personnes nées à des milliers de kilomètres l'une de l'autre de se connaître et de lier amitié. A l'exemple de cette Hongroise qui étudie le folklore breton, de Stanley le Bolivien qui parle deux langues amérindiennes, le quechua et l'aymara, ou des jeunes kurdes Filiz et Aysen qui se félicitent que la Turquie autorise enfin l'enseignement de leur langue. Les Bretons ? Heureux ! ' La multiplicité des langues, en France, on connaît, dit Armand Tosser, membre de l'association des enseignants bretonnants laïcs Ar Falz. Ici, on parle breton, français, gallo, poitevin, rien de plus normal. '
Du côté du Madagascar, on branche guitare et l'accordéon attaque un maloya bien balancé. Vous prenez votre premier cours de malgache. ' Mon grand-frère a la folie des fleurs ', cela se dit : ' Mangalatra ni voninkazy nyzukiko. ' En créole haïtien, on dira : ' Granfrè m nan gen foliflè. ' Si vous vous écoutiez, vous vous feriez répéter quinze fois ' Il fratello grande va pazzo per i fiori ', tellement c'est joli. Le lettré poitevin, après avoir consulté son dictionnaire, décide que ce sera ' Mun grand fraere, ol at rén que l'aeme pas meu que lès fleurs. ' Et le breton se fend d'un imparable ' Ma breur braz a zo sot gant ar bleunioù. ' Apprendre un parler, c'est d'abord lire les visages, déchiffrer les sourires. Cette quête n'a pas plus de fin que la passion des langues. Comme dit le proverbe vietnamien : ' Parle si tu sais. Mais si tu ne sais pas, appuie-toi à la colonne et écoute. '

Daniel Morvan

10e fête des langues à Nantes: avec les Araméens de Nantes


Araméen, noirmoutrin, malgache : pour son dixième anniversaire, la Fête des langues rassemblait 35 langues sous les halles du Bouffay.

« Vous vous rendez compte ? À la Guérinière, qui touche l'Épine, ils roulent les « ! » Colette pouffe de rire. Non pour rire de ses voisins, mais pour marquer un étonnement émerveillé devant la diversité des parlers. Colette, elle « caôze » la langue de l'Épine, une petite commune de l'île de Noirmoutier. Une langue dont elle vantait les beautés, samedi après-midi sous les halles du Bouffay.
Variante du poitevin saintongeais, le dialecte de l'Épine se distingue par ses diphtongues (alors que le poitevin n'en a pas), et par de beaux subjonctifs. « Nos parents nous ont transmis le subjonctif, alors qu'ils n'allaient pas à l'école. » Ainsi, « que j'aie » se dit « que i'avége ».

Des îles dans l'île

À l'Épine, le vocabulaire maritime est omniprésent. Ranger se dit « arrimer », renverser se dit « chavirer » et on ne va pas chercher, mais on « pêche les enfants à l'école ».
Sur l'île, les parlers sont des îles dans l'île. Et il suffit de marcher quelques minutes pour se trouver comme en terre étrangère. Et ce dialecte se parle d'abondance : « Quand je pars en vacances avec ma soeur, nous ne parlons pas un mot de français entre nous ! »
Ce n'est pas comme les Philippines, l'Épine. « Aux Philippines, nous parlons notre langue et celle de l'occupant, constate Loreta, qui accueille le public, vêtue d'une somptueuse robe rouge. Espagnols, Américains nous ont enseigné leur langue. Nous leur prenons des mots, mais nous gardons notre langue. »

L'araméen est-il une langue îlienne ? L'existence d'une zone kurde protégée par les Américains constitue une sorte d'insularité bénéfique pour la langue et la culture araméennes.
Comme le poitevin, l'araméen se subdivise en plusieurs rameaux, et l'araméen natif des chrétiens d'Irak n'est pas le même que celui des musulmans de Syrie (où cette langue se parle aussi !).
L'araméen est une langue liturgique. Simon peut en témoigner, qui est issu du séminaire de Mossoul. En témoigne une photo de lui prise en 1959, dans sa robe de petit séminariste. « Notre araméen est en fait du franco-araméen, comme celui d'Irak est de l'arabo-araméen », note ce grand lettré.
Mais tous dérivent de l'araméen antique, qui était la langue pratiquée par le Christ. Le jeu de mot biblique : « tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église », fonctionne-t-il aussi en araméen ? « En effet ! Pierre se dit « képa », qui est à la fois un nom et un prénom. »

De même, les mots « êli, êli, lama sabachthani » (mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?) du Christ sur la croix ne se diraient guère différemment aujourd'hui : « Elle Elle imana chwaqtan ».

