jeudi 21 février 2019

Poésie ou théâtre? Mettre Stéphane Bouquet en scène

Mårion Dønier (régie), Ludivine Anberrée, Kevin Martos et Romain Lallement

C'est le retour de Ludivine Anberrée: la comédienne partage la scène avec Kevin Martos (également metteur en scène et scénographe). Romain Lallement (Lenparrot) assure toute la partie musicale au plateau, dans la pièce «Vie commune, laissez on meurt», d’après le recueil du poète contemporain Stéphane Bouquet. Projet ambitieux dont la phase la plus aboutie est présentée cette semaine au Nouveau studio théâtre, 5 rue du Ballet à Nantes. 
"Les récits de Bouquet sont fabuleux, explique le critique Vianney Lacombe à propos de "Vie commune" : il est permis à tous les personnages de se transformer, de devenir des morceaux choisis de la douleur, de l’angoisse, du plaisir et de l’absence, avec de nombreux visages qui ne sont pas toujours celui de Bouquet : il lui est possible désormais de parler de lui comme s’il avait existé dans ces personnages, ce qui est une définition de la fiction, mais nourrie de présences, de souvenirs et de sensations."
Ainsi posé, le passage du papier et du poème à la fiction à la scène semble possible; reste que cette écriture est "rêche": Kevin Martos tente d'en faciliter l'accès, dans une ouverture virtuose où, sur la musique de Charles Mingus (Fables of Faubus), Ludivine Anberrée se livre à une action chorégraphique, mêlant l'énergie de la comédie musicale et l'audace de la performance, où femme et homme échangent leurs rôles. Cette approche très physique de la poésie contemporaine (la coach chorégraphique Layal Younesse y a mis sa touche), à travers un mélange des rôles et un échange des genres, propose une relecture politique de la comédie romantique, sur fond de réchauffement climatique et de villes occupées, dans une atmosphère pop que Lenparrot diffuse comme un oiseleur inspiré. Ses musiques et voix apportent une intensité autre, plus sensible, un contrepoint et une clarté nécessaires. L'opacité apparente du texte n'en est que relative; une décantation légère du texte suffit pour que, relu, la teneur en semble limpide: "Qu'est-ce que vivre? Cette fois l'étymologie ne va pas nous aider. En indo-européen vivre voulait déjà dire vivre semble-t-il, et rien d'autre. C'est à nouveau le début, peut-être qu'il suffit d'accumuler un tas de gestes et on verra bien le sens à la fin." C'est tout ce qu'on souhaite à ce travail qui se poursuit en résidence à la Fabrique de Chantenay avant de trouver sa forme définitive, au terme d'une maturation dont on attend beaucoup et qui gagnerait peut-être, comme le suggère un simple spectateur, à se donner ouvertement comme la projection scénique d'un livre de poésie.

Daniel Morvan


Jeudi 21, vendredi 22 et samedi 23 février à 20h30. 5, rue du Ballet à Nantes.

mardi 19 février 2019

L'orgue du Sonnenberg: revue de presse, contacts, diffusion



L'orgue du Sonnenberg (éditions Diabase). est disponible sur commande dans certaines librairies (Les bien aimés à Nantes, notamment, La vie devant soi, Ombres blanches...). Et sur internet: chapitre.com et lelibraire.com. Pour la Fnac, l'ouvrage est référencé sur la plateforme Alizé SFL.

Revue de presse 



Liens vers les articles parus sur le roman L'orgue du Sonnenberg (Diabase, mars 2019)

L'article de Marie-Hélène Prouteau (Terres de femmes)
La note de lecture de Pierre Campion
Pourquoi j'ai écrit L'orgue du Sonnenberg




Le livre

Emilien Jargnoux, fils de boucher, fait le récit de son entrée comme interne au collège de l'abbaye Saint-Magloire à Sonnenberg, un village des Alpes suisses, en 1965. Situé au bord d'une rivière, le vaste domaine renferme en sa chapelle un orgue ancien surnommé Ashley, qui ne sonne plus depuis des années. Il y fait la rencontre de Vivia Perpétua… « Je me souviens encore des baskets bleues et des jambes nues de Vivia Perpétua, qui s’appuya sur mon épaule pour se hisser à l’intérieur du buffet d’orgue. Recroquevillés et imbriqués à ne former qu’un seul corps, faces, joues, épaules et fessiers compactés en une seule chair, doigts clenchés dans les tendons et les nerfs, nous avions le nez sur cette minuterie. » Une montagne, le Sonnenberg, une abbaye-pensionnat, des collégiens ardents, des adultes fébriles, écrivent le dernier acte d’un monde en train de s’effacer. Il y faut le souffle mystérieux d’Ashley, un orgue rare refusant de se taire, pour que les esprits s’ouvrent, que les corps se libèrent et que le nouveau monde s’épanouisse. Daniel Morvan saisit l’étrange dans le réel, pénètre les cœurs et nous emporte dans une fable explosive dont le lecteur devient l’initié. 

