mercredi 19 mai 2021
108: Salut
Princes, gloire, amour et premiers de cordée
Sans sujet sans emploi le poète sorti du star système
privé de son rôle de maître de cérémonie — MC
se trouve au volant d’un bolide à la casse
L’art du verbe tu aimes c’est
comme s’asseoir au volant d’une carcasse
de Maserati sans moteur — un jeu infantile
où tu imites par raillerie le bruit
mécanique et narre ta vie rêvée
Comme reconversion possible il y a
chroniqueur du coin de la rue
avec un brin de talent un bon dico de rimes
(la toile le fait pour toi si ça te brime)
échange l’épique pour le banal
et fais de tes poèmes un masque facial
dis-toi bien le sublime est plus facile que la rigueur
dont fait preuve un maître bâtisseur
l’ouverture des terrasses et des musées
les muscadet et les bières éclusées
tout ça en vers aux pieds démesurés
au café de la Loire le premier expresso
depuis sept mois
Pas plus de six à table en ajoutant la Loire
qui s’invite ici à tous les repas
pour voir être vu et prendre ses infos
ouvrir un journal style pétanque news apéro
au ciné c’est Drunk en VO
côté météo averses sur la France
Là-bas les bombes pleuvent sur Gaza
Territoire surpeuplé qui ramasse
en riposte aux roquettes sol-sol du Hamas
1500 raids en huit jours frappes ciblées
(immeuble de la télé explosé speaker radio radio criblé)
L’état du monde t’arrache aux écritures
te fait sortir les lances d’obsidienne et le
poignard d’améthyste du vers
Un nouveau front s’ouvre depuis le Liban
Tirs du Hezbollah
Sprint diplomatique en cours
pour obtenir une désescalade
MC des anciens thèmes tes ballades
ne sont d’aucun secours pour le salut du monde
samedi 15 mai 2021
102. Chou
C’est le moment de planter des lotus mais
on peut aussi
planter les choux
l’histoire commence par une graine
petite comme une poussière dans
la blouse d’une écolière
d’abord nous regardions
mûrir le chou totem le chou solitaire pied souche et origine
au milieu du champ seul debout parmi l’armée défaite
aux corps gisants décomposés de ses compagnons
Ce chou-mère ce général flétri se desséchait sur pied
au sommet de sa colonne stylite
trognon momifié par l’ascèse
alors père transportait le corps du roi chou
enveloppé d’un drap protecteur
sur une aire bien dégagée
puis secoué vivement
ses semences recueillies comme des larmes de joie
versées dans un verre Duralex
n°22
Admirer la rondeur des graines
(se souvient mon cadet mémorialiste) était source de spéculations
portant sur les récoltes issues des milliers
de germes couvés dans la main noueuse
en manière d’invocation aux esprits du froid
réchauffés au creux ainsi qu’un couple de dés
la main close en méditation
recueillie sur le devenir et les chances de traverser
les frimas
(l’ai-je dit la ferme nouvelle était un brin trop nord
mordue chaque hiver par les vents glacés)
Les brassicacées dit-il étaient semées en avril
on plantait le chou une fois moissons faites
geste répétitif consistant à engager la racine
deep in the groove (comme on dit de la voix
des chanteuses folk américaines)
au point géométrique fixé par une traceuse
La récolte dit encore mon frère
bénéficie de l’aide
du cheval de trait « dont on ne louera jamais assez la douceur et
l’humanité qu’il apporte
dans ces vastes étendues légumières fouettées par vents et pluies ».
(Jeudi 13 mai)
jeudi 13 mai 2021
98. Rivière
Le pas s’allonge vers les crêtes du mont
Les herbes du sentier s’inclinant
sur la rivière
distrayaient le regard: vous alliez sans but
longeant le synclinal bleu des grandes symphyses
à fleur vulnéraire en queue de scorpion
semées au long des chemins par les
pèlerins pour se soigner dans leur voyage
Les arbres de mai ruisselants de blancheur
appelaient
le sang du marcheur aux yeux levés vers
les promenoirs du cinquième mois aux bleus noyés de Rance
Vous n’aviez croisé aucun viking au contour des racines
ni sous la coupole parfumée d’un mélèze
ni à aucune étape du chemin des promesses
sans drapeaux de dévotion battant
aux atterrages de l’embouchure au creux des ravines
Une piste dérivait entre les roches et montait
vers les arêtes fissurées du mont Garrot
là se dressait
le front de gneiss vertical comme un porche de cathédrale
et un vaste cirque où le regard plongeait:
quelques bouleaux des chênes en feuillage d’orchestre
à la place béante ouverte par les excavatrices
qui avaient éventré les flancs de micaschiste
et de quartz et certaines roches
terreuses et rouges
pour jeter les fondations du barrage
de l’usine marémotrice
et noyer la rivière.
