« C’est à Nantes que j’ai tourné, disait Jacques
Demy, parce que j’y suis né et que je connais bien cette ville folle et très
belle ». Né en 1931 à Pontchâteau, Jacques Demy acheta sa première caméra
en 1945, dans une boutique du passage Pommeraye.
Ses premiers films de marionnettes en papier découpé, image par image (Attaque nocturne, La Ballerine), vont le conduire à l’école de cinéma Vaugirard à Paris. Son film de fin d'études, Les horizons morts, dans lequel il apparaît, est marqué par une esthétique doloriste et bressonienne. Puis il réalise deux courts métrages majeurs (vidéo: Le sabotier du Val de Loire, 1955, chef d’œuvre du cinéma documentaire et méditation sur la mort, et le road-movie îlien Ars)...
... avant de réaliser en 1960 Lola. Un film-comète porté par la Nouvelle vague (et son producteur Georges de Beauregard), mais qui se singularise par son intensité fiévreuse, sa pellicule ultra-sensible et ses cœurs surexposés, son goût des chassés-croisés et des rencontres de hasard, des filles-mères mélancoliques et des amours socialement ou moralement interdites (entre la petite Cécile et Frankie le marin, unis dans la délicieuse et sinueuse obscurité d'une chenille de fête foraine, sur la musique du Clavier bien tempéré: vidéo).
Ses premiers films de marionnettes en papier découpé, image par image (Attaque nocturne, La Ballerine), vont le conduire à l’école de cinéma Vaugirard à Paris. Son film de fin d'études, Les horizons morts, dans lequel il apparaît, est marqué par une esthétique doloriste et bressonienne. Puis il réalise deux courts métrages majeurs (vidéo: Le sabotier du Val de Loire, 1955, chef d’œuvre du cinéma documentaire et méditation sur la mort, et le road-movie îlien Ars)...
... avant de réaliser en 1960 Lola. Un film-comète porté par la Nouvelle vague (et son producteur Georges de Beauregard), mais qui se singularise par son intensité fiévreuse, sa pellicule ultra-sensible et ses cœurs surexposés, son goût des chassés-croisés et des rencontres de hasard, des filles-mères mélancoliques et des amours socialement ou moralement interdites (entre la petite Cécile et Frankie le marin, unis dans la délicieuse et sinueuse obscurité d'une chenille de fête foraine, sur la musique du Clavier bien tempéré: vidéo).
C’est la singularité de cet univers qu’explore le
livre Jacques Demy, alors que les
salles de Nantes projettent ses films. Ils sont également disponibles en DVD,
avec une nouvelle restauration des Demoiselles de Rochefort, à partir du
négatif original de 1966, dont chaque image (le film en compte exactement
179 010) a été numérisée.
« Jacques Demy est un des rares inventeurs de
formes du cinéma français, avec Robert Bresson et Jacques Tati, souligne
Olivier Père, directeur du festival de Locarno et co-auteur de l’ouvrage. Il fut le seul à travailler en France
à l’intérieur d’un genre bien codifié, la comédie musicale, qu’il a entièrement
repensé et révolutionné. Ses films non musicaux relèvent aussi d’une
stylisation originale à tous les niveaux : décors, image et son, mais aussi
dialogues et interprétation. Un film comme Les
Parapluies de Cherbourg n’a pas d’équivalent dans le cinéma mondial. Lola, malgré son style très Nouvelle
Vague, se différencie fortement des films de Chabrol, Godard, Truffaut et
Rivette par une poésie et une mélancolie très personnelles. »
1963 marquera la consécration mondiale pour ce film de
tous les risques, où Demy intègre avec force le matériau esthétique qu’il a
constitué dès l’enfance, à commencer par l’opérette et l’opéra qu’il découvre
au théâtre Graslin. Demy veut en effet un cinéma qui soit aussi
« total » que l’art lyrique, qui magnifie la voix humaine et la
parole la plus quotidienne, placée dans un registre de pur tragique. En ce sens
Demy n’invente pas un monde idéal, platement démarqué de la comédie musicale
américaine, mais porte à incandescence des émotions qu’il prélève du registre
réaliste et transplante dans un lyrisme généralisé, auquel concourent la
gestuelle, la diction et le chant, les décors, tous codifiés avec rigueur.
