vendredi 12 août 2022

420. La maison du bout du quai



Gilles des brumes est dans sa maison du quai
place Frégate-Aréthuse écoutant sur Spotify Lawrence Zazzo
dans un air d’Attilio Ariosti appelé Freme l’onda
tremble la vague d’atteindre le bout du quai

L’enceinte acoustique en connection UHF Bluetooth© sonne
sous la voûte de planches en forme de barque renversée
torrente che scende chante le contre-ténor — le sopraniste
comme on appelle les chanteurs usant de cette voix
de fausset qui chanterait Ô Loire Ô ma maison

Mais ce n’est pas cela que veulent entendre les passants
ce qu’ils veulent c’est qu’il joue
            
              .   .  Little Cascade  .   .

                .   .   .   .   .

                    .   .   .   .   .

.   .   Gilles atteint le terme
des fatigues dans sa cabane au plafond
lambrissé de sapin brut de la Drôme
il sent dans ses os le roulement du fleuve comme s’il était
couché au fond d’une barque dans toute cette Loire
qui vient battre sur la cale et y ramène des troncs
Non il n’est plus temps d’aller chercher de l’or
labourer n’est plus de son ressort
ni d’aller sur une monture par les forêts
ou dans les mangroves repoussant du pied les alligators
ni même caresser la tête rousse d’une vache dans les prés de Corsept

il ouvre son répertoire d’airs de cornemuse
Salute on the birth of Rory Mor MacLeod  et The little Cascade
le feuillette comme un jardinier visite ses roses
Gilles est un homme libre et son coeur empli d’airs écossais
ne frappe plus aux portes de l’espace sans portes
son âme ne se heurte plus aux fenêtres condamnées
de la pensée chétive qui agite ses petits drapeaux
ne répond plus aux mots d’ordre c’est un homme neuf désormais
lui qui n’a jamais porté d’arme que la bagpipes d’Écosse lui qui
ne fit jamais geindre qu’une cornemuse McCallum de Kilmarnock
et qui deux ans fut l’hôte de son ami le célèbre peintre DCA
pour Dominique Charles Albert

— de même que le voyageur dans les bois
sombres voit une fumée bleue qui flotte dans une clairière
— n’est-ce pas ici qu’il fallait, fraîchement opéré, faire halte
là où un ami lui avait ménagé une couche sans qu’il fût jamais
question de s’acquitter de quelque loyer — c’est ainsi qu’il
put rééduquer son esprit à sentir sourdre les ondes
matinales et se rendre à lui-même — au vol des aigrettes
se rendre au flux qui a brassé et baigné mille kilomètres de rives
et qui s’atteint lui-même au terme de cet enracinement de l’eau
qu’est un fleuve — à sentir son esprit devenir onde
et à y trouver ses propres onguents ses propres liqueurs
émollientes ses propres baumes dans cette eau qui lui dit:

« Depuis tout le temps que tu n’es pas plus toi que cet extrait jaune
                                n’est Loire
            des multiples de toi se sont effilochés aux vents
du destin et de la physiologie — sois heureux de disposer de
deux hanches dont l’une intacte et d’un cérébral indolore
qui régente toutes tes douleurs: qu’un rayon de soleil
frappe le PVC de tes volets et te voici gai de vivre
dans l’ombre mais qu’un tronc d’arbre échoue à tes pieds
arraché de quelque prairie où il faisait de l’ombre
à quinze génisses rousses
                    et te voici inquiet de ce qu’il put
advenir du saule et de ses penchants à s’abandonner au cours
de l’eau — le saule est-il encore dans cette souche et suis-je
dans ce tronc?—
    pourtant Ô sonneur toute cette famille de sentiments divers
forme un seul être un Gilles aussi unique que le tuyau de ta cornemuse »

Ainsi parle la Loire à l’enfant qui n’est plus cet enfant mais
en garde le masque et qui
répétait les airs des Hautes Terres
chacun lui semblant être une portion de lui-même à rassembler
dans la maîtrise du bagpipes — vois-le cet homme qui
feuillette de gauche à droite les pages son album
et sculpte dans le papier mâché une tête de rhinocéros
analogue des musiques qu’il tirait de son chanter (la partie où les doigts
du piper se posent)

Les cent méandres de ces reels (principale danse écossaise qui
semble dit-on au quadrille français par son balancé) conduisent
l’homme jusqu’à sa maison — la maison Highlands la maison Loire
— et entre les deux la maison Gilles
là où l’eau brune devient un lac de Sérénité
devant la grande rade des Quatre Amarres là où furent ancrés les
vaisseaux atlantiques sous les molletons d’avril —
la sienne la maison qu’il a choisie non pour s’étendre aux seuils brodés
de la mer
            mais tel un passeur de Loire resté au guichet de son Paradis
délivrant tickets et formule magique rappelant qu'on part à dix
de l'heure courante

comptable des baveries perdurantes que laissent les nuits de juillet

à son perron —
pour demeurer enfin place Frégate-Aréthuse et tenir son poste de guet
tout le temps que peut durer une nuit d’été quand les vitres
laissent passer les fluides et quand les vagues de lumière jouent
l’hymne de la maison du bout du quai demeurer innombrable
mais unique par cet air qu’il place par dessus tout l’air où il se
rassemble tout entier et redevient le Gilles sous son masque d’enfant
— .   Little cascade   .

 

 420. Mer 20 juillet 2022. La maison du bout du quai

samedi 9 juillet 2022

418. Enfance des vampires (Ode à Charles le Goffic)

Éboulé collège est le vieux Goffic et son Acropole par-dessus Lannion
Je te salue Charles qui aimas les clairs matins orangés
poète et frère d’univers ça se dit dans le club rimaille
collège 1960 décomposé par les pinces de démolition
à terre aussi le dédale des dortoirs où nous allions taiseux-taisés
se cachant de quelque Minotaure croque-minots
et de Phèdre sa soeur sans le cordon d’Ariane (c’est
à Lannion qu’on a inventé le téléphone sans fil)
Goffic bahut disloqué en blocs de labyrinthe
on entend battre dans le béton la latine pulsation

La hanche de titane de ma mère jamais ne m’y visita
son coeur pleurait aux portes vertes
me souviens de père et sa bonne tête de star du muet
de héros de western MGM
s’en vint un mercredi me promener
eus-je jamais plus longue conversation avec lui
que ce jour-là
— alors le latin ça marche
à quoi ça peut bien servir une langue morte
et toutes ces connaissances inutiles
est-ce que mon cheval je lui cause en latin
mais courage paotr et kenavo la traite des vaches n’attend pas —
il donna cinquante centimes au garçon qui m’avait
dépendu de l’internat pour deux heures
conduit aux grilles
et remis en mains propres à Clark Gable
Mam était à la cure de Trestel en rééducation de sa luxation congénitale
— c’est quand la tête fémorale sort du cotyle et fait boîter
mais pour elle cette opération-là n’a jamais bien marché

je me rappelle la petite monnaie versée à la paume
de rien de plus je ne me souviens sinon
de vivre en du temps écharpé et des secondes tournant
sur elles-mêmes comme amputées de la tête
on regarde un vol d’oies cendrées dans les lucarnes

maintenant je t’ai au bout de la plume Goffic phraseur cartilagineux
nez de pion où je vécus
la masse de démantèlement est la bonne scansion pour une ode
un coup dans l’étage des sixièmes un coup dans celui
des réfectoires et la salle de permanence
un autre dans la tête à Pengam le surgé
qui suait la caserne par tous les pores
que j’ai bien dû appeler fasciste pour
qu’il me le rende en d’aussi belles mandales
(paraît que j’étais cash mais alors sans le savoir)
Charles le Goffic
moustache à Charlot collée sur la colline templière de Brelevenez
préfabriqués nous l’étions nous son contenu humanoïde
volaille de blouses grises sur qui la révolution soixante huit
passa d’un sourire sans faire étape

le collège: composant couleur boîte à oeufs
il semble être le regard du monolithe béton sur le polylithe
des porches d’églises où fusionnent les schistes bleus-verts de Lokireg
les granits roses rouges et bleus les lauzes d’ardoise
il fut conçu par un architecte de porcheries nommé Ar Coeur
qui devait s’y connaître en palpitants qui logea les nôtres
chahutés ou charcutés bâtissant pour eux
un petit reliquaire de ciment afin qu’ils n’en sortissent jamais

Cet Oxford des landes fut dessiné sur mesures
pour les enfants élus du Centre national d’études des télécommunications
qui venait de s’implanter dans la ville
— le CNET plateforme de la téléphonie et pôle spatial
inventeur d’une fusée Véronique qui était aussi l’un des prénoms
en vogue chez les filles d’ingénieurs

notre faible savoir d’internes hagards nous le tenions d’elles
nous qui étions des Yvon des Gilbert des Gilles des Michel
aux allures de séquestrés

sans dec quand t’es interne à le goffic
tu penses le goffic tu macères le goffic
et dedans l’interne ça fait barrière placentaire
entre l’air libre et l’amas coagulé

as-tu osé phraser un bout de rime
qui poétiserait l’expérience pensionnat
non pas — ce morbide vertical campus
gloire des sixties d’armorique

te porte au lyrique comme le chat ses tiques
ai dû baver en marge quelques triolets lugubres
mais sans baisers quelles stances neuves
tirer de sa plume qui ne soient des regrets

prends-toi celle-ci bavent les nazillons à la récré
tripleurs de gnons ils hitlérisent l’ordinaire
et composent des albums perso du 3e Reich
t’as-vu c’est lui avec Eva sur la montagne

