Rentrée littéraire oblige, les venues d’auteurs se succèdent chez les libraires. Derrière ces événements, un métier, animateur. Entretien avec le nantais Guénaël Boutouillet.
Animateur littéraire, quelle est la réalité de ce métier? Comment vous démarquez-vous de la simple promotion d’auteur?
Travaillant avec Vent d’Ouest, j’y suis attaché (comme avec la Vie devant soi), pour une question de sens. Le choix des auteurs invité se fait en coopération avec les libraires: je passe les voir régulièrement, on décide ensemble. Ce que j’apporte à ces rencontres d’auteurs? Je crois que je sais les faire parler, j’ai déjà 150 tables rondes au compteur!
Mais comment décide-t-on d’inviter un auteur, connu ou pas? C’est une lutte au couteau entre libraires?
Pas du tout! Il y a de la place pour tout le monde, surtout dans une rentrée littéraire aussi riche que celle de 2016. Si j’invite Bertrand Belin à Vent d’ouest, c’est parec que je suis depuis longtemps en cheville avec l’éditeur. Mais c’est un an et demi de travail pour l’avoir. Cécile Minard, c’est elle qui a voulu venir à Vent d’Ouest. Jablonka a été invité par le rayon sciences humaines de la librairie avec le Lieu Unique. Mauvignier aussi nous a choisis parce que Vent d’ouest est une « librairie Minuit », qui défend cet éditeur depuis toujours. Mais par ailleurs, Charlotte Desmousseaux a mis une OPA amicale sur Sylvain Prudhomme (Légende, l’Arbalète). Mathias Enard est allé une première fois chez Coiffard, puis après son prix Goncourt à la Vie devant soi. Il n’a pas forcément dit les mêmes choses.
Autre aspect de votre travail, la découverte des auteurs locaux.
Oui, c’est le cas d’Alexandre Seurat, d’Angers, pour son remarquable Administrateur provisoire, ou encore d’Eric Chauvier, qui travaille à l’école d’architecture. Ce n’est pas une histoire de combat, nous sommes ravis d’avoir des gros vendeurs et aussi des découvertes.
Le public nantais est comblé. Mais les autres, "en campagne"?
Je suis aussi médiateur à contre-temps. J’anime aussi des rencontres a posteriori dans les médiathèques de campagne. Nous vivons dans un très haut régime d’information. L’idée n’est pas d’en rajouter mais de fabriquer un moment de sens, une heure d’échange unique, qui ne se reproduira pas.
En 150 rencontres, quelle est votre plus belle question?
Version blagueuse : à Maylis de Kerangal, dans une médiathèque, après un long préambule à propos notamment du mouvement dans son oeuvre, finir par « avez-vous fait bon voyage? » Réponse : 12 minutes, magnifiques!
Rencontres Vents d’Ouest, à 19h30:
— Bertrand Belin ( Editions POL), mardi 8 novembre — Céline Minard ( Éditions Rivages), jeudi 10 novembre — Laurent Mauvignier ( Les éditions de Minuit) jeudi 17 novembre — Ivan Jablonka (Editions du Seuil), mardi 22 novembre, au lieu unique, à 20h
Vent d’ouest, 5 place du Bon Pasteur, 44000 Nantes. Tél. 02 40 48 64 81
Folk cajun et violoncelle, formule inédite inventée par cette nouvelle étoile de la renaissance créole.
1. Magie du folk créole
Bayou louisianais, folklore haïtien, formation classique : le secret de Leyla McCalla est cette triple distillation des sources musicales. Débuts confidentiels au seul des Carolina Chocolate Drops. Violoncelliste de formation, elle quitte New York pour La Nouvelle-Orléans. Alors seule dans les rues de Crescent City, elle joue des suites de Bach.
2. Poésie des origines
C’est dans la rue que la jeune Haïtienne concocte son nouveau son, en chantant les poèmes de Langston Hughes (1902-1967), leader de la Harlem Renaissance.
3. Beauté superscénique
Illuminant ces poèmes de folk et blues, elle se produit sur scène avec violoncelle, banjo et pedal steel guitar. Découverte à Jazz sous les pommiers, après un rodage parisien, elle s’offre même un mini-tube blues, A Day For the Hunter, a Day for the Prey, extrait de l’album qui porte le même nom.
Mardi 22 novembre à 21 h. 20 €/18 €. Salle Paul-Fort, 9, rue Basse Porte, 44 000 Nantes. T. 02 51 72 10 10
Une journée d’études saluait en octobre 2016, à Nantes, le centenaire de la rencontre entre André Breton et Jacques Vaché à Nantes, dans les locaux du lycée Guist’hau. Plusieurs manifestations s’emploient d’octobre à décembre à rendre hommage à cet événement fondateur, et d’en rendre sensible la mémoire sur les lieux mêmes de son avènement. Entretien avec le maître d'oeuvre de ce centenaire nantais, avec quelques vidéos YT sur Vaché, Breton et le surréalisme.
RMN
coll. perrin
Entretien Thierry Brigandat, professeur de lettres.
André Breton et Jacques Vaché se sont rencontrés à Nantes. Dans quelles circonstances?
Breton, après avoir fait ses classes à Pontivy, est affecté à Nantes. Il occupe la fonction d’ « interne provisoire » à l’Ambulance Municipale n° 103 bis, 2 bis rue du Boccage. Il y restera de juin 1915 à juillet 1916.
Jacques Vaché, blessé sur le front en septembre 1915, est rapatrié sur Nantes en novembre 1915. Est en convalescence rue du Boccage jusqu’en février 1916.
C’est donc entre fin 1915 et début 1916 que Breton fait la rencontre de Vaché. Nous présenterons lors de l’exposition qui se tiendra à partir du 3 novembre des documents inédits sur le séjour de Vaché au lycée Guist’hau.
En quoi cette rencontre est-elle décisive?
Breton a toujours présenté, jusque dans ses derniers textes, cette rencontre comme capitale, d’où la phrase de Breton placée en exergue pour notre journée d’études : « sans lui, j’aurais peut-être été un poète ».
