vendredi 9 juin 2017

Le Dieu des boulistes nantais joue droit sur des lignes courbes









« La voilà qui prend le biberon ! » Dans le langage des boulistes, cela signifie qu'une grosse boule est restée collée à la petite.
Et si vous ne voulez pas « être Fanny », vous avez intérêt de savoir « chalouper » (faire naviguer sa boule entre les « rives »), quitte à « remonter du bois » (ramener les boules vers le centre).
Bref, la boule nantaise, c'est du billard, subtil et sympa comme la pétanque. Avec une touche de mystère qui n'existe nulle part ailleurs. Sauf peut-être dans la boule de fort, qui a elle aussi un terrain à bords relevés, sur un profil en courbe.
Car dans ce sport, rien n'est droit. Comme dit le proverbe, Dieu écrit droit avec des lignes courbes. Dieu, et le bouliste.

Avant, c'était Nord contre Sud

Claude Pennaguer a appris à jouer à 16 ans, ici même, au café Jean-Macé, place du même nom. Un fief où le patron, Patrick, est lui-même pratiquant. Son épouse Pascale est trésorière de l'Amicale.
Tout se joue en arrière-salle. Une piste couverte depuis 1934 avec, à gauche (entre les deux, un mur invisible, infranchissable), des tables où l'on tape le carton.
« Avant, la boule, c'était Nord-Sud, chacun avait ses propres concours. Maintenant, quand il y a un concours à La Montagne (44) ou à la Colinière, tout le monde y va. On ne cultive plus l'esprit de clan comme autrefois. »

Toute une peuplade de Bretons

La boule nantaise est un jeu enraciné dans les quartiers ouvriers.
Le Jean-Macé est l'un des fiefs. Était. « Dans le quartier derrière, explique Claude, il y avait toute une peuplade de Bretons. Ici, les gars d'Amieux, de Dubigeon, de Carnaux et de toutes les entreprises du bas-Chantenay remontaient après le travail, posaient leurs vélos devant les cafés et venaient jouer en buvant une chopine ou deux. Et le dimanche, on venait avec son casse-croûte, en famille. Les hommes pouvaient jouer à partir de 10 h du matin, jusqu'au soir. »
Les origines du jeu ? Pour Claude, il ne faut sûrement pas chercher du côté des bateaux négriers. En revanche, la pratique des boules au fond des péniches de sable est une explication possible. « Ils jouaient dans les cales, sur le sable. C'est le début du jeu. »

J'ai testé la boule nantaise

On essaye ? Mettons-nous dans la peau d'un bas-breton fraîchement débarqué.
Sa première idée : trouver un boulot et une piste de boules.
On peut jouer jusqu'à six joueurs, pour des parties qui peuvent durer deux heures. D'abord, assurer la prise en main de la lourde sphère.
« Tombée par terre, la boule est morte. » Et là, vous êtes bon pour la Fanny.
On se cale en bout de terrain, un pied contre le « talon », cette glissière qui évite les sorties de piste. La boule de 2 kg ne se jette pas. Elle se pousse. On joue droit, ou l'on joue les bandes. Dans une équipe de trois, le premier pointe, le second tire, fait le ménage. Le capitaine engrange. « Faut y aller doucement, surtout si le terrain colle. »
C'est, pour tout dire, un jeu d'imagination. Les trajectoires infiniment capricieuses ne se prévoient pas, elles se rêvent. « Certains exagèrent, posent la boule, vont voir, extrapolent. Ceux-là, on les devine tout de suite. »
Il n'existe pas deux aires identiques. La plus grande, la plus jacobine, celle de la Convention (15 mètres sur 5) vient de disparaître avec le café qui l'abritait.
Celle de Procé, la plus courue, est l'une des plus grandes. Et celle de Jean-Macé, la plus petite, la sportive, l'ouvrière, l'anarcho-syndicale. Elle a ses dévers que seul un druide de La Feuillée saurait déceler.
« Avant les concours, on refait l'enrobé, le coulis. Et pendant douze jours le terrain est la disposition des autres amicales, qui viennent étudier les trajectoires. »
Ils savent trop ce qui attend le bouliste novice : à lui d'embrasser la Fanny, pudiquement cachée dans son petit tabernacle. Avant de payer la tournée générale.

Daniel MORVAN.

Les boulodromes nantais. Le Bon Laboureur, rue des Pavillons. l'ADFR, 23, rue du port-Guichard (Route de Paris). Jean-Macé, 51, bd de la Liberté. La Colinière, 144, bd de Doulon. La Durantière, 46, rue J.-B. Marcet. Bowling, 3, bd G.-Lauriol. Lorrain, 86 bis, rue Appart (Zola). Procé, 144, bd de la Fraternité. La Montagne, 58 rue de la Paix.

‎samedi‎ ‎8‎ ‎mars‎ ‎2008
966 mots
Daniel Morvan

Nantes accueille aujourd'hui la Confédération des jeux et sports bretons. La boule nantaise, mixte depuis 2000, est pratiquée par un millier d'aficionados.