Ce qu'ils en pensent

"Passé « les erreurs charmantes de [sa] jeunesse » puis l'école sévère de l'écriture que représente le journalisme — adieu les adverbes et adjectifs pharamineux, la syntaxe ampoulée et les feuilletons à épisodes que l'on se raconte à soi-même en gardant les vaches le jeudi ou aux vacances de Pâques —, et après plusieurs romans au lyrisme maîtrisé, Daniel Morvan peut revenir sur sa naissance à la littérature. Se penchant sur ces défuntes années, il nous livre une farce ironique et tendre, montée de toutes pièces. » (Pierre Campion, site À la littérature).

Ce roman pudique et sensuel, écrit dans une langue riche et superbe, ne ressemble à rien de ce qu'on lit aujourd'hui (Alain Girard-Daudon, revue 303).


Daniel Morvan, enfant du Finistère, a choisi les Alpes comme décor de son histoire, en pointant par hasard un bout de carte. Mais elle pourrait se dérouler en Bretagne. Voyez comme il décrit ce bout de campagne : « Le Sonnenberg est une province du ciel, mais une province. C’est-à-dire une religion en soi, où se mêlent culte du proche, adulation des racines, flagornage de l’ancêtre, éloge de l’ossement, vénération de l’inerte. » Du pur Morvan. (François Chrétien, Ouest-France, mars 2019)

Ce livre nous fait entrer dans le monde de l'adolescence, dans la juvénilité de son énergie, de ses fantasmes... C'est ce chatoiement d'un monde de visions, de rêves lestés de peurs et d'émois que nous offre Daniel Morvan (Marie-Hélène Prouteau, Terre de femmes, la revue numérique d'Angèle Paoli).

Bildungsroman, récit d’initiation, L’orgue du Sonnenberg dévoile à la lecture, tel un palimpseste, une grande richesse thématique. On trouve ainsi dans les interstices d’un récit aux accents parfois nervaliens (la chanson populaire y a sa place) toute une poétique du paysage – un paysage hésitant étrangement entre Suisse alémanique et univers celtique. Ou encore une réflexion (une réflexion en mode narratif) sur la puissance des images et « l’imaginaire de terre promise » que secrète une « danse spectrale » de novices.
Mais L’orgue du Sonnenberg est aussi et avant tout ce qu’on pourrait appeler un roman « musical » (la catégorie apparaît avec le romantisme). Et il ne l’est pas seulement par son thème (la condition, par exemple, de son narrateur, un bègue en mal de sa propre voix). Il l’est aussi par la réflexion que suggère la construction de l’intrigue, le déploiement de sa mélodie narrative ; laquelle conduit d’une considération technique de l’instrument à toute une métaphysique de la musique et du chant – d’un chant qui serait salvateur. Il l’est encore par sa composition constamment riche en harmoniques diverses et par sa langue, à la fois simple et savante, sans cesse relançant la narration par le jeu entre tension et résolution. Il s’ensuit pour le lecteur un réel plaisir du texte, celui par exemple de voir scintiller, au milieu d’une étoffe verbale toute en moires lexicales, l’éclat d’une phrase-aérolithe qui a tout d’un poème d’Apollinaire : « elle avait suivi un magicien limougeaud, s’était faite l’esclave d’un rémouleur itinérant, d’un apiculteur structuraliste de Schwyz, la seconde voix d’un yodleur des Carpathes ».
Jean-Claude Pinson, revue Place Publique Nantes Saint-Nazaire.