Cette rencontre amène André Breton à revoir toutes ses admirations littéraires et tout l’héritage dans lequel il entendait se fondre. Vaché oblige Breton à décaper sa perception de la poésie et de la création artistique, en général, à réévaluer ses fascinations pour Mallarmé, Rimbaud, Valéry, Apollinaire même.
Seuls existent aux yeux de Vaché Jarry et son humour dévastateur. Il est en cela la préfiguration de l’esprit Dada avec lequel Breton entrera proprement en contact début 1919.
Sans cet ébranlement, à Nantes, de tout ce à quoi croyait Breton en matière de poésie, l’esthétique du surréalisme n’aurait peut-être pas pris aussi vite après la guerre cet essor.
Le surréalisme est-il né à Nantes?
Le surréalisme n’est PAS né à Nantes. Le surréalisme est une aventure collective, qui ne peut naître qu’avec le concours de Reverdy, Soupault, Aragon, puis Eluard, Desnos, Peret, à Paris.
Mais il y a à Nantes une conjonction frappante, un élan qui tient à la rencontre en un même lieu – l’hôpital militaire – de Vaché, d’André Breton et de Théodore Fraenkel, un copain de lycée de Breton, avec qui il a commencé ses études de médecine, affecté lui aussi rue du Boccage, amoureux de poésie et passionné de Jarry, compagnon de route, en retrait, mais efficace, du surréalisme des débuts.
De même, la fréquentation de ce qu’on a appelé le « groupe de Nantes » a amené Breton à infléchir ses conceptions littéraires et artistiques.
Difficile dans ces circonstances de ne pas penser au « hasard objectif » que Breton évoque dans Nadja.
Surtout, quand on sait que Vaché meurt – début 1919 – au moment même où Tzara s’apprête à rencontrer Breton ; rencontre que Breton avait acceptée avec l’idée d’associer Vaché à ce qui s’annonçait comme la promesse de la mise en œuvre d’une démarche artistique radicalement nouvelle.
On a coutume de dire que le surréalisme est directement issu des convulsions de la Première guerre mondiale. Le surréalisme est peut-être aussi né d’une mort qui s’est jouée à Nantes dans une chambre d’hôtel de la place Graslin. Le surréalisme est peut-être le fruit d’un deuil impossible, celui de l’ami, à qui Breton restera fidèle sa vie durant.
Ce centenaire est-il l’occasion d’une réévaluation du rôle de Vaché, malgré l'absence d'œuvre ?
Ce centenaire s’emploie à raviver une mémoire. D’abord, à faire prendre conscience aux lycéens qui viennent tous les jours au lycée Guist’hau que ces murs ont une histoire, et que, dans une période où on revisite le souvenir de la Grande guerre, ce souvenir peut être convoqué dans l’espace même qui leur est le plus quotidien.
Ce centenaire s’emploie aussi à rappeler que Nantes est une ville littéraire, qu’on s’y est passionné, qu’on s’y passionne pour la littérature.
Pas de réévaluation, donc, car pas d’œuvre, au sens véritable du terme, de Jacques Vaché, mais le retour vers le moment des fondations, ce moment où tout est encore en germe, en fermentation… (Ce centenaire va permettre néanmoins de réévaluer, autour des universitaires spécialistes de Vaché et Breton, la part du mythe dans la construction de la légende Vaché, et la part de la réalité, notamment autour de la biographie de Vaché, en préparation, qui entend présenter l’homme au-delà de la légende, autour de nombreux documents inédits).
L'historiographie locale n'a guère les moyens ni le désir d'analyser le fait littéraire; elle n'a rien apporté de décisif non plus sur les faits. Que sait-on vraiment de cette rencontre, au-delà des images d'Epinal?
Peu de choses, tributaires que nous sommes de notre presque unique source : André Breton. Je ne vois quant à moi vraiment pas de quoi bâtir une image d’Epinal. Tout sent ici, sinon le soufre, du moins l’anticonformisme le plus assumé, dans ce qui vient mettre à mal les valeurs et l’ordre bourgeois. Jacques Vaché est un fils d’officier, d’une famille honorablement connue à Nantes, qui, en commençant des études aux Beaux-Arts, se prend de passion pour le dessin de mode, affecte un dandysme outrancier, pratique la dérision systématique à l’égard de toutes les valeurs établies – y compris la gloire littéraire – tout en choisissant de s’engager volontairement dans le premier conflit mondial. Sa mort précoce – « dernière fourberie drôle », selon les mots d’André Breton – est un défi aux bonnes mœurs : consommation d’opium et soupçon d’homosexualité…
Difficile de tisser le récit édifiant susceptible d’alimenter les rubriques d’une histoire locale sans heurts.
Lit-on encore les surréalistes?
Je serais tenté de répondre : tout le monde aujourd’hui lit les surréalistes. Dès lors qu’on lit un des auteurs importants du XXe siècle, on court le risque d’aborder un auteur qui a été lié à un moment ou à un autre au surréalisme : lire Aragon, c’est lire un surréaliste, lire Gracq tout autant, lire Leiris, lire René Char, Eluard, Yves Bonnefoy. Tout le monde ne se cantonne pas à Sartre et Camus, adversaires résolus du surréalisme… Plus grand mouvement littéraire du XXe siècle, puisqu’il court de la fin années 1910’ à la fin des années 1960’, il fait toujours l’objet aujourd’hui de recherches universitaires, de thèses, de découvertes. Nombre d’écrivains contemporains continuent de s’inscrire dans le sillage du mouvement qui voulait « changer la vie ».
"Ecrire
sur l'économie, mais de manière vibrante, incarnée, pour tenter de
saisir ce monde changeant, lui donner de la matière et y trouver une
entrée, un point de passage par où se faufiler": Marianne Rubinstein définit ainsi son projet au début de ce
portrait d'une ville américaine désertifiée et livrée à la
violence, Detroit. Parce que c'est elle, professeur d'économie
depuis 20 ans, mais aussi romancière:
Marianne Rubinstein partage son écriture entre fiction (ses romans)
et non-fiction (ses deux enquêtes sur la mémoire juive). Parce que
c'est Detroit, la ville qui "a tout connu avant les autres. Le
fordisme dès les années 1910, la folle croissance pendant la
Seconde guerre mondiale (Detroit était alors l'arsenal de
l'Amérique) la désindustrialisation à partir des années 50."
