samedi 30 décembre 2017
Max Jacob. Un coeur gardé comme une amphore (retraite et mort)
mercredi 20 décembre 2017
Pierre Pachet. Devant ma mère
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Pierre Pachet est un des écrivains qui ont le plus renouvelé l'écriture intime, autobiographique. |
Depuis des années, il rend visite à sa mère, Ginda. Elle n'a plus sa tête. Elle a plus de 101 ans. Quand il est là, elle ne le sait pas. Elle ne sait pas non plus qu'il est son fils. Ou bien elle dit : « Mon fils s'appelle Pierre. Si tu es mon fils, tu t'appelles Pierre ? » Pourquoi va-t-il la voir ? Parce que c'est son devoir de fils. Parce que malgré sa mémoire désintégrée, elle est sa mère, qu'il aime. Et qui le passionne. En faire un livre ? Personne n'y songerait. Sauf Pierre Pachet.
La tentation est de dire : elle n'est plus que l'ombre d'elle-même. Tout le projet consiste à trouver l'âme de la personne dans la dislocation même, que l'auteur compare à celle de l'ordinateur démantelé pièce par pièce à la fin du film de Stanley Kubrick, 2001 Odyssée de l'espace. Sans doute tient-il ce désir de la vigilance anxieuse de son père, qui était au centre d'un autre livre, Autobiographie de mon père. Aujourd'hui, c'est la mère qui parle. Elle se parle et s'écoute, comme une radio intérieure. En russe, « la langue de sa solitude », en français et en yiddish.
Et le livre n'est pas une litanie de maux, ni un journal des visites. Il est le développement d'une exigence morale. Celle d'un fils qui cherche sa mère dans sa mère, humaine en tant que corps à respecter religieusement, et elle-même à travers lui, qui se souvient d'elle. « Malgré notre connivence humoristique de toujours, à présent presque totalement détruite, je me sens comme devant une figure très ancienne, une statue faiblement animée mais puissante, monumentale. » Il s'obstine à parler, à lui rafraîchir la mémoire, « comme pour l'honneur, le sien, le mien, l'honneur de la réalité ». Il nous donne un très beau portrait de Ginda, la Lituanienne aux yeux bleus qui dit aujourd'hui : « J'étais une jolie jeune fille, et je ne sais plus qui je suis. » C'est maintenant dans le fils que se trouve l'humanité de la mère. Le fils qui reçoit comme une bouffée de bonheur le miracle d'une phrase juste : « Tu as bonne mine ce soir ».
Daniel MORVAN.
Devant ma mère, Gallimard 2007, 192 pages, 16,50 €.
La tentation est de dire : elle n'est plus que l'ombre d'elle-même. Tout le projet consiste à trouver l'âme de la personne dans la dislocation même, que l'auteur compare à celle de l'ordinateur démantelé pièce par pièce à la fin du film de Stanley Kubrick, 2001 Odyssée de l'espace. Sans doute tient-il ce désir de la vigilance anxieuse de son père, qui était au centre d'un autre livre, Autobiographie de mon père. Aujourd'hui, c'est la mère qui parle. Elle se parle et s'écoute, comme une radio intérieure. En russe, « la langue de sa solitude », en français et en yiddish.
Et le livre n'est pas une litanie de maux, ni un journal des visites. Il est le développement d'une exigence morale. Celle d'un fils qui cherche sa mère dans sa mère, humaine en tant que corps à respecter religieusement, et elle-même à travers lui, qui se souvient d'elle. « Malgré notre connivence humoristique de toujours, à présent presque totalement détruite, je me sens comme devant une figure très ancienne, une statue faiblement animée mais puissante, monumentale. » Il s'obstine à parler, à lui rafraîchir la mémoire, « comme pour l'honneur, le sien, le mien, l'honneur de la réalité ». Il nous donne un très beau portrait de Ginda, la Lituanienne aux yeux bleus qui dit aujourd'hui : « J'étais une jolie jeune fille, et je ne sais plus qui je suis. » C'est maintenant dans le fils que se trouve l'humanité de la mère. Le fils qui reçoit comme une bouffée de bonheur le miracle d'une phrase juste : « Tu as bonne mine ce soir ».
Daniel MORVAN.
Devant ma mère, Gallimard 2007, 192 pages, 16,50 €.
Julia Kerninon ou la fureur d’écrire
Depuis toute petite, Julia Kerninon a la fureur d’écrire. Elle s’est fait un nom en publiant Buvard (Le Rouergue, 2014), prix Françoise Sagan, puis Le dernier amour d’Attila Kiss, histoire d’un ouvrier hongrois de 50 ans amoureux d’une jeune femme de 26 ans. Avec son visage d’indienne maya, la Nantaise en vogue offre le profil type d’une romancière promise au succès. Elle offre dans son nouveau (court) texte, Une activité respectable, un autoportrait en mangeuse de livres. « Ma vie je la passe à lire des livres pour remettre les choses en place, pour me déplier, et c’est comme chanter tout bas à ma propre oreille. » Kerninon raconte son parcours d’auteure. Sa décision de s’y mettre pour de bon, en appliquant le conseil de Gertrude Stein : « si vous ne travaillez pas très dur quand vous avez vingt ans, personne ne vous aimera quand vous en aurez trente. » Son départ à Budapest où, « bornée et butée comme une vieille Bretonne », elle s’enferme un an dans une chambre pour écrire deux romans. Ses victoires, ses prix littéraires, la chance d’avoir des parents aimant des livres, et fiers d’elle. Ce livre rythmé comme une partie de squash vous colle des frissons : Kerninon va dévorer le monde, c’est sûr.
Daniel MORVAN.
Une activité respectable. Éditions du Rouergue, janvier 2017, 64 pages, 9,80 €.
mercredi 6 décembre 2017
Mémoire sur la librairie (mélanges pour célébrer La vie devant soi)
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errer sur la mer sans avoir lu Ursule Mirouet... |
LIBRAIRIE (li-brê-rie), sf. 1° Autrefois, bibliothèque. Lieu
où conserver et lire les livres. "Ceulx dont la suffisance loge en leurs
somptueuses librairies", Mont. I, 144. 2° Aujourd'hui, magasin d'un
libraire. "Rien n'est plus sculptural, de plus grec, qu'une jeune fille
qui lit debout dans une librairie", Rod., carnets. "De toutes les
librairies de France, La vie devant soi est la plus émouvante",
XXIe s. E.: Du lat. libraria, qui vient de liber, livre.
1. Le tourniquet
Bardot. La campagne dans le siège vélo derrière ma mère, puis la librairie
du bourg de Plougasnou. Les couvertures dessinées voisinent avec les boîtes de tapioca, de
nouilles, de café, de moulins à café, de batteurs Moulinex: une librairie comme
au temps du muet, cabane de foire, promesse de vies multiples, temple d'images
et de voix. A l'entrée, le tourniquet du présentoir de la collection Rouge et
Or voisine avec un présentoir à cartes postales, pouvant aussi être tiré à
l'abri de la pluie. On aperçoit une tour à livres semblable sur le perron de la
librairie de Brigitte Bardot (dans Et Dieu créa la femme).