(Dimanche 9 mai, à Saint-Suliac)
mardi 11 mai 2021
100. Passé
que là où des vies se sont nouées autour de murs
où force marins capitaines gabier cordiers aubergistes
métallurgistes décidèrent d’un amas
de pierre au long d’un fleuve
pour faire de ces tuffeaux de Touraine nos demeures
rien dans ces pignons dans ces faîtages dans ces
balcons à monogramme
dans ces palais dans ces ateliers ces salons
ces soupentes ces cheminées
derrières ces lucarnes et ces hautes fenêtres
rien ne dit
comment c’était alors de poser sur un siège son séant
comment c’était de se taire en 1785
pendant quelques minutes en regardant l’océan
et les vaisseaux vers Saint-Domingue
tribord amures
et en quelle langue
pensait-on alors et qui pensait quel était le
son du silence et si
l’on pensait à son oncle du Tennessee
ou à une oie farcie
et si un funambule à la manche essayait ses acrobaties
et une femme de Croatie ses nécromancies
et si ces craquelures dans la pierre s’apercevaient déjà
s’il y avait des dieux pour ces gens-là
et lesquels
(si certains d’entre eux étaient priés à l’insu
du priant et du prié) et si
soulevant un rideau pour observer
une partance ou un retour des lointains
Une larme venait parfois
et combien de temps
—peut-être les pavés en gardent une trace
ou seulement cette herbe folle
jeudi 6 mai 2021
95. Charrue
talonnaient sur des bas-fonds sur un récif de marbre
émergeant à travers la glèbe
l’enfant assistait de la rive au charruement
comme on voit à Saqqarah de jeunes assistants
s’abriter les yeux à l’ouverture des tombes
et se couvrir le nez comme quand les flacons
laissent le nard et la valériane
s’envoler sur l’aile des oiseaux blancs
Le père rompant l’élan du labour
stoppait sur la brèche descendait du tracteur
s’ouvrant un corridor dans le cortège des goélands argentés
qui se forment au passage de la charrue
Plongeant dans le sillon afin de dégager l’étrave du vaisseau
de ce qui gênait sa trace rectiligne: était-ce
le sommet affleurant d’une stèle
l’épaule brisée d’une déesse
montant de la terre au jour de ses célébrations?
Un gisant qui flottait là entre deux terres
ou le tombeau de Cérès?
Ni dieu terme ni divinité des bornes
ni or nu gemme ni ombre pure
— ces confidentes des charrues que l’homme ignore
allant sur la terre comme on traverse les murs —
C’était une grosse pierre rien de plus
mercredi 5 mai 2021
94. Songe
Parfois sur la rive nord du fleuve la lumière
allume les roseaux et trace un liseré d’or
Heureux le rêveur ou celle qui s’éveille encore
pour n’être pris par aucune pensée qui l’absorbe
aucune tâche qui la retire de l’heureuse contemplation
cette ligne est le fil d’un songe perdu
après qui vos nuits s’étirent jusqu’au milieu du jour
Mercredi 5 mai
93. Nuit
Cette cité fut une île et tient son origine
De ce que les eaux ont ce pouvoir
de faire naître des villes où elles creusent des lits
Tout ici appelle aux reconnaissances
aux tumultes d’appareillage tout y appelle même
Les frayères à limandes et les migrations des civelles
L’eau qui va invite à rejoindre l’identique envol
Cependant que le pied suivait le chemin d’arène
Vers la luisante berge où se raffinent les huiles
Et les cheminées qui formaient un dôme de soufre
Sur les jardins mouvants et les portes de la ville
Ce chemin n’était pas le tien qui longeais sans désir
le bord de l’eau au reflux de la marée
Voir et sentir ne te sont aucune joie c’est la nuit
que tu veux c’est elle qui t’emporte
jeudi 29 avril 2021
88. Jeudi 29 avril. Dévotion
Et les suites de cette dialectique de destruction
qui emporte tout glaciers espérances et langage
de quoi pouviez-vous témoigner dans vos villes délaissées
à l’extrémité du continent
De la somnolence et du charme de vos petites sorties
de la mémoire des outils du partage des jardins
souvenir des terres communes
une conversation par-dessus la haie un souvenir du vieux temps
Il y avait longtemps que la colère
empruntait ces canaux numériques
où foi et dévotion se disent par procuration:
comment cela, et il faudrait qu’aussi
nous nous occupions nous-mêmes des questions?