dimanche 7 mai 2017

Un dernier « Rosebud » pour la route





Il est d’usage de dévider l’écheveau d’une carrière quand le métier à tisser vous lâche, exaspéré de vos tics d’écriture, lassé de vos inégales humeurs.
Je pourrais me souvenir des plus beaux soirs, ceux qui faisaient surgir la Révolution française sur un plateau, avec Joël Pommerat (Fin de Louis). Ma rencontre avec une Anouk Aimée un peu pincée dans le TGV Paris-Nantes (pour le cinquantenaire du film Lola), avec l’actrice Isabelle Huppert, pour une conversation lors d'une conférence à la Cigale, le juvénile DJ Madeon, le vieux poète Guillevic, la chanteuse Christine & the Queens. De cette manière désinvolte que j’eus, naguère, de jouer sans le savoir mon mercato personnel en narrant la vie épique de José Arribas, entraîneur du FC Nantes. L’inventeur d’un jeu alchimique (assurais-je avec l’aplomb des béotiens), qui consiste à jouer sans ballon.
Jouer sans ballon, c’est la spécialité du journaliste culturel, même quand il traverse le miroir, et il l’a fait. Il n'y eut pas que la culture, mais aussi les chasses à courre en forêt de Vibraye (Le cerf embroche un paysan, la chasse à courre continue), l'autoroute bloquée à la Ferté-Bernard (Pas d'argent pour le péage: ils passent la nuit dans leur voiture, avec le bébé, par -17°). Les vestiges de la féodalité (l'ouvrier agricole vivait depuis 20 ans dans une crèche à cochons). Oui, les titres explosaient comme les bouquets du 14 juillet dans le ciel heureux du journaliste local débutant. (...)
Je pourrais, pour la route, vous servir le souvenir définitif. Vous le livrer comme le mot Rosebud dans la bouche de Citizen Kane (le film d’Orson Welles). Ce ne sont jamais les choses les plus prestigieuses qui vous reviennent : Le peintre Pierre Soulages se dit frère de l’homme d’Altamira, projetant de la poudre ocre entre ses doigts. Et parfois c’est la trace la plus fragile qui traverse le temps. Une poussière de couleur. L’empreinte d’une main négative.
Au bout de centaines de papiers, de regards, de critiques et d’étrillages, le jour où je serai tout seul dans une salle, traînant après les autres déjà partis, c’est d’elle que je me souviendrai : Michèle. Pilier de TU et de grand T, lieu-uniquienne émérite, manieuse de TNT, maman de toutes les chanteuses débutantes, patte de lapin des premières à trois spectateurs payants. On croyait savoir des choses sur elle, de son passé intense qui pouvait expliquer cette assiduité. Elle avait été de la Colline, Gérard Philipe et Jean Vilar avaient chanté sous ses fenêtres. De la vie elle avait goûté tous les nectars, toutes les ambroisies.
Un soir au théâtre, mon ami comédien Didier Royant me glissa : « Tiens, c’est bizarre, on ne voit plus Michèle depuis quelques temps.»
On ne la revit plus, parce qu'elle était morte.
Mais on a continué à se souvenir d’elle, de son fauteuil qui roulait de théâtre en théâtre. Ses petits signes. J'étais le papa de Mathilde, dont elle avait suivi les débuts de chanteuse et actrice. Elle était partout où naissait la vie. Témoin des gazouillis du talent. Elle était la spectatrice. Elle avait cette qualité qu’on attribue aux meilleurs comédiens, et qu’il faut reconnaître aux meilleurs spectateurs : la présence.
Daniel Morvan
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mardi 2 mai 2017

Caroff+Abraham = Compère, qu'as-tu vu ?


‎mercredi‎ ‎28‎ ‎juillet‎ ‎1993
811 mots


« Compère, qu'as-tu vu ? », de Jean-Pierre Abraham et Vonnick Caroff



Vous pouvez aimer à la folie la Bretagne dans ses atours d'été et avoir envie de soulever un pan de ciel bleu pour découvrir une autre Bretagne. « Compère, qu'as-tu vu ? » est votre livre.

Jean-Pierre Abraham, écrivain (auteur de trois récits, « Le Vent », « Armen » et « Le Guet », journaliste à « Armen ») et Vonnick Caroff, peintre à Pont-Croix, ont réalisé ce livre selon les règles d'un pacte enfantin : l'homme de plume a livré ses textes chaque lundi et la dame aux couleurs a dessiné à partir des textes. 


Sans thème préalable, avec pour seule discipline de ne pas manquer le passage du facteur. S'est ainsi écrite une chronique des jours et des lunes dans l'extrême Finistère Un livre aux couleurs de papillon vous bat entre les doigts.
Un livre tissé de quotidien, un trésor de gosses : proverbes et chansonnettes, comptines et amulettes, enluminures et collages. La complicité qui s'est liée entre les deux auteurs du livre est visuelle. « Je voulais te dire/Comme les étoiles les renards ont les yeux bleus en naissant ; plus tard ils deviennent d'ambre. » L'image vérifie le mot. 

 Jean-Pierre Abraham et Vonnick Caroff ont écrit le poème d'un Finistère sombre et lumineux comme un vitrail, chamboulé comme les bateaux-phares du peintre Dilasser. Une dislocation de nuages traversée par des enfants à vélo, des animaux aux yeux fous et des étoiles. Demain, le monde va se refaire, l'homme aussi. Et quelquefois, le ciel semble « proche comme les grillons d'été : le même chant insaisissable ». Peu de livres racontent ainsi l'envers des saisons, l'autre côté des vies où les sentiments n'ont pas encore de nom. On suit le fil ténu de ce texte étrange, plein de poules et d'étoiles. A vrai dire, on se demande à quoi ça tient, mais ça tient. Mais si la poésie n'était capable de ce genre de petits miracles, qui d'autre ? 

Daniel MORVAN.