Condensation d'une double expérience en un seul livre, où
l'effondrement de Detroit et celui d'un modèle d'exploitation du
travail ne seraient pas sans rapports avec le génocide des Juifs
d'Europe: survivre à un cancer, et se projeter dans ce capitalisme
qui, à travers l'économie de la survie dont Detroit est le
laboratoire, se renforce de ce qui ne le tue pas. C'est un projet
littéraire à la manière d'un Michael Gondry dans sa "conversation
animée avec Noam Chomsky", une méditation sur la fin de l'idée
de croissance et le modèle urbain qui, dit-on s'esquisse à Detroit,
ville dont le roi, Ford, était un admirateur de Hitler. Detroit et
l'usine Ford, le coeur du réacteur capitaliste, dont l'organisation
n'est pas sans rapport, assure Marianne Rubinstein, avec les camps
nazis: les deux combinent industrialisation et massification du
travail. On le voit, la métaphore de la survie a des implications
critiques fortes à l'endroit d'un modèle de production qui, comme
le notait Céline à la suite de sa visite chez Ford en 1925, comme
médecin de la SDN, préférait les ouvriers "les plus déchus
physiquement et psychiquement".
Fille
d’un «Juif né à Paris de parents apatrides» et d’une
«Bretonne de Carantec», Marianne Rubinstein est bien placée pour
cet exercice de pas chassés de l'histoire à l'autobiographie, de
l'existentiel à l'économique. Elle se sent même un peu chez elle à
Detroit, ville où ses grands-parents juifs polonais auraient pu
choisir d’émigrer : « Ils auraient vécu leur vie, plutôt que la
déportation et la mort.» Cette exploration d’une ville américaine
en crise est aussi un émouvant autoportrait.
Wajdi Mouawad à Nantes en 2016: "j'ai voulu abandonner le théâtre pour écrire des livres"
Le diptyque « Les mourants » marque la fin de votre association avec le Grand T, la scène de Loire Atlantique. Quel est votre regard sur toutes ces années d'artiste associé ?
Le Grand T est devenu un foyer pour moi, j’ai même déménagé à Nantes avec ma famille. Je n’ai pas triché, des amitiés se sont nouées : les directeurs Philippe Coutant et Catherine Blondeau, les metteurs en scène Anaïs Allais et Sébastien Barrier. Nous aurions pu travailler davantage avec les compagnies locales et le conservatoire, mais je n’ai pas le sentiment d’avoir été un simple prestataire de services.
Votre plus beau souvenir ?
Un tout petit, mais le plus beau : la rencontre publique avec Elisabeth de Fontenay à propos de l’animalité et du « silence des bêtes ». Devant une salle pleine avec les ados du projet « avoir 20 ans en 2015 », et un public de tout âge. Une petite heure avec cette grande femme…
Le moment le plus terrible ?
Celui où j’annonce aux acteurs que j’annule Ajax, étant incapable de l’écrire. Et le plus beau, trois jours plus tard, où je leur amène le texte écrit dans ces trois jours.
Un miracle ?
Non, Catherine Blondeau. Elle ne m’a pas dit : « arrête de faire l’enfant, Wajdi, les abonnés comptent sur toi ». Mais seulement : « essaie encore un peu, deux ou trois jours ».
Votre plus grande déception ?
Je dirai plutôt une douleur. Tout ce qui a entouré la création de Des femmes en 2011 avec Bertrand Cantat (1), et qu'on a appelé l'affaire Cantat. J’étais peiné pour tout le monde : les acteurs, Bertrand Cantat, la famille de Marie Trintignant, le public choqué et ceux qui étaient choqués qu’on soit choqué. J’ai été sévèrement jugé pour ça, jusqu’au Québec. Ce fut une erreur de ne pas avoir anticipé cette polémique, mais c’est dans ces moments-là qu’on compte ses amis.
C’est aussi dans ces années que vous êtes aussi devenu romancier ?
Après cette affaire, j’ai voulu abandonner le théâtre pour écrire des livres, au moment de la sortie d’Anima (Actes sud). Je me suis enfermé un mois au grand T, pour voir si j’avais tout de même encore envie de faire du théâtre. C’est là que j’ai trouvé les nouvelles formes des derniers spectacles. Ce furent quatre années merveilleuses.
Mais le romancier ne s’est pas avoué battu ?
Depuis deux ans, une nouvelle histoire me passionne. Je porte ce secret, il me préserve. Et puis une aventure inouïe commence, celle du théâtre de la Colline…
Quel est votre projet, au théâtre national de la Colline ?
C’est un lieu puissant, qui appelle à être habité par une vision du lien d’hospitalité et du lien social. Le geste le plus révolutionnaire aujourd’hui est celui de l’amour, de la douceur et de l’amitié. Comment s’adresser aux jeunes, créer un lieu de naissance et d’apparition au monde, mon projet, ce sont toutes ces questions.
Recueilli par Daniel Morvan.
1 : En 2011, une âpre polémique agita Avignon, où Bertrand Cantat, ex-chanteur de Noir Désir, devait chanter les paroles du chœur dans la trilogie Des femmes. Il dut y renoncer.
Depuis septembre 2011, Wajdi Mouawad fut artiste associé au Grand T, théâtre de Loire-Atlantique à Nantes. Il est nommé en avril 2016 directeur du théâtre national de la Colline.