N’est-ce pas assez de mimer avec véhémence
la rage du citoyen révulsé par le trépas des pigeons de ville
plus que par les brûlis de plastique la dioxine le mercure
les polychlorobiphényles cramés à l’air libre ou cachés au fond des mers
par l’expulsion du Malien futur Nobel
Laissez faire l’homme le plus riche du monde
demain nous serons immortels et la Terre une planète abandonnée
stockée pour mémoire
À quoi se raccrocher à quelle célébration
des labours quelles saisons nouvelles quelles illuminations
à quelles processions mystiques à quels dérèglements sacrifier
Vers quel temple de Delphes marcher dans la nuit
dans quelle nuit solitaire courir avec des torches
À quels ossements s’adresser à quel cairn adresser le vieux salut:
Le monde est beau est l’avenir est saint
dimanche 25 avril 2021
84. Dimanche 27. Trémel
À Denise le Dantec
Dimanche me ramène dans cette petite église
Où je fus ni enfant de chœur ni officiant
Mais garnement officiel et cancre
Idiot titulaire de chaire dans un lieu humble et populaire
Qu’en vertu d’une éducation athée
Je me crus autorisé à moins respecter que d’autres réalités
comme les pierres ou les livres
Or mes bavardages conduisaient parfois
le vicaire à me placer dans le chœur même
afin de m’avoir à l’œil honte suprême
d’être exposé tel larron ou mauvais garçon
Je pense souvent à ces stations à genoux
que la prêtrise excédée m’infligeait
La vision de cette église m’affligea autant que
ma bêtise tout le temps qu’elle fut debout
jusqu’à ce que le feu la détruise
Soustrayant le lieu de ma honte à mes souvenirs
Ne reste que mémoire de réprimandes flottant sur des cendres
Oserai-je le dire? Aujourd’hui Trémel me manque.
samedi 24 avril 2021
82. Vendredi 25. Satory
Sorti de grande école chacun
pour s’acquitter du devoir national
avait accès à stalle sommitale
en consulat ou lycée français
Beyrouth Moscou New York
Timor oriental palais gouvernemental
piédestal ornemental
plus que guérite chef-lieu du Cantal —
je ne sais quelle maladresse
piston crevé d’un général
deux étoiles et demie
entrevu du côté de Saint-Servan
(ami du père de cothurne)
me fit retrouver mes frères de classe
bombardé deuxième pompe
au régiment du train
Caserne Satory —là même
où furent fusillés en 1871
Vingt-sept communards
Dos au polygone d’artillerie
qu’on appelle mur des Fédérés
Louise Michel y fut détenue
avant d’être déportée—
Satory est au 35 tonnes
ce que Sartre est au néant
Tentai donc négociation frontale
afin de solliciter fissa
un poste genre Établissement
cinématographique et
photographique des armées
ECPA? s’interloqua colon
dans un rire fractal
Côté cinéma on a ce qui faut
du Riefenstal
à la pelle et du Truffaut
plus qu’il n'en faut
du moins ici vous apprendrez
à camionner
ça peut servir dans l’existence
à défaut d’être le nouveau Rivette
Tout se termina bloc des fous
pour dissociation psychique
bouclez et réformez-moi ça
Principe de réel leçon une
le réel c’est l’impossible
dit Jacques Lacan je réfute
Possible il l’est
Satory en est la preuve
samedi 27 mars 2021
53. Clef de huit
Jour après jour divers aperçus
de l’existence sont ici évoqués
en vers pairs conçus
dans un mètre corseté
Pour bricoler à sa guise
Enfiler bleu de chauffe
clef de huit en poche
Puis édifier mode Eiffel
Une tour d’octosyllabes
Docte parenthèse: —
l’octo apparaît au dixième
siècle dans une vie de saint
et dans les 129 quatrains
de la Passion de Clermont
Huit syllabes petite barque
