Balayant tout réalisme, Debussy a réinventé le langage de l'opéra avec son chef-d'oeuvre de 1902. La mezzo Stéphanie d'Oustrac revisitait en 2014, sur la scène de l'opéra de Nantes, son héroïne diaphane...
Une histoire simple
Pour Emmanuelle Bastet, metteure en scène de Pelléas et Mélisande, cet ouvrage repose sur une histoire toute simple, presque un scénario de film : « Une jeune épouse névrosée, un cercle familial toxique, un adultère supposé, une rivalité amoureuse entre deux frères, un meurtre : nous avons là tous les ingrédients d'un thriller psychologique. » La poésie et la musique de Debussy (auteur du livret, d'après Maeterlinck) nous emmènent dans « un univers de taiseux dynamité par Mélisande ».
Un monde rêvé
Emmanuelle Bastet a imaginé sur la scène nantaise un « huis clos à décor unique », laissant entendre que tous les lieux évoqués dans l'opéra (la fontaine, la tour, la grotte) sont « des fruits de l'imaginaire. Nous avons conçu une immense bibliothèque couverte de livres et de tiroirs refermés sur des secrets honteux ». Dans cette bibliothèque, les personnages sont tournés vers une immense fenêtre, comme dans les tableaux d'Edward Hopper. « Dans leurs jeux de plus en plus sensuels, parce qu'interdits, ils s'inventent des mondes dans lesquels ils peuvent laisser libre cours à leur rêverie. »
Une distribution originale
Mélisande est chantée par Stéphanie d'Oustrac, une mezzo déjà entendue à Nantes dans La Belle Hélène et La Périchole. Arrière-petite-nièce de Francis Poulenc, Stéphanie d'Oustrac a d'abord chanté à la Maîtrise de Bretagne. Sa personnalité généreuse lui permet d'aborder toute la panoplie, de la jeune fille en fleur (la Belle-Hélène) à l'amante (Didon) ; de la femme fatale (Carmen) au travesti (Cherubino). Elle donne du corps à cette amoureuse diaphane qu'est Mélisande. Le baryton Jean-François Lapointe a chanté 300 fois le rôle de Pelléas avant d'endosser celui de Golaud. Pelléas est chanté par l'Argentin Armando Noguera, Wolfgang Schöne est Arkel. On dit également grand bien de Chloé Briot (qui chante le rôle de l'enfant Yniold) et de Cornelia Oncioiu (Geneviève).
Comme une arche
Le chef d'orchestre Daniel Kawka a dirigé le Tristan et Isolde du metteur en scène Olivier Py. Il prend un malin plaisir à citer l'encyclopédie Larousse à propos de l'opéra de Debussy en 1905 : « Une musique arythmique, abstraite, sans mélodie et sans couleur. » En 1902, explique le chef, « la musique de Wagner faisait autorité. Arrive Debussy l'extra-terrestre, qui rêvait de greffer son imaginaire sur celui d'un poète. »
Ce poète sera Maeterlinck, auteur du livret. OEuvre de rupture, avec ses grands moments d'extase musicale, Pelléas est pourtant imprégné par le Tristan et Isolde de Wagner, avec également des leitmotives associés aux personnages. « C'est un opéra construit comme une arche, où la catastrophe s'annonce au fil des rencontres amoureuses successives. »
Pelléas et Mélisande est une pierre d'angle de l'opéra français. Après les superbes Dialogues des carmélites de Mireille Delunsch, c'est un magnifique rendez-vous avec le XXe siècle qui est, à nouveau, donné au public nantais.
Daniel MORVAN.
QUOTIDIEN OUEST-FRANCE
vendredi 21 mars 2014
648 mots
Daniel Morvan