20 familles à Nantes

« Un petit gâteau de figues ? » propose la souriante Ferial, histoire de rompre la gravité de la conversation. Les Araméens de Nantes comptent vingt familles. Il ne cesse d'en arriver de nouvelles chaque année. Toutes parlent leur langue de manière quotidienne, aussi simplement qu'on partage des gâteaux de figues.
Et nous pourrions aller ainsi d'île en île, passant du malgache au noirmoutrin, au gré de la multiplication des parlers, en remontant jusqu'à celui en usage au paradis.
Tous réunis dans une Fête des langues qui pourrait se développer davantage, si ses initiateurs le souhaitaient. Ce qui permettrait à un plus large public de découvrir la diversité des idiomes pratiqués à Nantes.
Une diversité qui n'empêche pas chacun de comprendre l'autre, comme le note la Hongroise Zsofia : « Toutes les langues ont des points communs. Par exemple, les oiseaux sont toujours les messagers des amoureux. »

Simon Kossa montre une photo datée de 1959. Il a 13 ans et est élève au petit séminaire de Mossoul. C'est là qu'il a appris à écrire l'araméen. À sa gauche, son épouse Jeannette (ou Djamila), et Ferial, une amie. Tous pratiquent l'araméen quotidiennement.

Daniel MORVAN.

2014, Nantes: Un parcours poétique grec avec Michel Volkovitch



Le grand traducteur Michel Volkovitch est l'invité d'un parcours poétique et musical grec, le 15 mai à Nantes. Il est organisé par les associations Ahéla (Grecs de Nantes) et Nantes est une fête.
Profil



Michel Volkovitch, quel est pour vous, fin angliciste tombé amoureux de la Grèce, le sens d'un parcours poétique évoquant l'exil grec, l'amour hellène ?

Par-delà les poésies de tel ou tel pays, il y a la poésie universelle. Les traductions sont là pour enrichir cette poésie en faisant circuler les poèmes par-delà les frontières. Tout le monde y gagne : le pays de départ qui donne à ses poètes une plus large audience, et le pays d'arrivée qui découvre des voix et des beautés nouvelles. S'agissant de la Grèce et de la France, nous avons un pays, le nôtre, où la poésie occupe actuellement une place plutôt marginale, et un autre où elle est plus aimée, plus pratiquée. Elle est la langue maternelle des Grecs. La Grèce d'aujourd'hui possède un trésor au moins : sa poésie, l'une des plus riches du monde selon certains. Nous avons donc tout intérêt à écouter ce qui s'écrit là-bas... En consultant par exemple l'Anthologie de la poésie grecque contemporaine 1945-2000 (Poésie/Gallimard), et en suivant le parcours poétique dans les rues de Nantes le 16 mai !

Quels poèmes doivent-ils y figurer selon vous ?

La poésie grecque étant d'une extrême abondance et d'une extrême variété, on ne peut tout faire entendre d'un seul coup. Ce que je souhaite, c'est qu'on ne se limite pas toujours aux mêmes noms. Rìtsos, par exemple, est un grand poète, mais il n'y a pas que lui ! J'ai traduit jusqu'à présent, quant à moi, plus de 150 poètes grecs, dont une grande partie mérite, je crois, d'être connue à l'étranger.

Ce parcours ne se limite pas à des lectures, il est ponctué de musiques. On rendra hommage au « rebetiko », avec un moment « cabaret » dans un bar nantais, le Chavalais. Qu'est-ce donc que cette musique ? Une forme grecque du fado ?

C'est une certaine forme de chanson, apparue vers 1920 dans les ports grecs, composée à l'origine par les mauvais garçons. Les chansons rebètika ont pour thème la misère, la drogue, la prison, la mort, et l'amour bien sûr, malheureux de préférence. Longtemps méprisées, voire interdites, ces chansons sont devenues à la mode après la guerre au point d'être aujourd'hui connues et aimées de tous. Alors même qu'on n'en compose plus de nouvelles depuis 1960. Je viens de publier aux éditions Le miel des anges, sous le titre La Grèce de l'ombre, 130 de ces chansons en version française.