Pour haute mer et rivière
On le dit de peu d’étoffe
style bout-rimé de pot d’adieu
Le valet de pied du vers françois
Court si l’on veut du court
Étirable au gré des foules
selon la longueur des houles
Dans tous les genres, antique
et breton, en dizain, en neuvain
En carré magique (autant de syl-
labes que de vers)
Parfois une alternance
de sept huit syllabes déclenche
un effet d’accélération
(énergumènes Prigent Cadio
le boostent façon turbo —
Fin du pédant topo)
Octosyllabe tube à essai
cristallise le mémorable
phénomène de ce vendredi
vingt-six mars où peu de choses
se sont passées en apparence
le monde roulait ses cadences
Merkel tance la France
Classée à haut risque viro
logique par Berlin
trafic mondial ralenti par
porte-conteneurs Ever Given
monstre de quatre cent mètres
en travers dans le canal
de Suez, mort d’un cinéaste
Trop popu pour les bobos
trop chichi pour les prolos
Collision ferroviaire en Égypte
Locos De-Luxe en frontal
32 trépassés Sanction dissuasive
Exigée par président Sissi
Échappe-t-on à l’octo sur la terre?
Dites-le moi seulement
au cas contraire et dans quel script
faut-il vous le dire pour être compris
Je voudrais dans ce coffret
de huit syllabes conserver
Ainsi qu’une capsule temporelle
une file d’attente de poissonnerie
extérieure juste à la sortie
des chantiers de l’Atlantique
Sous les tourelles et les bielles
Du prochain paquebot XXL
barcasse pathétique
est Virtuosa pas un caïque
Babel de manchots à fric
Départ le premier avril
7 h 45 à la marée
2421 cabines 6334 passagers
21 bistrots, barman humanoïde
Kitsch façon Raoul Georgette
Roulette blanquette piquette
Bétaillère climatisée
Au moins ça leur fait du boulot
Ça ou compter les bulots
Dit Roger au blond à collier
(Jésus en guitariste crucifié)
Tout cela vous a un côté
Fin du monde vivement Gibraltar
Va pas gêner la croisière
Virtuosa de tes galères
L’Humanoïde te sert un Spritz
avec voix et expressions Ritz
pour une expérience de
bar totalement immersive
Le ferons-nous seulement ce voyage
mardi 23 mars 2021
48. Le père
À Ingrid
Moi la délaissée
Puisque ne pouvant porter haut le nom du Père
Puisque de la même nature mouvante que les flots
que la mer le ciel et les nuages
Puisque n’étant pas mes frères bien qu’aussi frêles que moi
Minces coureurs de pistes
N’étant qu’une brindille diluable dans l’Untermensch
Fille non porteuse du patronyme de surhomme
Ce nom du père
Je le porterai sur toute la terre avec mon prénom Lorelei
Ou Elina ou Astrid ou Ingrid
Ce père Panzer j’enfouirai les svastikas
Qu’il était fier de découvrir sur une photo ancienne
de sa propre maison: demeure prédestinée au génie (lui)
puisque la Wehrmacht y avait déployé avant lui ses bannières à croix gammées
Et l’avait choisie comme siège de son état-major
De même qu’il y avait établi sa propre famille comme
le nid d’aigle de sa domination (à lui)
— Ce même père fier de montrer l’absolue identité entre
sa signature (à lui) et celle d’Adolf Hitler, comme désigné
par la graphologie
pour succéder à la tête du Reich millénaire —
Moi la délaissée je porterai très haut ce nom du père
Que j’aurai enfoui dans un puits de couleur
Je serai célèbre dans toute la terre
Pour mes portraits de femmes.
lundi 22 mars 2021
44. La cour
Je pense à Louise Labé quand je revois à cette cour
De ferme où vécut ma mère
ce n’était point
Courtoise antichambre que cette place bourbeuse
Où elle eut froid et chaud, fut d’humeur gaie ou plaintive.
