mardi 18 avril 2017

Max Jacob. Mes jeunes pensées en robe de dimanche






Cinquantenaire de la mort de Max Jacob avril 1994


Une enfance quimpéroise entre processions et humanités classiques




Né en 1876 dans une famille juive qui s'est vite enracinée à QuimperMax Jacob va grandir dans l'ombre jumelle de la cathédrale et des humanités classiques. Deux mondes que tout oppose, dont il tentera la fusion dans son oeuvre poétique.

Les Jacob sont laïcs, agnostiques et voltairiens. Hormis les grandes fêtes du judaïsme, la famille ne pratique guère. « On respectait plus que tout la science, les honneurs, les titres, la fortune », dit Max Jacob. En digne rejeton de la bourgeoisie quimpéroise, il suit les cours du nouveau lycée de La Tour d'Auvergne, temple du positivisme, qu'il qualifie de « lycée laïque à une époque des plus laïques, celle qui précède la séparation de l'Église et de l'État ». Juif et athée, Max baigne pourtant dans le christianisme. Le spectacle de la religion déroule ses fastes sous ses yeux, comme un immense tapis de fleurs qu'il ne peut fouler. « Que pouvait signifier pour un enfant juif athée ce dais doré et blanc solennellement empanaché, accompagné de messieurs en habits noirs, à l'air si ému ? » Il ne sait, mais avoue « avoir envié ceux qui tombaient à genoux, ceux qui jetaient des fleurs sous les pieds des prêtres » (...). Et « d'avoir admiré plus que tout au monde la longue procession qui, au bord de la rivière, sortie de la cathédrale, allait sous de longues allées d'arbres, rejoindre une petite église romane de faubourg, au pied d'une montagne de verdure. » La pompe et l'émotion religieuse font de Quimper une cathédrale contenant une cathédrale, un réservoir d'images bouleversantes captées depuis la fenêtre d'une chambre d'enfant.

Dans l'herbe du Frugy


L'enfance ? « J'imagine, dit la biographe Hélène Henry, une petite enfance de gosse nerveux, fragile, mais qui déjà, travaille bien à l'école et qui vit dans l'ombre du mythique grand-père qui prédit : « celui-là ira loin ! » 

Déjà cubiste, l'enfance : « La maison paternelle est là ; les marronniers sont collés à la fenêtre, La préfecture est collée aux marronniers, le mont Frugy est collé à la préfecture. » Quimper est un prisme, un kaléidoscope dont les couleurs embrasent la sensibilité de l'adolescent. Allongé dans l'herbe au sommet du Frugy, sa rêverie va d'un livre ouvert aux marronniers-marquises, dans ces vers lyriques du « Laboratoire central » : « Voici le précipice où mon arbre a grandi/ Il y a là un amphithéâtre de jeunes filles roses et blanches/ Je me suis couché au bord et j'ai lu des livres/ Mes jeunes pensées étaient en robe de dimanche/ Elles avaient des fleurs dans leurs cheveux lisses. » 
La mort du grand-père en 1889 provoque un tel désarroi chez Max que sa famille le fait examiner par le neurologue parisien Charcot. Comme si Samuel Jacob avait emporté l'être de Max dans les limbes, l'abandonnant à son « Qui suis-je ? » « J'étais, enfant, doué. Mille reflets du ciel/ Promenaient, éveillé, les charmes de mes songes/ Et venaient éclipser l'étendard du réel./ Au milieu des amis, enseignés par les anges/ J'ignorais qui j'étais et j'écrivais un peu. » (Le laboratoire central.) Dans l'écriture, il y a une quête de soi, et la conscience que le « moi » n'est qu'illusion.

Rêves inventés


A partir de la seconde, Max est l'un des plus brillants élèves du lycée de Quimper. Comme ses amis René Villard et Raoul Bolloré (qui se jettera dans la Vilaine à vingt ans), il lit les classiques mais aussi Verlaine et Rimbaud, initié par son professeur, une jeune femme. Elle aussi se suicidera. On se suicide beaucoup. 

Max lui-même joue à se faire peur. Car « toutes les ivresses ne font pas taire l'idée obsédante du suicide ». Ce sont pourtant « les plus belles années de ma vie ». Le commerce familial est florissant : Lazare Jacob ouvre une succursale à Saint-Servan et Paris, où il répand la mode des mules brodées, obtenant par elles un prix à l'exposition universelle de 1898. 
On habille le conseil municipal, les professeurs de La Tour d'Auvergne fréquentent le salon Jacob, on parle de sa carrière quand il joue avec ses frères et sa soeur au jeu des « rêves inventés », qui sera plus tard sa définition de la poésie. Qui laisse deviner l'invention doit payer un gage. Le matériel et la méthode poétique du « Cornet à dés » sont là. Sur son trajet quotidien pour le lycée, Max fend une foule de coiffes et de chapeaux, baigne dans la langue bretonne qu'il entend aussi dans la bouche des brodeurs de l'atelier paternel. Si Max ignore qui il est, du moins sait-il où il est, dans cette Bretagne qui « tient du prêtre et du tzigane. » 

Daniel MORVAN.

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