Un autre point de vue est celui qu’a des
années goffic mon frère cadet
JJ se vit texto comme un lapin de garenne pris
dans un clapier avec grave ext

inction du vital principe en interne
comme de mourir à feu moindre
étrange comme nous ne vîmes peu
mon frère et moi nous croisant

au hasard des colonnes pensionnaires
Tardif devant et Le Louz derrière
nous saluant de loin
salut semble dire JJ j’étais ton frère dans la
vie extérieure

puis son carnet de notes en baisse tendancielle il
quitta le caisson par rétropédalage
au Collège d’enseignement général
CEG du canton de Plestin où pas
d’ingénieurs ni de filles de
mais tout le reste garenne lapin et gamin

— et j’en reviens aux Albertine de la conquête spatiale
et à l’affligé ton prosi-prosa du départ —

notre faible savoir sur les choses inutiles de la vie moderne
nous le prenions exclusivement des lèvres de Véronique de Gaby
leur savoir était au nôtre ce que la lune est aux betteraves

les filles d’ingénieurs savent tout Pierre Boulez Pierre Henry
la musique électroacoustique Cat Stevens Albert Camus
Henry Miller Sexus Lady d’Arbanville les trous noirs le big bang
hautement la minijupe écossaise
toute la culture du breizh cap canaveral dans nos ciboulots d’artichauts

ce charmant petit bagne où vient battre l’Éros du temps
le voici recyclé en
écoquartier sur les hauteurs de Lannion sorte de parc Borghese
avec vue sur la basilique Saint-Jean-du-Baly
c’en est à en perdre la voix cette voix inemployée
et se songer en sa blouse gémissante
allant dans les dortoirs cherchant qui lui dirait si le jour vient
il est dans ton dos ami tourne sur toi-même et tu
                            verras

arrivé croyant au communisme et à la résurrection des morts
tout à la fois et à tout ce qui pouvait favoriser la fuite
l’ami Cowil dévoilait son plan d’évasion
par voie maritime comme en l’an quarante
il se voyant déjà voguer sur le Brooklyn Ferry
obstiné tu labourais tes rimes pauvres
sur la trace fertile des héros de l’air
croyais suivre la veine de l’aviation
qui puise dans la fraîche substance de l’espace
tu pensais cela que la graine peut lever dans un mur
et passer sans crier gare du passif à l’actif
l’écrire et le dire sur la paroi infinie des ciels orangés

nous avons tant dormi en toi cadavre goffiesque
et tant d’ennui diffusé par tes organes nous a donné
des rêves d’étages en de plus nobles mortiers
qui disaient des lèvres bleues et des
yeux montants à la lampe mourante
des yeux se crevaient aux parois préfabriquées
des mâts jumeaux dressaient les toiles des chapiteaux
on allait par deux sur le sentier de halage
par ricochets la pensée joignait les pointes vives
de ton coeur toi qui menais la licorne aux étables

je fus garçon marchant sur les façades
cherchant la faille par quoi atteindre le coeur du glacier
des glaces kim cône dérober cette folle envie d’où venait-elle
écrivant des romans textuels loués à la journée
pour meubler la grisaille des boxes
les chemins étaient coupés jamais tu n’y marcherais
en chantant cette chanson sans air et sans paroles
qui conte l’enfance des vampires

jeudi 26 mai 2022

401. Poème du Douron *




Le plus dur est fait quatre sacs de poèmes hissés à dos d’homme
au grenier maintenant laissons-nous porter sur les eaux douronnes

jusqu’au temps où parlant de vers libres le professeur de lettres
avait un rictus — l’heureux temps des rimes bienséantes

le temps où les choses étaient comme il faut — comme
des chemises repassées ou comme un poème d’Albert Samain

la rivière la plus proche de la ferme s’appelait Douron
le breton a ce mot-là pour dire l’eau: dour

dour est un mot un peu dur pour parler d’eau
il ressemble au noble Douro qui prend sa source

dans une sierra et les deux — grand d’Espagne petit de Bretagne
ont une même source dans la langue: dubro

le fleuve Douron naît au pays de Scrignac le maquis finistérien
et se jette à Toul an Hery vieux port d’Armorique

et comme dans un poème en vers libres de Valéry Larbaud
la truite douronne et songe comme la vie est douce dans le Douron

tel le saumon qui rejoint les eaux douces de sa naissance
j’aimerais remonter le Douron
pour boire un verre de cidre à Scrignac

25 mai

 

* Je poursuis ici le projet commencé le 2 février 2021 et achevé 365 jours plus tard, mis en forme dans un manuscrit intitulé: "Quitter la terre".

vendredi 22 avril 2022

370. Quatrième balcon

Quatrième balcon  Leonard Bernstein
 opéra Garnier   A Quiet Place 
pourquoi le nier j’y fus un béotien
    à qui la place n’est pas quiète
si elle n’a l’empan d’une charrette

Puis j’allai à la Maison de la poésie pour y
trouver un ami qui célébrait
la mémoire d’un poète de haut rang
    pour qui « la poésie
était toujours décevante » — mais so chic
de trépasser en moire lamée de paroles
et quelle douce vie celle de bourgeois de Paris
sur mol duvet de poésie assis

L’ami n’en crut pas ses yeux de
    me voir après des lustres et tel
le charretier arrivant de Quimper-Corentin — une éclipse
de quarante années qui sont autant de poèmes
non-écrits comme
au sortir d’un hiver de l’esprit
m’y sentis tel un bolet dans panier de morilles

Y vis les princes du vers vague en si belle étoffe
de beaux yeux des chevelures rousses
Florence Jacques ou Zoé
à une poignée de mains de René et de Martin
           
Ne m'attardai pas sur l’échine de sphinx de
    Notre-Dame ni sur les flèches
de Paris au couchant
    mais vis un dernier éclair de couchant
sur le feuillage d’or de
    la Poésie et l’Harmonie nos amies d’antan
au pinacle de l’opéra Garnier
—  des poèmes qui pieusement furent dits
n’en compris un traître mot

dimanche 13 mars 2022

366. Dans la vaste lande

On ne l’a pas vu germer cette graine
douze mois de poésie et ça sait déjà parler
j’en reviens pas le refrain m’a échappé
des idées déjà envolées

j’en ai pas dit le millième
un seul vers vaut cent discours répétés
comme quoi rien ne sert de compter
sur ses doigts si l'on n'a les pieds sur terre

c’est à Pierrot que j’enverrai ce pli
pour qu’il me prête encore sa plume
il n’aura qu’à m’écrire pour que je la lui rende
on saura bien alors de quel côté tout cela brûle

lui perché avec ses airs lunaires on saura demain
s’il est prêt à tout entendre de la chanson terrienne
il y a de la place pour tous les cris
dans cette vaste lande

mercredi 29 décembre 2021

Christian Prigent, l'écrivain qui déménage

Jérôme Fouquet


Le pape de l'avant-garde littéraire est plongé dans le dernier best-seller : le catalogue de Brico-Dépôt. Il lui fait aussi des infidélités avec Leroy-Merlin. Ici, à Saint-Brieuc, on dit qu'on va « au roi Merlin ». Il capte ce genre de choses, Christian Prigent. Même en plein déménagement, l'oreille enregistre. Un autre exemple : lorsqu'il cherchait une maison, dans sa ville natale, capitale des Côtes-d'Armor, un agent immobilier lui a fait visiter des demeures dans les « quartiers zuppés ». C'est le versant prolo de la vallée qu'il a choisi. « Rue des cheminots, ça fait CGT. Un copain me l'a dit. » Faire CGT ne le gêne pas le moins du monde. Vu que Christian est fils d'Édouard. Vous ne connaissez pas Édouard ? Un saint laïc ! Fils de petit paysan, agrégé de grammaire, intello communiste, catapulté par l'ascenseur social. Maire de Saint-Brieuc dans les sixties. « Mais si l'on se souvient encore de lui, c'est par la charité de son action municipale, oui, la charité. Il a passé sa vie à payer sa dette. Celle d'avoir été le seul de sa fratrie à sortir de sa condition. » Et de n'être plus de la classe « QuiPorteLesEspoirsDuMonde », la classe laborieuse, comme il l'écrit dans Demain je meurs, consacré à son père. Par un drôle de tourniquet, Christian Prigent atteint avec ce livre une audience élargie. Alors qu'il se replie sur ses bases briochines, jeune retraité, jeune marié (avec Vanda, comédienne), voilà que lui tombe dessus, à 62 ans, un prix littéraire joliment coté. Le prix Louis Guilloux. Guilloux est, avec Alfred Jarry, le grand homme de Saint-Brieuc. Auteur qu'on qualifie à tort de « populiste », copain de papa, qu'il aimait asticoter sur ses contradictions de communiste : Édouard Prigent était le stalinien de Guilloux. « Mais mon père n'était pas un sectaire. C'est lui qui m'a mis James Joyce dans les pattes. »
Allez, on visite la maison chamboulée. « Je n'imagine pas d'autre endroit où vivre. Le matériau de mes livres, il est ici. » Une maison où accrocher tous les tableaux. Où mettre tous les bouquins. Et il en a lu. « J'étais un garçon qui lit. Je savais Une saison en enfer par coeur. » Même pas cap'! Prigent rétorque illico : « J'ai de mes ancêtres gaulois l'oeil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure. » Bien vu : Prigent, c'est oeil bleu, allure gamin, cheveu blanc sans attristement sur l'âge, portant bien le gris perle. La cervelle ? Pas style ronron pousse-café, plutôt rentre-dedans, sale réputation de barbare, agité du bocal et radical excentrique. « Après tout, si on fait de l'art, c'est parce qu'on l'est, excentrique. Quand elle s'efforce d'être inventive, la littérature est marginale. C'est le simple bon sens que de le reconnaître ! Mais l'artiste n'est jamais seul. Autour, il y a des relais. Professeurs, critiques, dont le rôle est de rendre consommable le bizarroïde. » Relais, il le fut aussi, en tant que prof de lettres, après sa prépa au lycée Chateaubriand de Rennes, à Fougères, Melun, au lycée français de Berlin, au Mans et La Ferté-Bernard en fin de parcours. Trajectoire littéraire ? Épique. Démarrage dans le style agit-prop bolchévique, période pro-chinoise. Les maos éclopés sont ramassés par une voiture-balai appelée : TXT, la revue. Légendaire. TXT, c'est le drapeau des jeunes teigneux de 1969 décidés à en finir avec la mièvrerie des slogans de 1968. Objectif : publier des livres « inassimilables aux produits pré-pensés qui encombrent les librairies ». Et rendre compte du chaos de la vraie vie, de l'espace du dedans comme du dehors, dans une langue pas de bois.
Prigent, c'est drôle et, mine de rien, prenant. Il faut s'accrocher : Le moteur du livre, une cellule de cinq syllabes, ne peine jamais. Pas du tout cuit, mieux vaut prévenir. Par exemple, la rencontre entre son père et sa mère, il l'écrit dans la langue de Tristan et Iseult. L'idée d'être lu par un peu plus de gens que d'habitude ? « Ça m'émeut, parce que je n'ai pas écrit pour être lu par beaucoup. » Faudra s'y faire.
Demain je meurs, éditions P.O.L., 382 pages, 19,50 €.
Vendredi 20 juillet à 20 h, Christian Prigent est l'invité du festival Écrivains en bord de mer (du 18 au 22 juillet, chapelle Sainte-Anne à La Baule. Rens. 02 40 69 51 94 ou www.ecrivainsenborddemer.fr)