« Compère, qu'as-tu vu ? », éditions Le temps qu'il fait (Cognac), 150 F. éclairage

Abraham, l'éternel guetteur


« Pourquoi donc ne peut-on continuer toute la vie à guetter le monde comme au temps des amours d'adolescents ? », écrit- il dans « Le Guet » (Gallimard, 1986). Guetteur, il l'est déjà au phare d'Armen, au large de l'île de Sein, où il fut gardien pendant quatre ans : « J'ai découvert Armen lors de mon service militaire à Brest, raconte-t-il avec une étincelle d'amusement dans l'oeil, dans l'atelier où Vonnick Caroff compose ses bleus de matin calme et ses roses bergère. Je me suis tout de suite présenté à mon commandant, en petit pompon, pour lui dire : je veux aller là-bas. Il m'a dit : vous me rappelez mon fils. Allez-y donc ! » 

 Quatre ans dans les cuivres lustrés et le mobilier patiné du phare : « Je me suis toujours demandé comment on avait pu construire Armen. Ses bases semblent si fragiles à marée basse. Les berniques qu'on y trouvait étaient si endurcis qu'ils étaient immangeables. » 

 La vie le conduit ensuite sur une montagne de Haute-Provence, près de Forcalquier : il en tirera un récit, « Le Guet ». Des choses vues jaillies du coeur du silence. Une chronique banale que vous dévorez comme un polar, pris dans la fascination des êtres. « Le Guet est peut-être le plus breton de mes livres, c'est là-bas, en Haute-Provence, que j'ai pris conscience que j'étais Breton. La Bretagne est peut-être faite pour être rêvée de loin ! » 

Et c'est dans ce livre provençal qu'il dit le mieux son pays, où « j'ai vu des filles insignifiantes devenir belles par vent de suroît » et où, « en toute saison, on n'est jamais très éloigné du mois de septembre». Mais « ras-le-bol du ciel bleu » : son pays, il va le retrouver en prenant un poste de gardien des îles Glénan, où il est nommé professeur à l'école des chefs de bases nautiques. Il y rédige le célèbre « Cours de navigation des Glénan », puis devient rédacteur des instructions nautiques, dont il a toujours admiré la clarté de style. Jean-Pierre Abraham possède la grande qualité des vrais guetteurs, veilleurs et gardiens : le silence. Un silence bruissant et brûlant qui troue la nuit comme les éclats lumineux d'un phare, au large de Sein.

Jean-Pierre Abraham dans l'atelier de Vonnick Caroff, avenue de la Libération à Pont-Croix.

Eugène Guillevic: "De la poésie? Dans ta figure!"

« J'ai toujours caché être poète », avoue-t-il. Élevé dans la foi chrétienne, il entre au parti communiste en 1947, et le quitte en 1980. « Le rôle du poète est de donner à vivre le sacré ».


En 1994, à l'occasion de la parution de « L'expérience Guillevic » (éditions Deyrolles), j'étais allé le voir à Paris. Il avait 86 ans. Moment si rare dans la vie d'un localier que ces dégagements à la capitale (étais alors en poste à Morlaix): prendre le train pour Paris, afin de voir l'un des plus grands poètes vivants, que j'avais lu avec passion, rendant compte de toutes ses parutions, et dont me parlait Chantal Connan, la photographe qui avait publié un ouvrage avec lui.

L'appartement d'Eugène Guillevic est au troisième étage d'un immeuble cossu, à Paris. Non loin des rosiers et des robes légères du Jardin des Plantes. Dans l'appartement du poète, il y a des livres, des manuscrits, des tapuscrits, des brouillons, des carnets : l'écrit déborde comme d'un grenier d'août. 


Des tableaux (Dubuffet, Manessier), et son propre buste en plâtre sur la télévision. Cachée par la porte du bureau, un portrait au crayon de lui par Picasso. Eugène Guillevic n'aime pas la ville mais y vit depuis 50 ans. « Grâce aux soins de mon masseur chinois, je peux me déplacer malgré l'arthrose. » 
Étrange voix que celle, rugueuse, graniteuse, du poète. 
Un petit côté Sartre dans le grain de voix. Une voix de menhir. Un menhir qui prend l'ascenseur une fois par jour pour aller acheter le journal, et déjeune parfois au restaurant, en bas de la rue, avec sa compagne Lucie. Quelques échappées bretonnes, de temps en temps. 
Mais sa Bretagne à lui, elle est en dedans: c'est celle de son enfance. « J'ai le sentiment de ne pas avoir changé depuis l'âge de sept ans. Mon enfance fut malheureuse mais habitée. Mes amis étaient les choses, puisque les animaux étaient interdits à la maison ». 

 Il est né en 1907, et c'est dans les menhirs de Carnac (« notre jardin public ») qu'il apprend à marcher. Il écrira : « On fait semblant d'être à la table/ et d'écouter./ Mais on a glissé/ Parmi les feuilles mortes,/ Et l'on couve la terre. » 

Il y aussi les baisers de cette petite fille qui « avait déjà/ Ses beaux yeux pour plus tard » et qu'il doit quitter lorsque son père est nommé en Alsace en 1919. 
 Pour aller au collège, des heures de train, trajet meublé par des lectures, poésie romantique et Confessions de Rousseau. Demain, il inventera la poésie sans adjectifs, lesquels sont pour lui « la négation de la poésie». 

Aujourd'hui il a quinze ans, et publie avec la régularité d'un aligneur de menhirs des centaines de vers. Il met ses pieds bretons dans les souliers de la poésie romantique, sûr d'être le Lamartine de son temps.
« J'ai publié mon premier poème dans le journal. Des poèmes, je t'en ficherai! Ma mère m'a donné une claque. » 
 Lucie apporte le café. C'est elle qui l'aide à trier ses poèmes. 
« Nous faisons trois tas : ce qui est bon, ce qui est améliorable, ce qui est à jeter. » 

 17 ans. Guillevic invente Guillevic. Plusieurs nuits, il a rêvé qu'il écrivait des poèmes courts dans le tronc des arbres. Sa poésie s'aère. Un nerf optique relié au secret des choses. Il y a des grenouilles en verre sur le bureau. Il porte un onyx à l'annulaire. Il écrit comme on respire. Trop, a-t-on reproché à celui qui a acclimaté (avec tant d'autres) le haïku japonais dans la langue de Louise Labé. Il fut aussi coupable de vers militants qui marchaient sur leurs douze jambes, ses alexandrins disciplinés de communiste en temps de guerre froide : « Ce fut une période de basses eaux où je me raccrochais aux rimes, faute de mieux. La poésie m'est revenue le jour où j'ai entendu couler une rivière, en imagination »
On le traduit en 55 langues. Sa vraie langue, celle qui cimente le poème, c'est le silence. « Si le silence/ perdait ses réservoirs de campagne,/ [...] Comment s'embrasseraient les amants/ Dans l'ombre des bâtisses ? » 

Daniel MORVAN.