Des
décors flashy des Parapluies de Cherbourg
à la Porsche cabriolet repeinte aux couleurs flower power de Model Shop, on relèvera dans tous les
films ce goût pour les « signes du temps ». On pourrait
opposer le cinéma euphorique de Demy, plein de signes, à celui d’un Wim Wenders
(à qui le Cinématographe de Nantes a consacré une rétrospective), dysphorique et
chargé de l’inquiétude propre au « jeune cinéma
allemand ».
Les adieux poignants de Geneviève à Guy, à la gare de
Cherbourg, semblent répondre à la scène non moins admirable des trains
parallèles dans Faux Mouvement.
Dans ce film de 1975, le Trans-Europ-Express emporte Hanna Shygulla vers Milan, loin des yeux et du cœur de Rüdiger Vögler. Le cinéma de Demy ressortit au roman de mœurs à la Balzac quand Wenders creuse le sillon du roman d’apprentissage de Goethe (Wilhem Meister).
Dans ce film de 1975, le Trans-Europ-Express emporte Hanna Shygulla vers Milan, loin des yeux et du cœur de Rüdiger Vögler. Le cinéma de Demy ressortit au roman de mœurs à la Balzac quand Wenders creuse le sillon du roman d’apprentissage de Goethe (Wilhem Meister).
Mais chacun fait,
à sa manière, parler paysages et décors là où s’arrête la voix humaine, soit
par le poids des conventions qui feront le malheur d’un jeune couple d’amoureux,
soit par le mutisme pur et simple de la jongleuse incarnée par Nastassja Kinski.
Demy et Wenders s’installent chacun dans une convention romanesque et lyrique pour la faire exploser, soit en montrant la vacuité métaphysique de l’héritage des anciens, soit par exaspération chromatique de l’univers petit-bourgeois de la France d’après l’Algérie.
Demy et Wenders s’installent chacun dans une convention romanesque et lyrique pour la faire exploser, soit en montrant la vacuité métaphysique de l’héritage des anciens, soit par exaspération chromatique de l’univers petit-bourgeois de la France d’après l’Algérie.
Dans les deux cas, la résolution esthétique vient
d’une « révolution » formelle, Wenders conjuguant la grande rigueur
du cadrage et l’atmosphère pétrifiée d’un road-movie sans réelle action, Demy
donnant au futur garagiste de Cherbourg la pompe des héros de Verdi, mais avec ses
propres mots… et son papier peint ! Car il n’est pas de profondeur
métaphysique chez Demy qui ne s’appuie sur une gourmandise insensée des décors.
Se promenant dans l’univers incertain des visages féminins (vidéo: Lola), Demy assure ses
titubements d’un charme à un autre en dressant des intérieurs extravagants,
comme s’ils pouvaient le protéger lui-même. Le décorateur Bernard Evein a
témoigné des exigences particulières du cinéaste, dont le mauvais goût maniaque
et assumé atteint une sorte de perversité, à la hauteur du défi : faire du
mélodrame dans la France des sixties (Une chambre en ville: vidéo).
Olivier Père et Marie Colmant ont même consacré un chapitre thématique au seul papier peint, et montrent comment le réalisateur charge les décors de significations : ainsi le « papier aubergine aux lourds motifs mordorés » des Parapluies suggère la fantaisie cachée de Mme Emery, mère de Geneviève. Sans parler de la robe de future mère de cette dernière, assortie de manière quasi-hallucinatoire au papier peint bleu et rose de sa chambre.
Olivier Père et Marie Colmant ont même consacré un chapitre thématique au seul papier peint, et montrent comment le réalisateur charge les décors de significations : ainsi le « papier aubergine aux lourds motifs mordorés » des Parapluies suggère la fantaisie cachée de Mme Emery, mère de Geneviève. Sans parler de la robe de future mère de cette dernière, assortie de manière quasi-hallucinatoire au papier peint bleu et rose de sa chambre.
