lundi 23 octobre 2017
Limoges, ou la mélancolie du tergal mi-saison
dimanche 22 octobre 2017
Yves Tanguy, le Breton qui peignait dans un placard
Il peint dans un placard
Tanguy n'était certes pas le seul à chercher une peinture qui ne réponde qu'aux ordres de l'inconscient: Max Ernst, Miro, Masson, de Chirico, Dali suivirent cette voie, en insérant des objets familiers dans des univers oniriques, imperméables au langage. Tanguy seul peignit des paysages intérieurs habités par des êtres et des choses issus d'une imagination impulsive.L'histoire commence à Montparnasse, où Tanguy partage un taudis avec Jacques Prévert ; une bagarre de rue leur permet de faire la connaissance avec Desnos et sa bande. Le poète découvre les toiles fraîches peintes par Tanguy, et diffuse dans tout Paris la nouvelle « d'un peintre très bizarre, il peint dans un placard ».
André Breton se précipite, le placard à balais est intégré à la forteresse surréaliste. Le soir, ils boivent énormément et jouent au « cadavre exquis », divertissement qui érige l'automatisme en principe d'écriture. C'est par ces exercices sur l'inconscient qu'Yves Tanguy fait brutalement surgir son univers méticuleux peuplé d'êtres-objets, en 1926. Un espace improbable, bien que tridimensionnel, avec son horizon laiteux et ses laisses de mer d'où émergent des formes cartilagineuses, homoncules auberginomorphes, aérolithes flasques, phoques tractés par des araignées, moustaches volantes et vertèbres enlisées dans des rougoiements utérins.
Le cousin d'Amérique
Ce sont « de faux paysages où rien n'est reconnaissable ». Même si, à l'évidence, s'y trouve l'image réverbérée des grandes baies bretonnes, en particulier de la grève de Saint-Efflam (Saint-Michel-en-Grève). Comme a pu l'écrire Patrick Waldberg, « la Bretagne engloutie carillonne au fond de son œuvre ».Tanguy, peintre breton ? Individu et biographie sont très loin derrière l'œuvre, nourrie de nomadisme mental. Soit, on peut repérer quelques éléments: il est fils d'adjudant et de boulangère. Vacances adolescentes à Locronan. Il y amène ses amis avant que le cinéma ne s'en empare. Prévert, Eluard et Nush, Péret. Et Breton y découvre la Bretagne. Tout le reste n'est que folklore. À Plestin-les-Grèves (Côtes d'Armor), personne ne connaît Yves Tanguy, ce cousin d'Amérique qui a sa plaque sur le mur de l'ancien Bazar, devant l'entrée de l'église.
Dans le Connecticut
La rencontre et la liaison avec Peggy Guggenheim, en 1930, va conduire le peintre vers d'autres cieux : la richissime mécène (dont le père était mort dans le naufrage du Titanic) s'entiche du Breton taciturne et l'expose à Londres. Il commence à vendre ; il divorce et épouse une artiste américaine, Kay Sage. Aux États-Unis, il conserve son univers intact et jouit d'un prestige et d'une aisance inespérée. Kay Sage l'écarte prudemment de New York et de ses tentations alcoolisées (qui le conduisent parfois à manger des araignées et à sortir le couteau pour trancher un débat). Tanguy, naturalisé américain, passe des fantômes cartilagineux aux structures minérales. Il n'aura jamais été aussi fécond que dans sa grange du Connecticut, un atelier spacieux où il travaille de longues heures sur des toiles de plus en plus grandes, comme un peintre de la Renaissance.Daniel Morvan.
jeudi 19 octobre 2017
Colyne Morange, la marelle du surmoi artistique
Colyne Morange dans Trtff-Les gens importants, au TU Nantes |
Carte blanche à Colyne Morange: belle idée que de confier à une artiste la liberté de ses préférences, en dehors de son propre travail dont on sait comme il est miné par le doute. L'idée neuve jetée sur le plateau avant filtration...
Thibaud Croisy ouvrait le bal sur le thème de la première apparition de soi dans le ventre de sa mère.