Christian Prigent, dans sa nouvelle maison de Saint-Brieuc: « Je n'imagine pas d'autre endroit où vivre. Le matériau de mes livres, il est ici. »
Daniel MORVAN.
Photos : Jérôme FOUQUET.

mercredi 15 décembre 2021

315. Pourquoi ces vers s’arrêteraient-ils



Puisqu’au paradis on ne s’occupe qu’à chanter
pourquoi ces vers s’arrêteraient-ils
sinon par pénurie d’encre ou de rêverie
Pourquoi offrir ce diadème de rime
au front déjà couronné d’étoiles

Si je m’occupe de vanter les douceurs
de la terre ce n’est par soin de gloire
quelle vanité serait-ce de se forcer
la voix pour louer ce qu’on aima si tard

Ainsi vais-je butinant thym et pimprenelle
des souvenirs de ce jadis qui me sont un pré
et y mêler les sons d’une lyre enrouée

ils sont aussi étrange médecine que l’haleine du lézard
et le sang du pigeon pour ranimer le grand corps
du Temps dans ses souliers percés

 

 315. Lundi 13 décembre. Pourquoi ces vers s’arrêteraient-ils

lundi 6 décembre 2021

311. Chanson composée après avoir rêvé d’une ville d’eaux

Oui vous avez rêvé et décembre vous éveille
il vous surprend dans un demi-sommeil
ce sont rêves et repos de ville thermale
sorbets couleur de lune et paroles suaves
vous y seriez allé afin d’offrir
une langueur persistante au poème des flots
et de vous livrer à la chanson des matelots

Vous auriez choisi quelque planète modeste
à l’écart des villes et des grotesques
vous désiriez — non pas un lieu mais ces mots
ville d’eaux — quelles distances n’aurez-vous pas
parcourues pour trouver les beautés
d’un lac aux eaux glaciaires et d’une folie
qui vous poursuit et vous dicte des ballades
sur le temps qui fuit et le goût des fleurs
lorsque d’un torrent l’on se sent traversé

Vous auriez pensé en contemplant la voie lactée
qui chavire dans les hortensias
couleur d’ail perdu et coque rouillée
comme il est doux de s’accouder à une balustrade
et de s’éprouver mortel sous la lune citron pâle

vendredi 26 novembre 2021

295. Tariatara

Ayant oreilles pour ouïr
de ma vie vais-je vous dire
ce qu’entendis en grands sons
qui chacun portaient leçon

j’ai ouï d’une pierre affûtant
la faux et son chuinté
dans la fraîcheur des blés
Ouï aussi couiner un goret
selon Littré rimer goret
signifie irriter l’oïe
tariatara disait la ventoïe

J’ai eu o (ainsi s’est-il dit
laconique le verbe jadis)
un joli bruit c’était celui
de la tarare ou vanneuse
qui vantoisant blés et jupons
de la juponnante Manon
tariatara disait la venteuse


Oi la trieuse à patates
son girotapis était l’exéat
des tubercules secoués
sur une natte à trémulé
vibrante comme tonnerre
tariatara disait la venterre

Les aéronefs en l’air
ont aussi bruyants réacteurs
surtout les Fouga Magister
passant au-dessus des champs
trop vite pour que nos chants
saluent les apprentis pilotes
qui se rient de nous ilotes
tariatara disait la ventôte

et la chanson heureuse
de la tendre écrémeuse
par un doux tintement
elle salue l’avènement
de l’onctueux orpailleur
le joli prince de beurre
tariatara disait la vanteure

J’o des claviers la piaillante
causette des Atari 1040
dans les salles de rédaction
quand débute l’impression
de la première édition du soir
tariatara disait la rotarare

dimanche 21 novembre 2021

Des années où les étudiants maoïstes nous aidèrent aux travaux d'été

Quand les étudiants maoïstes débarquent en mai 69
nous avions déjà tracé une croix
sur les rêves d’une vie harmonieuse
retranchés des solutions universelles et peu enclins
à défaire ce qui s’était fait avec l’accord
des savoirs instinctifs


La nouvelle doctrine entrait dans les faits
on parlait d’un grand bond technologique
ce qui dans tous les pays du monde a le même sens
mécanisation
sélection génétique du bétail
industrialisation de l’élevage
usage des pesticides
remembrement des terres
épuration de la campagne
tous procédés qui feront du paysan
un farmer accompli —

J’ai treize ou quatorze ans et la peine terrienne
née du sentiment d’échec de la génération mutilée de son espace
de l’évacuation planifiée qui gagne
a déjà planté ses griffes sur les épaules des parents
peu disposés à se défaire des intuitions ancestrales
et de la connaissance des échanges substantiels
entre rhizomes et racines

Pourtant nous les aimions ces jeunes gens
amoureux de la liberté et de la tyrannie
Mao leur Baal Hammon et son rival
ce chien de Tchang Kaï-chek
parfois enfants d’ouvriers
ou de bonne bourgeoisie pour nous c’était tout comme
venus nous enseigner la révolution prolétarienne
à nous autres paysandaille enfichée en parcelle
et cousue en terreuse cuirasse

en ce désert où nous étions oblats
et peu ouverts au prêche
ils trouvèrent pourtant à qui parler

C’est qu’ils s’y entendaient les maos à ramasser
en une paire de jours l’hectare de patates
et venant nous parler
égayaient notre solitude

à l’heure de l’angélus
Ils nous faisaient lire La Chine en construction
périodique imprimé sur papier cigarette
nous qui choisissions le livre selon son peu
d’épaisseur et de prix plutôt Vol de nuit que Guerre et Paix
Déversaient sur nous toute la bibliothèque révolutionnaire
À quatorze ans ein bisschen étouffe-croquant — je cite
Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt
De la juste solution des contradictions au sein du peuple
Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine
Questions de stratégie dans la guerre anti-japonaise des partisans
L’Impérialisme stade suprême du capitalisme
Le Marxisme et les problèmes de linguistique
Face au révisionnisme
À propos du bilan de l'exécution des thèses sur la question rurale

— critiquaient la fiction la musique occidentales
tout ça n’est pas la réalité elle est de l’autre côté
de la fenêtre la réalité

ne le savait-on pas assez

Nous eûmes les honneurs
d’une descente de gendarmerie sur le kolkhoze Kervoriou
On apprend de source sûre
que vous hébergez dangereux activistes
prochinois — père alors tenait sa grande scène
Il fut digne d’un tableau de l’opéra de Pékin
torse en avant ses yeux gris-bleus tutoyant le képi
Ces jeunes sont mes hôtes n’y touche point

puis la vague des camarades tarit nous répétions toujours
comme un mantra enfantin ce chien de Chiang Kai-shek
quelques uns les années passant restèrent nos amis
Je me rappelle surtout Béatrice
la dernière garde rouge
la prochinoise apprêtait avec art les meules de paille
et dévalait les charretées
comme dans un film de Sergueï Eisenstein

Béatrice dont les épaules émouvantes
me firent sentir moins longues les journées
dans les champs de pomme de terre

292. Rose



La rose traversait le dernier jour de clémence
la tête inclinée vers le sol les pétales brimés de froid
Ni l’air gris ni le balancement lent des saules
ne pouvaient tuer le rose de cette fleur
l’automne à son terme ne dépèce pas ses proies
il les laisse flétrir et observe en silence
comme le sang se retire des choses