Le livre s’attache de cette manière aux grands thèmes
demyesques : l’androgynie du confidentiel Lady Oscar (inspiré par le manga Rose of Versailles), les filles-mères, l’inceste, les forains,
musiciens errants et bateleurs, chers au cœur du cinéaste, la guerre d’Algérie,
« trauma majeur des jeunes nés pendant la guerre ». Et la lutte des
classes, réduite par les auteurs à un « vieux concept » hérité de
Marx, et n’ayant à leurs yeux de vertus que dramaturgiques, dans Une chambre en ville. Cet affadissement de
la vision critique peut conduire à s’interroger sur l’héritage d’un cinéaste
encore associé par malentendu au cinéma « enchanté » promu par la
publicité des Parapluies. Il nous
semble aujourd’hui porter non seulement les couleurs de son époque, mais prêter
aux suivantes sa gaîté désenchantée.
En 2010, le 20e anniversaire aura permis à Nantes de
revendiquer à nouveau son grand cinéaste, comme l’avait fait Rochefort-sur-Mer
quand cette ville avait célébré les 25 ans des Demoiselles. Deux villes
dont Demy a révélé la cinégénie, sachant les percer à jour comme il le fait des
comédiennes, pour en faire de grandes actrices de cinéma. Cet anniversaire nous
aura aussi valu la réapparition d’Anouk Aimée, « miraculeuse de beauté
préservée comme une Belle au bois dormant revenue sur ses pas », écrit
dans son blog (1) le nantais Luc Douillard, qui a su voir tourner en Lola "la roue du monde des
occasions manquées, si véridique et si poétique, la roue qui tourne
pour nous tous, par nous tous, malgré nous et à cause de nous". La
parution de l’intégrale Demy en 12 DVD avait aussi permis de combler les
« blancs cinéphiliques » entre les chefs d’œuvre, de découvrir les
petits films de l’adolescence.
Dépliant en main, Nantes marche maintenant sur les traces de Demy (l'ancien garage Demy, allée des Tanneurs, sur le cours des 50 Otages, ou l'appartement de la colonelle d'Une chambre en ville, rue du Roi Albert, où le père de Jacques avait lui-même pris une chambre à son arrivée à Nantes), ou sur l'absence de traces : disparu, l'escalier et la fameuse rampe de la rue de l'Abreuvoir, où Frankie se laisse glisser, et où se trouve l'appartement si désordre de Lola, a été remplacé par l'escalator de la tour Bretagne.
Dépliant en main, Nantes marche maintenant sur les traces de Demy (l'ancien garage Demy, allée des Tanneurs, sur le cours des 50 Otages, ou l'appartement de la colonelle d'Une chambre en ville, rue du Roi Albert, où le père de Jacques avait lui-même pris une chambre à son arrivée à Nantes), ou sur l'absence de traces : disparu, l'escalier et la fameuse rampe de la rue de l'Abreuvoir, où Frankie se laisse glisser, et où se trouve l'appartement si désordre de Lola, a été remplacé par l'escalator de la tour Bretagne.
Enfin, la très belle
exposition Un Nantais nommé Jacques Demy
(commissaire : Marie-Vianneytte Moulin) faisait ressentir le
« frémissement des images qui se réveillent » (Bresson) grâce à un
dispositif de cabine de projection. Après une entrée toute en couleurs
acidulées sur plexiglas, rappel des sixties, le visiteur pouvait, tel un
projectionniste, sélectionner des extraits de film qui défilent sur grand
écran. On trouvait aussi tout le minutieux bric-à-brac de l’adolescent
passionné, élève des cours du soir aux Beaux-arts de Nantes, qui manipule les
premières pellicules Pathé-Baby de l’après-guerre, les scénarii, les figurines
découpées, tout ce qui montre qu’avant d’être industrie, le cinéma est un
artisanat, et que pour faire de beaux films, il faut d’abord aimer la
pellicule, déraisonnablement.
Daniel Morvan.
1 : http://lucky.blog.lemonde.fr/
Jacques Demy, par Olivier Père et Marie Colmant,
publié aux éditions de La Martinière (280 p., 45 €). En vente à la
boutique du cinéma Katorza et dans l’exposition de la Médiathèque Jacques Demy
et dans les maisons de la presse : le dossier Demy de Place Publique (160
p., 10 €).
Les DVD : Intégrale Demy en 12 DVD, 2008
(toujours disponible). Ciné-Tamaris et Arte Éditions rééditent séparément Lola,
La Baie des Anges, L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché
sur la lune, Les Parapluies de Cherbourg, Les Demoiselles de Rochefort.