C’est une vie monacale et réglée, de l’engraissement à l’abattoir, sur une surface de deux mètres carrés : « Je ne sais pourquoi, dit le cochon, l’idée d’exercer ma liberté à l’intérieur d’un carré m’est d’un précieux réconfort. » À proximité des bains-douches, le TNT est le bon endroit où installer un carré de paille et ce seau d’eau, où le comédien Didier Royant boit parfois. Il fait noblement parler l’animal, optant pour l’épure, avec une belle fragilité teintée de lyrisme. Il se projette fièrement en carcasse, plaignant le verrat pour son manque d’idéalisme. Voilà pourquoi il faut voir cette pièce: L’acteur y est grand, et fait aussi bien la bête que l’homme. Le texte est formidable (l’œil de Beckett s’y posa avec intérêt). L’auteur (breton) Raymond Cousse est un « suicidé de la société » à redécouvrir. Et l’attelage fonctionne entre l’acteur et sa coach Solenn Jarniou, qui a su trouver le ton juste pour servir ce texte ciselé, voltairien, godelureau. Cousse a bricolé avec style un « discours de la servitude volontaire » porcin : Millésimée 1979, cette Stratégie pour deux jambons s’entend différemment aujourd’hui. Les vidéos d’abattoir diffusées par l’association L214 ont changé la vision. Ce « destin de cochon » n’est pas une simple métaphore du capitalisme, il est bien le sujet de la pièce. Peut-on définir l’humain sans aussi interroger le silence des bêtes? C’est ce que fait cette pièce, avec talent. Du mercredi 19 au vendredi 21 octobre, à 21 h, au TNT, allée de la Maison-Rouge, Nantes.
Daniel Morvan
Du 19 au 21 octobre 2016 à 21h. TNT, allée de la Maison-Rouge
Les Onze, de Pierre Michon, aborde l’histoire de la Révolution française à travers celle d’un tableau : le portrait collectif des onze membres du Comité de salut public. Pierre Michon a écrit les trois premiers chapitres en 1993, et a terminé l’ouvrage en 2008. « Les Onze » a paru le 24 avril 2009. Voici la version complète de l'entretien réalisé à cette occasion.
Entretien
Pierre Michon, auteur de Les Onze
Quelle est la part de fiction dans cette histoire ? Pardonnez cette ignorance, mais le peintre François-Elie Corentin est-il si connu ? Et ce « célèbre tableau », Les Onze ?
Un des chapitres des Onze que je n’ai pas publiés commençait ainsi : « Imaginez, Monsieur, cet être improbable : quelqu’un qui ne connaîtrait pas Les Onze » : Cet être existe, c’est vous, Daniel Morvan! Et vous n’êtes pas le seul : plusieurs amis (dont Emmanuel Carrère) se sont excusés de «leur ignorance». J’en suis extrêmement satisfait : c’est que j’ai fait exister le tableau, on y croit !
Malheureusement, Corentin et Les Onze sont pure fiction. Mais comme j’ai pris l’habitude d’écrire en partant de faits vrais, on croit que là aussi, c’est tout vrai. Je bénéficie de la présomption de vérité. Mais c’est du roman !
Écrire l’histoire, c’est toujours faire œuvre de romancier ou d’artiste ?
L’histoire n’a pas de sens, sinon celui d’une belle tragédie. Borges disait que l’histoire des religions est une branche de la littérature. Mais on peut le dire de l’histoire tout court.
Dans ce livre, il est autant question d’étoffes que d’idées. La vérité de la Terreur serait-elle plus dans le « manteau de soufre » de Couthon que dans ses convictions ?
La matérialité m’intéresse bien plus que l’abstrait. Les textes sur l’institution politique, etc., me tombent des mains. La fraise que portent au cou les hommes du début XVIIe m’en apprend plus que les traités politico-juridiques. De même l’uniforme tricolore « à la nation » des Représentants en mission.
Plus simplement : il s’agit ici d’un tableau de peinture, c’est-à-dire d’une discipline dans laquelle l’habit fait le moine.
Quelle ambition est à l’origine de ce texte ? Et qu’est-ce qui a été surmonté pour que les Onze finissent par paraître ?
L’idée m’en est venue en 1993, au bicentenaire de la Terreur (qui est à mon sens la vérité de la Révolution, plus que 1789). J’ai alors écrit, il y a quinze ans, les trois premiers chapitres. Puis je suis passé alors à la rédaction de La Grande Beune. Mais ce texte flottait toujours dans mon esprit.
Ce qui a été surmonté, dans les quinze ans qui séparent la rédaction des deux parties, c’est ma crainte des opinions partisanes concernant la Révolution. J’ai eu en 2008 le culot que je n’avais pas eu en 1993 : celui de mettre cet événement sous verre, protégé sous une vitre blindée, comme l’est mon tableau.
Pourquoi ne pas avoir traité directement du sujet (la Terreur), sans en passer par la peinture ni par Michelet ?
J’aurais couru le risque d’enfoncer des portes ouvertes. Mon texte fait appel à des échos (c’est une chambre d’échos) dont le plus visible est Michelet. Mais il y a aussi, moins visibles, de Maistre, Sade, Marx. Et même Shakespeare, qui a représenté la Terreur bien avant la Terreur !
Le « Pierrot » à la Watteau, qui est un peu votre double et qui apparaît souvent dans vos livres, devient ici un « Robespierrot » régicide et parricide !
Toute histoire de la Révolution est une histoire de meurtre du père. C’est la horde des origines, comme dans Totem et Tabou de Freud : les fils, les frères (les Onze) tuent le père (le roi), et fous de culpabilité s’entretuent.
Comment composez-vous une scène aussi complexe que celle de la convocation du peintre ?
Faire tenir ensemble des éléments et des métaphores disparates : les os morts des saintes, l’or, les bicornes, les cloches, les chevaux, Michelet et Lascaux : je ne peux pas vraiment en parler, mais c’est là que réside le plaisir propre à la production d’écriture, à la joie de la trouvaille, des trouvailles multiples, et au glaçage final de tout cela dans le texte lisse.
Recueilli par Daniel Morvan.
Pierre Michon : Les Onze. Verdier 2009, 140 p., 14 €. Et aussi : Pierre Michon, un livre CD d’Agnès Castiglione. Ed. Textuel, 132 p., 19 €.
Dimanche 23 octobre, la HAB Galerie (Nantes) présente Voix d’eau, une performance de Laëtita Casta et Sébastien Bertaud autour d’une vidéo d’Ange Leccia, dans le cadre de l’exposition La mer allée avec le soleil.
Photo J. Benhamou
La Mer : C'est une magnifique exposition d'art vidéo d’Ange Leccia, présentée (en prolongation) au cours du Voyage à Nantes à la HAB Galerie.
Elle devient le décor vidéo d’une performance interprétée par Laetitia Casta et par le danseur-chorégraphe Sébastien Bertaud: Voix d'eau.