Avec patience la lune déposera ses sucs
sur leur tête qui oscille et les apprêtera
pour leur dernière nuit
comme encloses entre deux mains de cristal

aucun bourdon n’aura suivi sa traversée de l’ombre
mais au matin la rose aura nourri d’autres soifs
elle aura glissé pétale par pétale sur l’herbe
la nuit aura embrassé ses lèvres déjà obscures
et déposé
un peu de nuit sur elles dans la nuit tremblante

 

 292. Samedi 20 novembre.

vendredi 29 octobre 2021

Nuages



D’un coup d’aile
comme si tu avais
marché aux nuages
à tout considérer
c’est un petit trajet
pour aller saluer René
dans son nouvel appartement
boulevard de la Liberté
à la dernière tentative
pour lui rendre visite un motard
s’était tué sur Cheviré
impossible de passer la Loire
tout le pont bloqué
un poids-lourd l’avait écrasé
le chauffeur en état de choc
me dit René c’était
dans Presse-Océan

Voulais lui remettre
l’aquarelle promise
une vue de chalet suisse
d’après tutoriel vidéo exécutée
à mes débuts dans l’exercice
de la peinture en souvenir
d’un autre chalet qu’il avait
construit acte inconscient
m’en aperçois seulement
maintenant en l’écrivant
tu te débrouilles sacrément bien
j’ai senti qu’il le pensait
et le compliment m’a touché
je lui ai aussi donné le poème
sur sa Nicole celui qui l’avait
fait pigner lui son légionnaire
il m’avait dit au téléphone
Baudelaire n’aurait pas mieux fait
le chalet et le poème allaient rejoindre
la photo souvenir de Nicole au séjour
on a parlé des géraniums
c’est elle qui les rentrait l’hiver
et de la tempête de la nuit passée
et puis de la pose de son épithèse
invisible près de l’oeil
dans sa bonne tête de Belmondo
ça t’en bouche un coin
des fois le soir je l’enlève
ça gêne plus personne maintenant
et je lis le soir plus de télé
un peu de tabac je dis pas et le
vin un peu pas du bordeaux
t’en souviens-tu au temps qu’on a construit
au moment qu’elle fut souffrante
le chalet de ta grande fille

j’avais pas perdu la main
depuis la Mauritanie
et mes gaberneaux de chantier
en bordure du désert
pas un palace pas le lido
un bon petit vin c’était
il filait bien après l’effort
ils en font aussi pour le visage
des marins tapés par le soleil
Ce devait être à la même
époque de l’année deux mille neuf
toute fin octobre
le trente-cinq tonnes avait
bloqué la rue et déchargé ses
planches qu’on a bien rangées
sur la terrasse Elle regardait
pensive sa nouvelle cabane
ses amies l’appelaient Heidi
ce regard pensif me hante
comme une idée de dernier séjour
dans un visage de jeune fille
Je ne reçois plus dit-il que
de rares visites le gamin
oui maintenant il vient
après toutes ces
après tout ce temps d’ombre
on n’en sort pas indemne
et puis la beauté sa petite-fille
cheveux bouclés noirs Semiramis
petit fauve bondissant
épaules de belle tournure
lumière des jours de René

Pris le C1 toujours la même
voix synthétique et pénitentiaire
« le masque est obligatoire »
vis l’exposition sur l’esclavage
le plan de la Marie-Séraphique
avec à l’entrepont
ses esclaves bien rangés afin
que vous puissiez sucrer votre thé
un café au musée d’arts de Nantes
y reconnais la blondeur
boticellienne d’Ambra Senatore
déjeunant avec son équipe
du centre chorégraphique
tordait ses cheveux en parlant
j’ai vu qu’elle donne une pièce
dont le titre est
Il nous faut une secrétaire

le souffle atlantique animait
la rue Joffre où je passai
dire bonjour à la Vie devant soi
depuis si longtemps
Charlotte la libraire embrassai
achetai un livre de Sarah Chiche
Saturne dédié
aux vulnérables et endeuillés
nous nous sommes rappelés
une rencontre autour d’un roman
confidentiel que j’avais rêvé
tous les exemplaires avaient été
vendus cette journée-là
Do m’avait alors dit
on aimerait maintenant
te voir écrire des poèmes
tu as raison ça peut se tenter

un homme entre et dit j’aime
le nouvel Astérix vous voyez bien
qu’il n’est pas utile de viser si haut
nul besoin de vivre dans un phare
pour rencontrer la muse
Le chronobus C1 c’est
mon Guernesey à moi
bel observatoire pour voir
s’écheveler les comètes
Descendis à Chantenay
où nous habitâmes vingt ans
toujours un détour pour ne
pas passer par la rue Garibaldi
vingt ans y vécûmes
ces vingt ans nous ont vaincus
d’ici nous étions bien trop loin
pour entendre la grande voix qui console
pour entendre la mer

 262. Jeudi 21 octobre. Nuages

lundi 4 octobre 2021

Le blues d'Issa au resto des SDF

Toute une ambiance aux Restos ! Issa, ici devant sa barquette, se réchauffe le cœur en soufflant un air d'harmonica

Les Restos du coeur ont lancé, hier <30 novembre 2007> leur 23e campagne d'hiver. Au centre d'accueil de jour des SDF nantais, ils servent 90 repas chaque midi. 
 
 
« Quand on en sera au fromage, il y aura un peu d'Alzheimer ! » C'est Mamie qui passe les barquettes. Elle fait un malheur, Mamie, avec son Leerdamer.
Ici, c'est le centre d'accueil de jour des Restos du coeur. 7, rue de la Galissonnière, à Nantes. Pas difficile à trouver. Il suffit de suivre les grands noms de l'astronomie, Cassini et Copernic. Vous rasez les puissantes voitures garées le long des trottoirs et vous tournez à gauche. Là, à cent mètres, c'est la galaxie SDF.
Issa finit sa Kro posée sur une poubelle. « C'est leur cantine, leur chez eux, alors ils n'aiment pas trop être embêtés », prévient Sylvie Rateau, la présidente des Restos. Profil bas, vous entrez. « Tu peux te mettre là », me dit Gérard, le directeur du lieu. Ça réchauffe le coeur d'être accepté.

« Les keufs m'ont serré »

Il y a donc Mamie, « une vieille des Restos, depuis 1988 », parmi quinze bénévoles. C'est elle qui distribue : « Taboulé ? Carotte ? Macédoine ? » C'est elle qui pigne pour qu'on ramène les gobelets de plastique, et qui les lave. Il y a Mario au micro-ondes, qui tourne à plein régime pour réchauffer les 90 plats du midi.
Parmi les convives, il y a le vieux briscard qui aligne les vannes : « Pourquoi changer ? Pour être plus con ? » Lui, il a son logement. C'est aussi le cas de Salam, qui discute dehors. RMI, logé, mal logé. Il râle. « Les keufs m'ont serré au Champ de Mars. Je vendais des livres sur le trottoir. 20 centimes l'exemplaire, histoire de boucler le mois. »
Il cligne des yeux. Affûté comme un crayon. Un crayon à mine dure, mais cassante. Raconte son appartement insalubre. Les chiottes bouchées pendant deux ans. Le refus du proprio de réparer. « Une formation ? Non, j'ai une dépression. J'ai peur de me retrouver à la rue. Mon appart, je le supporte plus. Le parquet est rongé. Je chope des microbes. »
Issa a fini sa bière et s'assied. Salue ses amis, poings collés, poing au coeur. Eux vivent en squat.

« J'avais un groupe »

Le micro-onde fait sauter le compteur. « Jo-yeux zanni-versaiiire ! » Re-lumière. Entrée sans porc pour Issa, Sénégalais musulman. « Il aime pas le porc, c'est pas un grand voyageur, ah ah ! », plaisante Mario.
À côté du passe-plat, une petite bibliothèque. Thierry cherche de l'index un livre qu'il n'aurait pas encore lu.
Il y a une place libre devant Issa. Il m'y invite : « Il faut communiquer dans la vie. J'espère qu'il a dit vrai Sarko, sur le droit au logement sans caution. Même si on a l'aide de la Caisse des allocations familiales, les propriétaires ne veulent pas nous loger. » 
Issa dort au foyer Saint-Benoît
Ses allers-retours entre Chantenay, les Assedic, la Caf, l'ANPE.  
« Faut être là à dix heures, sinon il te reste les squats. Dans la rue, tu bois pour te réchauffer. Si tu arrives bourré, t'es viré. Au bout de trois fois, viré définitif. Quand t'es à la rue, tu ne cherches même plus de travail. T'as mal dormi. Le gars ne s'en sort que s'il est posé. »
Issa a un brevet hôtellerie. Quelques remplacements à la Mutualité et au Lieu Unique. Trop courts. Il a dévissé le jour où sa meuf « s'est barrée ». Il me laisse son numéro de portable. L'autre objet qui ne le quitte jamais, c'est son harmonica Hohner « marine band » en mi, le même que Dylan. « J'avais un groupe. J'étais bon à l'harmonica. »
Allez Issa, play it for me, joue-le pour moi. Issa joue. S'interrompt pour me dire : « Mais tu ne manges même pas ? »
Thierry a trouvé à lire. 
Un livre qui parle de la planète et des liens entre ses habitants. Comme l'indique son titre : Terre des hommes.
 
Daniel MORVAN.


