Fête des langues : toute la beauté du monde
lundi 19 juin 2000
L'association ' Neuf ' organisait samedi, sur le marché du Bouffay, la première fête des langues parlées dans la région nantaise.
'Le français est défendu par des gens dont il n'est pas la langue maternelle.' Luc Douillard, président de Neuf/Nantes est une fête, avait rêvé de réunir toutes les langues parlées de la ville. Pas Babel, mais presque. Il a réuni 42 idiomes, depuis la langue de Jésus, l'araméen, jusqu'à l'espéranto et la langue des signes.
Ni minorités écrasées ni majorités écrasantes : la planète est à notre porte, à visage ouvert, sans peur et sans crainte. "L'idée est venue de Toulouse précise modestement Luc Douillard, qui s'avoue lui-même piètre linguiste. Il s'agit de réunir les langues de nos villes et de nos campagnes, dans un esprit humaniste et pour affirmer qu'elles sont, petites ou grandes, égales en droit et en dignité."
Ce forum a été l'occasion pour des personnes nées à des milliers de kilomètres l'une de l'autre de se connaître et de lier amitié. A l'exemple de cette Hongroise qui étudie le folklore breton, de Stanley le Bolivien qui parle deux langues amérindiennes, le quechua et l'aymara, ou des jeunes kurdes Filiz et Aysen qui se félicitent que la Turquie autorise enfin l'enseignement de leur langue. Les Bretons ? Heureux ! ' La multiplicité des langues, en France, on connaît, dit Armand Tosser, membre de l'association des enseignants bretonnants laïcs Ar Falz. Ici, on parle breton, français, gallo, poitevin, rien de plus normal. '
Du côté du Madagascar, on branche guitare et l'accordéon attaque un maloya bien balancé. Vous prenez votre premier cours de malgache. ' Mon grand-frère a la folie des fleurs ', cela se dit : ' Mangalatra ni voninkazy nyzukiko. ' En créole haïtien, on dira : ' Granfrè m nan gen foliflè. ' Si vous vous écoutiez, vous vous feriez répéter quinze fois ' Il fratello grande va pazzo per i fiori ', tellement c'est joli. Le lettré poitevin, après avoir consulté son dictionnaire, décide que ce sera ' Mun grand fraere, ol at rén que l'aeme pas meu que lès fleurs. ' Et le breton se fend d'un imparable ' Ma breur braz a zo sot gant ar bleunioù. ' Apprendre un parler, c'est d'abord lire les visages, déchiffrer les sourires. Cette quête n'a pas plus de fin que la passion des langues. Comme dit le proverbe vietnamien : ' Parle si tu sais. Mais si tu ne sais pas, appuie-toi à la colonne et écoute. '
Daniel Morvan
10e fête des langues à Nantes: avec les Araméens de Nantes
Araméen, noirmoutrin, malgache : pour son dixième anniversaire, la Fête des langues rassemblait 35 langues sous les halles du Bouffay.
« Vous vous rendez compte ? À la Guérinière, qui touche l'Épine, ils roulent les « r» ! » Colette pouffe de rire. Non pour rire de ses voisins, mais pour marquer un étonnement émerveillé devant la diversité des parlers. Colette, elle « caôze » la langue de l'Épine, une petite commune de l'île de Noirmoutier. Une langue dont elle vantait les beautés, samedi après-midi sous les halles du Bouffay.
Variante du poitevin saintongeais, le dialecte de l'Épine se distingue par ses diphtongues (alors que le poitevin n'en a pas), et par de beaux subjonctifs. « Nos parents nous ont transmis le subjonctif, alors qu'ils n'allaient pas à l'école. » Ainsi, « que j'aie » se dit « que i'avége ».
Des îles dans l'île
À l'Épine, le vocabulaire maritime est omniprésent. Ranger se dit « arrimer », renverser se dit « chavirer » et on ne va pas chercher, mais on « pêche les enfants à l'école ».
Sur l'île, les parlers sont des îles dans l'île. Et il suffit de marcher quelques minutes pour se trouver comme en terre étrangère. Et ce dialecte se parle d'abondance : « Quand je pars en vacances avec ma soeur, nous ne parlons pas un mot de français entre nous ! »
Ce n'est pas comme les Philippines, l'Épine. « Aux Philippines, nous parlons notre langue et celle de l'occupant, constate Loreta, qui accueille le public, vêtue d'une somptueuse robe rouge. Espagnols, Américains nous ont enseigné leur langue. Nous leur prenons des mots, mais nous gardons notre langue. »
L'araméen est-il une langue îlienne ? L'existence d'une zone kurde protégée par les Américains constitue une sorte d'insularité bénéfique pour la langue et la culture araméennes.
Comme le poitevin, l'araméen se subdivise en plusieurs rameaux, et l'araméen natif des chrétiens d'Irak n'est pas le même que celui des musulmans de Syrie (où cette langue se parle aussi !).
L'araméen est une langue liturgique. Simon peut en témoigner, qui est issu du séminaire de Mossoul. En témoigne une photo de lui prise en 1959, dans sa robe de petit séminariste. « Notre araméen est en fait du franco-araméen, comme celui d'Irak est de l'arabo-araméen », note ce grand lettré.
Mais tous dérivent de l'araméen antique, qui était la langue pratiquée par le Christ. Le jeu de mot biblique : « tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église », fonctionne-t-il aussi en araméen ? « En effet ! Pierre se dit « képa », qui est à la fois un nom et un prénom. »
De même, les mots « êli, êli, lama sabachthani » (mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?) du Christ sur la croix ne se diraient guère différemment aujourd'hui : « Elle Elle imana chwaqtan ».