Photo: Bernard GALERON

L'auteur


Daniel Morvan est né dans une famille paysanne de Plougasnou (Finistère). Etudes de lettres à Lannion, classes préparatoires à Rennes, entrée à l'Ecole normale supérieure de Saint-Cloud en 1976. Il y réalise un film documentaire noir et blanc de 1h27 sur la fin de la paysannerie: L'Assolement (1978). Journaliste au quotidien Ouest-France jusqu'en 2017; commence à publier en 2002. Parmi ses fictions, Mai 69 propose un éclairage oblique sur mai 68, tel qui est vécu par un enfant des campagnes bretonnes. La parution de Lucia Antonia Funambule, en 2013 (Zulma), lui vaut deux prix littéraires. Son nouveau roman, L'Orgue du Sonnenberg, paraît en mars 2019 chez Diabase où il a déjà publié La fille du sorbier.


ISBN : 978-2-37203-023-6 176 pages 16,00 €

En librairie le 5 mars 2019 
Contact presse : Yves Bescond 06 50 64 33 23

Distribution : La Générale Libr’Est
128 bis, avenue Jean Jaurès 94200 Ivry-sur-Seine
Tél. 01 41 79 11 02
Sur internet:
Sites vendeurs préférentiels: chapitre.com et lelibraire.com. Pour la Fnac, l'ouvrage est référencé sur la plateforme Alizé SFL.

Goncourt du premier roman: "Court vêtue", la nymphe et le garçon



Lui stagiaire de quatorze ans, robuste apprenti qu'elle appelle le Garçon, elle Gil, pour Gilberte, "courant d'ait blond doré, porté par des jambes nues et blanches". Lance à goudron et râteau en main, il suit son stage de cantonier sur les routes; elle, chaussée de Scholl blanches, travaille à la supérette du village dont le gérant, un Jacky portant gourmette, l'entreprend dans la réserve. Félix est hébergé par son patron et partage la maison du cantonnier avec Gil. Le père est un homme à briquet qui ne voit rien des aventures de Gil avec des hommes mûrs qu'elle aimerait bien épouser. Elle le considère un peu comme son petit frère, sans imaginer qu'il l'épie dans son bain, guette ses retours du bal ou la scrute dans ses rendez-vous en bord de rivière. "Pour lui la douceur du jour c'était ça: vivre au même moment dans la même maison". Du moins jusqu'au jour où, au bord de la piscine, où Gil ne nage pas très bien, elle s'avise du fait que Félix est en train de devenir un homme: l'intérêt pour l'autre devient mutuel. Ils remplissent ensemble le questionnaire de stage du garçon, surexcités et la tête ailleurs. Lui déchiffre le mode d'emploi d'une cafetière électrique gagnée par Gil en collectionnant ses points, et découvre le pouvoir des mots, qu'il aime écrire et donner à la fille, sur un papier froissé. Naissance de l'écriture et de l'amour dans un moment suspendu dans un village de bord de nationale, près des feux rouges. Ils vont au cinéma qui semble abandonné, elle continue de vivre dangereusement, sur les bords de rivière, jusqu'à s'y perdre. Le petit capital de jours d'été qu'ils partagent s'épuise vite, à s'observer de cette façon, à se noyer dans la contemplation, la saisie des corps vite évaporés avec la chaleur de l'été. Et le lecteur voit avec inquiétude la fin approcher, qui sera aussi la fin de ce petit miracle d'écriture. Marie Gauthier offre ici un premier roman merveilleux, balancé comme comme une chanson de Charles Trenet, triste comme la France contemporaine, d'une écriture impassible, tendue et frémissante, qui raconte l'échouage des rêves.