Pris dans le mouvement incessant des vagues, une nymphe et un pêcheur entraînent le spectateur dans une dérive poétique et chorégraphique, sur un texte de Benoît Fuhrmann.
Voix d’eau a été créée le 18 juin 2016 à l’Opéra Garnier à l’occasion de "La rumeur des naufrages" (collaboration entre les artistes du Pavillon Neufliz OBC du Palais de Tokyo et l’Académie Chorégraphique de l’Opéra).
Après la consultation de juin et la polémique sur l'évacuation de la ZAD, à laquelle Ségolène Royal s'oppose, c'est maintenant le président Hollande qui ajoute à la confusion en confiant qu'il pense que le projet de NNDL ne verra pas le jour.
26 juin 2016: Le referendum
Un référendum local, voulu par le gouvernement pour sortir de l'impasse, valide le projet à 55,17% des voix. Les opposants ne lâchent rien, et Manuel Valls annonce le lancement des travaux pour l'automne. Cofinancé à 56 % par un concessionnaire privé, filiale de Vinci, par l'Etat et des collectivités territoriales, le transfert a été chiffré en 2010 à 561 M€ pour 4 millions de passagers, 992 millions pour 9 millions. La somme comprend la desserte routière, la plate-forme aéroportuaire et la tour de contrôle. « Le prix n'inclut pas les infrastructures ou le pont sur la Loire. Il faut compter bien plus », croit savoir France Nature Environnement (FNE), opposé à la construction.
Pour l'Acipa, association contre le projet, transférer l'aéroport, c'est renoncer à des « terres agricoles bocagères d'une biodiversité exceptionnelle ». L'implantation se ferait sur une vaste zone agricole et d'élevage de bovins qui sera grignotée : la surface perdue est estimée à 865 ha. L'impact sur la biodiversité et sur les zones humides a été acté par les experts.
Plusieurs associations continuent à prôner une extension de l'actuel aéroport plutôt qu'un transfert. « Malgré l'importance du sujet [...], aucune analyse coûts-avantages n'a été effectuée sur cette option », souligne la Commission nationale du débat public (CNDP).
Réaménager entièrement Nantes Atlantique en maintenant la piste actuelle, longue de 2 900 m, "éviterait l'artificialisation de tous ces hectares à Notre-Dame et la création des infrastructures routières. Etendre Nantes est possible en améliorant ses accès, notamment par une extension du tram", assure le président de France Nature Environnement, Denez L'Hostis.
Ségolène Royal, dans l'émission de Laurent Ruquier (On n'est pas couchés), s'exprimait ainsi à la veille de la grande manif de ce week-end: « Que les élus locaux, comme la maire de Nantes, ou Jean-Marc Ayrault, qui ont réclamé cet aéroport, assument cette responsabilité. Ils ne peuvent pas, le jour où cela ne se passe pas bien, trouver des responsabilités ailleurs. » Et de répéter que le processus démocratique ne s’est pas fait correctement. « A chaque fois que nous constatons un déficit démocratique et de transparence sur les décisions qui sont prises, on est rattrapé par des problèmes. Certains élus locaux ou lobbys se sont obstinés. On aurait dû prendre le temps de bien écouter ce qui se passait. »
Pour la ministre, « l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a été surdimensionné, sans doute pour des intérêts financiers, ou parce qu’il fallait justifier qu’il fallait déplacer cet aéroport. Et jamais une autorité médiatrice n’a dit Comparons les deux projets, et voyons ce qui se passe ».
Mardi 11 octobre, Manuel Valls: "L'évacuation pour cet automne"
Mardi, le Premier ministre a réaffirmé que l’aéroport se fera. « L’évacuation, c’est pour cet automne », s’avance-t-il. Tout en précisant : « Si ça ne se fait pas avant mars 2017, ça ne se fera jamais.»Quelques heures plus tôt, la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, avait parlé de « déni de démocratie » en refusant toute évacuation de la ZAD. Des propos vivement critiqués par les élus du syndicat aéroportuaire. En première ligne, le président LR de la Région, Bruno Retailleau.
Mais derrière lui, et c’est plus inhabituel, on trouve aussi le président du Département, le socialiste Philippe Grovaslet, le maire PS de Saint-Nazaire, David Samzun, ainsi que… la maire socialiste de Nantes, Johanna Rolland.Et tous les quatre de clouer le bec à Ségolène Royal : « Ces propos d’un ministre qui défie l’autorité de l’État et s’oppose au respect de la loi ne peuvent rester sans suite, alors que les forces de l’ordre se préparent à faire respecter la loi de la République et les décisions de justice sur la ZAD, estiment les élus du syndicat. Nous appelons clairement le président de la République et le Premier ministre à recadrer Mme Royal qui ne peut impunément bafouer leur autorité et mépriser les citoyens concernés qui ont voté le 26 juin et qui attendent le respect de la loi et de la démocratie. »
« Cacophonie gouvernementale »
Si l’association Des ailes pour l’Ouest (pour le transfert de l’aéroport) estime que « la cacophonie gouvernementale » ne peut plus durer, la réponse des élus écologistes de la Ville de Nantes ne s’est pas fait attendre. Pour Pascale Chiron et Jean-Paul Huard, « Johanna Rolland semble oublier qu’à cent voix près, un Nantais sur deux ne veut pas de cet aéroport. Si on exclut les voix de droite, cela veut dire que ceux qui l’ont élue maire sont majoritairement contre l’aéroport. Dans ce contexte, chacun doit chercher l’apaisement. »
4 novembre: La non-annulation des arrêtés préfectoraux
Lundi 7 novembre 2016, devant la Cour administrative d'appel de Nantes, le rapporteur public préconisera l'annulation "totale ou partielle" des quatre arrêtés préfectoraux qui autorisent les travaux de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Le rapporteur public va demander, lundi, l'annulation des quatre arrêtés de décembre 2013, portant sur la loi sur l'eau et les espèces protégées, à la fois pour la construction de la plateforme aéroportuaire et la réalisation des routes d'accès. Mais cette annulation n'est pas validée par la cour d'appel de Nantes.