Cette création 2017 (La prophétie des lilas) s'appuie sur un dispositif très posé: le comédien et auteur dit son texte d'une voix neutre et intériorisée (on croirait entendre du Modiano) pendant qu'une assistante dispose sur un agrandisseur les images de sa vie: maison de sa mère, clinique des Lilas où il est né, carte d'identité, parties de soi conservées dans une boîte (dent de lait, mèche de cheveux), photo de la maman en vacances, emails de sa mère et planches d'un manuel de gynécologie... A partir d'une rencontre avec un monsieur Johnson, le gynécologue et obstétricien de sa mère, le narrateur s'engage dans une enquête aux origines de son monde, pour découvrir ce M. Johnson retraité, autrefois militant de l'IVG, et maintenant obsédé par une idée: l'inventaire des diverses manières dont on interdit à chacun la liberté de son propre corps. Or, il se souvient d'une phrase que lui adressa ledit obstétricien, ce fameux soir de la prophétie des Lilas: pour être vraiment libre de soi et de son corps, deviens créateur, deviens artiste. M. Johnson met en avant un concept mystérieux: celui de l'indisponibilité du corps humain, principe juridique posant des limites à la libre disposition de soi, le corps n'étant pas une chose. Le résultat, quarante minutes où le théâtre devient la salle de travail d'une nouvelle naissance à soi-même...
L'échec de l’œuvre, l’œuvre de l'échec
Second volet de cette première soirée, Colyne Morange nous emporte dans ses variations sur et les mille manières de ne pas créer un spectacle (Trtff- Les gens importants). Reprenant un dispositif classique où l'échec de l’œuvre devient l’œuvre de l'échec, elle confronte son vouloir-jouer, son vouloir-créer à l'acide du doute et de la non-confiance en soi. Ce faisant, elle montre l'édifice de tâtonnements et de titubements sur lesquels s'appuie l'audace d'un geste, d'une phrase. On devine une critique des modes de management dans l'usage parodique fait des post-it géants, issus des brainstormings d'entreprise: ici, la comédienne saute physiquement d'une injonction à l'autre, comme dans une marelle du surmoi artistique, selon qu'elle entend faire preuve de sincérité, de courage, d'écoute, d'éco-responsabilité, d'indépendance, d'esprit. Toutes ces conditions remplies permettraient un bon spectacle, si le sentiment d'imposture, combiné à un dilettantisme avoué, ne venait anéantir tant de bonne volonté. Colyne Morange, quand le sentiment d'être de trop finit par vous rendre indispensable!
Daniel Morvan.
mercredi 18 octobre 2017
Michel Jullien: cet étrange geste d'orner les gouffres
Le paléontologue Henri Breuil à Lascaux ©DR |
Lire aussi sur le même ouvrage: http://pierre.campion2.free.fr/dmorvan_jullien.htm
Hauteurs et profondeurs ont partie liée, soutient le romancier alpiniste, pour qui l'exploration des grottes procède du même désir de conquête que l'escalade. Avec Les Combarelles (aux Eyzies-de-Tayac en Dordogne, grotte ornée de centaines de gravures et datant de moins treize mille ans), il nous propose une réflexion sur la façon dont l'art pariétal nous a longtemps résisté, s'est soustrait à nos regards, a déjoué nos hypothèses et nos classements, une fois posée l'interrogation première: qu'est-ce que cela peut bien être? "Pour voir les grottes, pour y déceler quelque chose, il était nécessaire qu'un bond extraordinaire de notre âge fût concevable ou encore, qu'une certaine fraîcheur d'esprit revenant au Magdalénien (1) fût admissible." Ce bond permit d'établir un lien stylistique entre les cavernes du Périgord, les dessins de Michaux ou les toiles de Mondrian: Tout cela était de l'art. La découverte de l'art pariétal a donc été possible (telle est l'hypothèse de l'auteur) en raison d'une évolution de la sensibilité moderne, jusqu'à reconnaître une familiarité entre art brut, art primitif (de Gauguin à Bataille et Breton), et grottes ornées.