Que pensez-vous de cet élan d'amour pour la Grèce, parti de Nantes avec le mouvement Je suis grec ?

Je me suis joint au mouvement dès le début avec enthousiasme. Il faudrait des dizaines, des centaines d'initiatives comme celle-là pour secouer l'apathie de ce pays fatigué. Et pas seulement en ce qui concerne la Grèce.

Quelle est votre Grèce intime, la plus chère à votre coeur ?

Ma Grèce est moins celle du soleil, des îles et des antiquités que celle qu'on connaît moins, la Grèce des villes, Athènes, Thessalonique, Patras, Yànnena, où les Grecs d'aujourd'hui vivent, travaillent, aiment et souffrent. Et maintenant qu'ils souffrent plus que jamais, il est urgent de les aider en combattant la mauvaise image qu'ils ont parfois à l'étranger. Ma façon à moi de me battre pour eux, c'est de traduire et faire connaître ce qu'ils créent de beau et de fort en poésie, en prose, au théâtre. De les montrer tels qu'ils sont vraiment à travers ce qu'ils écrivent sur eux-mêmes, avec leurs défauts mais aussi leurs grandes qualités.

Daniel MORVAN.




jeudi 30 mars 2017

Le Concorde projette du rêve depuis cent ans

Fanny et Sylvain Clochard

Le Concorde projette du rêve depuis cent ans
samedi 18 mars 2017 
801 mots
Daniel Morvan
Le Concorde, cinéma du quartier Chantenay-Zola à Nantes, fête son centenaire en 2017. Une fête anniversaire hors les murs, à l'ancien cinéma Olympic, marquera le début des festivités.

À l'origine, un dancing

Le Concorde n'a pas toujours été ce ciné de quartier connu de tous les cinéphiles nantais, qui adorent y découvrir les nouveautés en léger différé. Ou déguster les petits films fragiles ciselés par des cinéastes militants.
« À l'origine, c'était un dancing, indique Sylvain Clochard, successeur de son père Gérard à la gérance du Concorde. Ce cabaret finançait les colis des prisonniers de guerre en Silésie. Fin 1916, un soldat démobilisé est arrivé avec un petit projecteur Pathé 8 mm et une toile de tente. Il a dit : je vous fais une projo à la fin du bal. »

En 1918, le Grand National

La piste de danse s'est remplie de tables et de chaises. En janvier 1918, le concept est validé : vingt-trois ans seulement après la projection du premier film de l'histoire du cinéma, le Grand National, cinéma de 1 000 places (chaises, bancs) ouvre ses portes pour son premier siècle d'activité.
La commune rouge de Chantenay-sur-Loire a son cinéma, dans les salles 1, 2 et 3 de l'actuel Concorde. On descendra à 600 places de fauteuils vers 1920.
En 1934, il devient le Moderne. Aucun travail d'histoire n'a été réalisé sur le Concorde, ainsi baptisé dans les années 1950, période du boom des cinés de quartier.
Dans les années 1970, il se subdivise en trois, puis quatre salles, avec une orientation nouvelle « art et essai ».
Avant le rachat en 1984 par Gérard et Laurence Clochard. « J'avais alors 10 ans, se souvient Sylvain. Mes parents, trentenaires, s'ennuyaient dans leur métier et cherchaient quelque chose d'excitant. Ils ont hésité entre un poste à l'ambassade de Cuba et le rachat d'un cinéma moribond à Chantenay. Il ont choisi la seconde option.»

Séances mythiques de 23 h

Ce qui passe pour une blague se révèle être un concept : voir et montrer les films qu'on aime, tel est le projet du jeune couple. Ils découvrent le métier, rencontrent un public qui leur ressemble, la génération de 1968, biberonnée au ciné d'auteur, de Renoir à Truffaut.
Le cinéma en marge se trouve un lieu branché à Nantes« C'était cool, raconte Sylvain Clochard, un ciné avec des séances mythiques de 23 h, où l'on projetait Midnight express ou The rocky horror picture show devant des hordes de punks. « Je ne veux voir qu'une crête », ordonnait mon père. Et les disciples de Sid Vicious se rangeaient sagement. »