20 familles à Nantes
« Un petit gâteau de figues ? » propose
la souriante Ferial, histoire de rompre
la gravité de
la conversation. Les Araméens de
Nantes comptent vingt familles. Il ne cesse d'en arriver de nouvelles chaque année. Toutes parlent leur langue de manière quotidienne, aussi simplement qu'on partage des gâteaux de figues.
Et nous pourrions aller ainsi d'île en île, passant du malgache au noirmoutrin, au gré de la multiplication des parlers, en remontant jusqu'à celui en usage au paradis.
Tous réunis dans une Fête des
langues qui pourrait se développer davantage, si ses initiateurs le souhaitaient. Ce qui permettrait à un plus large public de découvrir
la diversité des idiomes pratiqués à
Nantes.
Une diversité qui n'empêche pas chacun de comprendre l'autre, comme le note la Hongroise Zsofia : « Toutes les langues ont des points communs. Par exemple, les oiseaux sont toujours les messagers des amoureux. »
Simon Kossa montre une photo datée de 1959. Il a 13 ans et est élève au petit séminaire de Mossoul. C'est là qu'il a appris à écrire l'araméen. À sa gauche, son épouse Jeannette (ou Djamila), et Ferial, une amie. Tous pratiquent l'araméen quotidiennement.
Daniel MORVAN.
2014, Nantes: Un parcours poétique grec avec Michel Volkovitch
Le grand traducteur Michel Volkovitch est l'invité d'un parcours poétique et musical grec, le 15 mai à Nantes. Il est organisé par les associations Ahéla (Grecs de Nantes) et Nantes est une fête.
Profil
Michel Volkovitch, quel est pour vous, fin angliciste tombé amoureux de la Grèce, le sens d'un parcours poétique évoquant l'exil grec, l'amour hellène ?
Par-delà les poésies de tel ou tel pays, il y a la poésie universelle. Les traductions sont là pour enrichir cette poésie en faisant circuler les poèmes par-delà les frontières. Tout le monde y gagne : le pays de départ qui donne à ses poètes une plus large audience, et le pays d'arrivée qui découvre des voix et des beautés nouvelles. S'agissant de la Grèce et de la France, nous avons un pays, le nôtre, où la poésie occupe actuellement une place plutôt marginale, et un autre où elle est plus aimée, plus pratiquée. Elle est la langue maternelle des Grecs. La Grèce d'aujourd'hui possède un trésor au moins : sa poésie, l'une des plus riches du monde selon certains. Nous avons donc tout intérêt à écouter ce qui s'écrit là-bas... En consultant par exemple l'Anthologie de la poésie grecque contemporaine 1945-2000 (Poésie/Gallimard), et en suivant le parcours poétique dans les rues de Nantes le 16 mai !
Quels poèmes doivent-ils y figurer selon vous ?
La poésie grecque étant d'une extrême abondance et d'une extrême variété, on ne peut tout faire entendre d'un seul coup. Ce que je souhaite, c'est qu'on ne se limite pas toujours aux mêmes noms. Rìtsos, par exemple, est un grand poète, mais il n'y a pas que lui ! J'ai traduit jusqu'à présent, quant à moi, plus de 150 poètes grecs, dont une grande partie mérite, je crois, d'être connue à l'étranger.
Ce parcours ne se limite pas à des lectures, il est ponctué de musiques. On rendra hommage au « rebetiko », avec un moment « cabaret » dans un bar nantais, le Chavalais. Qu'est-ce donc que cette musique ? Une forme grecque du fado ?
C'est une certaine forme de chanson, apparue vers 1920 dans les ports grecs, composée à l'origine par les mauvais garçons. Les chansons rebètika ont pour thème la misère, la drogue, la prison, la mort, et l'amour bien sûr, malheureux de préférence. Longtemps méprisées, voire interdites, ces chansons sont devenues à la mode après la guerre au point d'être aujourd'hui connues et aimées de tous. Alors même qu'on n'en compose plus de nouvelles depuis 1960. Je viens de publier aux éditions Le miel des anges, sous le titre La Grèce de l'ombre, 130 de ces chansons en version française.
Que pensez-vous de cet élan d'amour pour la Grèce, parti de Nantes avec le mouvement Je suis grec ?
Je me suis joint au mouvement dès le début avec enthousiasme. Il faudrait des dizaines, des centaines d'initiatives comme celle-là pour secouer l'apathie de ce pays fatigué. Et pas seulement en ce qui concerne la Grèce.
Quelle est votre Grèce intime, la plus chère à votre coeur ?
Ma Grèce est moins celle du soleil, des îles et des antiquités que celle qu'on connaît moins, la Grèce des villes, Athènes, Thessalonique, Patras, Yànnena, où les Grecs d'aujourd'hui vivent, travaillent, aiment et souffrent. Et maintenant qu'ils souffrent plus que jamais, il est urgent de les aider en combattant la mauvaise image qu'ils ont parfois à l'étranger. Ma façon à moi de me battre pour eux, c'est de traduire et faire connaître ce qu'ils créent de beau et de fort en poésie, en prose, au théâtre. De les montrer tels qu'ils sont vraiment à travers ce qu'ils écrivent sur eux-mêmes, avec leurs défauts mais aussi leurs grandes qualités.
Daniel MORVAN.