Le premier livre de Guillevic, « Terraqué », est publié en 1942. La même année paraissait « Le parti pris des choses » de Francis Ponge. Deux livres écrits contre une conception décorative de la poésie, dont le point commun est de rebâtir une langue neuve.  « Terraqué » est disponible en collection de poche « Poésie Gallimard ». 



‎samedi‎ ‎9‎ ‎avril‎ ‎1994
803 mots

vendredi 28 avril 2017

Salut, la spectatrice

samedi 22 décembre 2012
201 mots
Daniel Morvan
Il est d'usage d'applaudir les comédiens lorsqu'ils quittent définitivement la scène. Je propose d'applaudir une spectatrice. Elle est partie sans rappels, fin août.
Du théâtre, elle en mangeait comme quatre. Pilier de salle Vasse, gourou de TU, inconditionnelle de TNT, lieu-uniquienne émérite, chauffeuse de salle pour les chanteuses débutantes, sphinx des générales. Il me souvient qu'un soir de première, un ami comédien me demanda, légèrement inquiet : « Tiens, c'est bizarre, je n'ai pas vu Michèle... » Mais elle était là, en bout de rang, avec son sourire couci-couça. On croyait savoir deux trois choses d'elle, sa vie théâtrale, son engagement, un passé qui pouvait expliquer que le théâtre était sa vraie maison.
À la rentrée, quand les salles ont démarré leurs saisons, les salles étaient pleines, mais il y avait un vide. Il manquait la spectatrice idéale. Cette patte de lapin des soirs de première. Il manquait Michèle dans son fauteuil. Son fauteuil qui roulait de théâtreen théâtre. Salut à toi, la spectatrice.
Daniel MORVAN.

Pierre Soulages



Un jour, enfant, Pierre Soulages traçait des traits noirs sur du papier. Que dessines-tu? lui demande-t-on. « De la neige », répondit Pierre, provoquant un éclat de rire familial. Pour cet enfant, le noir était une couleur qui éclaire tout le gris.
Né le 24 décembre 1919, Soulages connu pour son usage des reflets de la couleur noire, qu’il appelle «outrenoir ». Le maître de Rodez est au musée de Nantes par des œuvres qui sont des puits de lumière forés dans les profondeurs tectoniques du noir.  « L'outrenoir, dit-il, c'est un autre monde, où vous emmène la réflexion de la lumière par la surface du noir, qui est la plus grande absence de lumière. » Soulages n’est pas seulement le peintre de la densité maximale, il est aussi celui de l’espace: Plus un tableau est grand, mieux il vous emporte. Quelque part dans la grotte Chauvet ou à Altamira, avec ces peintres de la préhistoire, pour qui peindre, c’était broyer le noir, manger du charbon et le projeter sur un mur, pour donner une forme au mystère.

jeudi 27 avril 2017

Jean d'Ormesson: "Un seul conseil, travaillez dur"



Jean d’Ormesson est mort dans la nuit du 4 au 5 décembre 2017 à l’âge de 92 ans.. © Catherine Hélie




Je m'étais entretenu avec Jean d'Ormesson à l'occasion de la sortie du premier tome de son oeuvre romanesque dans la bibliothèque de la Pléiade (Gallimard). Sans doute l'une des personnes les plus agréables du monde en entretien... 


Jean d'Ormesson, comment sait-on qu'on va bientôt entrer dans la Pléiade ? Par un coup de fil de la maison Gallimard, comme un simple mortel?
Antoine Gallimard, directeur des éditions, m'a appelé pour me dire qu'il voulait me voir et que c'était un peu pressé. Cela aurait dû m'alerter, pourtant je n'ai pas pensé une seconde qu'il allait me proposer d'entrer dans la Pléiade. Nous nous vîmes et il me fit la proposition tout de go. J'en restai si confus que je lui dis en bredouillant: merci, merci beaucoup, merci infiniment. Puis, reprenant mes esprits, j'ai objecté que j'étais encore en vie. Il m'a dit : Ce n'est absolument pas un problème, ça peut s'arranger.


En réalisant ce volume, vous avez certainement découvert certains secrets de cuisine de la bibliothèque de la Pléiade?
J'ai appris que Saint-John Perse avait truqué sa Pléiade en antidatant des lettres de 1946, présentées comme étant de 1936. Du coup, il passait pour un visionnaire fabuleux ! C'est insensé, moi je n'ai rien truqué.


Cela vous fait drôle d'être imprimé sur du papier bible ?
Comme dit Groucho Marx, je n'entrerais pas dans un club qui accepterait quelqu'un comme moi. Mais Hughes Pradier, le patron de la Pléiade, m'a assuré : nous ne prenons pas dans cette collection les reines d'un jour, mais les auteurs qui resteront dans l'histoire de la littérature.
Une chose me faisait peur : « l'appareil critique » de la collection, qui déballe tout votre passé. J'aurais bien proposé une Pléiade sans appareil critique, comme Kundera.