Daniel Morvan
Marie Gauthier: Court vêtue. 112 pages, 12,50€ 

vendredi 8 février 2019

Théâtre: Le Jardin, Eve à la cuisine et Adam au burlingue



Critique

Un homme et une femme. Il fait très chaud. Un arbre pousse sous le lino. Ils n'ont pas d'enfant. Il tente de régler les problèmes essentiels. Elle tire une couverture faite de toile la voile, prend une douche, trois gouttes d'eau. Trois autres pour rincer le plancher. Lui revient du bureau. Tombe la veste et se déloque assez naturellement, avant d'ouvrir une bière chaude, de bavasser sur l'avenir du monde et ses propres chances d'ascension hiérarchique. Toute cette banalité accumulée sur un plateau étroit, meublé par un système rudimentaire de captation de l'eau, bidons, cuvettes - ici le plastique est roi - nouilles chinoises, cette banalité est celle d'un mal que tout spectateur reconnaît: le réchauffement climatique et l'entrée dans l'Anthropocène (1). 
Dans l'histoire de Zinnie Harris mise en scène par Jean-Marie Lorvellec, le déclin d'un couple fait fond sur quelque chose de plus puissant, l'aventure singulière prenant des couleurs plus crépusculaires encore lorsque vous vous apercevez que l'histoire racontée est déjà bien connue: Adam et Eve chassés du jardin d'Eden. Eve à l'évier et Adam au burlingue. Cette compression étrange de couple biblique figé dans un huis-clos à la Marlon Brando et Vivien Leigh relie les images d'un intérieur américain très codé par le cinéma (on pense aussi à John Cassavetes) sur un dehors scénarisé par les climatologues. Le théâtre Amok a longuement mûri cette création, à travers un stage théâtre, des lectures privées dans le jardin du metteur en scène, un travail avec la chorégraphe italienne Ambra Senatore. Un travail dont on mesure toute la minutie, devant cette scénographie de la survie, et cette dramaturgie en trois actes qui module sur les tentatives du couple pour survivre à la surchauffe en se raccrochant au précepte: on ne déménage pas, on ne se laisse pas chasser du paradis. 
Ainsi décrite, la pièce pourrait sembler excessivement noire. Elle l'est, et pourtant Lorvellec, d'une maîtrise subjuguante, propose une lecture vibrante et lyrique de cette histoire de catastrophe et de culpabilité. Le propos est tenu de bout en bout dans toutes ses implications, scéniques, musicales, et cette cohérence produit des effets d'incarnation et de réalisme, marqués par de très belles images comme le tableau final, dont la verticalité de vitrail délivre une sorte de sublime désespéré. Marie-Laure Crochant incarne une Jane dépressive qui, au risque d'être à nouveau déclarée folle, se raccroche à l'apparition d'un pommier poussant dans le béton de sa cuisine. Sa folie, c'est d'espérer. Celle de son mari, de prétendre qu'on le puisse. Et de faire semblant de maîtriser la machine climatique emballée. La marche implacable vers le pire, dosée comme une intraveineuse de spleen par une musique nappée (partition de Stéphane Fromentin), un flux sonore qui ponctue avec précision les temps de l'action, apporte aussi cet espoir d'un nouvel arbre de vie qui ne se laisse pas déraciner. Après tout, Adam et Ève ne peuvent pas tirer leur révérence comme cela, baisser le pavillon et partir en laissant derrière eux un pommier mort. Le couple Crochant et Jérémy Colas est parfait dans cette association d'aveuglement et de folie lucide, jusqu'au final de fin du monde qui est une question adressée à chacun: est-ce bien cela que nous voulons? 

Daniel Morvan

Le Jardin, de Zinnie Harris. Théâtre Amok, 1 h 20. Au Grand T (av. du Général Buat, Nantes). 
1: le terme anthropocène désigne l'ère de l'homme, période débutant lorsque les activités humaines ont laissé une empreinte sur l'ensemble de la planète.

samedi 2 février 2019

2 février 1933, l'affaire Papin



Christine et Léa Papin lors de leur procès



Le 2 février 1933, Christine et Léa Papin tuaient leur maîtresse et sa fille dans une maison bourgeoise du Mans.


La carte de visite mentionnant Léa Papin a disparu sur le clavier du digicode. Mais c'est bien dans cet immeuble du quartier Sanitat que le réalisateur Claude Ventura a découvert la trace de Léa Papin. "C'est un peu comme si, lorsque je réalisais un documentaire sur Scott Fitzgerald, j'étais tombé sur l'écrivain", explique le réalisateur. 

2 février 1933. La femme et la fille d'un notable du Mans sont retrouvées mortes, mutilées, à leur domicile. Les domestiques de la maison, Christine (28 ans) et Léa Papin (21 ans), sont interpellées dans leur chambre, blotties dans leur lit. Le procès va passionner l'opinion, des écrivains sont dépêchés pour couvrir le procès. Ce meurtre atroce commis par deux femmes réputées "saines d'esprit" demeure incompréhensible : quels secrets veut-on cacher en évitant la thèse de la démence ?