Un ouvrage illustré publié à la rentrée 2017 aux éditions l'Écarquillé |
"La grotte majeure des Combarelles est hideuse, intestinale"
"Des tableaux d'écriture à peine secs"
Puis la présence de l'homme, et son "irréfrénable manie de parcourir les tunnels à l'aveugle", de "nourrir une lubie, ramper dans la gloire inutile, torche de pin sylvestre en bouche, outils dans les mains, pour aller déployer un programme graphique au plus profond, à l'endroit le moins abordable - comme un tag atteint son efficience aux lieux inaccessibles et mieux qu'à portée de main -, là où le regard ne rencontre plus la lumière".
La généalogie des hasards aboutit au prodige de la grotte ornée. Après le geste humain, l'obstruction "pasteurise" les cavernes (Lascaux ou Chauvet), mais d'autres demeurent exposées aux ruissellements et à la corruption des pigments. "Dès lors la grotte se brime, les teintes meurent, la caverne se dépouille de sa géologie, il n'en reste que des gravures." C'est le cas des Combarelles, choisies par l'auteur comme "sa" caverne, même privée de couleur: "C'est peut-être ce qui la rend non pas plus belle mais plus rude, faite d'incisions abandonnées, de cicactrices imbriquées plus bruissantes des cris de bêtes s'ébrouant au long des parois." Ultime chance, la réouverture, la découverte par un curé fumant sa gauloise à quelques centimètres des mammouths, un érudit, un enfant qui lève la tête, mais souvent aussi par un centurion romain, un pâtre ou quelque antique promeneur.
Daniel Morvan
1: Le Magdalénien est la dernière phase du Paléolithique supérieur européen, comprise entre environ 17 000 et 12 000 ans avant le présent. Son nom a été formé à partir du site préhistorique éponyme de la Madeleine à Tursac, en Dordogne.
Guillevic, le non-aligné de Carnac (archive 1997)
Eugène Guillevic, né à Carnac le 5 août 1907, est mort à Paris le 19 mars 1997.
Avec Eugène Guillevic, s'est éteint un grand poète du siècle. Il avait pris les objets les plus humbles et le quotidien le plus banal pour lieu de son expérience du monde. Une expérience où la Bretagne de son enfance et les menhirs de Carnac occupent une place essentielle.
Angus Stone retrouve Julia Stone
Angus Stone, chanteur.
Vous aviez enregistré votre album solo à l'écart du monde, dans différentes cabanes de trappeur ou en montagne... La nature est-elle votre principale inspiration ?
On se repose en changeant de travail... Vivre dans les bois m'a permis de prendre du recul sur les longues nuits d'enregistrement, et les promenades en forêt m'éclaircissent l'esprit. Mais les lieux où vous écrivez et enregistrez n'ont d'une certaine manière absolument aucune signification. Parce que vous êtes perdu, immergé (shoegazing) dans la musique et sans aucun désir de regarder autour.
Votre image hippie traduit-elle une vision de la vie ?
Pour dire vrai, je n'y prête pas une grande attention. Mon écriture est ce qui me permet de rester dans le vrai et de garder ma tête en dehors de tout cela.
En vous écoutant, on pense parfois à Dylan, Neil Young... Avez-vous des « maîtres » ?
Yoda, le maître des Jedi, est un sacré maître ! Je pense que s'il écrivait des chansons, elles seraient très cool. Mais peut-être seraient-elles bancales, je ne sais pas... Un ami qui est peintre (et aussi un maître) m'a dit quelque chose qui m'a fait réfléchir, l'autre jour : il disait qu'il enviait les musiciens, parce que ses doutes sur sa peinture sont tels qu'il se sent transporté dans l'histoire de la peinture dès que sa brosse touche la toile... Alors qu'avec la musique, à travers le son des coeurs, des guitares, des rythmes, quelque chose se passe dans l'instant, qui ne sera ensuite plus jamais entendu... La musique c'est comme le premier regard de deux amoureux. Des moments comme celui-là, où deux vrais amis partagent leur vision, sont pour moi de vrais moments zen. Je vis pour ça.
En duo avec Julia, êtes-vous davantage dans l'ombre ? Allez-vous écrire à nouveau des chansons avec elle ?