Sans pub

Cent ans après la première séance, la devanture vintage du Concorde s'élève toujours, comme une vigie, sur le boulevard de l'Égalité. Dans le vertigineux hall d'entrée qui conduit vers les vastes divans-fauteuils en cuir noir, l'attente est minimale : on s'immerge vite dans l'une des quatre salles pour des séances à injection directe, sans pub. L'absence de transition renforce la puissance onirique de l'écran.
Le Concorde reste le cinéma qui projette le plus grand nombre de films différents. « Dans l'agglomération, 56 écrans montrent 25 à 30 films, alors que les quatre écrans du Concorde en diffusent de 18 à 25. »
Une diversité qui continue à plaire à un public de la grande génération des cinéphiles. Mais si vous projetez Midnight express, vous aurez toujours un vieux punk à pointer sa crête au guichet. Presque déçu de ne pas entendre la voix de Gérard Clochard: «Je ne veux voir qu'une crête ! » 
Pour le reste, rien n'a changé.

Daniel MORVAN.
Contact. Cinéma Concorde, 79, boulevard de l'Égalité, à Nantes, www.leconcorde.fr. 6 € la séance, 5 € moins de 26 ans, 4,80 € abonnés, 4 € moins de 14 ans.

mercredi 19 octobre 2016

"Tout ici sent le soufre": Il y a 100 ans, la rencontre Breton-Vaché #surréalisme



Une journée d’études saluait en octobre 2016, à Nantes, le centenaire de la rencontre entre André Breton et Jacques Vaché à Nantes, dans les locaux du lycée Guist’hau. Plusieurs manifestations s’emploient d’octobre à décembre à rendre hommage à cet événement fondateur, et d’en rendre sensible la mémoire sur les lieux mêmes de son avènement. Entretien avec le maître d'oeuvre de ce centenaire nantais, avec quelques vidéos YT sur Vaché, Breton et le surréalisme.


RMN

coll. perrin





Entretien
Thierry Brigandat, professeur de lettres.




André Breton et Jacques Vaché se sont rencontrés à Nantes. Dans quelles circonstances?
Breton, après avoir fait ses classes à Pontivy, est affecté à Nantes. Il occupe la fonction d’ « interne provisoire » à l’Ambulance Municipale n° 103 bis, 2 bis rue du Boccage. Il y restera de juin 1915 à juillet 1916.
Jacques Vaché, blessé sur le front en septembre 1915, est rapatrié sur Nantes en novembre 1915. Est en convalescence rue du Boccage jusqu’en février 1916.
C’est donc entre fin 1915 et début 1916 que Breton fait la rencontre de Vaché. Nous présenterons lors de l’exposition qui se tiendra à partir du 3 novembre des documents inédits sur le séjour de Vaché au lycée Guist’hau.




En quoi cette rencontre est-elle décisive?
Breton a toujours présenté, jusque dans ses derniers textes, cette rencontre comme capitale, d’où la phrase de Breton placée en exergue pour notre journée d’études : « sans lui, j’aurais peut-être été un poète ».
Cette rencontre amène André Breton à revoir toutes ses admirations littéraires et tout l’héritage dans lequel il entendait se fondre. Vaché oblige Breton à décaper sa perception de la poésie et de la création artistique, en général,  à réévaluer ses fascinations pour Mallarmé, Rimbaud, Valéry, Apollinaire même.
Seuls existent aux yeux de Vaché Jarry et son humour dévastateur. Il est en cela la préfiguration de l’esprit Dada avec lequel Breton entrera proprement en contact début 1919.
Sans cet ébranlement, à Nantes, de tout ce à quoi croyait Breton en matière de poésie, l’esthétique du surréalisme n’aurait peut-être pas pris aussi vite après la guerre cet essor.