Tourniquet et robe Bardot sont pour l'enfant des images de rotations idéales, et l'invitent à faire bouger le totem: lire et faire danser sont deux facettes semblables d'un goût unique pour les phrases et les silhouettes bien tournées. Une mère vous a posé dans un panier à l'arrière d'un vélo, et vous vous envolez vers ce carrousel en robe vichy qu'on appelle le Livre.
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Le tourniquet à livres de Saint-Tropez |
Tourniquet et robe Bardot sont pour l'enfant des images de rotations idéales, et l'invitent à faire bouger le totem: lire et faire danser sont deux facettes semblables d'un goût unique pour les phrases et les silhouettes bien tournées. Une mère vous a posé dans un panier à l'arrière d'un vélo, et vous vous envolez vers ce carrousel en robe vichy qu'on appelle le Livre.
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Jean-Louis Duquesnoy, librairie du Môle à Saint-Malo @Ouest-France |
2. La folie libraire.
Aucune librairie n'exposa avec autant de pureté sa nature claustrale, érémétique,
que la librairie du Môle, à Saint-Malo. C'est l'un de ces lieux en forme de terrier, de loge
au fond de laquelle se tient une sybille, un grillon, un libraire. Celui-là
semble un contemporain breton de Malesherbes (auteur d'un Mémoire sur la
librairie) et Chateaubriand. Il a des problèmes avec sa voiture, ses yeux
myopes sont bleus et son visage est complètement Artaud. Monsieur Duquesnoy aligne des
colonnes de chiffres, écrits à la main, le visage collé sur l'écran d'un
ordinateur antique. Souvent, la conversation dévie sur une histoire de
carburateur, de voiture vétuste, selon la police qui se divertit à l'arrêter.
Mon libraire malouin a des conversations d'écrivain: il aime à dévier sur autre
chose que les livres, on pourrait le brancher football. On reconnaît sa belle
âme à ce que rien ne le rend plus fier que ce qu'il a lu. De même, certains lecteurs
se reconnaissent entre eux par leur goût des blancs. Ne parler de rien en se
dissimulant derrière un éventail de signes, noyer son goût du silence dans des
mots. Mais plutôt devrais-je évoquer, à propos de ces librairies coraliennes où
l'on évolue comme dans une grotte sous-marine, un temple qui secrète autour de lui une jungle
de lianes et de racines. Et au centre de tout cela, l'absolu du livre, sa
folie.
La lectrice @ dm |
3. La lectrice de
librairie. Elle surpasse toute autre beauté par la grâce de sa nuque
ployée et ce regard qui n'est pour personne. L'équilibre spontané rejoint les idéaux de la sculpture, par mimétisme
avec la beauté des choses lues. Le livre remédie au souci de soi, et ne conserve de nos singularités que les beautés les plus
touchantes car les moins calculées, quand elles se vérifient dans l'eau verte
du texte. Plus ouvrier, plus compagnon, le garçon qui lit a des élégances de funambule.
Il pourrait porter un bleu de travail, car il est le premier vérificateur du
livre. Sentiment mixte d'un atelier où s'affairent mécanos et ajusteurs, et
crainte sacrée à l'égard de ces objets aisément ouvrables, certes, mais dont le
sens dépend profondément de ma lecture, qui ne sauraient se déployer sans moi.
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Robert de Niro dans Il était une fois en Amérique |
4. La librairie comme
maison d'opium. Le rapprochement entre cinéma et opium proposé par Sergio Leone dans Il était une fois en Amérique est
possible avec la librairie. L'oubli du temps et l'hypnose est le mode
clandestin de cette toxicomanie. Participent à ce rêve vénéneux les libraires
affairées. Lever les yeux d'un livre compulsé, et croiser les yeux fous d'une
libraire surbookée, offre une vision panique, celle d'une crise de manque, comme celle d'une mercière
en quête d'une pièce de satin bleu.
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A l'aube, un mur d'acier se dressa devant l'étrave du voilier... |
5. Le lecteur comme
naufragé. Il m'est arrivé, alors que je dérivais au large de l'île Maurice,
et bientôt de Rodrigues, au cours d'une traversée qu'une rupture de barre avait
transformée en naufrage, de songer au lieu sûr et abrité où j'eusse tant désiré
être. Je savais déjà nombre d'îles saintes, je connaissais des forêts de chênes
sacrés et j'avais imaginé les nécropoles d'Aran, contemplé le jardin sacré du
bouddhiste et le péristyle grec. Mais, au seuil d'une mort si prématurée, c'est
la librairie qui devint dans ma mémoire le lieu électif du séjour terrestre.
Sans librairie sur l'Océan où se mêlent des images séduisantes et trompeuses,
et ne disposant que des quelques ouvrages emportés au hasard, qui se trouvaient
être des romans de science-fiction en collection J'ai lu (Quatre cent milliards d'étoiles, La Faune
de l'espace), je pris vite ceux-ci en grippe. Je ne rêvai que de sous-bois, de
douves, de chasses primitives. J'étais Raboliot, le Grand Meaulnes. Cette
librairie imaginaire, entrevue dans le délire du naufrage, était desservie par
des libraires perchées sur des échelles, comme Bulle Ogier dans La Salamandre. Je l'invoquais en pensée
et lui demandais un livre que je n'avais pas encore lu - par exemple Ursule
Mirouet ou Le Maître et Marguerite. A l'aube, un mur d'acier se
dressa devant l'étrave du voilier, flanc de cargo sur lequel il devait se
briser. Je ressentis la cruauté d'une mort liquide, silencieuse, une chute
misérable loin des rayonnages.
Les unes priant dans le carré, les autres choquant la bôme pour faire abattre le voilier de quelques degrés, nous évitâmes le vraquier soviétique à quelques mètres près. Jamais je ne vis d'aussi près la faucille et le marteau. Staline en personne alluma les rampes lumineuses et déversa sur nous un flot d'invectives.
Les unes priant dans le carré, les autres choquant la bôme pour faire abattre le voilier de quelques degrés, nous évitâmes le vraquier soviétique à quelques mètres près. Jamais je ne vis d'aussi près la faucille et le marteau. Staline en personne alluma les rampes lumineuses et déversa sur nous un flot d'invectives.
Je n'ai depuis jamais ouvert un livre de science-fiction.
Je ne pénètre pas dans une librairie sans revoir cette
muraille de fer. Elle continue, dans ma mémoire, de partager ma vie entre deux
sortes de livres: ceux que j'aurais eu le temps de lire avant de mourir et les
autres, qui étaient la vie continuante de la lecture sans moi. Etre mort, c'est
errer sur la mer sans avoir lu Ursule Mirouet.
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Rêve d'enfant: rencontrer un jour Enid Blyton |
6. Enid Blyton et moi.
Longtemps j'ai douté de l'existence d'Enid Blyton. Puis je crus qu'elle
était un homme. J'ai songé qu'elle était dieu. Enfant, feuilletant ses livres,
je songeais: il existe là-bas, quelque part en Angleterre, une divinité nommée
Enid Blyton, mais pourtant dotée d'un corps charnel, qui prend le thé en
méditant son prochain Club des Cinq. Est-ce bien vrai? Enid Blyton n'était pas
la figure de l'auteur, mais le livre en ce qu'il a de plus fou.