Par la télévision et par Bernard Pivot, votre plus fidèle serviteur, vos yeux bleus et votre verbe ont régné sur les lettres. Mais quel genre d'écrivain êtes-vous en réalité ?
Jeune, être écrivain ne me traversait pas la tête. Je n'ai pas écrit de poèmes à ma mère à 9 ans, de polar à 15 ans et de tragédie à 20 ans. J'étais élève de normale sup', je ne voyais rien à ajouter à Flaubert.
J'ai écrit pour plaire à une fille, comme tout le monde. J'ai déposé un manuscrit chez Julliard, qui m'a rappelé le lendemain, enthousiaste : J'étais la nouvelle Françoise Sagan. C'était faux, bien sûr. Le livre a fait un bide.
Je suis entré une seconde fois en littérature avec La gloire de l'empire, qui reçut le Grand prix du roman de l'Académie française.


Quel est le secret que vous confieriez à un jeune écrivain ?
J'ai toujours vomi les conseils des vieux académiciens. Le seul conseil valable, c'est : travaillez dur. Certes, mieux vaut être écrivain que mineur de fond. Mais la littérature est un travail excessivement et formidablement difficile. J'écris très péniblement, il me faut récrire chaque page cinq à six fois.


On vous appelle l'écrivain du bonheur. Mais le bonheur d'écriture existe-t-il?
Écrire est «une joie atroce», dit Flaubert. Quel labeur, quels incessants retours sur l'ouvrage. L'été dernier, j'ai écrit 100 pages et j'en ai jeté 99. La production de tout un été, presque entière à la poubelle.


Ce labeur est-il compatible avec la vie mondaine qu'on vous prête ?
J'ai été mondain, mais depuis dix ans on ne me voit plus dans les soirées. La mondanité a disparu de ma vie, je suis sourd comme un pot et je crains les dîners en ville. À vrai dire, je suis maintenant presque muet dans les cocktails.



Recueilli ‎le  mercredi 6 mai et publié le jeudi‎ ‎7‎ ‎mai‎ ‎2015
par Daniel MORVAN.


Lydie Salvayre, l'indignée (archive 2003)


Je n'avais encore jamais rencontré Lydie Salvayre, avant sa venue un soir de 2003, au Lieu Unique, pour lire son dernier texte, Contre. La romancière (La compagnie des spectresLa puissance des mouches, et bien plus tard, Pas Pleurer, prix Goncourt 2014) exhortait au réveil des consciences : «Revenez à vous, vous n'êtes pas des veaux». Je poste cet entretien en souvenir de cette première rencontre.
Peut-on dire, Lydie Salvayre, que ce poème rock, « Contre », est une anthologie de vos indignations ?
Oui. L'indignation, plutôt que la colère. Je suis indignée depuis l'enfance. Mon père, qui était né dans une riche famille bourgeoise, était communiste. Il a rejoint les Républicains espagnols. Et il est revenu d'Espagne avec la blessure de la défaite. Mais il a fait plus que de perdre une guerre : il a perdu une langue, une situation sociale. Il nous disait, à moi et mes trois sœurs : vous n'êtes pas filles de maçon, vous êtes filles de politique ! Il est mort, mais il continue à me parler.
Cesserez-vous un jour d'être contre ?
Cela ne s'amende pas. C'est presque sanguin chez moi. Je suis psychiatre d'enfants en banlieue parisienne, et ce n'est pas fait pour me ramollir. Je vois beaucoup d'adolescentes maghrébines, déchirées, prises dans la crise des valeurs, celles du Coran et celles de l'Occident.

« Contre » est un texte fait pour être dit. Ce livre a-t-il fait de vous une comédienne?
Il s'agissait d'une commande de Laure Adler pour France Culture. J'ai donc, plus que jamais, œuvré avec le souci de la musicalité. J'ai travaillé avec Serge Teyssot Gay, le guitariste de Noir Désir et le compositeur Marc Sens. Je n'aurais jamais écrit Contre (qui s'inspire d'un poème de Michaux) sans eux. Mais j'étais terrorisée à l'idée d'avoir à le dire et j'ai vérifié que le métier de comédien est impossible. Vous offrez des images au public mais vous-même, une fois terminé, vous ne gardez rien.

Votre premier roman ?
C'était La déclaration, envoyé à cinq éditeurs par la Poste. J'ai maintenant la nostalgie de cette époque où je ne connaissais rien au monde de l'édition.

Comment écrivez-vous ?
Comme je travaille par ailleurs, j'écris à l'arraché, comme un vol, au café, en voiture. Et cela détermine une certaine façon de dire les choses. Je serais désespérée si j'avais de longues journées pour faire des jolies phrases.
Recueilli par Daniel Morvan.
« Contre », 2003. Verticales.