En novembre, une étude d'un chercheur, Luc Brohan, révèle que le sol argileux du bocage est impropre à la construction des pistes du futur aéroport.
Décembre 2016: recours contre le Scot
Les opposants annoncent deux recours, l'un contre le Scot, l'autre contre le rejet des recours environnementaux.
Michel Tarin a quitté Notre Dame des Landes et cette terre vendredi 31 juillet 2015. C’était un militant infatigable de nombreuses luttes, dont celle contre le projet d’aéroport.
Cela commence comme du Paul Nizan et ça continue comme du Florence Arthaud. « Nous avons appareillé au mois d’août. Nous avions un peu plus de vingt ans et chacun partait pour des raisons différentes. Sait-on jamais pourquoi on décide de filer à l’autre bout de l’océan? » Après un Truffaut au cinéma, c’est parti pour La Corogne et la traversée de l’Atlantique. Lili a 20 ans, et embarque avec son frère Paul, sur un voilier, Horus. Elle laisse derrière elle son fiancé, Vincent, amoureux d’elle - du moins à son départ. Sophie Avon (voix de l'émission Le Masque et la plume) conduit son roman comme s’il s’agissait d’un de ces classiques livres de mer vieille école, dans le style des éditions Arthaud. Et la précision technique de ce journal de bord (sur la liste du prix Femina 2016) laisse son lecteur un brin désarçonné. Certes, nous adorons tous les récits de survie, les points au sextant, les avaries, les amours d'escales, le mal de mer... Mais, plus que celle de Moby Dick, la présence de Marcel Proust dans ce journal de bord doit nous alerter: cette odyssée est aussi une recherche du paradis perdu. Le Brésil n’est le but de l’aventure que pour le bateau, mais pour Lili, la narratrice, le vrai voyage est celui du retour vers son amoureux. Et vers la sagesse: un voyage « que personne ne peut faire pour vous », et que tous les autres feront, comme vous.
Daniel Morvan.
Sophie Avon: Le vent se lève. Mercure de France, 176 pages, 16,80 €.
Reliée par de nombreux cordages à une structure lourde, la trapéziste devient marionnette désarticulée.
Mélissa Von Vépy, trapéziste.
Le spectacle que vous présentez au Lieu Unique s’appelle VieilLeicht (peut-être). Pourquoi peut-être ?
C’est « peut être » au sens de « pouvoir être » : j’interroge la possibilité pour une femme pantin, un être de bois, d’être. VieilLeicht m’a été inspiré par la lecture d’une nouvelle : Sur le théâtre de marionnettes (1810), de Heinrich von Kleist. Elle traite de l’admiration éperdue vouée par un danseur d’opéra aux marionnettes, qui ne ressentent rien. Leur mouvement mécanique, dénué de gravité physique et d’états d’âme, semble être à la source de leur grâce infinie. Ce texte est la bible des marionnettistes, j’en ai fait un spectacle.
Vous êtes trapéziste, comment vous transformez-vous en pantin ? J’évoque le chemin d’un être empêtré dans ses fils, qui s’automanipule à la verticale. Une machinerie spéciale a été créée : un « métier » (c’est la croix des marionnettistes) géant, qui me permet d’aller au-delà de l’exploit physique pour atteindre la beauté d’une marionnette, en empruntant un chemin de cordages…
Ce projet très élevé n’en est pas moins accessible aux tout petits, n’est-ce pas?
Bien sûr, il n’est pas nécessaire de connaître Kleist, le spectacle (50 minutes) s’adresse aussi aux enfants ! Et mes interrogations sont toutes simples : la recherche de l’apesanteur, la légèreté…
Mardi 11 et mercredi 12 octobre à 20 h 30 au Lieu Unique, quai F. Favre, Nantes. 22 €, 8 €
Critique « Pas facile, l’art contemporain » : réflexion en sortie de salle. Ou encore : « Bon courage pour la critique » (une main compatissante sur votre épaule). Et pourtant, tout est là, bien lisible, sur le plateau du Grand T. Dans ce nouveau spectacle, Espæce, Aurélien Bory démontre sa capacité à adapter son outil à son propos. On ne l’a jamais vu répéter une formule magique, rééditer sa forêt de fils, son chapiteau flasque. Si ça marche, il faut tenter autre chose. Avec Espæce, le metteur en scène ouvre un livre aimé (Espèces d’espaces, de Georges Perec) et le déplie dans l’espace scénique. Un artisanat virtuose de l’espace se met en route. Un simple fond de décor devient machine dévoratrice, train d’enfer, se plie et se déplie vers les humains (cette espèce qui habite les espaces). À eux d’éviter de se faire pincer. Parfois ça passe ric rac. Ils prennent des risques énormes. On pense à Tati, à Chaplin, devant ces scènes muettes. Jusqu’au souvenir d’enfance, un moment mimé qui semble résumer toute la tragédie de Perec, la déportation de sa mère. Le malheur, lieu de naissance de l’écriture. Derrière les jeux de mots croisés, l’Histoire avec sa grande hache. Daniel MORVAN. Ce soir et lundi à 20 h 30 ; samedi à 19 h ; mardi à 20 h. Au Grand T, avenue du Gal Buat. Tél. 02 51 88 25 25.
Véronique Solo-Mendès est née au Congo il y a 60 ans. Agent de propreté à Saint-Nazaire, elle a appris à lire le français pour monter sur scène - sa fierté. Elle jouera un rôle d'esclave dans une pièce d'Arthur Miller. Le plus dur était d'apprendre les répliques. Incarner ce rôle? Pas compliqué, quand on a été soi-même esclave.
"Jouer une esclave? Facile, je l'ai été, enfant"
Apprendre à lire le français pour tenir son propre rôle sur une scène ? Ce serait la preuve d’une passion bien chevillée. Mais l’apprentie comédienne n’est pas sortie du cours Florent. Elle est agent de propreté à Saint-Nazaire. Elle n’a jamais connu l’école : orpheline, elle a passé son enfance à faire le ménage. Aujourd’hui, elle brûle les planches avec un rôle de domestique serve qu’elle maîtrise parfaitement : celui de Tituba, dans Les Sorcières de Salem. Une pièce d’Arthur Miller, et un peu la sienne aussi.