Aux Nourritures terrestres, à Rennes, la présence de vraies photos d'écrivains laissait deviner que tout allait devenir possible: non seulement le livre allait abonder, mais on se rapprochait sensiblement d'Enid Blyton, quelle que fût son apparence, Virginia Woolf ou Michel Foucault. En naïf khâgneux de province, je pensai d'abord que les deux sœurs libraires, avec leurs faux airs de modèles de Diane Arbus, prenaient elles-mêmes les photographies au cours d'une garden party avec les romanciers.
Elles avaient d'ailleurs des noms d'actrices de la nouvelle vague, Yvette Bertho et Jeanne Denieul, et participaient de la religion du livre comme Anna Karina et Juliet Berto à celle du cinéma. Yvette avait fait son apprentissage chez Adrienne Monnier avant d'ouvrir boutique rue Hoche. Tout était donc possible, même de rencontrer un jour Enid Blyton. Mais jamais, aux Nourritures Terrestres, je ne vis sa photographie.
Aux Nourritures terrestres, à Rennes, la présence de vraies photos d'écrivains laissait deviner que tout allait devenir possible: non seulement le livre allait abonder, mais on se rapprochait sensiblement d'Enid Blyton, quelle que fût son apparence, Virginia Woolf ou Michel Foucault. En naïf khâgneux de province, je pensai d'abord que les deux sœurs libraires, avec leurs faux airs de modèles de Diane Arbus, prenaient elles-mêmes les photographies au cours d'une garden party avec les romanciers.
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Yvette Bertho avait fait son apprentissage chez Adrienne Monnier |
Elles avaient d'ailleurs des noms d'actrices de la nouvelle vague, Yvette Bertho et Jeanne Denieul, et participaient de la religion du livre comme Anna Karina et Juliet Berto à celle du cinéma. Yvette avait fait son apprentissage chez Adrienne Monnier avant d'ouvrir boutique rue Hoche. Tout était donc possible, même de rencontrer un jour Enid Blyton. Mais jamais, aux Nourritures Terrestres, je ne vis sa photographie.
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Adjani en personne lisait à deux tables de moi |
7. Chasser l'auteur à vue. Implacables
dans leur rythme, d'une stupéfiante prodigalité, les prescriptions
professorales poussaient chaque semaine les pouilleux bas-bretons vers les deux
Sybilles de Rennes, libraires siamoises, synchrones avec les programmes du
concours qui faisaient pleuvoir les flèches et la poix brûlante sur nos têtes
de crétins ruraux. L'année suivante, grâce à l'indulgence du jury de l'ENS de Saint-Cloud, nous
chassions l'Auteur à vue et sans chien dans les librairies de
Saint-Germain-des-Prés. Un arôme de célébrité me faisait lever le nez d'un
livre: Isabelle Adjani en personne à deux tables de moi, et Mick Jagger, David Bowie, Isabelle Huppert. Un jour, quelqu'un me dit, personnellement: je vous conseille ce
livre, et regardez comme on l'a en main. En effet, l'ouvrage (quelque traité de
philosophie confucéenne) se distinguait par son onctuosité. Le monsieur en
imperméable était, à n'en pas douter, un Auteur. Un collègue d'Enid Blyton. Nous nous connaissions de vue,
j'avais assisté à ses cours. Me revint alors, suscité par tant d'opulence, le
parfum de cannelle et de chou de mes librairies d'enfance. C'était Roland Barthes.
A la caisse de la Hune, en payant, je vérifiai que j'avais
bien reconnu le Grand homme. "Barthes? C'est vrai qu'il y a une petite
ressemblance. Mais non, c'est le bedeau de Saint-Germain, ce petit monsieur en
imperméable. Il fait souvent cette farce aux jeunes nouveaux, faut dire qu'il est un peu zinzin."
Daniel Morvan
Texte paru dans le recueil collectif saluant le premier anniversaire de la libraire nantaise La vie devant soi, 76 rue du Maréchal Joffre à Nantes
Texte paru dans le recueil collectif saluant le premier anniversaire de la libraire nantaise La vie devant soi, 76 rue du Maréchal Joffre à Nantes
samedi 4 novembre 2017
La beauté vociférante du cinéma de Macaigne
L'histoire.
Pauline et Pascal ont hérité du domaine familial où ils ont
grandi. Ils ont préféré courir le monde. Quinze ans plus tard, les deux cigales reviennent pour vendre leur domaine
grevé de dettes. Ils retrouvent leurs amis d’enfance. Telle est la trame de "Pour le réconfort", premier film du metteur en scène Vincent Macaigne.
La
petite histoire. L'acteur et metteur en scène de théâtre Vincent
Macaigne est devenu l'une des figures de la "nouvelle nouvelle
vague" française. Ce film âpre et rugueux est à l'origine un travail d'acteurs, un montage de vidéos
tournées sans aide financière lors d'un séjour à la campagne, près d'Orléans. Par delà les contingences du tournage et les à peu près du montage, une écriture forte s'est dégagée de cette suite de variations contemporaines
autour de La Cerisaie de Tchekhov, en phase avec la crise de la
"France oubliée" et vouée aux maisons de retraite. Au
terme d'une quarantaine d'heures de vidéo, tournées à coup de répliques écrites sur le vif et taillées au
couteau, puis suggérées aux comédiens qui s'en saisissent
immédiatement (à la Cassavetes), le projet a pris corps. Ce travail au long cours (quatre années et 80 heures de rushes) a dégagé sa cohérence formelle à
partir du travail sur la vocifération, malgré et grâce à son côté nature. "Les comédiens sont venus habillés comme ils
l'étaient, et on a décidé que ce serait ça le costume du
personnage." Un film "pour rien", donc, sans espoir de
gratification, de salaire ou de gloire, juste "pour le
réconfort" qu'il apporte à ceux qui l'ont fait, et à ses
spectateurs.
Pourquoi faut-il aller le voir? C'est d'abord un film sur la France clivée, la France de "ceux qui ne sont
rien" chers à Emmanuel Macron, face à la gentry hédoniste et mondialisée. L'aisance des jeunes aristocrates Pauline et Pascal est une insulte à
leurs copains qui, eux (patron de BTP ou pépiniériste), ont travaillé dur. Le rachat du domaine aux enchères, pour une bouchée de pain,
constitue une revanche de classe pour ces copains minés par le
ressentiment.
Mais finalement tout le monde s'y retrouve, sauf l'amie paysagiste, une femme douce qui rêvait de voir grandir une forêt sur les terres prêtées par Pauline et Pascal.
Le film est constitué de plans fixes et de travellings à bord d'automobiles.
Mais finalement tout le monde s'y retrouve, sauf l'amie paysagiste, une femme douce qui rêvait de voir grandir une forêt sur les terres prêtées par Pauline et Pascal.
Le film est constitué de plans fixes et de travellings à bord d'automobiles.
De véritables
tunnels de parole, de retour du refoulé social et de rancoeur qui
explose en colères hurlées sur un registre théâtral et violent. C'est la partie la plus voyante du film, où
s'affirme la signature Macaigne. Le réalisme social a rarement été
traité avec autant de conviction sur un tel sujet de "sociologie
française".