Avec Julia, je fais presque partie du public. Quand elle chante une chanson, je m'émerveille et me verse un verre, comme si j'étais dans la foule. Nous avons discuté l'autre jour de nous retrouver cette année pour faire un album. Le plus beau dans tout ça, c'est de ne pas savoir ce qui vous attend au coin de la rue et où le futur va vous cueillir.
Cela vous fait-il quelque chose de venir chanter dans l'ouest de la France, à Nantes, en Bretagne ?
Je pense que c'est à Nantes que les Françaises sont les plus jolies, donc ça ne devrait pas être trop mal... J'ai hâte !
Daniel MORVAN.
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mardi 17 octobre 2017
La Route étroite vers le Nord lointain
L'histoire.
A l’aube de la seconde guerre mondiale, un jeune officier médecin tombe amoureux de l'épouse de son oncle. Appelé au front, Dorrigo Evans est fait prisonnier et affecté dans un camp de travail japonais, en pleine jungle de Siam (Thaïlande). Il participe à la construction de la ligne Siam-Birmanie, la « voie ferrée de la mort » tracée à travers les bambous épineux et les tecks géants. Une histoire inspirée à l'auteur par les souvenirs de son propre père. Guerre, amour, captivité et destins croisés: l'Australien Richard Flanagan a remporté le Booker Prize 2014 avec cette puissante fresque de guerre rééditée en poche par Babel.
Pourquoi le lire.
La Route étroite vers le Nord lointain (titre emprunté au poète japonais Basho) nous révèle un aspect méconnu de la Seconde guerre mondiale: le calvaire de prisonniers australiens dans les camps japonais. Le lecteur retrouve les protagonistes survivants (australiens comme japonais), la paix revenue. Dorrigo Evans aura droit aux honneurs, en raison de son action de médecin et à ses tentatives désespérées pour sauver les soldats à l'agonie ou malades. Il se marie, multiplie les aventures sans réussir à oublier Amy, l'amour de sa vie. C'est un ouvrage qu'on ne lâche pas, poignant, renseigné, âpre et sentimental à la fois. La description de l'enfer vert de Siam et du cauchemar de la Ligne vous prend aux tripes.
La citation.
"Il dévissa le bouchon de la gourde et, alors qu'elle aussi tremblait dans l'air devant lui, il versa de l'eau sur son sabre. Il regarda les gouttes d'eau rouler sur la surface étincelante, ondulant comme une couleuvre mouillée. Leur beauté l'apaisa."
Richard Flanagan: la Route étroite vers le Nord lointain. Traduit de l’anglais (Australie) par France Camus-Pichon. Babel, 412 pp., 9,80 €.
Colette et l'art de déménager en poète
DR |
L'histoire. Trois... Six... Neuf... est une autobiographie de Colette par le biais de neuf de ses déménagements, de la rue Jacob aux Ternes et du premier mariage à la séparation d'avec Willy. Entre les deux, le chalet délabré de Passy, l'hôtel en bordure du bois de Boulogne, un entresol du Palais-Royal, l’hôtel Claridge, sur les Champs-Élysées, avant le retour au Palais-Royal, mais cette fois à l’étage noble.
La citation. "Je me rappelle encore trop et non sans mépris pour moi-même le temps où je couvais comme une maladie, dans un logis nouveau, mon refus d'emménager et de déménager. (...) Un jour, l'honorabilité, la mienne, prit le dessus. En une semaine, le bouge, l'appartement d'après le crime, la case pour divorcée pauvre, la couveuse à spleen devint un "petit troisième" assez laid et accueillant." Et encore, à propos des bronchites contractées au Palais-Royal: La bronchite "amenait son bagage cristallin de ventouses, et son petit page fiévreux, le point pleurétique... Il est bien rare que l'on se désagrège sans plaisir, et quel agrément que la réalité atténuée!"
