dimanche 13 novembre 2016

Archives des assises: 17 marques carrées

En janvier 2004, Marie *** succombait à des coups portés par son compagnon, à B***, où ils vivaient dans une caravane. C *** comparaît pour violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Il risque jusqu'à 20 ans de prison.



Ce n'est pas ce qu'on appelle du mobilier de jardin. C'est de la misère en planches. Une pauvre table et un pauvre banc. Posés là sous les yeux des jurés. Une fois, l'adjointe aux affaires sociales de Basse-Goulaine était venue les voir. Elle, Marie ***, et lui, C ***. Deux caravanes, un hangar de branches, une table, deux bancs. C'est comme ça qu'ils s'étaient fabriqués un semblant de vie, dans une zone inondable. Avec même une plante sur la table. Marie utilisait une balayette pour nettoyer. «C'était hétéroclite et émouvant.» Émouvant comme deux êtres agrippés à la même planche dans le naufrage de leurs vies.
Le samedi 24 janvier 2004, Marie va glisser du banc. Ce sera le terme de sa longue glissade. C*** épatait ses rares copains avec son pot-au-feu. Il savait le faire. On le mangeait les pieds dans la boue, mais on le mangeait. On buvait aussi. Un pote avait apporté un cubi de rosé, un autre de rouge. Un moment, Marie ne tenait plus debout. Raide. C*** était allé chercher du bois mort pour la nuit. Il la trouve par terre, sa « petite bonne femme gentille » qui planquait les litres derrière les arbres. Elle a encore tout cassé le mobilier. Et lui qui lui achète parfois des fleurs, il va la frapper à mort. « Ce soir-là, ça a explosé. »
On ne peut pas trop imaginer ça : C*** et sa grande carcasse et elle, poids plume, 1,58 m, face contre terre dans la boue, vêtue d'une seule chemise, ivre (3,72 g dans le sang). Les dix-sept marques carrées de 22 mm sur 30 mm relevées dans le dos, les lésions d'embrochage de la plèvre et du poumon gauche par les esquilles des côtes fracturées, les plaies crâniennes ne laissent que peu de doutes : il a dû frapper très fort avec ce gros marteau, même s'il dit avoir oublié. Et pourtant, dit-il au président de la cour, « je ne pouvais pas la quitter, je l'aimais, et plus que vous croyez. » Il l'avait déjà dit à un expert : « Qu'est-ce que je l'ai adorée cette fille-là. »

Enfance

Alors, quoi ? Faire défiler les images à l'envers, depuis ce gars sombre en pull écru irlandais, costaud, impulsif, mais capable de se défendre, au gosse de la Ddass qui crut trouver l'espoir dans une famille d'accueil ? Espoir insensé : C*** croit même être aimé, être le chouchou de ce « papa » adoptif, lorsque celui-ci meurt.
« Le jour de l'enterrement, j'ai voulu entrer dans le cercueil. Je suis tombé évanoui dans l'église. »
Et ensuite, l'enfant ne cessera de s'évanouir. Tomber devient le leit-motif de sa vie. Il s'exprime en syncopes. Sa façon à lui de dire ce qui lui arrive.
Il rate son CAP horticole (lui qui adore la nature) et s'engage chez les paras. Sa façon de tomber ne doit pas plaire, et il a horreur des armes. Réformé. Il rencontre Sandra à V***. Il tombe (encore) d'une fenêtre en posant une tringle. Une petite L*** naît, mais ce n'est pas le bonheur. Sandra le trompe. Alors C*** saute dans un train qui l'amène jusqu'à Nantes. Foyer, RMI, la rue, la manche, essai de désintoxication. Et un jour, devant la mairie de Chantenay, Marie. Il tombe amoureux. Elle traîne avec les clochards, elle est avec un gars tuberculeux qui meurt. Avec C***, qui « la secoue comme un prunier » deux à trois fois par semaine, Marie va devenir la femme qu'on reconnaît à ses bandages, ses bleus et ses yeux au beurre noir.
Mais ils ne peuvent se quitter. Ils glissent ensemble, il la bat, elle se débat, mais reste. Lui aussi. Soudés dans le malheur. « J'aurais voulu faire une bonne vie avec Marie, on a toujours été amoureux. »
Mais, comme si une seule personne ne pouvait à la fois aimer, battre, compatir, dire, hurler toute cette douleur, c'est le fils de Marie, R***, qui est venu pour faire entendre une souffrance audible. Quand on a montré le lourd marteau, on a vu un gosse pleurer. Juste pleurer.

Daniel Morvan

Paru dans le quotidien le ‎mercredi‎ ‎11‎ ‎janvier‎ ‎2006: 797 mots

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