On retient pourtant davantage une diatribe amère
et calme de la soeur (Pauline Lorillard), magnifique de cinégénie,
constat glacial de nullité existentielle adressée à son frère. La référence nouvelle vague s'impose aussi par la désinvolture affichée du montage, par certains plans d'une beauté picturale abstraite (les captures de
skype depuis New York au début du film, une scène de nightclub, la
procession sévillane filmée à l'Iphone et importée en douce dans l'univers des fêtes
johanniques d'Orléans). C'est un film low cost tourné en dehors des
clous (il a fallu se battre pour en imposer la légalité au regard
des conventions collectives), qui possède tout le charme des oeuvres
savamment improvisées et touchées par la grâce. Il faut voir Pour le réconfort, pour sa beauté et sa modernité, malgré le pessimisme d'une fin assez cruelle.
D Morvan
Pour
le réconfort, de Vincent Macaigne
avec
: Emmanuel Matte, Pascal Reneric, Laure Calamy, Pauline
Lorillard, Joséphine de Meaux, Laurent Papot…
Michon et Pinson: "Ecrire avec les mots d'un ouvrier du BTP"
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Jean-Claude Pinson |
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#PierreMichon |
C'était à l'occasion du prix décembre 2002, décerné à Pierre Michon pour Abbés et Corps du roi (éditions Verdier). La veille d'une rencontre au Lieu unique de Nantes, j'avais réuni les deux frères de plume, Michon et le poète Jean-Claude Pinson.
Le monde, la zone
« Quand je lis Pierre Michon, dit Pinson, je m'intéresse beaucoup moins à l'intrigue qu'à l'intensité de la langue, et cela me permet de sortir de la poésie, de son afféterie. »Écrivains de la grandeur déchue, des idéaux brisés, du ratage magnifique, tous deux confient à l'écriture le soin de « sauver » l'humain. Pour Pinson, "il y a le poème imprimé et le poème non-imprimé, qui est la vie, pouvant se concevoir comme un poème. » Conception qui n'est pas celle de Michon, pour qui l'absolu littéraire ne peut engendrer aucune prescription de vie : «Je laisse faire ma vie comme je peux et j'en tire ce que je peux. J'admire l'exigence morale, mais je ne suis pas un être moral. Le monde, c'est la zone, mais en l'écrivant, on en fait un réel aussi beau que le réel archéologique ».
Tous deux ont connu les années 70 où, entre mort de Dieu et maoïsme, de Blanchot à Sollers, il fallait oser pour écrire en dehors des clous. « Ils ont tout bloqué, et c'est tant mieux, ironise Michon. Déjà, ça en faisait moins sur le marché, car pour survivre comme écrivain, il fallait un solide bagage. »
Pinson, lui, parle de sa découverte des Vies minuscules comme d'une bouffée d'oxygène. Il était donc encore permis d'être inspiré et de produire de l'inouï, d'ignorer les nouvelles religions littéraires pour s'en remettre à sa propre vérité, à ces « moments de grâce où tu as l'impression que le vent te pousse dans le dos, avec l'idée qu'on peut faire si bien son nid dans le langage qu'il fera son travail tout seul ».
Lyrisme pas mort. Écrire avec du souffle, et qu'on entende « battre le pouls de l'expérience », dans une langue que tout le monde puisse comprendre. Un rêve ? « Je n'en suis pas encore capable, dit Michon. J'aimerais écrire des textes où il n'y ait pas un mot à chercher dans le dictionnaire. Comme Hugo : les gens du peuple peuvent le lire et c'est de la sur-littérature. J'aimerais pouvoir écrire sur Beckett avec les mots d'un ouvrier des travaux publics. »
Daniel Morvan
jeudi 21 novembre 2002
1023 mots quotidien ouest-france
dimanche 29 octobre 2017
Katia la bobo, René le prolo
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Katia, fille d'ingénieur, et René, fils d'un chauffeur des charbonnages : deux habitants du bas Chantenay, où les générations se côtoient dans l'harmonie. |
« Chantenay la rouge » fêtait en 2004 le centenaire de sa mairie. Sa construction fut le dernier acte d'indépendance d'une commune longtemps considérée comme mal famée. Passant outre cette mauvaise réputation, une nouvelle génération de « bobos » aime vivre à Chantenay, et cohabite harmonieusement avec sa population d'origine ouvrière.
Ici à Chantenay, on n'y va pas au brise-glace pour causer. Il y a toujours un moment où le cadre, la prof, le journaleux, la théâtreuse, sont bien contents d'avoir un voisin comme René pour bricoler un lavabo. Ici, on ne cohabite pas, on débarque avec la clef à molette et on repart avec trois invitations à l'apéro, un projet de fête de rue, un point complet sur la situation des intermittents et une initiation à la plomberie. Pour la mixité sociale, ne cherchez pas : Katia la bobo et René le prolo sont tombés dedans.
Katia écarquille les yeux : c'était il y a combien de siècles ? Moins que ça fillette, puisque René est né en 1939. Sa mère, une orpheline de Bannalec, avait été placée dans une ferme. Son père, chauffeur aux charbonnages. « Ceux qui habitaient ici étaient tous manoeuvres, ils n'avaient pas de métier. Réussir, c'était devenir ouvrier. »
Katia, c'est autre chose. Née en 1970, papa ingénieur à Indret. Fac de science éco, chargée d'insertion puis coach d'artistes. Pas une cinglée de l'ascension à tout prix. « J'ai découvert Chantenay en allant aux concerts de l'Olympic. Une copine m'a dit, quand je lui ai annoncé que j'achetais à Chantenay : vous allez en baver, dans ce quartier ouvrier moche. »
Katia ne capte pas forcément tout quand René parle de l'octroi de la Croix-Bonneau, ancienne barrière d'origine féodale. Mais dès que le baroudeur attaque sur les souvenirs, Katia voit défiler le film en scope noir et blanc. « Avec les fumées de charbon, des engrais, Chantenay, c'était Liverpool. Épais comme ça de vélos à l'entrée des bistrots. On achetait tous les produits en vrac, en amenant son bidon ou sa bouteille. La marchande de sardines passait dans la rue avec sa trompette. On allait pique-niquer aux Dervallières, ou alors exceptionnellement, on prenait le train en bois pour passer la journée au Cellier. Sinon, on ne quittait pas le quartier : le ciné à l'Olympic, au Vox, le bal popu au salon Gutenberg, le bal breton du Cordon Bleu, le Bon accueil de la mère Postollec, avec le poêle et l'accordéon. Il y avait le look chantenaysien, on se faisait faire nos pantalons chez les tailleurs des quais, un tissu bleu avec deux poches sur le devant et le bas évasé, on pouvait pas nous confondre avec les bourges de Commerce. Et pour la castagne, il y avait ceux des Ponts. On allait les chercher et on se mettait sur la gueule. Quand j'y réfléchis, c'est pas si vieux. »
René en Marlon Brando sur les quais de Chantenay, avec son pantalon bleu. « Ça doit faire drôle tous ces changements, dit Katia. C'est vrai que les bords de Loire, quand il fait gris, c'est glauque : il faut aimer. Mais ici, tu te crois à la campagne. Sans rire. »