Le surréalisme est-il né à Nantes?
Le surréalisme n’est PAS né à Nantes. Le surréalisme est une aventure collective, qui ne peut naître qu’avec le concours de Reverdy, Soupault, Aragon, puis Eluard, Desnos, Peret, à Paris.
Mais il y a à Nantes une conjonction frappante, un élan qui tient à la rencontre en un même lieu – l’hôpital militaire – de Vaché, d’André Breton et de Théodore Fraenkel, un copain de lycée de Breton, avec qui il a commencé ses études de médecine, affecté lui aussi rue du Boccage, amoureux de poésie et passionné de Jarry, compagnon de route, en retrait, mais efficace, du surréalisme des débuts.
De même, la fréquentation de ce qu’on a appelé le « groupe de Nantes » a amené Breton à infléchir ses conceptions littéraires et artistiques.
Difficile dans ces circonstances de ne pas penser au « hasard objectif » que Breton évoque dans Nadja.
Surtout, quand on sait que Vaché meurt – début 1919 – au moment même où Tzara s’apprête à rencontrer Breton ; rencontre que Breton avait acceptée avec l’idée d’associer Vaché à ce qui s’annonçait comme la promesse de la mise en œuvre d’une démarche artistique radicalement nouvelle.
On a coutume de dire que le surréalisme est directement issu des convulsions de la Première guerre mondiale. Le surréalisme est peut-être aussi né d’une mort qui s’est jouée à Nantes dans une chambre d’hôtel de la place Graslin. Le surréalisme est peut-être le fruit d’un deuil impossible, celui de l’ami, à qui Breton restera fidèle sa vie durant.



Ce centenaire est-il l’occasion d’une réévaluation du rôle de Vaché, malgré l'absence d'œuvre ?
Ce centenaire s’emploie à raviver une mémoire. D’abord, à faire prendre conscience aux lycéens qui viennent tous les jours au lycée Guist’hau que ces murs ont une histoire, et que, dans une période où on revisite le souvenir de la Grande guerre, ce souvenir peut être convoqué dans l’espace même qui leur est le plus quotidien.
Ce centenaire s’emploie aussi à rappeler que Nantes est une ville littéraire, qu’on s’y est passionné, qu’on s’y passionne pour la littérature.
Pas de réévaluation, donc, car pas d’œuvre, au sens véritable du terme, de Jacques Vaché, mais le retour vers le moment des fondations, ce moment où tout est encore en germe, en fermentation… (Ce centenaire va permettre néanmoins de réévaluer, autour des universitaires spécialistes de Vaché et Breton, la part du mythe dans la construction de la légende Vaché, et la part de la réalité, notamment autour de la biographie de Vaché, en préparation, qui entend présenter l’homme au-delà de la légende, autour de nombreux documents inédits).



L'historiographie locale n'a guère les moyens ni le désir d'analyser le fait littéraire; elle n'a rien apporté de décisif non plus sur les faits. Que sait-on vraiment de cette rencontre, au-delà des images d'Epinal?
Peu de choses, tributaires que nous sommes de notre presque unique source : André Breton. Je ne vois quant à moi vraiment pas de quoi bâtir une image d’Epinal. Tout sent ici, sinon le soufre, du moins l’anticonformisme le plus assumé, dans ce qui vient mettre à mal les valeurs et l’ordre bourgeois. Jacques Vaché est un fils d’officier, d’une famille honorablement connue à Nantes, qui, en commençant des études aux Beaux-Arts, se prend de passion pour le dessin de mode, affecte un dandysme outrancier, pratique la dérision systématique à l’égard de toutes les valeurs établies – y compris la gloire littéraire –  tout en choisissant de s’engager volontairement dans le premier conflit mondial. Sa mort précoce – « dernière fourberie drôle », selon les mots d’André Breton – est un défi aux bonnes mœurs : consommation d’opium et soupçon d’homosexualité…
Difficile de tisser le récit édifiant susceptible d’alimenter les rubriques d’une histoire locale sans heurts.



Lit-on encore les surréalistes?
Je serais tenté de répondre : tout le monde aujourd’hui lit les surréalistes. Dès lors qu’on lit un des auteurs importants du XXe siècle, on court le risque d’aborder un auteur qui a été lié à un moment ou à un autre au surréalisme : lire Aragon, c’est lire un surréaliste, lire Gracq tout autant, lire Leiris, lire René Char, Eluard, Yves Bonnefoy. Tout le monde ne se cantonne pas à Sartre et Camus, adversaires résolus du surréalisme… Plus grand mouvement littéraire du XXe siècle, puisqu’il court de la fin années 1910’ à la fin des années 1960’, il fait toujours l’objet aujourd’hui de recherches universitaires, de thèses, de découvertes. Nombre d’écrivains contemporains continuent de s’inscrire dans le sillage du mouvement qui voulait « changer la vie ».