mercredi 26 avril 2017

Musique celtique. Un jour, Tracey Shiels est revenue


dimanche 4 février 2001 301 mots
Tracey avait alors les cheveux rouges et il semblait que la musique était capable de tout emporter. Et puis on ne parla plus des Sons of the Desert : peut-être qu'en effet la musique avait tout emporté. Y compris la chanteuse aux cheveux rouges et ses drôles de gusses.
Tracey Shiels, c'était un peu Ingrid Caven, version nettoyeuse de fest-noz, c'était la Gelsomina de La Strada, mode pub dublinois. Avec un côté cabaret allemand, bodhran ou tambourin en main, elle savait faire tourner un concert à la transe. Les Sons of the Desert (un nom tiré d'un vieux film de Laurel et Hardy, où il est question d'une secte de buveurs) avaient fini par mettre la cabane déglinguée sur le bodhran malade.
La mandoline effervescente d'Ewan Shiels, le compositeur, avait laissé au clou sa clef de sol. Adieu l'Ennio Morricone des rades d'Armorique, le Frank Zappa des fish & chips bretons, le Stan Laurel des bars à sciure. On s'était dit que c'était peut-être ça la vie : des gens formidables qui disparaissent.
Et puis non. Les revoici, décalfeutrés de leur chaumière de brousse trégoroise, droits sortis d'un western kig-ha-farz pour réapparaître au coeur de l'Auvergne, dans un village de la forêt de Dreuille. Ces Gaëls avaient seulement attendu que meurent les yodleurs de télé-crochet pour faire revenir leur petit cirque de puces. L'espièglerie est intacte, la mandoline et le saz (guitare turque) toujours aussi délirants, Tracey toujours aussi pétillante, éternelle Gelsomina des chemins qui vont au milieu de la mer, dans un groupe qui s'appelle The Shiels.
Daniel Morvan
Le Bourg 03430 Vieure (dans l'Allier à 27 km de Montluçon. Tél/ 04 70 07 52 76). Dans un petit village au cœur du bocage, le café-concert The Shiels (ancien bar datant de 1833) s'anime.
- Le dernier vendredi de chaque mois à partir de 18h jusqu'à minuit, concert de musiques éclectiques,
- Les dimanches matin devant le bar, petit marché de produits locaux et artisanaux.
À proximité (2 km) du plan d'eau de Vieure et de la forêt de Dreuille.
Ouvert toute l'année. Bar ouvert toute l'année tous les jours : jusqu'au 30 juin et du 1er septembre au 31 décembre de 10h à 14h. En juillet et août de 10h à 22h. Marché les dimanches matin devant le bar.




Théâtre. Suivre les morts: Quand les corps migrants reviennent




Chère metteure en scène Monique Hervouët, je n’étais pas très chaud pour aller voir ta pièce sur la mort. Une proximité excessive avec le sujet va me faire perdre tout mordant, je le crains.
Mais allons, trop tard pour reculer.
Belle idée que celle de transposer un sujet de recherche en pièce de théâtre. Nous le devons aux deux chercheuses nantaises Anne Bossé et Elisabeth Pasquier. Le spectacle, « Suivre les morts », raconte la migration post-mortem des immigrés, migrants et de tous ceux qui, décédés hors sol, aspirent à rentrer à la maison, avec le cortège de la parentèle à la suite.
Les deux auteures ont « écrit les voix » des personnes interviewées. Rien de plus vivant, de plus drôle, que ces nouveaux rituels qui s’inventent au bas de la soute de l’Airbus vers Alger ou Ankara. Avec ses objets comme le "cercueil rapatriement" à hublot. Comment on se cotise ou pas pour l'avion; comment on rattrape le mort à l'arrivée; comment on finit là-bas la prière commencée ici. Comment, en Turquie, on observe le rite de la pelle plantée mais jamais tendue à l’autre.
Les morts sont des barques qui tracent un sillage lumineux dans la nuit des migrations, quelquefois ils nous font la visite d’un pays ancestral que nous, générations nouvelles, ne connaissions pas. On ouvre des maisons qui ne respiraient plus, et maintenant elles sourient. On rouvre de vieux chemins de terre. Oui, on devrait plus souvent faire du théâtre avec des thèses de socio. Et avec tout, d’ailleurs.
Daniel Morvan.

Mercredi 24 Avril à 20h30 & jeudi 25 Avril à 19h30 au Théâtre - Scène nationale de Saint-Nazaire

dimanche 23 avril 2017

L'ancienne poissonnerie dit: chalut les artistes !


QUOTIDIEN OUEST-FRANCE
vendredi 21 avril 2017
654 mots
Daniel Morvan

Un lieu d'arts va voir le jour dans un ancien commerce du quartier Chantenay. Une manière de faire du neuf avec du vieux, pour le bonheur de ce quartier nantais bien à l'ouest.
Le projet
Chalut les artistes, Neptune rouvre la boutique ! Au-dessus de la vitrine aveugle, un poisson en tôle rouillée. Emblème peu riant d'un commerce fermé depuis des poissons-lunes. Enseigne devant laquelle tout Chantenay est passé : qui pour prendre son C1 ou n°10 (place Macé), qui pour écouter Dominique A période « La Fossette » à l'Olympic. Autant dire que cette Chantenay la rouge où tout ferme attend un peu de rose dans sa vie. Un peintre poète à la Jacques Demy pour rêver un peu.
La poissonnerie ne rit plus depuis 1972. Date avancée par René, mémoire de Chantenay la rouge. Depuis, silence d'aquarium pour poissons solubles et aloses dépressives. Cherchant un atelier, quelques Picassos de Chantenay ont eu la curiosité de pousser la grille. Grille murée, lieu clos. Mais un lieu, c'est fait pour nager, non ?
Un étal de faïence
C'est l'un de ces petits commerces d'autrefois que l'on visite avec au coeur un effroi abyssal. Une fois le seuil franchi, miracle : un étal orné de poissons et crustacés de faïence, comme la friture d'or des rois d'Égypte dans la crypte de Ramsès. La déesse des sardines avait, en secret, décoré la boutique. Un korrigan des landes, dit-on, a coulé une chape de béton dans la nuit.
Tout le monde s'y est mis, pioche à l'épaule et crayon à l'oreille, pour donner un coup de neuf. Pinceau d'une main, truelle dans l'autre. Les dieux de la métamorphose ont pour nom Kat et Louise, Gladys et Pascal, Erwan, Claire, Bruno. Six artistes et un lutin bricoleur réinvestissent le 24, boulevard de la Liberté pour en faire un atelier tous âges.
On ne ramène rien à la maison !
Ici, autour de l'ancien étal, l'atelier des peintres. Gladys pourra y peindre, Pascal et Bruno se feront des toiles. En bas, un grand espace pour les enfants du quartier. « Les enfants et tout le monde, assure Kat, l'animatrice à bretelles, aux yeux plissés qui rient du désir de créer et de partager. Le seul principe, c'est que les enfants ne ramènent pas les dessins aux parents, pour être complètement libres de s'exprimer. » Et, présume-t-on, même principe pour les adultes : on ne montrera rien à personne, sauf consentement des enfants.
Ils présentaient ce nouveau lieu un certain vendredi de grand vent. Il y avait de la résurrection dans la blouse rouge à pois de Gladys, qui filait un coup de fil à avril. Roger Dimanche, peintre à fresque du bas Chantenay, allait peindre des murènes sur cette vitrine murée.
Pour l'instant, on cause plaque de plâtre, on espère une vitrine. L'atelier devrait ouvrir ses portes en se greffant à une fête de rue voisine, celle de la Tannerie, le 10 juin prochain. « Cette poissonnerie, elle veut dire quelque chose, ça parle aux gens du quartier, s'anime Bruno, le peintre guévariste de la rue Garibaldi. Lui redonner une vitrine et revoir les étals en faïence, ça va être magique. Remonte tes bretelles, on va se marrer à la Poisonnerie ! »
Samedi 10 juin, ouverture de La poissonne rit, atelier d'arts, 24, boulevard de la Liberté, à Nantes. Contact : kat.lecointe@laposte.net
Daniel MORVAN.