Réussir, c'était devenir ouvrier
C'est un peu tôt pour le rosé, mais on peut commencer par juste le regarder. Katia vient encore de tout chambouler chez elle. Un établi relooké a fait le tour du salon. L'établi retapé, avec sa mâchoire de serrage reconvertie en porte-bibelot : l'objet boboïque type. Ça fait sourire René, lui qui a connu cette rue Garibaldi au temps où « les soeurs Oblates, au couvent voisin, la descendaient pour amener leurs vaches paître dans le champ à côté ».Katia écarquille les yeux : c'était il y a combien de siècles ? Moins que ça fillette, puisque René est né en 1939. Sa mère, une orpheline de Bannalec, avait été placée dans une ferme. Son père, chauffeur aux charbonnages. « Ceux qui habitaient ici étaient tous manoeuvres, ils n'avaient pas de métier. Réussir, c'était devenir ouvrier. »
Katia, c'est autre chose. Née en 1970, papa ingénieur à Indret. Fac de science éco, chargée d'insertion puis coach d'artistes. Pas une cinglée de l'ascension à tout prix. « J'ai découvert Chantenay en allant aux concerts de l'Olympic. Une copine m'a dit, quand je lui ai annoncé que j'achetais à Chantenay : vous allez en baver, dans ce quartier ouvrier moche. »
Un seigneur du froid
Caricature qui ressemble peu à René, sorti du rang grâce à ses études de chaudronnerie, et devenu chef de chantier de montage frigorifique en Afrique du nord. Le seigneur du froid est toujours revenu à Chantenay. Il y a son « château » (une maisonnette avec jardin et volière de perruches, écran plasma géant) et son épouse, Nicole, qu'il a rencontrée alors qu'elle sortait d'un pensionnat religieux nantais, façon Magdalena Sisters.Katia ne capte pas forcément tout quand René parle de l'octroi de la Croix-Bonneau, ancienne barrière d'origine féodale. Mais dès que le baroudeur attaque sur les souvenirs, Katia voit défiler le film en scope noir et blanc. « Avec les fumées de charbon, des engrais, Chantenay, c'était Liverpool. Épais comme ça de vélos à l'entrée des bistrots. On achetait tous les produits en vrac, en amenant son bidon ou sa bouteille. La marchande de sardines passait dans la rue avec sa trompette. On allait pique-niquer aux Dervallières, ou alors exceptionnellement, on prenait le train en bois pour passer la journée au Cellier. Sinon, on ne quittait pas le quartier : le ciné à l'Olympic, au Vox, le bal popu au salon Gutenberg, le bal breton du Cordon Bleu, le Bon accueil de la mère Postollec, avec le poêle et l'accordéon. Il y avait le look chantenaysien, on se faisait faire nos pantalons chez les tailleurs des quais, un tissu bleu avec deux poches sur le devant et le bas évasé, on pouvait pas nous confondre avec les bourges de Commerce. Et pour la castagne, il y avait ceux des Ponts. On allait les chercher et on se mettait sur la gueule. Quand j'y réfléchis, c'est pas si vieux. »
René en Marlon Brando sur les quais de Chantenay, avec son pantalon bleu. « Ça doit faire drôle tous ces changements, dit Katia. C'est vrai que les bords de Loire, quand il fait gris, c'est glauque : il faut aimer. Mais ici, tu te crois à la campagne. Sans rire. »
Daniel MORVAN.
1: Bobo: Bourgeois-bohème, catégorie sociale hybride disposant de l'aisance bourgeoise mais attachée aux valeurs d'une « contre-culture ». Quartier massivement gentrifié, Chantenay est devenue « le » quartier bobo à l'ouest de Nantes.
QUOTIDIEN OUEST-FRANCE
samedi 4 septembre 2004
835 mots
Daniel Morvan
lundi 23 octobre 2017
Limoges, ou la mélancolie du tergal mi-saison
L'histoire.
Un homme revient pour banal séjour dans sa ville natale de Limoges,
afin de se recueillir sur la tombe de sa soeur. Pétri d'images
négatives de cette ville mal-aimée de ses propres parents
originaires du Nord, il finit par succomber à son charme.
Pourquoi
le lire? Le récit de Pascal Herlem est tout imprégné d'une grâce rohmérienne, malgré la fixation névrotique du narrateur sur les marques et les
étoffes de l'après-guerre. Cet inconditionnel du tergal mi-saison gris moyen, du
rasoir Sunbeam deux-têtes et des chaussures en vachette feuille
morte se confond aisément dans le paysage urbain d'une ville qui
ressemble au Clermont-Ferrand de "Ma nuit chez Maud". Sa
Maud à lui sera la réceptionniste de son hôtel, Rita. L'humour
froid du récit rehausse la grisaille vinage d'une Toussaint de porcelaine,
saturée de trembleuses à décor floral et de bergères avec
agnelet.
La presse locale fulmine, rappelant que Limoges possède aussi des
start-up, mais notre Pierrot lunaire a mieux à faire: après s'être
raisonné, il succombe à la Diane chasseresse qui l'emporte bientôt
dans sa Renault suréquipée... Il ne manque pas d'humour, ce grand schizoïde en "slip académique de coton côtelé"
qui revient au pays des morts et s'embarque pour Cythère, pour une traversée pudiquement éludée. La focalisation sur les objets et le silence sur la vie amoureuse se rencontrent pour faire de ce livre un élégant traité de l'ellipse.
La
citation. "Du coffre j'extrais mon bagage, une pesante mallette
en texon Cordoual de nuance noire, gros joncs et piqures façon
sellier, intérieur entièrement doublé de rayonne bleue, ainsi
qu'une serviette de forme dite américaine en skaï noir, grain façon
phoque, et mon trench-coat mi-saison chocolat, que je me suis acheté
pour la circonstance, idéal pour un temps de Toussaint avec son
déperlant de qualité supérieure."
Daniel Morvan
Pascal Herlem: Limoges. 2017. L'arbalète Gallimard, 134 pages, 15,50€.
dimanche 22 octobre 2017
Yves Tanguy, le Breton qui peignait dans un placard
Yves Tanguy passa une partie de son enfance à Plestin-les-Grèves, et dans la région nantaise. Il se destinait à la Marine marchande, mais la peinture le conduisit vers des rivages qui ne figurent sur aucune carte. Plus célèbre à l'étranger qu'en France, le Breton fut le premier peintre surréaliste exposé aux Etats-Unis.
C'est l'un des premiers tableaux d'Yves Tanguy, et peut-être le plus beau : « Rue de la Santé » montre une artère qui monte, presque verticale, et que gravit un cycliste. Un drapeau tricolore pend à l'entrée d'une prison, et des immeubles semblent s'effondrer les uns sur les autres. Le tout est baigné d'une lumière froide, mentale. On comprend le coup de foudre d'André Breton pour ce tableau qui procède de « l'automatisme psychique pur ». Mais il n'avait encore rien vu.
L'histoire commence à Montparnasse, où Tanguy partage un taudis avec Jacques Prévert ; une bagarre de rue leur permet de faire la connaissance avec Desnos et sa bande. Le poète découvre les toiles fraîches peintes par Tanguy, et diffuse dans tout Paris la nouvelle « d'un peintre très bizarre, il peint dans un placard ».