Recueilli par Daniel Morvan.



vendredi 30 septembre 2016

Elle apprend à lire pour tenir son propre rôle: esclave



Véronique Solo-Mendès est née au Congo il y a 60 ans. Agent de propreté à Saint-Nazaire, elle a appris à lire le français pour monter sur scène - sa fierté. Elle jouera un rôle d'esclave dans une pièce d'Arthur Miller. Le plus dur était d'apprendre les répliques. Incarner ce rôle? Pas compliqué, quand on a été soi-même esclave.


"Jouer une esclave? Facile, je l'ai été, enfant"



Apprendre à lire le français pour tenir son propre rôle sur une scène ? Ce serait la preuve d’une passion bien chevillée. Mais l’apprentie comédienne n’est pas sortie du cours Florent. Elle est agent de propreté à Saint-Nazaire. Elle n’a jamais connu l’école : orpheline, elle a passé son enfance à faire le ménage. Aujourd’hui, elle brûle les planches avec un rôle de domestique serve qu’elle maîtrise parfaitement : celui de Tituba, dans Les Sorcières de Salem. Une pièce d’Arthur Miller, et un peu la sienne aussi.

Qui est Véronique Solo-Mendès ?
Une découverte de Pierre Reipert, directeur de la compagnie « Astrolabe 44, arts de la scène et lien social ». Cette compagnie travaille régulièrement avec le Secours populaire.
L’Astrolabe cherchait une comédienne noire pour sa nouvelle pièce. Pierre Reipert lui propose de jouer le rôle d’une asservie. Elle répond oui avec enthousiasme.
« Elle nous a expliqué qu’elle serait heureuse de montrer qu’elle pouvait faire autre chose que ramasser les papiers gras au sol, explique Pierre Reipert. Seulement, elle ne savait ni lire ni écrire. Mais il lui fallait bien lire son rôle, elle a donc appris à déchiffrer un texte en français, pas à pas, grâce à un atelier du Secours populaire. En un an et demi, elle a appris à lire de façon fluide. Et à monter sur scène : c’est sa grande fierté ».

Véronique joue Tituba, esclave d’une famille puritaine qui va la dénoncer comme sorcière. "Je n'ai aucune difficulté à jouer une esclave, puisque c’est ce que j'ai été, enfant". La compagnie Astrolabe 44 pense déjà à elle pour une autre pièce. Un personnage comique à l’opposé de son premier rôle : elle serait une tyrolienne blonde et un brin xénophobe.


Daniel Morvan.

 

Mercredi 12 octobre, à 20 h 30 au Théâtre de Verre, à Châteaubriant. Samedi 5 novembre, à 20 h 30 et dimanche 6, à 15 h, salle des fêtes du Croisic. Le 23 janvier 2017, à la MJC Saint-Exupéry, à La Baule. Les 10 et 12 février, Espace Renaissance, à Donges. Réservation au 02 40 53 75 62.

vendredi 8 juillet 2016

Ce soir, l'araignée Kumo dîne en ville


Je suis l’araignée Kumo, 20 mètres d’envergure les pattes dépliées. Je viens promener mes 35 tonnes dans les rues de Nantes…


Agrandie mille fois



Je suis Kumo, une araignée née en 2009 à Nantes. Vous croyez me haïr et vous allez m’aimer. Votre cœur va battre pour moi, le mastodonte dont vous rêverez bientôt, que vous embrasserez peut-être en songe. Pourtant, je n’ai ni regard véritable ni bouche digne de ce nom, mais les ballerines jalousent mes huit pattes grêles et les fauves, mes mandibules.
Je suis la fille de François Delarozière, ce bipède. Je pense qu’en me créant, c’est cette chimère qu’il poursuivait : m’agrandir mille fois. Et agrandir ses peurs. Un fantasme semblable animait déjà Jonathan Swift, auteur des Voyages de Gulliver. On dit que les rêves d’agrandissement viennent des crises, pendant lesquelles les fortunes enflent ou diminuent sans contrôle. Je suis la fille d’un rêve de croissance sans fin. On m’appelle The Princess à Liverpool, où je suis allée parader. Les Japonais me nomment Kumo-ni, l’araignée, d’où mon nom usuel, Kumo.