Christiane rêva-t-elle comme la Lyonnaise élégiaque
(Poétesse de la Renaissance qu’on nomme la belle cordière,
car fille et femme de cordier
De même que mère était fille et femme de fermier)
d’embellir ces flaques
Afin qu’elles fussent miroirs de vie heureuse?
Reine d’une société brillante
Au premier plan de cette coterie lyonnaise
Avec son amie Pernette du Guillet
Louise chantait odes et carmes
à la façon de Dante et de Pindare
Mère le fit à ses poules et ses pintades
Fredonna charmes et succès de Tino
En cette cour fangeuse qu’elle traversait déhanchée
cloître fermier délimité par étable, fumier, silo.
Il était l’endroit le plus sale de la terre,
ce cloaque
Que j’eusse voulu galerie de glaces où elle pût
se voir sourire et mirer une belle robe.
Sale resta la cour il eût fallu goudronner mais je crois
que cela coûtait — Eh quoi? Il reste l’image vive
D’elle encore Ô rires Ô soupirs
De mère seule boîtant dans son corridor de terre
Pour aller traire à l’étable de même que Louise
Aimait abstraire ses tourments sur une table.
— Ô ses larmes aussi
Puissent-elles recouvrir nos mémoires d’un goudron
miséricordieux et lui offrir un décor plus heureux
Pour s’éteindre qu’une cour boueuse
dimanche 14 mars 2021
40. sam 13/03/21 Le baiser de Marguerite d’Écosse à un poète
L’anecdote est rapportée par un auteur nommé Lebrun:
Un poète dormait dans la cathédrale
Quand une fille de Perth
Jeune épouse du roi de France et princesse d’Écosse
Passa par là. S’avisant en experte
De la présence d’un trouvère
Elle déposa un baiser sur sa bouche close:
C’est ainsi que font les muses
En rencontrant un mortel qui les honore
Assura l’exquise altesse.
Et sans prévoir les effets d’une charmante audace
L’osée Marguerite s’assura l’immortalité.
Comment? Voici: L’aimable histoire fit bruiter
L’entourage, dames d’honneur et pages
Chambellans, dames d’atour et roi:
Cette reine qui trouva la bonne page
De son destin dans l’écriture
Ruina sa réputation par l’excessive cour
que lui firent les poètes, de l’estropieur de vers
au maître des rimes en « M ».
Cela lui valut d’être espionnée, méthode immonde,
Par son époux le dauphin Louis, futur XI.
Elle mourut à dix neuf
ou vingt ans sur ces mots: Fi de la vie en ce monde
Ne m’en parlez plus.
Mais on parle encore d’elle, et jusqu’à à Paimboeuf,
Pour ce baiser volé.
vendredi 12 mars 2021
39. 12/03/21 Fraisiers
Fraisiers repiqués sous la pluie retour de façons d’être
Qui remontent le cours du sang sur le tranchant de la houe
Et gestes qui reviennent dans les terminaisons nerveuses
Tes racines tes racines dit la vieille complainte
De l’ortie neuve et de la grande consoude
Qui fait résurgence dans ce poème trente neuf
Tout cela sent le paradis perdu bien perdu
Et même le gardien des propriétés sacrées des arômes
des fumiers — en voici le fantôme:
L’homme du tour des terres est en bout de sillon
Comme une rumeur de mer en angle de parcelle
Un bruit de sabot un rêveur dans les arbres
Lui, le saltimbanque à ses manchons de charrue attaché
— Et plus tard, aux modernes quadrisocs, tracteurs Someca Nuffield
— Offrant à toute dépense son inépuisable réserve
Et son rire bref aux promesses vaines:
La voix de mon père m’accompagne dès qu’un peu de terre
Se trouve sous mon pas, il est là qui lâche quelques syllabes
Ainsi qu’une voix dans les hêtres
De sa voix faite pour héler de versant à colline
Quand l’oeil mesure les pluies brèves de mars
Qu’il rallume la cigarette en coin comme dans les films avec Wayne
Et sort l’une de ses phrases Hollywood
Tu peux creuser plus profond que la bêche
Mais pas faucher plus large que la faux
Je m’imagine l’entendre en ce parler intérieur
Qui est parole des morts et pain perdu
mercredi 16 décembre 2020
Poètes de Bretagne: Dialogues avec le visible (2005)