‎samedi‎ ‎1‎ ‎décembre‎ ‎2007
852 mots
ouest-france
 
 

244. Karo

Rome oui c’est de Rome que ce livre parlait
"la ville sainte est carcasse de monstre
désossé par une armée d’insectes
qui en firent des confetti de à coups
de mandibules horrifficques"
-- euzuz on dit en breton

une ville qui ruisselle de piétas et de descentes de
croix de boursouflures de marbre de colonnes
pourpre cardinalice putti et sépulcres

pas une ville mais un déchet industriel
dit le sculpteur Christian Champin qui cisèle des broyats métalliques
en guerriers Maasaï sur des socles en cagette
mieux que les champions de quadrige péplum
Rom n’est plus dans Rom Read Only Memory
mémoire morte dans les flaques d’History
Cette ville est un navire Argo déclassé
le fatum qui assiège tes murailles 
la dame de carreau au cœur piqué défailli
Damez Karo prie à genoux dans ses trèfles décapités

242. Nausée purple lakers

Des fois si le poème t’écœure survient
cette nausée purple lakers
lorsqu’il te semble devoir
rembobiner l’enfance éclaircir les ombres
jouer cartes sur tables sortir ton joker
comprendre qu’on ne voulait pas laisser
père mère derrière soi ce crève-cœur
m’a-t-il pas vraiment crevé le cœur
 
Reste l’impression d’être ventousé à la paroi
pousser devant soi un arceau gothique en forme de
thorax sous lequel passerait une colonne de fourmis
fuyant à l’arrière des colonnes ennemies

et encore l’idée qu’il suffirait de prendre
ces chemins terreux pour se laisser
reconduire à la boue nourricière à la frontière
où tu vois la bouche de l’eau et l’œil des étoiles
te ramener au fumier -- retour dans le game
essaie encore dis ta chanson de golem

cette forme dégradée de parole est ta mixture
de rural saupoudré de lectures mais rien de moderne
mais rien de ce mash agreste post mortem
qui sied tant à la modern poetry
les pages du livre tourneront comme Patek
quand tu sauras boutiquer de la versité
pour produire l'effet de vrille du vilain canard ayant couvé des signes


à quoi s’attendais-tu à ce que la nature
consente à descendre de monture
et ramasse l’épi chu du tas de blé
pour te dire que le monde sera sauvé

tu as trop médité sur des cadences tricotées
en marquant les basses laisse dériver la barque latine

O rus! quando ego te aspiciam attache des rames 

aux berceaux d’osier et vogue si ça finit par dire une chose 

ça s’est d’abord pointé en intrusion manifeste

sans surveillance une ligne mal bâchée vire à l’épique

ceux qui ont le flow inné te te mixent ça au buzzer
ça cartonne ça parle aux foules et ça check
tous les marqueurs de hype le poème est complet
pas besoin de hairstyle 100% indian hemp
pour rouler en inconduite intérieure ce crève-cœur
m’a-t-il pas vraiment crevé le cœur

lundi 20 septembre 2021

230. Kuhlmann

Le vieil homme dit Je vais vous montrer la pagode
il n’en reste plus qu’un squelette et ce pavillon rouge
de brique
C’est des gens du nord qui sont venus
construire l’usine et faire de la ville une autre ville
Les ouvriers édifient leur quartier appelés cité des Castors
construction communautaire chaque maison tirée
au sort Les arômes de phosphore et soufre s’exhalent
des rues de la cité qui est une Lorraine
loin de la Lorraine
une brise jaune vous disait Tu es ici à Paimbœuf

Nous aurions cru marcher en pleine forêt
mais à ras de terre la Loire pleine écumait
deux millions de mètres cubes d’eau douce industrielle
voilà ce qu’elle donna chaque année à Kuhlmann
tout le temps
que le plomb occupa les têtes et les bras ici
Je m’en souviens encore disait-il comme un
guide de sanctuaires déserts
c’est moi qui ai coupé l’usine après quatre-vingts ans à produire
du chlore du soufre et des engrais azotés
Un jour comme un autre
J’ai fermé Kuhlmann comme on dit adieu à une maison
comme on ferme la porte
sur un monde sur un temps sur une ville
J’ai dételé Paimboeuf de la chimie et j’ai rendu les clefs

Tel était Kuhlmann un alliage délicat
avec le port fossilisé depuis le départ des grands voiliers
L’estuaire est la main qui réunit les eaux
l’usine rassemble les substances gaz de Lacq hydrocarbures
et le plomb voilà ce qu’ils en ont fait
de cette jolie petite ville dix-huitième siècle

Jusqu’en 1919 vous pouviez y tourner un film d’époque
genre Les contrebandiers de Moonfleet
jusque dans les années 90 une fresque sociale
comme La vie est à nous
depuis 1996 un décor pour La ville abandonnée
ou Bienvenue à Zombieland


Je suis né à Paimboeuf rue Raymond Berr
nom du directeur des Établissements Kuhlmann
déporté avec son épouse Antoinette et leur fille Hélène
assassinés à Auschwitz
c’est par le nom de ma rue natale
que j’ai découvert l’existence des camps d’extermination
A partir de 1946 les ouvriers des Usines Kuhlmann
se rencontraient pour le challenge Raymond Berr
à cette occasion fut créée la piste d’athlétisme de la ville
Premier au cent mètres du challenge Raymond Berr
j’avais mes chances pour l’embauche à Kuhlmann


Ainsi parle l’enfant de la cité des Castors se souvenant aussi
qu’une ou deux fois l’an un champignon dans le ciel
libérait les gaz retenus par l’usine
ces lâchers atmosphériques retombaient dans les jardins
sous forme de poussières de plomb il fallait alors
tout arracher au potager
Une industrie une maladie
À Neptune le scorbut à Saturne le saturnisme
dont le médecin-chef de l’usine était un spécialiste mondial

Saturne symbole du plomb en chimie
sa demi-vie dans les nappes est de sept cents ans
Les symptômes qui alerteront le médecin
sont asthénie retard mental céphalées surdité

Aujourd’hui que seule l’eau du ciel peut visiter
cette zone morte qui recouvre l’eau souterraine
et que la friche demeure là tel le scalp abandonné de la terre
par l’Usine qui usa ciel terre eau et tous leurs enfants
Il est nécessaire de dire pour toutes les vies à venir
comme Saturne fut ici un dieu adoré

La Lorraine vint à Retz comme un chef de guerre déplace
ses campements avec ses centuries et ses demi-dieux
les Ingénieurs nouvelle classe désignée par les pamphlets comme
celle des Parvenus de la Science

Nous allions au bout du monde dans un voisinage de hérons
fabriquer pour les voitures de barons de maçons
du plomb tétraéthyle
Dérivé antidétonant du plomb sous licence américaine
multiplie les performances des moteurs à explosion
tu les imagines morfondus au fond de leur calèche
traversant la province et ses fondrières découvrant
avec effroi le pays profond qui les nommait capitaines
et les marais surtout les marais de Vue à perte de regard
y cherchant en vain des pyramides n’y trouvant que des vasières
erreur
l’acclimatation fut parfaite courts de tennis club nautique
on adhéra peut-être au cercle littéraire qui jetait ses derniers
feux dans une bataille de pamphlets autour d’un vieil autel
d’église (marbre migrant d’un château à l’autre
vestige d’une abbaye cistercienne vendue à la Révolution)


Les cadres de l'usine arrivent souvent du nord ou de Paris
avant la rentrée des classes
Ses usines frontalières détruites par la première guerre mondiale
la pétrochimie se redéploie loin des fronts
Elle fait son entrée dans la ville des grands voiliers
dans ces lieux perdus au milieu de nulle part
On construit des villas des demeures de brique l’usine est reine
et la Loire évente son visage reconstruit
partout à l’arrière des saisons
l’odeur des framboises des pois en fleurs et des fèves
leur rappelle les jardins de la Lorraine
ce n’est pas le parfum de leurs patries ni celui de Paris


pourtant les enfants d’ingénieur
au coeur esseulé se voyant ensevelis dans un cloître
de calcaire sans se donner aux fêtes et aux carillons grêles
laissent leurs yeux se perdre sur les rives
où se lit l’empreinte d’une autre souveraine
celle qui gouverne au destin des lies et des âges
et enfouit les rêves comme se ferme un sillage

et il y avait là quelque mélange troublant
de regret et de volupté à se sentir rois d’un séjour si âpre
un cabinet des antiques investi par la chimie
Et dans cette ville jaune qui aimait tant l’usine
d’autres enfants d’autres filles semblables
rêvaient en regardant les enfants d’ingénieurs qu’il existait
une autre manière
de vivre sa jeunesse


trois décennies de plomb égale un âge d’or
pour la ville morte depuis qu’un jour Bonaparte
passant par là décréta
désormais le port de l’estuaire sera Saint-Nazaire
Et ça tourne mal
Kuhlman Ugine-Kuhlman Pechiney-Ugine-Kuhlman
autant de fusions liées aux crises de la chimie
jusqu’à l’acquisition par Elf-Aquitaine et
la fin du plomb tétraéthyle toxique en 1996
Paimboeuf entre dans l’âge de la friche
friche morale et sensorielle
Se taisent les sonnettes des bicyclettes de 700 salariés
le sifflet des locomotives acheminant le soufre
le sifflet des navires
le klaxon des cars Kuhlmann dans tout le pays
le réel industriel tombe comme un décor
La citadelle ouvrière mute en cité interdite
bientôt terrain de jeu des touristes de ruines
urbexeurs ivres du vestige qui donne à voir
les beautés du ravage et l’érosion des villes
Comme blessée par les traits que tirent du lointain
les archers des comètes et les catapultes galactiques
Paimboeuf la reine dort en ses désolations de vitrines mortes