Qui est Véronique Solo-Mendès ?
Une découverte de Pierre Reipert, directeur de la compagnie « Astrolabe 44, arts de la scène et lien social ». Cette compagnie travaille régulièrement avec le Secours populaire.
L’Astrolabe cherchait une comédienne noire pour sa nouvelle pièce. Pierre Reipert lui propose de jouer le rôle d’une asservie. Elle répond oui avec enthousiasme.
« Elle nous a expliqué qu’elle serait heureuse de montrer qu’elle pouvait faire autre chose que ramasser les papiers gras au sol, explique Pierre Reipert. Seulement, elle ne savait ni lire ni écrire. Mais il lui fallait bien lire son rôle, elle a donc appris à déchiffrer un texte en français, pas à pas, grâce à un atelier du Secours populaire. En un an et demi, elle a appris à lire de façon fluide. Et à monter sur scène : c’est sa grande fierté ».
Véronique joue Tituba, esclave d’une famille puritaine qui va la dénoncer comme sorcière. "Je n'ai aucune difficulté à jouer une esclave, puisque c’est ce que j'ai été, enfant". La compagnie Astrolabe 44 pense déjà à elle pour une autre pièce. Un personnage comique à l’opposé de son premier rôle : elle serait une tyrolienne blonde et un brin xénophobe.
Daniel Morvan.
Mercredi 12 octobre, à 20 h 30 au Théâtre de Verre, à Châteaubriant. Samedi 5 novembre, à 20 h 30 et dimanche 6, à 15 h, salle des fêtes du Croisic. Le 23 janvier 2017, à la MJC Saint-Exupéry, à La Baule. Les 10 et 12 février, Espace Renaissance, à Donges. Réservation au 02 40 53 75 62.
« Stratégie pour deux jambons », monologue philosophique d’un porc avant son abattage, était recréé en octobre 2016 par deux Nantais: Solenn Jarniou (mise en scène) et Didier Royant (comédien). Une "pièce-culte" ravivée par les préoccupations contemporaines sur la souffrance animale.
Didier Royant et Solenn Jarniou raniment ce succès des années 80
Stratégie pour deux jambons, c’est de l’art ou du cochon ?
D.R. C’est un cochon seul en scène, qui médite sur son existence, quelques heures avant d’être abattu. De l'humain il ne connaît que le porcher. Stoïque, il attend l’équarrisseur « d’un pied ferme et le cœur léger ». Raymond Cousse, son auteur, était né dans une famille bretonne venue travailler en région parisienne. Influencé par Beckett, il a écrit et joué ce texte. Il fut créé avec un immense succès en 1979. Le souci de la souffrance n’était pas absent des esprits à cette époque, mais le sujet de la pièce est surtout l’acceptation par le cochon de son destin tragique, de la naissance au pâté.
Vous avez taillé dans le gras?
D.R. On ne vise surtout pas la drôlerie, on n’insiste pas trop sur les calembours (« qui vivra verrat, disait mon père »). Mais on cherche l’émotion et la sincérité totale. Oui, on a taillé dans le gras du texte, en pensant au public de 2016, qui est un gros zappeur. On ne fait plus de cadeau, 10 minutes de trop et le spectateur est perdu. Donc on déborde à peine l’heure de spectacle, concentré sur les 4 m2 d’une porcherie. Peu d’accessoires : on garde le plus important, le seau.
C’est le discours de la servitude volontaire pour les cochons, cette pièce ?
D.R. Oui, ce cochon aime ce qui lui est imposé. La lutte des classes, c’est pour les tocards, lui, il n’a qu’un objectif, atteindre 120 kg en 210 jours, et ne pas gâcher le boudin… Il milite pour la production de jambon de qualité. Et il sait qu’il ne restera rien de lui, puisque dans le cochon, tout est bon…
Vous avez ciblé les producteurs de porcs dans vos invitations ?
S.J. Oui, bien sûr ! C’est un spectacle autoproduit et nous ne devons négliger aucun public. Nous invitons tous les diffuseurs, notamment ceux de l’ouest et des Côtes-d’Armor ! Ce regard, qui n’est pas un pur réquisitoire, peut les intéresser. Pas très rose, dites, cette vie de cochon...
Ce spectacle, ce n’est pas une heure de souffrance. Il devrait même être agréable à regarder.
La jeune Suzanne se souvient avoir passé ses vacances dans une demeure mystérieuse près d’un lac, unie à son frère Thomas par un lien très fort, fait de mystère et de peur du vide. Les souvenirs sont hantés par des figures adultes : Un maître d’école sadique, une grand-tante un peu lunaire, une cousine tyrannique qui joue avec un revolver. Et tout le reste : Un tableau représentant Ariane et son fil, la vase visqueuse du lac sous les pieds, les sévices et le désir de croire…
Dans son précédent roman, Le Garçon incassable, Florence Seyvos racontait l’histoire d’un enfant fragile, mais aussi agile que Buster Keaton. Cette fois, la scénariste de Noémie Lvovsky (Camille redouble) voit le monde dans la loupe grossissante de la sensibilité enfantine.
Cette histoire, on l’aime pour son climat d’adolescence effrontée, qui explore le monde par son versant étrange : la mère de la fillette lui apprend à jouer à la poupée, dont le mécanisme se détraque. Son père, lui annonçant son divorce, lui semble « un homme politique en difficulté ». Suzanne sonne les cloches de l’église, soulevée dans ses collants blancs. Scènes belles comme le monde vous semble à douze ans, enregistré à jamais depuis les coulisses de l’enfance.
Daniel Morvan.
Florence Seyvos: La sainte famille. Editions de l’Olivier, 174 pages, 17,50€.
C'est le secret le mieux gardé de la botanique nantaise : le Jardin des plantes est un fabuleux panier-dessert. Qui se déguste avec les yeux, ou se picore très prudemment, avec l'avis d'un jardinier.