Le prof nantais avec ses élèves et Jacques Chirac aux funérailles de Lucie Aubrac

Jacques Chirac dans la cour des Invalides
Lucie Aubrac est morte le 14 mars 2007, à l'âge de 94 ans, à l'hôpital suisse d'Issy-les-Moulineaux. Ses obsèques avec les honneurs militaires ont eu lieu aux Invalides le 21 mars en présence du chef de l'État, du premier ministre Dominique de Villepin, de plusieurs ministres et candidats de l'élection présidentielle de 2007. Étaient également là quelques élèves de lycée professionnel venus de Nantes avec leur professeur Luc Douillard. 

Ils ont entre 17 et 18 ans. 21 élèves de BEP finition, sept plâtriers et quatorze peintres. Luc Douillard, leur professeur de lettres du Lycée professionnel Michelet, à Nantes, aime bien les défis. « Tenter le déclic. Parier qu'en 24 heures, ils seront capables de s'intéresser à leur Histoire. »
Luc Douillard a pour consœur Élisabeth Elfer-Aubrac, fille de Lucie. C'est lui qui a rédigé en 2004 l'appel national (signé par les Aubrac) à défendre « le socle des conquêtes sociales de la Libération ». Deux bonnes raisons pour embarquer ses élèves, grâce au soutien des Pays de la Loire, à l'hommage des Invalides. «C'est une action de guerre contre l'ignorance, dit-il. Les jeunes souffrent d'un manque de personnes à admirer.»





Seuls lycéens de France, à cinq mètres de Jacques Chirac


Sur place, la surprise : pas d'autres lycéens. « Très impressionnant, dit Mélanie. Se dire qu'on est là, à cinq mètres du Président Jacques Chirac, et que visiblement nous sommes les seuls scolaires... » Et même les seuls de France ! Mélanie est peintre et se destine à peindre des trompe-l'oeil. La longue silhouette du chef de l'État s'avance sur les pavés glissants des Invalides : ce n'est pas un trompe-l'oeil. « Si vous voyez des gens âgés avec des médailles, leur a dit leur prof, une étincelle dans le regard, ce seront des résistants. Les plus jeunes auront 80 ans. Allez leur parler, ils seront heureux. »



Avec leur professeur Luc Douillard, les élèves du lycée professionnel Michelet (Nantes) rencontrent des amies de Lucie Aubrac, aux Invalides
Le cercueil de Lucie Aubrac quitte la cour. Le chant des partisans résonne encore dans l'air glacial. Les lycéens, transfigurés par la solennité de l'événement, font cercle autour des anciens résistants. Ils écoutent, affamés de paroles. « Vous l'avez connue, Lucie Aubrac ?», demande Mélanie. « Oui, répond Claude, j'ai enseigné dans le même lycée qu'elle à Rome. Elle ne se contentait jamais de parler, elle agissait. Et toujours en première ligne contre l'injustice dans les conseils de classe. »

Maxime interroge le Breton Gabriel de Tournemine : « Quel âge aviez-vous à l'époque ? - 17 ans en 1940. La Résistance, c'était un grand western. Faut jamais lâcher, les garçons, ni dans votre vie ni dans vos études. »

Silencieuse, Mélanie boit les paroles. Capte des bouts de destins qui viennent d'entrer dans sa vie. «Oui, j'ai envie d'approfondir l'histoire de ces résistants. Ils nous ont promis de venir nous voir. »
Pari gagné, monsieur le professeur. Et chapeau, Luc Douillard.

Daniel MORVAN


Les derniers combats de Lucie Aubrac


Lucie Aubrac à Nantes, en mars 2005 pour la remise de la légion d'honneur à son gendre, Jean-Pierre Helfer, directeur d'Audencia, entourée de sa famille dont sa fille Élisabeth Helfer-Aubrac (3e en haut en partant de gauche).