André Breton se précipite, le placard à balais est intégré à la forteresse surréaliste. Le soir, ils boivent énormément et jouent au « cadavre exquis », divertissement qui érige l'automatisme en principe d'écriture. C'est par ces exercices sur l'inconscient qu'Yves Tanguy fait brutalement surgir son univers méticuleux peuplé d'êtres-objets, en 1926. Un espace improbable, bien que tridimensionnel, avec son horizon laiteux et ses laisses de mer d'où émergent des formes cartilagineuses, homoncules auberginomorphes, aérolithes flasques, phoques tractés par des araignées, moustaches volantes et vertèbres enlisées dans des rougoiements utérins.
Tanguy, peintre breton ? Individu et biographie sont très loin derrière l'œuvre, nourrie de nomadisme mental. Soit, on peut repérer quelques éléments: il est fils d'adjudant et de boulangère. Vacances adolescentes à Locronan. Il y amène ses amis avant que le cinéma ne s'en empare. Prévert, Eluard et Nush, Péret. Et Breton y découvre la Bretagne. Tout le reste n'est que folklore. À Plestin-les-Grèves (Côtes d'Armor), personne ne connaît Yves Tanguy, ce cousin d'Amérique qui a sa plaque sur le mur de l'ancien Bazar, devant l'entrée de l'église.
Daniel Morvan.
Il peint dans un placard
Tanguy n'était certes pas le seul à chercher une peinture qui ne réponde qu'aux ordres de l'inconscient: Max Ernst, Miro, Masson, de Chirico, Dali suivirent cette voie, en insérant des objets familiers dans des univers oniriques, imperméables au langage. Tanguy seul peignit des paysages intérieurs habités par des êtres et des choses issus d'une imagination impulsive.L'histoire commence à Montparnasse, où Tanguy partage un taudis avec Jacques Prévert ; une bagarre de rue leur permet de faire la connaissance avec Desnos et sa bande. Le poète découvre les toiles fraîches peintes par Tanguy, et diffuse dans tout Paris la nouvelle « d'un peintre très bizarre, il peint dans un placard ».
André Breton se précipite, le placard à balais est intégré à la forteresse surréaliste. Le soir, ils boivent énormément et jouent au « cadavre exquis », divertissement qui érige l'automatisme en principe d'écriture. C'est par ces exercices sur l'inconscient qu'Yves Tanguy fait brutalement surgir son univers méticuleux peuplé d'êtres-objets, en 1926. Un espace improbable, bien que tridimensionnel, avec son horizon laiteux et ses laisses de mer d'où émergent des formes cartilagineuses, homoncules auberginomorphes, aérolithes flasques, phoques tractés par des araignées, moustaches volantes et vertèbres enlisées dans des rougoiements utérins.
Le cousin d'Amérique
Ce sont « de faux paysages où rien n'est reconnaissable ». Même si, à l'évidence, s'y trouve l'image réverbérée des grandes baies bretonnes, en particulier de la grève de Saint-Efflam (Saint-Michel-en-Grève). Comme a pu l'écrire Patrick Waldberg, « la Bretagne engloutie carillonne au fond de son œuvre ».Tanguy, peintre breton ? Individu et biographie sont très loin derrière l'œuvre, nourrie de nomadisme mental. Soit, on peut repérer quelques éléments: il est fils d'adjudant et de boulangère. Vacances adolescentes à Locronan. Il y amène ses amis avant que le cinéma ne s'en empare. Prévert, Eluard et Nush, Péret. Et Breton y découvre la Bretagne. Tout le reste n'est que folklore. À Plestin-les-Grèves (Côtes d'Armor), personne ne connaît Yves Tanguy, ce cousin d'Amérique qui a sa plaque sur le mur de l'ancien Bazar, devant l'entrée de l'église.
Dans le Connecticut
La rencontre et la liaison avec Peggy Guggenheim, en 1930, va conduire le peintre vers d'autres cieux : la richissime mécène (dont le père était mort dans le naufrage du Titanic) s'entiche du Breton taciturne et l'expose à Londres. Il commence à vendre ; il divorce et épouse une artiste américaine, Kay Sage. Aux États-Unis, il conserve son univers intact et jouit d'un prestige et d'une aisance inespérée. Kay Sage l'écarte prudemment de New York et de ses tentations alcoolisées (qui le conduisent parfois à manger des araignées et à sortir le couteau pour trancher un débat). Tanguy, naturalisé américain, passe des fantômes cartilagineux aux structures minérales. Il n'aura jamais été aussi fécond que dans sa grange du Connecticut, un atelier spacieux où il travaille de longues heures sur des toiles de plus en plus grandes, comme un peintre de la Renaissance.Daniel Morvan.
Fils de marin, il se destinait à la mer. À la mort de son père, il fut d'abord élevé à Pont-Rousseau, avant de partir pour les Côtes d'Armor, dont les rivages imprègnent son œuvre. Au lendemain du centenaire de la naissance de l'artiste, le livre des éditions Palantines apporte l'éclairage français et américain sur ce peintre à double nationalité. Avec analyses, biographie détaillée et 130 reproductions venant des plus grandes collections.
vendredi 21 décembre 2001
985 mots
mercredi 18 octobre 2017
Michel Jullien: cet étrange geste d'orner les gouffres
![]() |
Le paléontologue Henri Breuil à Lascaux ©DR |
C'est
une expérience originale que Michel Jullien propose, en marge de
son oeuvre romanesque menée chez Verdier, qui nous portait vers les
hauteurs avec Denise
au Ventoux, récit largement salué en 2017.
Lire aussi sur le même ouvrage: http://pierre.campion2.free.fr/dmorvan_jullien.htm
Hauteurs et profondeurs ont partie liée, soutient le romancier alpiniste, pour qui l'exploration des grottes procède du même désir de conquête que l'escalade. Avec Les Combarelles (aux Eyzies-de-Tayac en Dordogne, grotte ornée de centaines de gravures et datant de moins treize mille ans), il nous propose une réflexion sur la façon dont l'art pariétal nous a longtemps résisté, s'est soustrait à nos regards, a déjoué nos hypothèses et nos classements, une fois posée l'interrogation première: qu'est-ce que cela peut bien être? "Pour voir les grottes, pour y déceler quelque chose, il était nécessaire qu'un bond extraordinaire de notre âge fût concevable ou encore, qu'une certaine fraîcheur d'esprit revenant au Magdalénien (1) fût admissible." Ce bond permit d'établir un lien stylistique entre les cavernes du Périgord, les dessins de Michaux ou les toiles de Mondrian: Tout cela était de l'art. La découverte de l'art pariétal a donc été possible (telle est l'hypothèse de l'auteur) en raison d'une évolution de la sensibilité moderne, jusqu'à reconnaître une familiarité entre art brut, art primitif (de Gauguin à Bataille et Breton), et grottes ornées.
Lire aussi sur le même ouvrage: http://pierre.campion2.free.fr/dmorvan_jullien.htm
Hauteurs et profondeurs ont partie liée, soutient le romancier alpiniste, pour qui l'exploration des grottes procède du même désir de conquête que l'escalade. Avec Les Combarelles (aux Eyzies-de-Tayac en Dordogne, grotte ornée de centaines de gravures et datant de moins treize mille ans), il nous propose une réflexion sur la façon dont l'art pariétal nous a longtemps résisté, s'est soustrait à nos regards, a déjoué nos hypothèses et nos classements, une fois posée l'interrogation première: qu'est-ce que cela peut bien être? "Pour voir les grottes, pour y déceler quelque chose, il était nécessaire qu'un bond extraordinaire de notre âge fût concevable ou encore, qu'une certaine fraîcheur d'esprit revenant au Magdalénien (1) fût admissible." Ce bond permit d'établir un lien stylistique entre les cavernes du Périgord, les dessins de Michaux ou les toiles de Mondrian: Tout cela était de l'art. La découverte de l'art pariétal a donc été possible (telle est l'hypothèse de l'auteur) en raison d'une évolution de la sensibilité moderne, jusqu'à reconnaître une familiarité entre art brut, art primitif (de Gauguin à Bataille et Breton), et grottes ornées.