Georges Perros © Thersiquel/amis de Michel Thersiquel
Georges Perros
« La peinture, dit ma voisine, ça défatigue ». Cette note des « Papiers collés » dit bien la familiarité de la relation du poète Georges Perros au dessin et au visible. Et nous étions loin d’imaginer qu’il existait une œuvre graphique du poète, dont l’intérêt a justifié une exposition du musée des Beaux-arts de Bordeaux. En préface de cet album, Michel Butor raconte comment les lettres de son ami Perros se sont peu à peu mêlées d’images. Cette attraction fut certainement encouragée par l’amitié du peintre Bazaine. Elle correspond aussi à la perte de la voix, douloureusement vécue par l’auteur d’Une vie ordinaire : « la poursuite du dessin est une conversation muette avec soi-même », écrit Butor, qui voit dans ces essais graphiques une forme de thérapeutique, « comme les Indiens Navajos soignent encore leurs malades par des peintures de sable ». L’album publié par les éditions Finitudes va au-delà de l’anecdotique et nous montre un écrivain travaillé par la pulsion graphique, qui éprouve « l’envie de dessiner plutôt que d’écrire, de dessiner ce qu’on a envie d’écrire. » Ce sont tour à tour des « tracés de nerfs » à la Henri Michaux, des collages (« je colle un tas de saloperies, allumettes, sables, algues, fleurs »), des gouaches et encres de Chine grattées, où il excelle. Poète amoureux de la peinture, Perros est ici le continuateur d’une tradition où l’écrivain élabore son esthétique dans le rapport au tableau, comme Baudelaire avec les « peintres de la vie moderne » et Francis Ponge avec Fautrier et Braque. On décèle aussi chez l’ermite de Douarnenez une idéalisation de la peinture comme espace protégé : « Un homme qui peint est préservé (…), plus préservé, en tout cas, que l’homme qui écrit. » Et pourquoi ? Parce que « la peinture est une pensée sous scellés », un secret bien encadré, un noyau qui résiste à la parole. Georges Perros, par ses propres dessins, s’avoue faire partie des « grands jaloux dont le martyre d’écrire a été atténué, enchanté, par leur fréquentation des ateliers, les amitiés qui s’ensuivirent ».
Paol Keineg
Faire image, tel est le métier des poètes, même s’ils disent parfois le contraire, comme l’écrit Paol Keineg : « Moins d’images, moins de malheur ». Depuis longtemps libéré de son étiquette de « poète breton », comme le dit Marc Le Gros en postface de ce livre paru au Temps qu'il fait, Keineg propose un dégagement poétique, entre ici et ailleurs, présence et absence : « Là, et pas là ». On mesure l’écart pris avec la flamboyance adolescente des années 1970, le verbe est concis, tranchant et péremptoire. Le prosaïsme rôde, mais n’est admis à la faire que sous la forme du slogan, de la formule ironique : « Un coin à jonquilles sous le ciel bleu. Le souvenir absurde d’une étendue de broussailles. L’ego s’offrant en forme vide. Trois raisons d’adorer les terres étrangères. Trois raisons d’abhorrer le capitalisme. » Keineg trouve, dans son rapport au parler véhiculaire, des accents à la James Sacré : « C’est vraiment chouette d’avoir trouvé refuge dans les phrases quand on préfère l’esclavage à la mort. » Toujours lapidaire, déroutant, Keineg se montre particulièrement drôle dans ces petites formes condensées, ces formules que l’on voudrait toutes citer : « l’adoration des actrices, il faut que ça reste un péché », une façon de se planter dans la langue courante et de lui couper le souffle : « C’est un pays toqué, plein de haine. Pas de rouspétance, je vous embrasse sur la bouche. »
Dans cette même veine, on lira Yves Deniellou dans un grand poème lyrique sur la campagne, la cueillette des mûres et l’amour : « On fait dire/ des choses aux mots/ en portant aux lèvres/ une petite photo ».