Pourquoi le lire. Ce petit livre en forme d'inventaire de lieux nous offre un joli exemple de roman métonymique: l'histoire d'une (tranche de) vie par les lieux fréquentés. Amis, célébrités, partenaires, intimes traversent le champ comme des figurants ou des "fantômes d'hôtels", du prince Bibesco à Gaby Morlay et de Marguerite Moreno à Nathalie Clifford Barney. Colette nous enseigne en neuf leçons l'art d'habiter en poète. C'est aussi une merveilleuse manière de visiter le Paris des années 1940: Passage Vivienne, église Notre-Dame des victoires "chaude des suppliques". Et cet hôtel Claridge, décor de micro-fictions: "Mais bien d'autres drames de palace restent larvés, quittent la chambre numérotée, s'en vont buter plus loin contre une pile de pont, aboutir à un dancing, à un train de luxe, ensanglanter un escalier."
Daniel Morvan
Colette: Trois... Six... Neuf... Libretto, 88 pages, 5,10€.
jeudi 12 octobre 2017
Le disparu: Un juste dans la guerre d'Algérie
Jean-Pierre Le Dantec, prix de l'académie de Bretagne et des Pays de la Loire 2018. ©Francesca Mantovani. |
samedi 7 octobre 2017
Godard vidéaste en 1986: Mocky et les 40 chômeurs
Marie Valera est Eurydice dans Grandeur et Décadence d'un petit commerce de cinéma |
La modernité, c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable.
Daniel Morvan
mercredi 30 août 2017
L'amour fou au temps de Louis XIV
samedi 26 août 2017
Liam O'Flynn, prince de la cornemuse irlandaise (uiellann pipes)
Liam O'Flynn est un familier de la Bretagne. Il fait partie de ceux qui trouvent dans les finis terrae des climats similaires. Le piper a d'ailleurs entamé un dialogue avec la Galice et, en février dernier, a donné une grande tournée dans toute l'Espagne. «J'étais très étonné de voir de très jeunes garçons de Madrid ou Vigo s'intéresser au uilleann pipe. Et aujourd'hui en Irlande, on n'a jamais autant joué de cet instrument qui a failli disparaître il y a une cinquantaine d'années, du fait de l'émigration. Aujourd'hui, plus personne ne vient me demander quel est l'instrument bizarre dont je tire ces sons étranges, comme c'était le cas il y a encore quinze ans.» Son plus récent album («The Given Note», 1995) comporte d'ailleurs trois danses galiciennes jouées avec le groupe Milladoiro.
La période la plus sombre
Il faut dire que Liam O'Flynn a hérité son art en droite ligne d'une tradition qui remonte au XVIIe siècle. Il accorde peu de crédit à la légende selon laquelle le uilleann pipes serait une manière, pour les Irlandais, de détourner l'interdiction de jouer debout de la cornemuse. Pour lui, la cornemuse de salon est, dans son ultime raffinement, le fruit d'une série de perfectionnements. «Vers 1750, des facteurs ont réalisé des améliorations au niveau des anches du «chanter» (chalumeau) qui ont permis d'ajouter un second octave. Mais l'histoire du uilleann pipes est une histoire non écrite dont les héros sont des inconnus. Ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est que cet instrument trouve sa forme définitive pendant la période la plus sombre de l'Irlande.»
L'ancien piper de Planxty, le groupe qui popularisa le son de la cornemuse irlandaise, est d'abord un flûtiste. Il commence à pratiquer le pipes à l'âge de 12 ans, et rencontre Leo Rowsome (1903-1970), l'un des plus grands pipers du siècle. «Quand j'ai entendu le son du uilleann pipes pour la première fois, cela a été un grand moment d'émotion, j'ai su que c'était l'instrument dont je devais jouer.» Leo Rowsome était piper, luthier et professeur, «trois personnes en une seule à ma disposition». Son autre maître sera Seamis Ennis. L'un et l'autre légueront à Liam leurs instruments, dont il joue toujours en concert. La transmission d'une tradition, Liam O'Flynn a une certaine idée de ce que cela veut dire.
Daniel MORVAN.
Liam O'Flynn: «The Given Note», Tara/Keltia Musique, 1995.
samedi 19 août 2017
Jean-Edern Hallier : je n'aime que ce qui fait pleurer
Dis-moi ce que tu lis...
