dimanche 23 avril 2017

Un livre que j'avais aimé: Portrait d'une dame


QUOTIDIEN OUEST-FRANCE
lundi 12 décembre 2005
337 mots
Daniel Morvan
Une chose est sûre : il s'agit d'un couple soudé. Quelle femme supporterait, sinon, de se promener avec un mari qui note tout ce qu'elle dit, du matin au soir, pendant trois ans ? Samedi 4 septembre 1982, 18 h 09 : « Tu vois j'arrive et le feu devient vert. » Un peu plus tard : « Tu as vu les petits coqs de la dame ? » et à 22 h 13, pour clore la moisson quotidienne : « C'est un peu la quintessence du bateau mouche. »
Marie-Hélène Dhénin a donc supporté cette drôle d'expérience de se promener avec un scribe permanent, son compagnon Alain Frontier. Lequel est aussi auteur d'un Cours de langue grecque et d'une Grammaire du français. On pourrait s'attendre, avec ce Portrait de dame, d'une sorte de démonstration avant-gardiste un peu vaine, version intello du « Comme dit ma femme » de l'inspecteur Columbo. Mais l'expérience, très productive, recèle une drôlerie accessible, une douce étrangeté : « Je suis prise parfois de découragements ménagers intenses » (un 7 juillet à 13 h 56), « il y a des tas de paroles, comme ça, dont on ne se souvient jamais » (21 h 52). Ou encore : « Tes dents ne doivent pas être bien rangées, parce que c'est anormal que tes dents claquent comme ça »« ce bébé a beau être tout petit, il est d'un encombrement ! », « Il y a moins d'avaleurs de feu que l'été », « Cet homme, c'est sa femme ? »
Ce montage dadaïste de micro-tranches de vie finit par devenir une sorte de fiction du quotidien où le lecteur circule à sa guise, cernant le mystère d'une personne. Il peut reconnaître les situations, imaginer le contexte de phrases qui, incongrues, surréalistes, banales, cimentent et donnent sens à ce qu'on appelle la vie de couple.
Daniel MORVAN.
Portrait d'une dame, récit expérimental. Par Alain Frontier. 432 pages, 25 €. Éditions Al Dante.

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