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Un ouvrage illustré publié à la rentrée 2017 aux éditions l'Écarquillé |
Mais
le livre de Michel Jullien ne se réduit pas à un centrage réducteur autour de l'histoire de l'art. C'est à l'expérience humaine contenue dans la
grotte qu'il fait appel, pour dépasser la vision dérisoire de l'art des grottes comme "moment artistique", en ayant recours à l'expérience première, face aux parois, dans une phémonénologie à la
Bachelard. La caverne invite à reproduire le geste initial qui multiplie les oeuvres et les abandonne comme un masque oublié au plus obscur de la terre. La grotte est une rêverie du temps, à la jonction
d'autres aspirations à conquérir l'imprenable, à marquer
l'inaccessible d'un "j'étais là" qui signe l'irruption
humaine dans la solitude commune des sommets et des cavernes.
Toute
la beauté du livre de Michel Jullien tient dans cette folle modestie
devant l'énigme, et dans la certitude que leur clef n'est sans doute
pas ailleurs que dans le tréfonds humain, là où se rejoue l'infini
et irréaliste galop des meutes et des troupeaux, déjouant toutes
les hypothèses, retournant les classifications artistiques: c'est le
livre d'un homme qui tient trop à ne pas tout savoir pour s'avancer
à découvert en terrain théorique, s'affirmant au contraire simple
touriste, conservant pour lui, ticket en poche, l'impression première
de son passage dans la grotte des Combarelles: "l'exact
sentiment d'une voix plaintive suintée des murs et de moi-même, la
même voix".
Car
vous pouvez aborder l'ouvrage sans vous sentir coupable d'une
ignorance assez partagée, empêtré dans les idées reçues sur
l'art des cavernes et la préhistoire! Michel Jullien ne vous
assommera pas de connaissances, préférant décrire, s'étonner de
ces figures animales, "représentants d'éternité exposés à
nos regards". Au fond, il n'existe qu'une certitude aux Combarelles, Lascaux ou devant la page blanche, celle du style. L'écrivain sait partager sa songerie sur
le temps, l'espace, le nom des lieux, leur aura démultipliée en
diverses répliques, de Lascaux à Lascaux IV... La caverne ou la
suspension du temps: "Le climat des grottes où je suis invité
baigne dans un temps antérieur et présent vieux de vingt mille ans,
siècles à l'appui, tandis qu'à la minute près, confondue, se
proroge le temps du monde à moi connu, laissé dehors comme un
parapluie à la consigne d'un musée." Et Michel Jullien cite
Pierre Gascar, pour qui la grotte est un "gisement de temps"
enfoui sous terre. Quelque chose comme la capsule temporelle expédiée
dans le cosmos par la Nasa, qui nous vaut de très longs développements.
"La grotte majeure des Combarelles est hideuse, intestinale"
L'homme
tâtonne toujours dans ces grottes qui s'offrent difficilement au
regard, et se soustraient même à l'excessive présence humaine. La
grotte des Combarelles, "inventée" en 1901, est des plus rétives:
"La grotte majeure des Combarelles est hideuse, intestinale.
Elle a le ver solitaire. Son cadastre est horrible, cassé, plein de
baïonnettes, de retours et de contre-avancées. Forée dans le
calcaire coniacien sur la rive gauche de la Beune, elle fait onze
coudes; les plus marqués ont des allures de fémurs. (...) Exiguë,
80 cm de large en moyenne; bras tendus, on pourrait presque accomplir
tout le circuit en frottant les murs du bout des doigts."
On
imagine l'abbé Breuil en soutane, rampant sous un
plafond de parfois cinquante centimètres, entre des parois criblées
de griffures, "une furie de traits en tous sens, des formes
spoliées, des signes hybrides, un mikado de gravures, des animaux
d'allure incohérente..." Michel Jullien aurait même pu appeler
son livre "Aux Combarelles", pour dire l'expérience rupestre, tactile, la stupeur
rauque, l'étonnement et la rugosité terrible des entailles est
abordée comme le mineur sur le front de taille, de face.
"Des tableaux d'écriture à peine secs"
Mais
il s'autorise aussi des variations sur la parenté entre
grottes et montagne, la défloration des sommets du Mont Blanc dans
les années 1860 à 1900 allant de pair avec la frénésie des
fouilles permettant dans le même temps la découverte des grottes
d'Altamira (1879), Pair-non-Pair (1896)... Toutes préservées par
une suite de hasards, la formation de clases et de fractures, le
retrait de l'eau libérant des plafonds, "des tableaux
d'écriture à peine secs".
Puis la présence de l'homme, et son "irréfrénable manie de parcourir les tunnels à l'aveugle", de "nourrir une lubie, ramper dans la gloire inutile, torche de pin sylvestre en bouche, outils dans les mains, pour aller déployer un programme graphique au plus profond, à l'endroit le moins abordable - comme un tag atteint son efficience aux lieux inaccessibles et mieux qu'à portée de main -, là où le regard ne rencontre plus la lumière".
Puis la présence de l'homme, et son "irréfrénable manie de parcourir les tunnels à l'aveugle", de "nourrir une lubie, ramper dans la gloire inutile, torche de pin sylvestre en bouche, outils dans les mains, pour aller déployer un programme graphique au plus profond, à l'endroit le moins abordable - comme un tag atteint son efficience aux lieux inaccessibles et mieux qu'à portée de main -, là où le regard ne rencontre plus la lumière".
La généalogie des hasards aboutit au prodige de la grotte ornée. Après le geste humain, l'obstruction "pasteurise" les cavernes (Lascaux ou Chauvet), mais d'autres demeurent exposées aux ruissellements et à la corruption des pigments. "Dès lors la grotte se brime, les teintes meurent, la caverne se dépouille de sa géologie, il n'en reste que des gravures." C'est le cas des Combarelles, choisies par l'auteur comme "sa" caverne, même privée de couleur: "C'est peut-être ce qui la rend non pas plus belle mais plus rude, faite d'incisions abandonnées, de cicactrices imbriquées plus bruissantes des cris de bêtes s'ébrouant au long des parois." Ultime chance, la réouverture, la découverte par un curé fumant sa gauloise à quelques centimètres des mammouths, un érudit, un enfant qui lève la tête, mais souvent aussi par un centurion romain, un pâtre ou quelque antique promeneur.
Vient enfin le troupeau humain et l'érosion "délibérée, crapuleuse,
brutale", les mufles et les gaz de bipèdes, les "mille
cinq cents respirations hebdomadaires" de Lascaux qui vont lui insuffler leur lèpre, à quoi Lascaux répond en se suicidant:
"Trente mille ans de retenue, vingt mille ans sans un souffle,
le premier mouvement de la grotte à notre retour fut de s'éteindre."