Poésie en siège tracteur
Erwann Rougé est un poète de la perception, profondément incarnée, mais étrangère aux appartenances, presque extatique. Nous le retrouvons dans un livre dont le titre vient d’Artaud, « Paul les oiseaux ». Il s’agit d’éprouver la présence du monde et d’exister poétiquement, en faisant le fou, en déformant les vieilles chansons : « Colchique sur un pied, le ciel, le ciel ». Il serait facile d’opposer à cette écriture à vif les petites vignettes campagnardes de Thierry le Pennec, mais le titre même laisse bien entendre qu’ici aussi, on embrasse l’aube d’été, et pas du bout des lèvres : « Je tourne la terre/ au tracteur pour la première fois/ de mon rêve ça sent le maraîchage les champs/ tassés par la poussière la sueur sous les bras/ de chemise ô mes quinze ans les voici les beaux nuages/ d’Ouest les voisins viennent voir/ comment je m’y prends et si/ ça poussera bien le fils assis sur le pneu/ tient la clef à molette il est dans son bleu. » Une vraie révélation que cette poésie en siège de tracteur.
Daniel Morvan.
Dessiner ce qu’on a envie d’écrire, de Georges Perros. Editions Finitude & Musée des Beaux-Arts de Bordeaux. NP, 28 euros.
Là, et pas là, Lettres sur Cour, de Paol Keineg. Le temps qu’il fait, 160 pages, 17 euros.
Le mur de Berlin ou la cueillette des mûres en Basse-Bretagne, de Yves Denniellou. Wigwam, NP, 5 euros.
Paul les oiseaux, de Erwann Rougé. Le dé bleu, 86 pages, 10,50 euros.
Un pays très près du ciel, de Thierry Le Pennec (prix de poésie 2005 de la ville d’Angers). Le dé bleu, 86 pages, 10,50 euros
dimanche 3 mai 2020
"Protocole gouvernante": Une nurse à tout casser
jeudi 5 mars 2020
Le dévoyage sur la Loire de Michel Jullien
"Un vert Autriche et guacamole, menthe et iguane"
"Un grand fleuve de sable quelquefois mouillé"
jeudi 13 février 2020
Auguste Chauvin, métallo nantais fusillé en 1943
Jean Chauvin, fils d'Auguste Chauvin, le métallo, devant sa maison de Nantes, pour le 60e anniversaire du programme social du Conseil national de la résistance |
Ses lèvres tremblent un peu.
Pourtant, Jean Chauvin a l'habitude. Il n'a jamais connu Auguste Chauvin, son père. Mais il a été élevé dans sa vénération.
« Les lettres de mon père faisaient partie de la stratégie éducative de maman, nous explique-t-il ensuite, après avoir surmonté l'émotion. Si je faisais une bêtise, elle me disait : qu'est-ce que ton père aurait pensé ? »
Aubrac et Tillion
Samedi 20 mars 2004, 820 mots
mercredi 8 janvier 2020
Marie Ndiaye
samedi 7 décembre 2019
Pari Texas (Le bruit des tuiles, de Thomas Giraud)
Victor Considerant |
mercredi 13 novembre 2019
Vie de Brendan: le voyage fabuleux revisité comme une partition
Robin Troman |
Recueilli par Daniel Morvan
1: Shulamith Przepiorka et Morley Troman se sont rencontrés en 1943 au camp de Vittel. Après la guerre, ils s'établissent à Paris et débutent leur carrière d'artiste, Morley sculpteur, Shula peintre. Pierre Emmanuel, Romain Gary fréquentent leur atelier de Montparnasse. Morley travaille aussi pour les émissions en langue anglaise de la radio. En 1958, ils décident que l'air de Paris est devenu irrespirable (déjà) et s'établissent en Bretagne. Morley publie deux romans, "The hill of sleep" et "The devil's dowry" aux éditions Chatto & Windus à Londres. Tous deux continuent d'exposer à Paris mais leur activité se recentre progressivement sur la Bretagne. Parallèlement à son activité de sculpteur (il a créé l'association Sculpteurs-Bretagne, dont il fut le premier président), Morley devient l'un des principaux auteurs de "dramatiques" à Radio-Bretagne-Ouest. Morley est mort en 2000, Shula en 2014.