Souvenez-vous madame on trouvait du Rodier à Paimbœuf
Rodier le fournisseur de Channel et Dior en tricot jersey
Du Rodier aujourd’hui à Paimboeuf
vous imaginez cela

mercredi 28 juillet 2021

177. Nicole



À René


Jour après jour la neige qui pleut des greniers
saupoudrait ses jours Sur le genou seul resté
un peu de cendre souvent
déposait sa dîme comme la lune
sur la tête des oiseaux dans l’eau qui clapote

Ainsi qu’une voyante dans sa ruelle
au chef couronné d’un buisson de houx
elle lit le grand livre des étincelles
et déchiffre l’univers de sa margelle
Un peu de malice allumait son oeil
qu’embuait les vapeurs de soupe au choux
tandis que sa jambe la portait aux fourneaux

Oui je peux encore l’apercevoir
je vois une silhouette années cinquante je la vois
marcher sur les passerelles du quartier ouvrier
jetées sur des briques quand la Loire déborde
Les pieds agiles des filles du faubourg
savent marcher sur les rigoles du fleuve égaré
je la vois voler en jasant jusqu’au milieu de la ville
traverser le cours Cambronne à la manière des moineaux
je vois la primevère à travers les branches du saule pleureur
et la fauvette dans les griffes lance encore son chant
Sur Nantes où prospérait le couvent
bagne urbain de la rue de Gigant
prison d’orphelines arrachées à leur milieu
Ogre Gigant dévoreur d’enfants perdues
de saute-ruisseaux non réclamés des tribus
prolétaires passant d’une mère épuisée à une mère supérieure
et des singeries de la rue à la machine à coudre Singer

La rafle des filles errantes happait celles
du Chantenay ouvrier vivant dans un palais délabré
un atelier pour elles et pour les marguerites sabrées
par les sévices réservés aux jouvencelles
du faubourg à qui la cornette enseigne l’unique métier des bonnes
celui de coudre et de courber l’échine

Cependant dans les bois sombres j’entends un chant rebelle
celui d’une ronde enfantine sur un tapis de trèfle blanc
C’est un rêve je la vois chanter un air à danser de son Trégor
oui je l’ai surprise plus jeune dans cette vision des champs
peut-être y danse-t-elle maintenant sur un tapis de boutons d’or
une flûte y chante sans voir une dame blanche à l’abri d’une treille
qui la regarde danser et médite d’un oeil de foudre:
un jour nous l’aurons cette sans-pareille
qui danse sur les mousses et ne sait pas encore coudre

Plus tard la veille d’être libre les blanches la tondirent
pour la maudire encore jusque dans sa liberté
Ce matin les épaules de René ne portent que ses larmes
Elle est bien maintenant dit-il Là où elle se trouve est le paradis
Nicole a refermé son parapluie

lundi 5 juillet 2021

155. Pompidou

Moment inévitable — celui
où le poème baisse les armes
à ce stade je ne puis rien pour vous
dit la muse
vous touchez au point zéro Ce creux ce vague
où l’aède vanné se vide
implore le pardon pour ses rimes fautives
ses rythmes bancals et les syllabes malhabiles
et puis sans le goût de parvenir
que fait sur terre un poète
et enfin chanter passe encore mais rimer à cet âge —

Celui qui écrit ces lignes se reconnaît
dans plusieurs des épitaphes prononcées
par Georges Pompidou dans une célèbre
Anthologie de la Poésie Française
(elle n’acceptait que des morts
écartant le vivant le schizoïde à vers libre
plutôt cimetière donc que florilège)
On a depuis longtemps oublié le Président
on se souvient encore du lettré
dont le florilège poétique fit autorité
de ses avis voici l’anthologie bien condensée —

Il était né pour d’autres époques pour être troubadour
ou pour la chambre bleue d’une marquise de Rambouillet
Il n’a écrit que de menus poèmes
Il y a dans son œuvre grimaçante beaucoup de la
nostalgie d’un génie qui n’a pas su éclore
Aurait-il su se dégager de l’amertume et du grincement
je le crois


Poète si tu te sens visé par Georges Pompidou que peux-tu répondre
d’autre que pom pom pi dou
il me revient l’anecdote
contée hier au bistrot par mon sonneur attitré Gilles Vaillant
d’une adolescente fugueuse aux trousses de qui
la police lançait un chien pisteur après lui avoir donné
ses chaussettes à humer
pour retrouver sa trace

Une nouvelle fois arrêtée
Au poste de police l’enfant se tourne vers le chien
ôte une de ses baskets la renifle et lui dit
Médor je n’envie pas ton métier

Ainsi en va-t-il de Pompidou qui humait les odelettes
des poètes
remuait la queue en disant c’est du bon vers de France
(évoquant Verlaine Hérédia ou Perse)
ces stances qui fleurent le lyrisme inégalé
du génie français
et les rangeait dans un livre

jeudi 24 juin 2021

143. Ormes



Pour voir où le cosmos a commencé
pour conquérir l’espace
il y a la cime des bois
les jambes nues pour y grimper
L’ombelle poudreuse des ormes
résonne des voix accentuées d’envers

On respire mieux à la proue des arbres
la tête aux feuilles et aux bourdons
on se rêve tout armé de rosée
on boit au nuage s’il passe à portée
et le chant ce chant une grappe
que l’on cueille au passage de la barque aveugle
ce baiser que l’on vole à l’azur
à la hauteur de la gorge des grands arbres
où l’enfant voit passer les bateaux et la neige

 

 143. Mercredi 23 juin. Arbres

mardi 22 juin 2021

142. Silex



Cette flèche taillée n’est pas un miroir de fille
mais le sourire des yeux qui dorment sous terre
pose sur ton visage le masque d’oiseau
chemine sur le bord éclairé des collines
là où sont les villages enfouis
tu la sentiras quand elle te percera le cœur
tirée d’un arc depuis l’autre versant du sommeil
le silex des beautés qui passent dans chaque
clignement d’étoiles.

 

 

 (142. Mardi 22 juin. Silex)

mercredi 5 mai 2021

93. Nuit

La ville où je vis est en forme d’amande
Cette cité fut une île et tient son origine
De ce que les eaux ont ce pouvoir
de faire naître des villes où elles creusent des lits

Tout ici appelle aux reconnaissances
aux tumultes d’appareillage tout y appelle même
Les frayères à limandes et les migrations des civelles
L’eau qui va invite à rejoindre l’identique envol

Cependant que le pied suivait le chemin d’arène
Vers la luisante berge où se raffinent les huiles
Et les cheminées qui formaient un dôme de soufre
Sur les jardins mouvants et les portes de la ville

Ce chemin n’était pas le tien qui longeais sans désir
le bord de l’eau au reflux de la marée
Voir et sentir ne te sont aucune joie c’est la nuit
que tu veux c’est elle qui t’emporte

jeudi 29 avril 2021

88. Jeudi 29 avril. Dévotion

En attendant le coup d’état militaire
Et les suites de cette dialectique de destruction
qui emporte tout glaciers espérances et langage
de quoi pouviez-vous témoigner dans vos villes délaissées
à l’extrémité du continent
De la somnolence et du charme de vos petites sorties
de la mémoire des outils du partage des jardins
souvenir des terres communes
une conversation par-dessus la haie un souvenir du vieux temps

Il y avait longtemps que la colère
empruntait ces canaux numériques
où foi et dévotion se disent par procuration:
comment cela, et il faudrait qu’aussi
nous nous occupions nous-mêmes des questions?
N’est-ce pas assez de mimer avec véhémence
la rage du citoyen révulsé par le trépas des pigeons de ville
plus que par les brûlis de plastique la dioxine le mercure
les polychlorobiphényles cramés à l’air libre ou cachés au fond des mers
par l’expulsion du Malien futur Nobel
Laissez faire l’homme le plus riche du monde
demain nous serons immortels et la Terre une planète abandonnée
stockée pour mémoire

À quoi se raccrocher à quelle célébration
des labours quelles saisons nouvelles quelles illuminations
à quelles processions mystiques à quels dérèglements sacrifier
Vers quel temple de Delphes marcher dans la nuit
dans quelle nuit solitaire courir avec des torches
À quels ossements s’adresser à quel cairn adresser le vieux salut:
Le monde est beau est l’avenir est saint

dimanche 25 avril 2021

84. Dimanche 27. Trémel

                                                À Denise le Dantec

 

Dimanche me ramène dans cette petite église
Où je fus ni enfant de chœur ni officiant
Mais garnement officiel et cancre
Idiot titulaire de chaire dans un lieu humble et populaire
Qu’en vertu d’une éducation athée
Je me crus autorisé à moins respecter que d’autres réalités
comme les pierres ou les livres
Or mes bavardages conduisaient parfois
le vicaire à me placer dans le chœur même
afin de m’avoir à l’œil honte suprême
d’être exposé tel larron ou mauvais garçon
Je pense souvent à ces stations à genoux
que la prêtrise excédée m’infligeait
La vision de cette église m’affligea autant que
ma bêtise tout le temps qu’elle fut debout
jusqu’à ce que le feu la détruise
Soustrayant le lieu de ma honte à mes souvenirs


Ne reste que mémoire de réprimandes flottant sur des cendres
Oserai-je le dire? Aujourd’hui Trémel me manque.