Appelez-moi comme vous voulez, je suis si peu de votre monde. Vous terriens, vous êtes des créatures ancrées. Vous vous élevez lourdement du sol. Moi, sans effort, je vous survole, je vous enroule dans un fourreau de soie, je vous chasse à courre ou à l’affût. Je suis fille de l’air, de l’eau et de la terre. Admirez-moi tant que vous pouvez, faites des réserves de féerie, car nous nous retrouverons. Et vous serez mes rouleaux de printemps.



Seize Lilliputiens manipulateurs


Accrochez-vous à des données, des chiffres, si cela vous rassure : admirez mes 13 mètres de haut, déployée. Mon envergure de 20 m. Mes quatre paires de pattes animées par huit manipulateurs, assis sur des sièges spartiates. Admirez les seize Lilliputiens qui s’activent à me donner vie : un conducteur pour le roulage, un autre pour régler l’assiette, un autre spécialisé dans ma tête et mes yeux opaques, deux autres pour l’abdomen, la bave, le venin, la soie.
Hors de mon corps, un bipède guide les manipulateurs et toute cette valetaille obéit à un directeur de manœuvre au sol, qui règle toute la dramaturgie : il est mon âme. Ce major Tom donne ses ordres par liaison radio intercom. Ça crachote dur dans le casque. Ce n’est pas du chant grégorien, mais l’effet est le même : chair de poule et frissons. Car vous avez au moins ça, minuscules humains : l’émotion.


Ma tripaille hydraulique


Fredette Lampre, mère poule de la compagnie La Machine, adore la tripaille de buses hydrauliques connectées à des joysticks. Pour rassurer, elle dit que je suis une princesse lunaire en déplacement, une reine de la nuit en tournée mondiale.
Les mécanos qui me démontent et me remontent rigolent de mon côté Soyouz, cette capsule spatiale soviétique. N’empêche que bouger huit pattes de 800 kg chacune, ça ne se fait pas au sang de navet. Je marche aux fluides hydrauliques et à la sueur des hommes.
Marrez-vous, bipèdes : tout à l’heure, vous ferez des selfies avec moi. Vous chercherez à lire dans mes yeux. Vous trouverez du mystère dans mon cœur diesel. Vous vous direz : c’est peut-être elle la mère de toutes nos colères, de nos défilés en ville, de nos frontières bravées, cette Kumo qui n’a même pas de regard. Avec ses yeux en sonnette de vélo, Kumo voit plus loin que les hommes fatigués. Si vous montiez sur ma carapace, pour voir l’avenir ? »


Daniel MORVAN.
L'autre araignée de La Machine




lundi 4 juillet 2016

45 salles, 1,3 million de spectateurs dans l'agglo nantaise

Avec 45 lieux de spectacles, Nantes constitue une exception culturelle dans le réseau culturel français. Avec Marcel Freydefont, nous avions en 2015 tenté d'estimer la fréquentation totale annuelle dans l'agglomération, faisant ainsi pièce à une rumeur de déclin répandue par des "culture-haters" poujadistes décidés à mettre à mal le statut d'intermittent et à sabrer les spectacles politiquement incorrects... Aucun doute, l'économie culturelle fonctionne bien à Nantes, même si les petites compagnies théâtrales souffrent.


Alors que plusieurs dizaines d'artistes français lancent un appel au gouvernement pour le maintien du réseau culturel en France, la tendance nantaise n'est pas à l'effritement. Côté divertissement grand public, le Zénith de Nantes explose tous ses compteurs depuis son ouverture, avec un millésime record. Mais ce n'est qu'une partie du phénomène.
L'agglomération présente une constellation de 45 lieux de spectacles qui ne connaissent, pour la plupart, aucun problème de fréquentation: les taux de remplissage en témoignent (88% au Grand T, 90 % à Lu). Le total des entrées dans l'agglomération, des 145 000 billets de la Folle journée aux 34 000 de la Compagnie du café théâtre, est supérieur au million. On estime même à 1,3 million le nombre de places vendues en 2014.