Jean-Edern Hallier a pleuré sur « Le dernier des Mohicans »
vendredi 9 juin 2017
Le Dieu des boulistes nantais joue droit sur des lignes courbes
Et si vous ne voulez pas « être Fanny », vous avez intérêt de savoir « chalouper » (faire naviguer sa boule entre les « rives »), quitte à « remonter du bois » (ramener les boules vers le centre).
Bref, la boule nantaise, c'est du billard, subtil et sympa comme la pétanque. Avec une touche de mystère qui n'existe nulle part ailleurs. Sauf peut-être dans la boule de fort, qui a elle aussi un terrain à bords relevés, sur un profil en courbe.
Car dans ce sport, rien n'est droit. Comme dit le proverbe, Dieu écrit droit avec des lignes courbes. Dieu, et le bouliste.
Avant, c'était Nord contre Sud
Claude Pennaguer a appris à jouer à 16 ans, ici même, au café Jean-Macé, place du même nom. Un fief où le patron, Patrick, est lui-même pratiquant. Son épouse Pascale est trésorière de l'Amicale.Tout se joue en arrière-salle. Une piste couverte depuis 1934 avec, à gauche (entre les deux, un mur invisible, infranchissable), des tables où l'on tape le carton.
« Avant, la boule, c'était Nord-Sud, chacun avait ses propres concours. Maintenant, quand il y a un concours à La Montagne (44) ou à la Colinière, tout le monde y va. On ne cultive plus l'esprit de clan comme autrefois. »
Toute une peuplade de Bretons
La boule nantaise est un jeu enraciné dans les quartiers ouvriers.Le Jean-Macé est l'un des fiefs. Était. « Dans le quartier derrière, explique Claude, il y avait toute une peuplade de Bretons. Ici, les gars d'Amieux, de Dubigeon, de Carnaux et de toutes les entreprises du bas-Chantenay remontaient après le travail, posaient leurs vélos devant les cafés et venaient jouer en buvant une chopine ou deux. Et le dimanche, on venait avec son casse-croûte, en famille. Les hommes pouvaient jouer à partir de 10 h du matin, jusqu'au soir. »
Les origines du jeu ? Pour Claude, il ne faut sûrement pas chercher du côté des bateaux négriers. En revanche, la pratique des boules au fond des péniches de sable est une explication possible. « Ils jouaient dans les cales, sur le sable. C'est le début du jeu. »
J'ai testé la boule nantaise
On essaye ? Mettons-nous dans la peau d'un bas-breton fraîchement débarqué.Sa première idée : trouver un boulot et une piste de boules.
On peut jouer jusqu'à six joueurs, pour des parties qui peuvent durer deux heures. D'abord, assurer la prise en main de la lourde sphère.
« Tombée par terre, la boule est morte. » Et là, vous êtes bon pour la Fanny.
On se cale en bout de terrain, un pied contre le « talon », cette glissière qui évite les sorties de piste. La boule de 2 kg ne se jette pas. Elle se pousse. On joue droit, ou l'on joue les bandes. Dans une équipe de trois, le premier pointe, le second tire, fait le ménage. Le capitaine engrange. « Faut y aller doucement, surtout si le terrain colle. »
C'est, pour tout dire, un jeu d'imagination. Les trajectoires infiniment capricieuses ne se prévoient pas, elles se rêvent. « Certains exagèrent, posent la boule, vont voir, extrapolent. Ceux-là, on les devine tout de suite. »
Il n'existe pas deux aires identiques. La plus grande, la plus jacobine, celle de la Convention (15 mètres sur 5) vient de disparaître avec le café qui l'abritait.
Celle de Procé, la plus courue, est l'une des plus grandes. Et celle de Jean-Macé, la plus petite, la sportive, l'ouvrière, l'anarcho-syndicale. Elle a ses dévers que seul un druide de La Feuillée saurait déceler.
« Avant les concours, on refait l'enrobé, le coulis. Et pendant douze jours le terrain est la disposition des autres amicales, qui viennent étudier les trajectoires. »
Ils savent trop ce qui attend le bouliste novice : à lui d'embrasser la Fanny, pudiquement cachée dans son petit tabernacle. Avant de payer la tournée générale.