samedi 24 avril 2021

82. Vendredi 25. Satory

Sorti de grande école chacun
pour s’acquitter du devoir national
avait accès à stalle sommitale
en consulat ou lycée français
Beyrouth Moscou New York
Timor oriental palais gouvernemental
piédestal ornemental
plus que guérite chef-lieu du Cantal    —
je ne sais quelle maladresse
piston crevé d’un général
deux étoiles et demie
entrevu du côté de Saint-Servan
(ami du père de cothurne)
me fit retrouver mes frères de classe
bombardé deuxième pompe
au régiment du train
Caserne Satory —là même
où furent fusillés en 1871
Vingt-sept communards
Dos au polygone d’artillerie
qu’on appelle mur des Fédérés
Louise Michel y fut détenue
avant d’être déportée—
Satory est au 35 tonnes
ce que Sartre est au néant
Tentai donc négociation frontale
afin de solliciter fissa
un poste genre Établissement
 cinématographique et
photographique des armées
ECPA? s’interloqua colon
dans un rire fractal
Côté cinéma on a ce qui faut
du Riefenstal
à la pelle et du Truffaut
plus qu’il n'en faut
du moins ici vous apprendrez
à camionner
ça peut servir dans l’existence
à défaut d’être le nouveau Rivette
Tout se termina bloc des fous
pour dissociation psychique
bouclez et réformez-moi ça
Principe de réel leçon une
le réel c’est l’impossible
dit Jacques Lacan je réfute
Possible il l’est
Satory en est la preuve

samedi 27 mars 2021

53. Clef de huit

Jour après jour divers aperçus
de l’existence sont ici évoqués
en vers pairs conçus
dans un mètre corseté
Pour bricoler à sa guise
Enfiler bleu de chauffe 

clef de huit en poche
Puis édifier mode Eiffel
Une tour d’octosyllabes

Docte parenthèse: —
l’octo apparaît au dixième
siècle dans une vie de saint
et dans les 129 quatrains
de la Passion de Clermont
Huit syllabes petite barque
Pour haute mer et rivière
On le dit de peu d’étoffe
style bout-rimé de pot d’adieu
Le valet de pied du vers françois
Court si l’on veut du court
Étirable au gré des foules
selon la longueur des houles
Dans tous les genres, antique
et breton, en dizain, en neuvain
En carré magique (autant de syl-
labes que de vers)
Parfois une alternance
de sept huit syllabes déclenche
un effet d’accélération
(énergumènes Prigent Cadio
le boostent façon turbo —
Fin du pédant topo)
Octosyllabe tube à essai
cristallise le mémorable
phénomène de ce vendredi
vingt-six mars où peu de choses
se sont passées en apparence
le monde roulait ses cadences
Merkel tance la France
Classée à haut risque viro
logique par Berlin
trafic mondial ralenti par
porte-conteneurs Ever Given
monstre de quatre cent mètres
en travers dans le canal
de Suez, mort d’un cinéaste
Trop popu pour les bobos
trop chichi pour les prolos
Collision ferroviaire en Égypte
Locos De-Luxe en frontal
32 trépassés Sanction dissuasive
Exigée par président Sissi
Échappe-t-on à l’octo sur la terre?
Dites-le moi seulement
au cas contraire et dans quel script
faut-il vous le dire pour être compris

Je voudrais dans ce coffret
de huit syllabes conserver
Ainsi qu’une capsule temporelle
une file d’attente de poissonnerie
extérieure juste à la sortie
des chantiers de l’Atlantique
Sous les tourelles et les bielles
Du prochain paquebot XXL
barcasse pathétique
est Virtuosa pas un caïque
Babel de manchots à fric
Départ le premier avril
7 h 45 à la marée
2421 cabines 6334 passagers
21 bistrots, barman humanoïde
Kitsch façon Raoul Georgette
Roulette blanquette piquette
Bétaillère climatisée
Au moins ça leur fait du boulot
Ça ou compter les bulots
Dit Roger au blond à collier
(Jésus en guitariste crucifié)
Tout cela vous a un côté
Fin du monde vivement Gibraltar
Va pas gêner la croisière
Virtuosa de tes galères
L’Humanoïde te sert un Spritz
avec voix et expressions Ritz
pour une expérience de
bar totalement immersive
Le ferons-nous seulement ce voyage

dimanche 14 mars 2021

40. sam 13/03/21 Le baiser de Marguerite d’Écosse à un poète

L’anecdote est rapportée par un auteur nommé Lebrun:
Un poète dormait dans la cathédrale
Quand une fille de Perth
Jeune épouse du roi de France et princesse d’Écosse
Passa par là. S’avisant en experte
De la présence d’un trouvère
Elle déposa un baiser sur sa bouche close:
C’est ainsi que font les muses
En rencontrant un mortel qui les honore
Assura l’exquise altesse.
Et sans prévoir les effets d’une charmante audace
L’osée Marguerite s’assura l’immortalité.
Comment? Voici: L’aimable histoire fit bruiter
L’entourage, dames d’honneur et pages
Chambellans, dames d’atour et roi:
Cette reine qui trouva la bonne page
De son destin dans l’écriture
Ruina sa réputation par l’excessive cour
que lui firent les poètes, de l’estropieur de vers
au maître des rimes en « M ».
Cela lui valut d’être espionnée, méthode immonde,
Par son époux le dauphin Louis, futur XI.
Elle mourut à dix neuf
ou vingt ans sur ces mots: Fi de la vie en ce monde
Ne m’en parlez plus.
Mais on parle encore d’elle, et jusqu’à à Paimboeuf,
Pour ce baiser volé.

mercredi 16 décembre 2020

Perros, Keineg, Rougé: Dialogues avec le visible (2005)

Georges Perros © Thersiquel/amis de Michel Thersiquel

 

Georges Perros

« La peinture, dit ma voisine, ça défatigue ». Cette note des « Papiers collés » dit bien la familiarité de la relation du poète Georges Perros au dessin et au visible. Et nous étions loin d’imaginer qu’il existait une œuvre graphique du poète, dont l’intérêt a justifié une exposition du musée des Beaux-arts de Bordeaux. En préface de cet album, Michel Butor raconte comment les lettres de son ami Perros se sont peu à peu mêlées d’images. Cette attraction fut certainement encouragée par l’amitié du peintre Bazaine. Elle correspond aussi à la perte de la voix, douloureusement vécue par l’auteur d’Une vie ordinaire : « la poursuite du dessin est une conversation muette avec soi-même », écrit Butor, qui voit dans ces essais graphiques une forme de thérapeutique, « comme les Indiens Navajos soignent encore leurs malades par des peintures de sable ». L’album publié par les éditions Finitudes va au-delà de l’anecdotique et nous montre un écrivain travaillé par la pulsion graphique, qui éprouve « l’envie de dessiner plutôt que d’écrire, de dessiner ce qu’on a envie d’écrire. » Ce sont tour à tour des « tracés de nerfs » à la Henri Michaux, des collages (« je colle un tas de saloperies, allumettes, sables, algues, fleurs »), des gouaches et encres de Chine grattées, où il excelle. Poète amoureux de la peinture, Perros est ici le continuateur d’une tradition où l’écrivain élabore son esthétique dans le rapport au tableau, comme Baudelaire avec les « peintres de la vie moderne » et Francis Ponge avec Fautrier et Braque. On décèle aussi chez l’ermite de Douarnenez une idéalisation de la peinture comme espace protégé : « Un homme qui peint est préservé (…), plus préservé, en tout cas, que l’homme qui écrit. » Et pourquoi ? Parce que « la peinture est une pensée sous scellés », un secret bien encadré, un noyau qui résiste à la parole. Georges Perros, par ses propres dessins, s’avoue faire partie des « grands jaloux dont le martyre d’écrire a été atténué, enchanté, par leur fréquentation des ateliers, les amitiés qui s’ensuivirent ».

Paol Keineg

Faire image, tel est le métier des poètes, même s’ils disent parfois le contraire, comme l’écrit Paol Keineg : « Moins d’images, moins de malheur ». Depuis longtemps libéré de son étiquette de « poète breton », comme le dit Marc Le Gros en postface de ce livre paru au Temps qu'il fait, Keineg propose un dégagement poétique, entre ici et ailleurs, présence et absence : « Là, et pas là ». On mesure l’écart pris avec la flamboyance adolescente des années 1970, le verbe est concis, tranchant et péremptoire. Le prosaïsme rôde, mais n’est admis à la faire que sous la forme du slogan, de la formule ironique : « Un coin à jonquilles sous le ciel bleu. Le souvenir absurde d’une étendue de broussailles. L’ego s’offrant en forme vide. Trois raisons d’adorer les terres étrangères. Trois raisons d’abhorrer le capitalisme. » Keineg trouve, dans son rapport au parler véhiculaire, des accents à la James Sacré : « C’est vraiment chouette d’avoir trouvé refuge dans les phrases quand on préfère l’esclavage à la mort. » Toujours lapidaire, déroutant, Keineg se montre particulièrement drôle dans ces petites formes condensées, ces formules que l’on voudrait toutes citer : « l’adoration des actrices, il faut que ça reste un péché », une façon de se planter dans la langue courante et de lui couper le souffle : « C’est un pays toqué, plein de haine. Pas de rouspétance, je vous embrasse sur la bouche. »
Dans cette même veine, on lira Yves Deniellou dans un grand poème lyrique sur la campagne, la cueillette des mûres et l’amour : « On fait dire/ des choses aux mots/ en portant aux lèvres/ une petite photo ».

