Une cave du Bignon, près de Nantes, transformée en théâtre |
Les caves se rebiffent. S'enfoncent dans le sol pour nous donner de l'air. L'air du théâtre, celui qui oxygène, asphyxie, transporte, grise et enchante. Voici un
théâtre pour 19 spectateurs, plus les hirondelles. C'est dans le vignoble. On s'y retrouve presque clandestinement, attendant sous la pluie l'ouverture du parterre.
Beaux moments scéniques proposés en juin 2018 dans le pays nantais par le douzième Festival des caves. Un événement de "théâtre souterrain" initié à Besançon en 2005, à partir d'une commande du musée de la Résistance. Rendez-vous en ville en un point de ralliement secret, cheminement vers un lieu de spectacle insolite, découverte de textes forts, dans une relation frontale comédiens-public, peu de décors, priorité à l'imagination, tous ces ingrédients ont contribué à faire du festival des Caves un rendez-vous exceptionnel: "un peu comme de se retrouver dans un petit musée face à face avec un Mantegna ou un Monet", résume le créateur Guillaume Dujardin. Une douzaine de créations sont ainsi présentées en mai et juin, dans une centaine de villes et villages en France et en Suisse, avec une troupe de comédiens "permanents" sur la durée du festival.
Beaux moments scéniques proposés en juin 2018 dans le pays nantais par le douzième Festival des caves. Un événement de "théâtre souterrain" initié à Besançon en 2005, à partir d'une commande du musée de la Résistance. Rendez-vous en ville en un point de ralliement secret, cheminement vers un lieu de spectacle insolite, découverte de textes forts, dans une relation frontale comédiens-public, peu de décors, priorité à l'imagination, tous ces ingrédients ont contribué à faire du festival des Caves un rendez-vous exceptionnel: "un peu comme de se retrouver dans un petit musée face à face avec un Mantegna ou un Monet", résume le créateur Guillaume Dujardin. Une douzaine de créations sont ainsi présentées en mai et juin, dans une centaine de villes et villages en France et en Suisse, avec une troupe de comédiens "permanents" sur la durée du festival.
Anaïs Marty et Anne-Laure Sanchez dans "Des idiots, nos héros" |
Cette
belle idée plantait ses tréteaux le 14 juin 2018 à la Maison Rouge
(Le Bignon), avec une proposition de la compagnie Banquet d’avril: Deux mots, monologue de Philippe Dorin mise en scène par
Monique Hervouet. Une jeune femme (Anne-Laure Sanchez, remarquable dans cet exercice de fausse naïveté) vide son sac
et se raconte à travers les objets qu'il contient (tube de crème,
botte d'oignons, prise électrique...). Une fraîcheur de surface, un
langage enfantin, des scintillements poétiques et des noirceurs qui se révèlent à mesure que le texte vrille... Et l'on rigole un peu moins quand la gamine sort le
flingue. Après le spectacle, un rosé du vignoble voisin permet de faire connaissance.
L'aventure souterraine se poursuivait à Nantes le samedi, avec une pièce de Moreau: Des idiots nos héros, où l'on retrouve Anne-Laure Sanchez au côté d'Anaïs Marty. Des idiots, nos héros est un texte inédit (écrit en 2012, dans une sorte de défi ou de marathon personnel de l'auteur, il a été lu à la Comédie française) et articulé en trois monologues. Le premier (qui met en scène deux frères) est proféré plein pot et compteur bloqué, comme pour une italienne (répétition d'une voix neutre), par Anaïs Marty sur les lieux mêmes du rendez-vous, à l'arrêt Romanet de la ligne 1 du tramway nantais. Le festival des caves exige du spectateur une bonne capacité à absorber le flot verbal, et réclame aussi des comédiens "bouffeurs de texte" et athlètes de la diction.
L'aventure souterraine se poursuivait à Nantes le samedi, avec une pièce de Moreau: Des idiots nos héros, où l'on retrouve Anne-Laure Sanchez au côté d'Anaïs Marty. Des idiots, nos héros est un texte inédit (écrit en 2012, dans une sorte de défi ou de marathon personnel de l'auteur, il a été lu à la Comédie française) et articulé en trois monologues. Le premier (qui met en scène deux frères) est proféré plein pot et compteur bloqué, comme pour une italienne (répétition d'une voix neutre), par Anaïs Marty sur les lieux mêmes du rendez-vous, à l'arrêt Romanet de la ligne 1 du tramway nantais. Le festival des caves exige du spectateur une bonne capacité à absorber le flot verbal, et réclame aussi des comédiens "bouffeurs de texte" et athlètes de la diction.
Moreau (auteur de "Des idiots, nos héros") et Anaïs Marty |
Ce premier moment de l'album de famille, porté par une longue mélopée vocale, est une pièce d'un
puzzle dont on découvre la suite à 500 mètres de là, dans une cave sombre de Bellevue. Le spectateur est médusé par la vision de ces deux silhouettes hiératiques,
raidies par l'effort d'un mouvement imperceptible vers le public, cadré par deux
spots verticaux et un rayon laser tranchant un nuage de fumée. C'est l'image unique de cette seconde phase, assez forte pour le porter pendant près d'une heure, sur le fil d'une progression insensible. Les
deux comédiennes, vêtues de crinolines grises,
poursuivent cette tragédie familiale à la découpe, dans un cadre minimaliste qui
coïncide avec l'histoire racontée, celle d'une famille française
dont le père est gardien de nuit dans un parking. Il est désynchronisé
des siens, piégé par une vie répétitive et sinistre, entre ses rêves et son uniforme détesté, badgé du coeur vendéen.
Scandé comme un solo de Coltrane (Moreau, alias Frédéric Mauvignier, confiera ensuite qu'il écrit en musique), le texte poursuit son travail de sape, accusant les lignes de faille et les clivages. Le texte, juste le texte et ses silences, sans rien d'autre que la lumière et les bruits d'eaux usées dans les conduites du sous-sol, un sourd nappage sonore dramatisant le crescendo vers la révélation finale, et les quinze spectateurs sous emprise suivent, se laissent dévorer par cette histoire, bombardés, essorés par la litanie des mots et les vies brisés.
Scandé comme un solo de Coltrane (Moreau, alias Frédéric Mauvignier, confiera ensuite qu'il écrit en musique), le texte poursuit son travail de sape, accusant les lignes de faille et les clivages. Le texte, juste le texte et ses silences, sans rien d'autre que la lumière et les bruits d'eaux usées dans les conduites du sous-sol, un sourd nappage sonore dramatisant le crescendo vers la révélation finale, et les quinze spectateurs sous emprise suivent, se laissent dévorer par cette histoire, bombardés, essorés par la litanie des mots et les vies brisés.
Daniel Morvan