Salubre
clôture où la grotte revient à la solitude du temps de Magdalène,
puisque les hommes des cavernes n'y vivaient pas, ne les visitaient
pas plus souvent que l'heureux vigile de Lascaux I, seul homme sur terre désormais
à pouvoir s'y balader une fois la semaine. Et peut-être s'imaginer la torche de
pin en bouche, à la place du peintre, nourrissant l'intuition "qu'en
pareille circonstance, nous aurions fait la même chose", et
cédé à "cet instinct radical de vouloir déposer un geste
définitif et dérisoire quelque part au creux de la terre, mettre sa
marque, comme à l'air libre, sur une paroi de granite, haute,
gigantesque et d'un millier de mètres, imprenable."
Daniel Morvan
Daniel Morvan
Les Combarelles (2017), aux éditions l'Ecarquillé (distribution les Belles Lettres), 240
pages, 25€
1: Le Magdalénien est la dernière phase du Paléolithique supérieur européen, comprise entre environ 17 000 et 12 000 ans avant le présent. Son nom a été formé à partir du site préhistorique éponyme de la Madeleine à Tursac, en Dordogne.
1: Le Magdalénien est la dernière phase du Paléolithique supérieur européen, comprise entre environ 17 000 et 12 000 ans avant le présent. Son nom a été formé à partir du site préhistorique éponyme de la Madeleine à Tursac, en Dordogne.
Guillevic, le non-aligné de Carnac (archive 1997)
Eugène Guillevic, né à Carnac le 5 août 1907, est mort à Paris le 19 mars 1997.
Avec Eugène Guillevic, s'est éteint un grand poète du siècle. Il avait pris les objets les plus humbles et le quotidien le plus banal pour lieu de son expérience du monde. Une expérience où la Bretagne de son enfance et les menhirs de Carnac occupent une place essentielle.
samedi 22 mars 1997
675 mots toutes éditions
Angus Stone retrouve Julia Stone
Angus et Julia Stone sont à nouveau ensemble, au disque (quatrième album du groupe de Newport sorti à l'automne: Snow) comme sur scène, jeudi 19 octobre 2017 au Zénith de Nantes, puis à Toulouse, Marseille, Paris, Londres...
Entretien
Angus Stone, chanteur.
Vous aviez enregistré votre album solo à l'écart du monde, dans différentes cabanes de trappeur ou en montagne... La nature est-elle votre principale inspiration ?
On se repose en changeant de travail... Vivre dans les bois m'a permis de prendre du recul sur les longues nuits d'enregistrement, et les promenades en forêt m'éclaircissent l'esprit. Mais les lieux où vous écrivez et enregistrez n'ont d'une certaine manière absolument aucune signification. Parce que vous êtes perdu, immergé (shoegazing) dans la musique et sans aucun désir de regarder autour.
Votre image hippie traduit-elle une vision de la vie ?
Pour dire vrai, je n'y prête pas une grande attention. Mon écriture est ce qui me permet de rester dans le vrai et de garder ma tête en dehors de tout cela.
En vous écoutant, on pense parfois à Dylan, Neil Young... Avez-vous des « maîtres » ?
Yoda, le maître des Jedi, est un sacré maître ! Je pense que s'il écrivait des chansons, elles seraient très cool. Mais peut-être seraient-elles bancales, je ne sais pas... Un ami qui est peintre (et aussi un maître) m'a dit quelque chose qui m'a fait réfléchir, l'autre jour : il disait qu'il enviait les musiciens, parce que ses doutes sur sa peinture sont tels qu'il se sent transporté dans l'histoire de la peinture dès que sa brosse touche la toile... Alors qu'avec la musique, à travers le son des coeurs, des guitares, des rythmes, quelque chose se passe dans l'instant, qui ne sera ensuite plus jamais entendu... La musique c'est comme le premier regard de deux amoureux. Des moments comme celui-là, où deux vrais amis partagent leur vision, sont pour moi de vrais moments zen. Je vis pour ça.
En duo avec Julia, êtes-vous davantage dans l'ombre ? Allez-vous écrire à nouveau des chansons avec elle ?
Avec Julia, je fais presque partie du public. Quand elle chante une chanson, je m'émerveille et me verse un verre, comme si j'étais dans la foule. Nous avons discuté l'autre jour de nous retrouver cette année pour faire un album. Le plus beau dans tout ça, c'est de ne pas savoir ce qui vous attend au coin de la rue et où le futur va vous cueillir.
Cela vous fait-il quelque chose de venir chanter dans l'ouest de la France, à Nantes, en Bretagne ?
Je pense que c'est à Nantes que les Françaises sont les plus jolies, donc ça ne devrait pas être trop mal... J'ai hâte !
Daniel MORVAN.
Moins de 2% de billets encore disponibles.
Angus Stone, chanteur.
Vous aviez enregistré votre album solo à l'écart du monde, dans différentes cabanes de trappeur ou en montagne... La nature est-elle votre principale inspiration ?
On se repose en changeant de travail... Vivre dans les bois m'a permis de prendre du recul sur les longues nuits d'enregistrement, et les promenades en forêt m'éclaircissent l'esprit. Mais les lieux où vous écrivez et enregistrez n'ont d'une certaine manière absolument aucune signification. Parce que vous êtes perdu, immergé (shoegazing) dans la musique et sans aucun désir de regarder autour.
Votre image hippie traduit-elle une vision de la vie ?
Pour dire vrai, je n'y prête pas une grande attention. Mon écriture est ce qui me permet de rester dans le vrai et de garder ma tête en dehors de tout cela.
En vous écoutant, on pense parfois à Dylan, Neil Young... Avez-vous des « maîtres » ?
Yoda, le maître des Jedi, est un sacré maître ! Je pense que s'il écrivait des chansons, elles seraient très cool. Mais peut-être seraient-elles bancales, je ne sais pas... Un ami qui est peintre (et aussi un maître) m'a dit quelque chose qui m'a fait réfléchir, l'autre jour : il disait qu'il enviait les musiciens, parce que ses doutes sur sa peinture sont tels qu'il se sent transporté dans l'histoire de la peinture dès que sa brosse touche la toile... Alors qu'avec la musique, à travers le son des coeurs, des guitares, des rythmes, quelque chose se passe dans l'instant, qui ne sera ensuite plus jamais entendu... La musique c'est comme le premier regard de deux amoureux. Des moments comme celui-là, où deux vrais amis partagent leur vision, sont pour moi de vrais moments zen. Je vis pour ça.
En duo avec Julia, êtes-vous davantage dans l'ombre ? Allez-vous écrire à nouveau des chansons avec elle ?
Avec Julia, je fais presque partie du public. Quand elle chante une chanson, je m'émerveille et me verse un verre, comme si j'étais dans la foule. Nous avons discuté l'autre jour de nous retrouver cette année pour faire un album. Le plus beau dans tout ça, c'est de ne pas savoir ce qui vous attend au coin de la rue et où le futur va vous cueillir.
Cela vous fait-il quelque chose de venir chanter dans l'ouest de la France, à Nantes, en Bretagne ?
Je pense que c'est à Nantes que les Françaises sont les plus jolies, donc ça ne devrait pas être trop mal... J'ai hâte !
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