Cultures plurielles



La diversité fonde une sorte d'« exception culturelle nantaise ». Le nouvel adjoint à la culture de Nantes en fait son credo. L'adjoint David Martineau aime à citer le bouquet des propositions nantaises: Lieu unique et ses multiples activités et festivals, Scopitone et Stereolux, Culture bar-bars, Opéra, Royal de Luxe, Hab galerie, théâtres de proximité, Grand T, Tissé Métisse, Utopiales, festival des Trois continents et autres festivals de cinéma, La Folle journée, Hip hop session, musée des Beaux-arts rénové qui rouvre en 2017... «Autant de lieux et d'évènements emblématiques de la diversité de l'offre culturelle nantaise. À Nantes, la culture se met au pluriel avec un S et c'est tant mieux. »
La vieille tendance poujadomédiatique à opposer populaire et élitiste, Zénith et Lieu unique, est-elle fondée? « On peut être spectateur du Zénith, expliquait naguère l'architecte Patrick Bouchain, et apprécier par ailleurs du théâtre contemporain. Il ne faut pas découper le public en tranches. »
L'insolente santé de la vie artistique va dans ce sens. Elle fait à la fois preuve de la singularité la plus exigeante (Phia Ménard, compagnie nantaise à rayonnement international, qui défend une culture trans sans rien céder de ses exigences) et de propositions grand public de qualité populaire, dont Christine & The Queens, Madeon, après Dominique A et Jeanne Cherhal, sont les récentes illustrations.
Daniel Morvan

Nantes? 1,3 million de spectateurs!

Entretien avec Marcel Freydefont, directeur scientifique du département scénographie à l'École nationale supérieure d'architecture.

Nantes n'est pas une ville de théâtre. Mais est-elle une ville de spectacle ?
Il est vrai qu'en 1950, Nantes est passée à côté de la décentralisation théâtrale et a manqué le coche. Angers a accueilli le Centre dramatique national de région. Mais Nantes n'a pas manqué le spectacle vivant. Il dépasse le million de spectateurs. Et, si l'on compte le public des festivals comme la Folle journée et Scopitone, le chiffre de 1,3 million est parfaitement plausible.



En l'absence de Centre dramatique national, c'est le réseau culturel de la métropole qui explique ce succès ?
Nantes est de ce point de vue une ville atypique. Elle constitue une constellation de salles, qui est singulière au regard du paysage français. Les équipements ont développé entre eux une politique de coopération exceptionnelle. Plus que jamais, dans la période où les réseaux sociaux donnent le sentiment de pouvoir être partout, le théâtre porte l'idée du lieu, de la sociabilité et de l'urbanité.
Le centre de vie du Lieu unique est devenu un modèle international qu'on vient observer et qu'on nous envie. L'idée du théâtre comme clef de voûte de la forme urbaine, à l'époque des Lumières, s'est perpétuée dans cette « constellation » de salles.



Mais Nantes est-elle un vivier d'artistes ?
Il existe une forte « signature artistique nantaise ». À commencer par la compagnie Non Nova de Phia Ménard et Royal de Luxe. Et tout un terreau de compagnies locales comme la Fidèle idée, le Théâtre du loup, Banquet d'avril, nourries par la classe d'art dramatique du Conservatoire, capable de faire s'épanouir des talents comme India Hair.




mercredi 8 juin 2016

Beach House: dans la famille Legrand, la nièce



Victoria Legrand (Beach House) © DR


S'il y avait un malentendu sur Beach House, groupe pour hipsters, il est levé. Au lugubre carrefour Stereolux, ce lundi 6 juin 2016, on avait peut-être encore dans les oreilles le son des albums : tempo mou, phrasé vaporeux et impression que le même morceau se répète de plage en plage comme quand on vous a oublié en salle de réveil, parce que tout le monde est parti. La surprise est d’autant plus grande que l’image trahit le son : mêmes coulis de guitares cassis et de claviers comme sur la radio-réveil Casio des années Dominique A, mais ne cherchez pas les palmiers en plastique, même ça vous sera refusé: le groupe de dreampop s’est transformé en quatuor séquestré par des skins en manque. Le rêve (si le mot a un sens) est toujours présent dans cette voix qui voudrait s’envoler, et Victoria Legrand n’est pas pour rien la nièce de Michel. La couleur dominante est le noir, le noir Stephen King de Misery, le noir Michel Ange. Une touffeur de cave à charbon dévastée par des drone suicide, dans laquelle Beach House enracine ses boucles, sous les franges obscures d'une pénombre rebelle. Il s’en faut d’un cheveu que cette pop ne bascule dans le tragique, du côté de Nico : musique de rêve, oui. Mais de ces rêves montent des visions intenses, torturées, terminales, qui ne sont pas pour les hipsters.