samedi 22 avril 2017

Shoah, rencontre avec Lanzmann


Claude Lanzmann a rencontré hier les étudiants de l'école des Beaux-Arts

QUOTIDIEN OUEST-FRANCE
‎jeudi‎ ‎25‎ ‎novembre‎ ‎1999
799 mots
Daniel MORVAN
L'école des Beaux-arts accueillait hier Claude Lanzmann, pour une rencontre avec les étudiants. L'auteur de ' Shoah ', le film de neuf heures et demie, qui a été vu par 70 millions d'humains, a parlé de son travail sur la mémoire enfouie.
La Shoah et les images. ' La Liste de Schindler ', de Steven Spielberg et récemment le film de Roberto Benigni, ' La vie est belle ' ont posé la question : la Shoah est-elle représentable ? Claude Lanzmann a réglé la question en n'utilisant aucun document. ' C'est un mot que j'interdis. Et quand j'entends prononcer le mot documentaire... ' Le réalisateur, qui a consacré onze ans de sa vie au tournage de ' Shoah ', s'oppose par son oeuvre à toute tentative de reconstitution, de fictionnalisation. Avec lui, le spectateur part du réel, la parole des survivants et des bourreaux nazis (en images volées) et les paysages autour des camps d'extermination, paysages de mémoire latente. ' Benigni rend la Shoah abordable et digeste. C'est un travestissement honteux de l'histoire, mais il n'y a pas de quoi rire. Ils ont besoin de ça à la fin du millénaire. Ce qui m'étonne, c'est que les organisations juives aient soutenu ça. Lorsqu'on me demande si on peut faire de l'art après Auschwitz, je réponds oui, regardez mon film. ' Internet et le révisionnisme. Internet favorise le révisionnisme rampant et lui offre une tribune inespérée. Lorsqu'on demande ' Claude Lanzmann ' à un moteur de recherche français, on peut tomber sur des pages consacrées à la mise en doute des chambres à gaz, comme celle-ci : ' Mon expérience du révisionnisme, par R. Faurisson. ' La ville de Nantes a connu un épisode révisionniste, lorsque fut soutenue en catimini, à la faculté des lettres, une thèse mettant en cause la véracité des témoignages sur les camps de la mort. ' Un témoignage essentiel provenait d'un SS qui convoyait du gaz asphyxiant Zyklon B, explique Yannick Guin, qui fut l'un de deux qui déclenchèrent ' l'affaire Roques '. En revenant à Berlin, il décrit les techniques de gazage à un diplomate suédois. Ce témoin fut interrogé par les Français et les Américains à la Libération. Il existe donc plusieurs versions, et c'est sur cette différence que s'appuient les révisionnistes. ' Pour Claude Lanzmann, ' Internet, c'est la poubelle du monde. Le négationnisme procède comme Internet, par arborescence. Ils passent leur temps à se citer entre eux, comme les pages du web renvoient les unes aux autres. ' L'Holocauste et l'école. ' Même si la Seconde guerre mondiale est au programme de terminale, il faut voir comment l'Holocauste est escamoté. Mais il est question de mettre ' Shoah ' au programme des écoles. ' La diffusion de ' Shoah '. Le film est arrivé lentement dans certains pays. Parmi les bons souvenirs : ' Lorsqu'il a été montré en Tchécoslovaquie, pour la commémoration de la déportation des Juifs de Prague à Terezin, j'ai rencontré Vaclav Havel. Il m'a offert l'un des 24 exemplaires dactylographié de la traduction qu'il avait établie de mon livre ' Shoah ', alors qu'il était en prison. A Moscou, il y a eu une projection réservée à l'intelligentsia. C'était le jour de la mort de Sakharov. Il devait être assis près de moi, à sa place il y avait un petit bouquet de fleurs. ' Les survivants de la Shoah ne disent pas ' je '. Pour en revenir au cinéma : peut-on représenter indirectement la Shoah, l'aborder latéralement, par le biais d'histoires où il y aurait des héros, une happy end ? ' Avec Spielberg, on ne retient qu'une histoire de sauvetage. ' Shoah ' n'est pas un film sur la survie mais sur la radicalité de la mort. Les survivants ne disent pas ' je ', mais ' nous '. Ils sont les porte-parole des morts. Spielberg n'a pas réfléchi sur ce qu'est la Shoah, ni sur ce qu'est le cinéma. Il en arrive à des subterfuges, comme la chambre à gaz qui est une douche, alors que c'était l'inverse. Il transforme ça en histoire de sadisme, avec le chef du camp qui fait des cartons. Mais dans les camps, il n'y avait pas de temps pour le sadisme privé. C'était industriel. ' Recueilli par Daniel MORVAN.

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