Poésie en siège tracteur

Erwann Rougé est un poète de la perception, profondément incarnée, mais étrangère aux appartenances, presque extatique. Nous le retrouvons dans un livre dont le titre vient d’Artaud, « Paul les oiseaux ». Il s’agit d’éprouver la présence du monde et d’exister poétiquement, en faisant le fou, en déformant les vieilles chansons : « Colchique sur un pied, le ciel, le ciel ». Il serait facile d’opposer à cette écriture à vif les petites vignettes campagnardes de Thierry le Pennec, mais le titre même laisse bien entendre qu’ici aussi, on embrasse l’aube d’été, et pas du bout des lèvres : « Je tourne la terre/ au tracteur pour la première fois/ de mon rêve ça sent le maraîchage les champs/ tassés par la poussière la sueur sous les bras/ de chemise ô mes quinze ans les voici les beaux nuages/ d’Ouest les voisins viennent voir/ comment je m’y prends et si/ ça poussera bien le fils assis sur le pneu/ tient la clef à molette il est dans son bleu. » Une vraie révélation que cette poésie en siège de tracteur.


Daniel Morvan.
 

Dessiner ce qu’on a envie d’écrire, de Georges Perros. Editions Finitude & Musée des Beaux-Arts de Bordeaux. NP, 28 euros.
Là, et pas là, Lettres sur Cour, de Paol Keineg. Le temps qu’il fait, 160 pages, 17 euros.
Le mur de Berlin ou la cueillette des mûres en Basse-Bretagne, de Yves Denniellou. Wigwam, NP, 5 euros.
Paul les oiseaux, de Erwann Rougé. Le dé bleu, 86 pages, 10,50 euros.
Un pays très près du ciel, de Thierry Le Pennec (prix de poésie 2005 de la ville d’Angers). Le dé bleu, 86 pages, 10,50 euros

jeudi 22 octobre 2020

Les chemins de la liberté de Liv Maria

Liv Maria paraît en Folio Gallimard (mars 2022)



 

À nouveau l'univers de Julia Kerninon vous emporte, par son mélange de précocité, d'appétit de dévorer le monde dans toutes les langues. Avec pour armes favorites une bibliothèque gigantesque, une machine à écrire et un sérieux romanesque qui bouscule toutes les objections, notamment celles qui peuvent invoquer la vraisemblance, elle raconte à nouveau une conquête de liberté. Nous retrouvons dans "Liv Maria" l'univers intense et excessif de la romancière, fait de dépaysement aux quatre points cardinaux, de secrets lourds à porter, malgré lesquels se construit un destin, la rage au ventre.

Liv Maria est la fille unique de Mado Tonnerre, tenancière taciturne d’un bar sur une île bretonne et de Thure Christensen, marin norvégien. Ce dernier entreprend d'initier à sa fille, avant même son adolescence, aux classiques de la modernité littéraire. Beckett, Faulkner, Jack London sont les lectures du soir pour la petite fille, et Murphy ou le trappeur malheureux de "Faire un feu" sont ses héros de contes de fées. Elle a 17 ans quand elle subit une agression sexuelle. Par mesure de sécurité, les parents optent pour un éloignement de leur fille, qui est envoyée à Berlin, où elle découvre l'amour dans les bras d'un Irlandais qui a l'âge d'être son père. Vive passion qui s'achève par la disparition de l'amant, qui pourrait passer par pertes et profits s'il n'était la clef de toute la suite du roman, car si Fergus s'éclipse, c'est pour faire apparaître un autre Irlandais, Flynn - n'en disons pas davantage.

Après cette volatilisation de l'amant, les parents de Liv Maria meurent dans un accident de voiture, et c'est au Chili que la jeune femme part oublier son chagrin. Survient un nouvel amour (Flynn, donc), et nous plongeons dans un scénario tragique, où il apparaît que les amours nouvelles sont toujours les enfants du passé. La voici mère, libraire, à la manière de ces romans anglais où les brumes celtes protègent les cœurs ardents, les vies antérieures et multiples: «Je suis la jeune maîtresse du professeur, la femme-enfant, la fille-fleur, la chica, la huasa, la patiente de van Buren, la petite amie, la pièce rapportée, la traîtresse, l'épouse et la madone, la Norvégienne et la Bretonne. Je suis une mère, je suis une menteuse, je suis une fugitive, et je suis libre.»C'est asséné comme une devise ou un slogan, et cela figure en bandeau de couverture.

On ne l'oublie pas si facilement, cette Liv Maria, sœur de Jane Eyre et de Mrs Dalloway. Et à travers elle, personnage qui porte toutes les aspirations à sortir de soi-même, et si l'expatriation et les expériences amoureuses en sont le moyen, la fidélité religieuse envers les livres en est la boussole. "D’emblée, explique la romancière nantaise, il y avait cette idée d’une femme avec un secret, une femme qui échappe au jugement des autres par le silence, l’idée d’entrelacer la tragédie grecque au prosaïsme de la réalité. Je voulais parler du quotidien, de la vie matérielle, de l’amour, de la façon dont on change à la fois sans arrêt et jamais, mais aussi de la grande rébellion qui se cache presque toujours derrière l’image de la mère. Je voulais faire le portrait d’une femme telle que je les connais, telle que je les sais vivre autour de moi – libres, incontrôlables, fières. "

Le jeu des coïncidences peut sembler un brin artificiel, mode Alexandre Dumas, mais le livre tient par son style très tendu, acéré, qui contraste avec une atmosphère de romantisme fou, un retour décomplexé au personnage romanesque classique, et la souveraineté intraitable de cette passionnée de Beckett à 10 ans qui, de métamorphoses en ruptures, devient elle-même. Et il y a cette belle métaphore du livre où la vie est une bibliothèque (grande comme celle de Trinity College, dit-elle!), s'apprivoise comme elle et n'épuise jamais tous ses mystères: "Elle regardait le mur de livres et savait qu'une part de lui (Fergus) y était conservée, et elle n'y touchait pas." Ce spectacle ouvre sur le vertige que lui donne sa propre vie, et sur la présence des objets dont l'enfance semblait pouvoir se passer, lorsque l'imaginaire prenait toute la place, bijoux, boîte à couture, moules à sablé: "...les tournevis, les marteaux, les clous, toute la grande quincaillerie de l'adulterie. Les choses qu'elle possédait lui semblaient pourtant des choses utiles, comment expliquer qu'elle n'en ait eu aucune utilité auparavant? C'était le mystère. J'avais le courage et j'avais le mystère/J'avais la sagesse et j'avais la maîtrise." La citation-mantra du poète Wilfred Owen (et la rime mystery/mastery), parmi celles que se récite Liv Maria face à l'étrangeté de sa vie, est l'un des outils les plus efficaces de sa boîte, celle avec lesquels elle force les verrous du monde. On serait tenté de paraphraser la formule: On ne naît pas femme, on devient un personnage de Julia Kerninon.

Daniel Morvan

Julia Kerninon: Liv Maria. L'Iconoclaste, 272 pages, 19€. En Folio Gallimard en mars 2022  

Julia Kerninon est née en 1987 à Nantes, où elle vit. Elle est docteure en littérature amé- ricaine. Son premier roman, Buvard (2014), a reçu notamment le prix Françoise-Sagan. Outre des ouvrages autobiographiques, trois romans ont paru : Le dernier amour d’Attila Kiss (2016), Ma dévotion (2018) et Liv Maria (2020)

Lire aussi: à propos de Ma dévotion 



mardi 2 juin 2020

Une façade électronique branche Paimbœuf sur le street-art

Une nouvelle façon pour l'artiste d'imprimer sa présence dans nos circuits
Dominique Leroy ravale périodiquement sa façade. C'est ainsi que sa maison de Paimboeuf constitue l'attraction de la métropole estuarienne, la ville branchée entre Nantes et Saint-Nazaire. Un univers que le public peut découvrir quai Boulay-Paty, face à l'estuaire de la Loire. En façade du rez-de-chaussée de sa maison, les cartes électroniques forment des canyons urbains habités par des Tyrannosaurus rex ou des Godzilla, comme des réapparitions de temps géologiques reculés dans notre monde de composants... 

Installé depuis quelques années à Paimboeuf, Dominique Leroy puise son inspiration à la lumière et aux ciels changeants de l'estuaire. La maison comme cadre d'une composition, il en avait eu l'idée en 2012: "J'avais récolté des tissus, sans idée préalable, et l'idée est venue comme on lance un pari: Et si j'habillais ma façade comme un patchwork d'étoffe? Ça devait tenir quinze jours, c'est resté deux ans." Et les restes de décors d'étoffe, sur lesquels Leroy a peint des motifs, sont encore là dans l'entrée de la maison voisine, chez l'artiste Dominique Fournier.
L'idée des circuits imprimés fait donc suite à toute une histoire de décors, pièces de bois, puis patchwork géant de caoutchouc. "Les visiteurs passent et donnent leur avis. C'est une installation, oui, littéralement puisque je l'installe et m'y installe. Avant on me comparait au plasticien Christo." Maintenant, c'est presque l'inverse. L'artiste propose une manière nouvelle de composer avec la lumière de Loire, avec les jeux d'eaux réfractés sur les disques durs fixés aux voliges de bois, et les différentes surfaces juxtaposées en mosaïque, dans une sorte de mélange composite qui peut évoquer les décors de Klimt ou ceux de Basquiat. C'est une architecture imaginaire et verticale qqui sert d'antichambre à l'univers du peintre, car Leroy est avant tout peintre, à situer dans le courant néoexpressionniste, pas loin de Baselitz, de Garouste, de Beckmann. Ce décor de navette spatiale semble répondre aux tubulures rétrofuturistes de la raffinerie de Donges, sur l'autre rive. C'est l'objet le plus photographié de l'ancien port de Nantes.