Un oeil posé sur une marche

2 février 1933. « Vingt dieux ! ». Le gendarme Vérité pénètre dans la maison bourgeoise des Lancelin, 6, rue Bruyère au Mans. "Je vois une chose gluante et flasque qu'il me faut enjamber. Un œil, un œil humain posé sur une marche". Sur le palier, Madame et Mademoiselle Lancelin gisent affalées, tête-bêche, jupes et jupons retroussés, dans une mare de sang et de débris humains. » Les deux victimes énucléées sont âgées de 56 et 21 ans. Au second étage de la demeure, l'agent Vérité découvre les deux bonnes de la maison, couchées dans l'un des lits, «l'une contre l'autre, les épaules dénudées sortant des draps, les cheveux en bataille ».
« On s'est battues, on a eu leur peau avant qu'elles aient la nôtre », dit avec aplomb Christine Papin, âgée de 28 ans. À ses côtés, sa cadette Léa, 22 ans. Les deux femmes, cuisinière et femme de chambre depuis sept ans auprès des Lancelin, se lèvent, enfilent leurs bas et leur peignoir et rejoignent le commissariat central, avant d'être incarcérées à la prison du Vert Galant.

Septembre 1933. A 1 h du matin, au terme d'une délibération de quarante minutes, Christine Papin est condamnée à mort. À l'énoncé de la sentence, elle tombe à genoux. Elle ne sera pas guillotinée. Le président Albert Lebrun commue sa peine en travaux forcés à perpétuité. Mais après trois ans et demi derrière les barreaux, son état mental se dégrade. Inapte à la prison, la grande mélancolique est morte dans la section psychiatrique de l'asile de Saint-Méen de Rennes, le 18 mai 1937. Sa cadette Léa purgera sa peine de 10 ans à la maison centrale de femmes de Rennes.

Sous son vrai nom

1943-2001. Léa Papin bénéfice de circonstances atténuantes. Elle est condamnée à dix ans de travaux forcés assortis de vingt années d'interdiction de séjour. Elle est libérée de la prison de Rennes, en 1943, après avoir purgé sa peine jusqu'au dernier jour. À sa sortie, elle rejoindra sa soeur Clémence à Nantes. Elle est décédée à 90 ans, dans une clinique nantaise, le 24 juillet 2001.

A sa libération en 1943, Léa fut assignée à résidence à Nantes. "L'énorme surprise a été de découvrir qu'elle vivait sous son vrai nom. De la tombe de sa mère à l'immeuble où elle vivait, nous n'avons mis que 24 heures. Ces images n'ont pas été préparées, nous avons filmé nos investigations en direct. Nous avons monté l'escalier le coeur battant. Ce qui est fou, c'est que personne n'était au courant. Quand même, en 1991, Paris-Match consacre encore 7 ou 8 pages à l'affaire !" 

Décembre 1999. Au Mans, Claude Ventura et sa narratrice Pascale Thirode filment les lieux du drame, interrogent la mémoire sarthoise. Rencontrent la journaliste Paulette Houdyer, tenante farouche de l'hypothèse homosexuelle.

2000. Mais revenons à Claude Ventura, un an avant la mort de Léa. Il remonte la piste jusqu'à Nantes. Dans un cimetière nantais, la concession funéraire de Clémence Derré, mère des deux bonnes mancelles, est régulièrement renouvelée par la cadette. "Je n'avais jamais imaginé rencontrer Léa Papin en vie, dit Claude Ventura. Si j'avais su qu'elle était vivante, je n'aurais même pas fait le film."
Quand ils frappent à la porte des voisins, ceux-ci renvoient une tout autre image de Léa que la jeune mutique du procès. Ils n'ont pas lu Paris-Match, ni Jean Genêt, ils ignorent son passé. Le réalisateur ne les décille pas. Ils parlent d'elle comme d'une femme active, que tout le monde connaît dans l'immeuble de Notre-Dame du Bon-Port, qui a refait son existence, est devenue couturière. L'image presque idéale d'une réinsertion réussie, d'une vie privée reconstruite sous son propre nom après paiement de la dette. 
Aphasique depuis la chute qui l'a contrainte à quitter son domicile, elle se trouvait dans une résidence de long séjour. Claude Ventura et Pascale Thirode s'y présentent et demandent à la voir. "Je n'ai pas voulu qu'elle voie que je la filmais, j'ai seulement filmé le fantôme avec un caméscope, sans vouloir utiliser cette image. Nous lui avons dit que nous venions de la part de ses voisins. Mais je ne lui ai pas parlé de l'affaire, j'aurais trouvé ça moche."

Au cours du montage, l'idée s'impose de clore le suspense par cette image. Muette comme lors de son procès. Mais que sait aujourd'hui Léa de l'affaire Papin ? Ce visage et ces yeux farouches ("Sitting Bull pris par les Yankees") ont traversé le siècle avec leur mystère. 

Daniel Morvan

En quête des soeurs Papin, film de Claude Ventura, 2000.