Élisabeth Helfer-Aubrac enseignait au lycée Michelet de Nantes. Pour notre consoeur Isabelle Labarre, elle témoignait en mars 2007 des derniers combats menés par sa mère: "Que ce soit auprès des sans-papiers, des enfants handicapés, des mal logés, ma mère a signé toutes les pétitions qu'il fallait. Sans aucune honte, elle se servait de son nom pour faire entendre une cause, toujours avec un souci de grande honnêteté et fidèle au seul credo de mes parents : le programme du Conseil national de la résistance. Son mot d'ordre, c'était de rester vigilant face aux injustices, au racisme, à l'homophobie. Dans ses dernières interrogations, elle parlait des élections présidentielles. Elle n'a jamais adhéré à un parti depuis la Libération mais en tant que femme de gauche et engagée pour les droits des femmes, elle était sensible à ce qu'une femme, plus jeune, soit candidate... Son dernier déplacement, c'était en octobre dernier, un hommage aux jeunes juifs déportés à Mont-de-Marsan. Nous n'étions pas fiers de la voir partir, déjà grabataire. Depuis quinze ans, elle avait perdu la vue. Mais c'était elle..., une battante jusqu'au bout !
De quelle façon, interroge Isabelle Labarre, cet esprit de résistance a-t-il traversé la vie de famille ?
Avec la guerre, nous avons été élevés de façon chaotique, mon frère, ma soeur et moi. Mais avec cette idée que la justice prime sur tout. On n'avait pas de croyance religieuse, on croyait en l'Homme. Le confort était accessoire : le quotidien, la maison, ça passait après les actions de nos parents. Mon père, Raymond, plus intellectuel. Ma mère, médiatique et efficace. Je ne l'ai jamais vu baisser les bras, elle avait toujours l'intelligence de rebondir devant les difficultés.

D'où vient ce vaisseau intersidéral appelé Pelléas et Mélisande ?

jef rabillon

Pelléas et Mélisande : intersidéral
QUOTIDIEN OUEST-FRANCE
mardi 25 mars 2014
389 mots
Daniel Morvan

Critique

Un peu groggy, on retrouve à l'entracte la place Graslin éblouissante après la pluie. Avec ses houles, ses navires, ses fontaines, ses bagues perdues, d'où vient ce vaisseau intersidéral appelé Pelléas et Mélisande ? On voudrait répondre : d'un désir de tragique et d'érotisme absolu.
Emmanuelle Bastet (mise en scène) peut, on l'a vu, rendre crédible le tréfonds des enfers d'Orphée et Eurydice. Ici, elle pourrait faire se succéder les lieux magiques. Mais nous voici dans le cadre d'une maison bourgeoise claquemurée dans ses tiroirs à secrets, n'ouvrant sur la mer que par une fenêtre à guillotine. Décor suicidaire, qui évoque autant Rebecca de Daphné du Maurier que le roman Extinction de Thomas Bernhard. Ou l'Argol de Gracq. La tendance est au gros décor avec escaliers et balustrades, pris dans un flot de lave : on voit ce qu'on paie.
Ne résumons pas cette intrigue vénéneuse, conservons les images les plus obsédantes ciselées par Bastet. À commencer par celle de Mélisande à la tour, inondant Pelléas de sa chevelure, scène où s'affirme l'excellence du choix de Stéphanie d'Oustrac (mezzo), parfaite antithèse du cliché d'une Mélisande diaphane: celle-ci fait monter de quelques degrés la température de Graslin.
Il faut saluer la beauté de l'interprétation surplombante de Jean-François Lapointe (Golaud). Le récitatif de l'enfant Yniold (Chloé Briot) condense la vivacité d'une musique dont la mélodie secrète est à déchiffrer, dans les entrelacs des désirs et des peurs. Ce qu'exprime l'aveu d'amour à peine expiré de Mélisande, dans un duo d'une telle intensité que la musique elle-même se tait. Muette d'admiration, comme nous.
Daniel MORVAN.

Diverrès, diva jusqu'au butô


Flash Dance : Diverrès, diva jusqu'au butô
jeudi 13 février 2014
341 mots
Daniel Morvan


C'est à se boucher les oreilles. Rien, dans cette introduction à vriller les tympans, ne laisse supposer que ce qui va suivre a un lien avec le théâtre japonais. Vous avez le droit de ne rien savoir, juste que c'est une danseuse. Et qu'elle s'éloigne de nous, en pas sautillants. La bande-son indique, par sa gravité, que nous sommes entre les vivants et les morts. Côté morts, il y a Kazuo Ohno, chorégraphe japonais récemment disparu et maître du butô. Cette danse « du corps obscur » fut inventée pour exprimer l'angoisse de devoir habiter son corps, et le Japon, après Hiroshima. Côté vivants, il y a Catherine Diverrès, dont le nom indique peut-être qu'elle habite la Bretagne, ce qui ne va pas non plus forcément de soi. Entre les deux, un écran blanc, et des voix, par exemple celle d'Ingrid Caven qui chante un Ave Maria atrocement éraillé. On aimerait dire que Ô Sensei (c'est le titre du solo joué mardi au TU par la diva Diverrès) est une suite de métamorphoses jusqu'au salut final, presque enfantin. Masque impénétrable, comme noyé sous la craie, corps incertain muant d'un costume à l'autre, jusqu'à la robe du soir rouge portée sous la tenue martiale japonaise, gestes hésitants, palpant le vide, sans rien offrir au public qui rappelle l'ordinaire des gestes, comme si la danse nous attendait quelque part, là-bas, de l'autre côté, où se trouve déjà la danseuse.
Festival flash dance 3. Prochains spectacles : vendredi 14 février à 20 h 30, au Studio Théâtre (Héroïnes, de Julie Nioche) et Bound II 0 (Andrey Bodiguel). A 19 h 30 au TU : In Vivo de la compagnie S'Poart. Mardi 18 février : Mùa d'Emmanuelle Huyn (19 h 30 au Studio Théâtre) et le Grand Jeu d'Olivia Grandville (TU à 20 h 30). Tél. 02 40 14 55 14.
Daniel MORVAN.