Daniel MORVAN.
Les boulodromes nantais. Le Bon Laboureur, rue des Pavillons. l'ADFR, 23, rue du port-Guichard (Route de Paris). Jean-Macé, 51, bd de la Liberté. La Colinière, 144, bd de Doulon. La Durantière, 46, rue J.-B. Marcet. Bowling, 3, bd G.-Lauriol. Lorrain, 86 bis, rue Appart (Zola). Procé, 144, bd de la Fraternité. La Montagne, 58 rue de la Paix.
dimanche 7 mai 2017
Un dernier « Rosebud » pour la route
Il est d’usage de dévider l’écheveau d’une carrière quand le métier à tisser vous lâche, exaspéré de vos tics d’écriture, lassé de vos inégales humeurs.
Je pourrais me souvenir des plus beaux soirs, ceux qui faisaient surgir la Révolution française sur un plateau, avec Joël Pommerat (Fin de Louis). Ma rencontre avec une Anouk Aimée un peu pincée dans le TGV Paris-Nantes (pour le cinquantenaire du film Lola), avec l’actrice Isabelle Huppert, pour une conversation lors d'une conférence à la Cigale, le juvénile DJ Madeon, le vieux poète Guillevic, la chanteuse Christine & the Queens. De cette manière désinvolte que j’eus, naguère, de jouer sans le savoir mon mercato personnel en narrant la vie épique de José Arribas, entraîneur du FC Nantes. L’inventeur d’un jeu alchimique (assurais-je avec l’aplomb des béotiens), qui consiste à jouer sans ballon.
Jouer sans ballon, c’est la spécialité du journaliste culturel, même quand il traverse le miroir, et il l’a fait. Il n'y eut pas que la culture, mais aussi les chasses à courre en forêt de Vibraye (Le cerf embroche un paysan, la chasse à courre continue), l'autoroute bloquée à la Ferté-Bernard (Pas d'argent pour le péage: ils passent la nuit dans leur voiture, avec le bébé, par -17°). Les vestiges de la féodalité (l'ouvrier agricole vivait depuis 20 ans dans une crèche à cochons). Oui, les titres explosaient comme les bouquets du 14 juillet dans le ciel heureux du journaliste local débutant. (...)
Je pourrais, pour la route, vous servir le souvenir définitif. Vous le livrer comme le mot Rosebud dans la bouche de Citizen Kane (le film d’Orson Welles). Ce ne sont jamais les choses les plus prestigieuses qui vous reviennent : Le peintre Pierre Soulages se dit frère de l’homme d’Altamira, projetant de la poudre ocre entre ses doigts. Et parfois c’est la trace la plus fragile qui traverse le temps. Une poussière de couleur. L’empreinte d’une main négative.
Au bout de centaines de papiers, de regards, de critiques et d’étrillages, le jour où je serai tout seul dans une salle, traînant après les autres déjà partis, c’est d’elle que je me souviendrai : Michèle. Pilier de TU et de grand T, lieu-uniquienne émérite, manieuse de TNT, maman de toutes les chanteuses débutantes, patte de lapin des premières à trois spectateurs payants. On croyait savoir des choses sur elle, de son passé intense qui pouvait expliquer cette assiduité. Elle avait été de la Colline, Gérard Philipe et Jean Vilar avaient chanté sous ses fenêtres. De la vie elle avait goûté tous les nectars, toutes les ambroisies.
Un soir au théâtre, mon ami comédien Didier Royant me glissa : « Tiens, c’est bizarre, on ne voit plus Michèle depuis quelques temps.»
On ne la revit plus, parce qu'elle était morte.
Mais on a continué à se souvenir d’elle, de son fauteuil qui roulait de théâtre en théâtre. Ses petits signes. J'étais le papa de Mathilde, dont elle avait suivi les débuts de chanteuse et actrice. Elle était partout où naissait la vie. Témoin des gazouillis du talent. Elle était la spectatrice. Elle avait cette qualité qu’on attribue aux meilleurs comédiens, et qu’il faut reconnaître aux meilleurs spectateurs : la présence.
Daniel Morvan
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