Alors que le téléspectateur des « reality shows » se repaît des supplices d'aventuriers pour de rire, nous avons beaucoup mieux au coin de la rue. Inutile de s'enduire de boue ou de manger des mygales : un ticket de tramway suffit. Laissons donc les crocodiles manger Aurélie, la candidate de KohLanta... et partons pour le Jardindesplantes ! Une vraie corne d'abondance. Et aucune raison que les grives soient les seules à se gaver de ces fruits magnifiques dont la raison première n'est pas l'ornementation. « Un Jardindesplantes n'est pas conçu comme un garde-manger, explique Romaric Perrocheau, directeur du lieu, mais c'est un aspect passionnant de la botanique. »
Dans ce genre d'endroit, le mieux est d'observer ceux qui y travaillent, les jardiniers. Sous leur gouverne, avec toute la prudence voulue, votre naturel de cueilleur revient au galop... Dans le respect des pelouses ! Le butia (palmier abricot). Un palmier résistant au froid (il ne gèle qu'à - 10°) que l'on trouve dans les pampas d'Amérique latine. Les fruits du butia (ou palmier abricot) arrivent en ce moment à pleine maturité. En Amérique latine, on en fait du vin de palme. Délicieux frais (la pulpe sucrée entoure un gros noyau, comme celui des litchis, que l'on peut facilement faire germer). Situation : près des serres du Jardindesplantes. Cognassier sauvage. Rubrique sans objet, tous les fruits ayant été déjà prélevés par les amateurs de confitures de coings. Kaki. Impossible de passer à côté, tant l'arbre chargé de fruits est spectaculaire ! Le fruit du plaqueminier est sans conteste la grande star du moment au Jardindesplantes. L'œil est attiré par le port majestueux de cet arbre subtropical. Et surtout par ses fruits d'un rouge vif, proche de celui du sorbier.
Les fruits sont de la taille de tomates et ne se cueillent pas encore. Il faut attendre, pour le consommer, que le kaki soit très mûr, lorsque son épiderme se décolore et qu'il se ramollit. Pour activer son mûrissement, le ranger avec une pomme.
Très sucré, il se mange nature, à la petite cuiller ou en sorbet. De nombreuses recettes existent sur Internet (chutney, purée pour accompagner le filet de canard...). A noter qu'il existe aussi un petit kaki dont la maturité est plus avancée (il se déguste sur place, choisir les fruits blets). Églantier (cynorrhodon). La baie (le vulgaire « poil à gratter ») de cette rosacée ne se consomme pas entièrement. On ne mange que la base du fruit, sucrée et légèrement astringente. Très riche en vitamine C. Dans le carré des rosacées, angle nord du jardin. Pomme sikkim. De la famille des pommiers sauvages, son fruit se consomme comme le néflier, ramolli et presque blette (se méfier des épines). Contre le mur Est. Cornouiller mâle. On l'appelle aussi mimosa du causse, en raison de sa belle floraison jaune vif. Il produit des fruits à noyaux, rouges et très acides. Peu comestible en l'état, la cornouille permet de faire de succulentes gelées. Au bas du jardin. Hovenia dulcia (raisinier de Chine). Autre vedette du jardin (au nord-ouest, non loin de la porte Clemenceau), ce bel arbre porte des fruits insoupçonnables. Après avoir libéré ses parfums à la floraison en juillet, l'hovenia (siku au Japon) développe un fruit minuscule : la partie comestible est en réalité la tige de ce fruit délicieux et baroque, entre raisin et poire.
Christian Marchand, jardinier, déguste la tige du raisinier de Chine.
Témoignage d'un chirurgien
orthopédique, traumatologiste chef de clinique au CHU Pasteur 2
Nice.
Le soir du 14 nous étions à la
maison, avec des
amis, également médecins. Je reçois un coup de fil annonçant un
attentat et le lancement du plan blanc. Nous confions notre jeune
fils à une amie, et partons. Au
CHU, tout le monde est là, les internes, les externes, les
étudiants, par besoin d'être utile. Nous avons formons deux
équipes: l'une pour accueillir et trier les blessés, l'autre pour
opérer. Nous avons créé pour chacune des 18 salles du bloc une
équipe complète, avec un chirurgien orthopédiste, un autre
viscéral, un anesthésiste, des infirmiers et des internes. En une
demi-heure nous organisons une chaîne humaine très efficace. A
l'arrivée des premiers blessés au CHU, le personnel est choqué: les
hématomes faciaux, les membres arrachés provoquent des pleurs et
des évanouissements. C'est l'effroi, mais si on panique on ne fait
pas les choses. Une femme demande où est
sa fille, alors qu'elle est décédée. Une autre parle de son mari
mort sous ses yeux. Au bloc, nous explorons les plaies, dressons un
bilan des lésions vasculaires, des fractures, ligaturons les
vaisseaux pour stopper les hémorragies. Il faut alors décider ou
non d'amputer, décision lourde à prendre. Ce sont des blessés de
guerre avec des plaies profondes, comme un accident de la route avec
50 blessés en urgence absolue, qui arrivent en même temps. A 5h du
matin, les cas gravissimes sont traités. On se couche une heure. A
7h30, on débriefe et on affine le geste chirurgical pour certains
patients, jusqu'au soir. 48h sur le pont.
Le syndrome d’Asperger est une variante humaine non pathologique associant, à un degré aigu, intelligence, humour et misanthropie. Ils s’appellent eux-mêmes les "aspi" ou les "asperges", et se reconnaissent entre eux. Ce sont de gros gaffeurs, car ils disent tout ce qu’ils pensent et pensent tout ce qu'ils disent, sont intègres et aiment les listes. Le héros de ce livre adore aussi le scrabble, les catastrophes aériennes et Sophie Sylvestre, une camarade de lycée qu’il a tendance à envahir de courriels. L’ouvrage nous fait partager sa vision corrosive de la société, du culte des apparences et des femmes folles d’emplettes. On rit beaucoup devant ce tableau de famille: la tante Solange et son attirance mystique pour les pervers, le cousin Henry et ses plans pourris de mercurey déclassé, la tante Lorraine et ses escapades. Les notes acidulées du livre ne couvrent pourtant pas celles, plus discrètes, des souffrances d’une vie purement imaginaire, à l’écart d’un réel qui ne génère qu’un "douloureux sentiment d’absurdité". DM Emmanuel Venet: Marcher droit, tourner en rond, 128 pages, 13€. Verdier. 18 août.