Entretien
Pierre Bergounioux, né le 25 mai 1949, à Brive-la-Gaillarde, écrivain et professeur retraité.
Mercredi, au Lieu unique, vous vous entretenez avec Philippe Cognée. D'où vient votre proximité avec ce peintre de la région nantaise ?
Philippe Cognée est un peintre talentueux, de réputation internationale. Mes fantaisies métalliques sont un délassement tout privé, marginal et passager, à l'âpre abstraction du travail de plume. Philippe Cognée et moi avons exercé conjointement à l'École des Beaux-arts de Paris (j'ai pris ma retraite il y a un an). J'ai pu lui dire combien son travail me touchait et que je me réjouissais, avec ça, de le compter parmi les vivants.
Vous êtes l'auteur d'une oeuvre considérable, riche d'une soixantaine d'ouvrages. Comment définissez-vous votre travail ?
Il se trouve que j'ai vu le jour au milieu du siècle dernier, dans une province rurale, encore patoisante. Mais j'ai bénéficié aussi du premier des privilèges, qui est le loisir studieux, découvert la culture lettrée, le haut degré de conscience qu'elle peut introduire dans l'existence. Or, cette culture n'a longtemps reflété que la vie des groupes installés dans l'honneur et la puissance, l'aristocratie, la bourgeoisie citadine. J'ai ressenti le besoin de porter dans ce registre second, facultatif, explicite, le petit monde qui m'avait porté. Il était, depuis la nuit des âges, obscur à lui-même, fermé au plan général comme à sa propre particularité, pauvret, muet. Jean-Claude Pinson [qui anime la soirée de jeudi] ne fait pas autre chose mais avec d'autres moyens, poétiques.
Comment réagissez-vous aux jours de terreur que nous venons de connaître ?
Comme l'écrasante majorité d'entre nous, j'ai été révolté, atterré par l'intrusion de la barbarie dans les locaux de Charlie Hebdo. La liberté d'expression est une acquisition imprescriptible des sociétés développées. La raison est cette faculté qui nous élève au-dessus de l'animalité. On ne peut tolérer que des imbéciles exécutent froidement des hommes qui n'ont pas le discutable privilège de partager leurs convictions irrationnelles, non démontrables, non universelles.
Votre analyse sur les causes de cet assaut contre la liberté ?
Nous découvrons, vingt-cinq ans après, les séquelles de l'autodestruction du socialisme réel. La responsabilité du chaos planétaire incombe, en dernière instance, au Soviet Suprême. Il n'a pas su rendre souhaitable, inéluctable, l'idéal égalitaire qu'il était chargé de faire descendre du ciel, où le christianisme (qui est historiquement une religion d'esclaves) l'avait situé, sur la terre. Que les terroristes s'en prennent à des alliés objectifs, découle de la médiocrité de leurs ressources matérielles, intellectuelles. Le mot de Marx : « La religion est l'esprit des situations sans esprit ». Et, pour finir, cette banderole que j'ai vue, le 11 janvier, place de la Nation, à Paris : « C'est dur d'être tué par des cons ». Oui.
Dans ce XXIe siècle globalisé, où placez-vous vos espoirs ?
L'universel, qui était resté longtemps une abstraction philosophique, est entré partout dans les faits, dans la vie des gens. C'est la globalisation, l'occidentalisation du monde. Le péril est donc général, avec la suraccumulation du capital et la baisse inéluctable du taux de profit. La religion reverdit sur les décombres de la philosophie de l'histoire, après la défaite historique du mouvement ouvrier à l'échelle internationale. L'horizon est bien sombre.
Daniel MORVAN.
Pierre Bergounioux, né le 25 mai 1949, à Brive-la-Gaillarde, écrivain et professeur retraité.
Mercredi, au Lieu unique, vous vous entretenez avec Philippe Cognée. D'où vient votre proximité avec ce peintre de la région nantaise ?
Philippe Cognée est un peintre talentueux, de réputation internationale. Mes fantaisies métalliques sont un délassement tout privé, marginal et passager, à l'âpre abstraction du travail de plume. Philippe Cognée et moi avons exercé conjointement à l'École des Beaux-arts de Paris (j'ai pris ma retraite il y a un an). J'ai pu lui dire combien son travail me touchait et que je me réjouissais, avec ça, de le compter parmi les vivants.
Vous êtes l'auteur d'une oeuvre considérable, riche d'une soixantaine d'ouvrages. Comment définissez-vous votre travail ?
Il se trouve que j'ai vu le jour au milieu du siècle dernier, dans une province rurale, encore patoisante. Mais j'ai bénéficié aussi du premier des privilèges, qui est le loisir studieux, découvert la culture lettrée, le haut degré de conscience qu'elle peut introduire dans l'existence. Or, cette culture n'a longtemps reflété que la vie des groupes installés dans l'honneur et la puissance, l'aristocratie, la bourgeoisie citadine. J'ai ressenti le besoin de porter dans ce registre second, facultatif, explicite, le petit monde qui m'avait porté. Il était, depuis la nuit des âges, obscur à lui-même, fermé au plan général comme à sa propre particularité, pauvret, muet. Jean-Claude Pinson [qui anime la soirée de jeudi] ne fait pas autre chose mais avec d'autres moyens, poétiques.
Comment réagissez-vous aux jours de terreur que nous venons de connaître ?
Comme l'écrasante majorité d'entre nous, j'ai été révolté, atterré par l'intrusion de la barbarie dans les locaux de Charlie Hebdo. La liberté d'expression est une acquisition imprescriptible des sociétés développées. La raison est cette faculté qui nous élève au-dessus de l'animalité. On ne peut tolérer que des imbéciles exécutent froidement des hommes qui n'ont pas le discutable privilège de partager leurs convictions irrationnelles, non démontrables, non universelles.
Votre analyse sur les causes de cet assaut contre la liberté ?
Nous découvrons, vingt-cinq ans après, les séquelles de l'autodestruction du socialisme réel. La responsabilité du chaos planétaire incombe, en dernière instance, au Soviet Suprême. Il n'a pas su rendre souhaitable, inéluctable, l'idéal égalitaire qu'il était chargé de faire descendre du ciel, où le christianisme (qui est historiquement une religion d'esclaves) l'avait situé, sur la terre. Que les terroristes s'en prennent à des alliés objectifs, découle de la médiocrité de leurs ressources matérielles, intellectuelles. Le mot de Marx : « La religion est l'esprit des situations sans esprit ». Et, pour finir, cette banderole que j'ai vue, le 11 janvier, place de la Nation, à Paris : « C'est dur d'être tué par des cons ». Oui.
Dans ce XXIe siècle globalisé, où placez-vous vos espoirs ?
L'universel, qui était resté longtemps une abstraction philosophique, est entré partout dans les faits, dans la vie des gens. C'est la globalisation, l'occidentalisation du monde. Le péril est donc général, avec la suraccumulation du capital et la baisse inéluctable du taux de profit. La religion reverdit sur les décombres de la philosophie de l'histoire, après la défaite historique du mouvement ouvrier à l'échelle internationale. L'horizon est bien sombre.
Daniel MORVAN.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire