vendredi 22 avril 2022
370. Quatrième balcon
opéra Garnier A Quiet Place
pourquoi le nier j’y fus un béotien
à qui la place n’est pas quiète
si elle n’a l’empan d’une charrette
Puis j’allai à la Maison de la poésie pour y
trouver un ami qui célébrait
la mémoire d’un poète de haut rang
pour qui « la poésie
était toujours décevante » — mais so chic
de trépasser en moire lamée de paroles
et quelle douce vie celle de bourgeois de Paris
sur mol duvet de poésie assis
L’ami n’en crut pas ses yeux de
me voir après des lustres et tel
le charretier arrivant de Quimper-Corentin — une éclipse
de quarante années qui sont autant de poèmes
non-écrits comme
au sortir d’un hiver de l’esprit
m’y sentis tel un bolet dans panier de morilles
Y vis les princes du vers vague en si belle étoffe
de beaux yeux des chevelures rousses
Florence Jacques ou Zoé
à une poignée de mains de René et de Martin
Ne m'attardai pas sur l’échine de sphinx de
Notre-Dame ni sur les flèches
de Paris au couchant
mais vis un dernier éclair de couchant
sur le feuillage d’or de
la Poésie et l’Harmonie nos amies d’antan
au pinacle de l’opéra Garnier
— des poèmes qui pieusement furent dits
n’en compris un traître mot
dimanche 13 mars 2022
366. Dans la vaste lande
douze mois de poésie et ça sait déjà parler
j’en reviens pas le refrain m’a échappé
des idées déjà envolées
j’en ai pas dit le millième
un seul vers vaut cent discours répétés
comme quoi rien ne sert de compter
sur ses doigts si l'on n'a les pieds sur terre
c’est à Pierrot que j’enverrai ce pli
pour qu’il me prête encore sa plume
il n’aura qu’à m’écrire pour que je la lui rende
on saura bien alors de quel côté tout cela brûle
lui perché avec ses airs lunaires on saura demain
s’il est prêt à tout entendre de la chanson terrienne
il y a de la place pour tous les cris
dans cette vaste lande
samedi 5 mars 2022
361. Vendredi 4 mars. Discipline
on est à claquer et le monde oiseau
tente l'esquive — sans savoir le quoi le qui
père mère commis réunis sous sainte mandale
et plus subtile que la gifle c’est de fine baguette de coudrier que je parle
quelques dizaines d’années à méditer ces cinglures
sans m’en vanter sans la jouer petit chose car méritées
et continuai à m’en montrer digne et même — qui sait
à les désirer car
pourquoi ne serait-ce pas toi
le vrai martyr élu parmi des milliers
et choisi pour dire le bien par ses souffrances —
en fait de sottises en avais-je fait des montagnes
ou cela talochait-il par atavisme
par pure convention héritée d'une tradition de dressage
— mémoire d’un instinctif geste qui surprit le prof
de math un bras levé en défense réflexe
le creusement de soi en dedans rappelle ces mains
plus souvent prolongées par fine tige
Se ressouvenir de ce qu'elle fait,
en descendant l’échelle de toutes les pertes, jusqu’à
la baffe primordiale?
— disons une sorte d’attaque
— claquer = mourir par allusion à l'état d'accablement
qu'exprime ce mot —
ou de choc cérébral à dominante syncopale
et une grave discorde avec le monde poussait
à s’inventer une cellule de solitude et de quoi prier
alors on se cassait
ai souvenir
d’une fugue sur place comme qui s’enfuirait
de sa prison dans la prison genre Monte Cristo
perçant tunnel vers le cachot voisin
longues heures enfoui en tas de paille
de même le fugitif se planque dans la taïga
et le poisson dans ses anneaux coralliens
introuvable même par le chien
éprouvant la faute à un degré haut
m’enfouissais là où seule une grâce divine peut vous
sauver — allant ainsi plus loin encore que
le châtiment corporel et m’infligeant corps et
âme dans un supplice moral d’une rigueur
qui est nécessaire pour dire le bien —
et puis à la nuit revenais tout de même
toutes taloches ravalées
à chaque commotion il me souvient
de ce refuge de paille et de ce que j’y
couvai de sombres pensées et d’envie de claquer
grandir ne réglait rien une amitié était brisée
en souvenir garde des brins de paille
au fond des poches ça peut servir demain
courir les filles pour se défaire de ça — toujours possible
leur faire le tour du propriétaire
montrer les terres et de cette lune morte les cratères
l’une vint court vêtue qui ne craignait pas
le sentier menant à nos lointains parages
on écoutait des trente-trois tours sur le Teppaz
de la communion solennelle
des LP de récupération gamelans
de Bali à écouter dans un état second
faisaient une bande son
pour le défilé des vaches l’on communiait solennellement
mercredi 15 décembre 2021
318. L'espace du plus jamais
J’aurai grand-chose à dire sur la campagne
la campagne n’est pas une illusion elle est le contraire
d’une illusion
habiter à la campagne ne procure pas un sentiment uniforme
et partagé de tous
ce sentiment peut prendre des formes opposées
dans un cas c’est le sentiment de l’espace qui domine
non par son immensité ni par la vastitude des plaines
c’est au contraire la sensation de clôture qui vous étreint
et que de champ en champ l’espace est une extension d’un foyer
soit dans l’autre cas l’admiration des beautés de la nature
et l’émerveillement
dans le premier cas c’est l’ennui qui prédomine
et l’idée que cet espace n’est objet d’aucune curiosité
il a toujours été là et le sera
même si tout a commencé par l’arasement
d’une partie du paysage et qu’un bulldozer jaune
s’est chargé de faire place nette — mais non de ce
qui faisait la beauté du paysage ses vallées ses ruisseaux
et tout ce qui se trouvait dans les creux
dans le second cas l’euphorie est reine
et vivre à la campagne ressemble à l’image
que s’en font les gens des villes — une biche
allaite son faon dans un petit bois
amour victorieux triomphe dans tout l'univers
la course des chatons de saules sur la surface d’une rivière
le festin de clôture des moissons — faites place au dieu du cidre
le passage des oies sauvages et au matin
le salut des pastoureaux au soleil levant
rien ne ressembla totalement à l’une ou l’autre des deux formes
on ne fut jamais tout entier son village
tout entier une réserve de chansons populaires
tout entier un savoir sur les récoltes les châtaignes
les champignons le miel la pêche à la truite
et on ne fut jamais totalement ville
totalement quelque part totalement ici
on était le mouvement celui qui va de la librairie
à l’étable celui du survol
de la cinémathèque française au champ de choux
des six mille litres de lait par an à Honoré de Balzac
aussi n’y eut-il jamais
de méditation sur la fuite du temps de vision pastorale
d’étreinte élégiaque au départ de la campagne
pour la ville — la seule émotion vraie les larmes de mère
qui éprouvait les moments-seuils ceux où
le plus-jamais se fait connaître d’un coup
de stylet dans le coeur
mère possède un sens particulier pour cela
et vous le ressentez au même moment
Ce serait
la troisième forme de sentiment propre à la campagne
ni la vastitude d’un espace arasé sur lequel
il faudrait faire entendre l’air du froid de King Arthur
ni l’ancrage dans une musique pastorale illimitée
mais le mouvement
le mouvement comme condition même de soi
la campagne serait ce qui se quitte pour toujours
elle serait l’espace du plus-jamais
lundi 6 décembre 2021
311. Chanson composée après avoir rêvé d’une ville d’eaux
il vous surprend dans un demi-sommeil
ce sont rêves et repos de ville thermale
sorbets couleur de lune et paroles suaves
vous y seriez allé afin d’offrir
une langueur persistante au poème des flots
et de vous livrer à la chanson des matelots
Vous auriez choisi quelque planète modeste
à l’écart des villes et des grotesques
vous désiriez — non pas un lieu mais ces mots
ville d’eaux — quelles distances n’aurez-vous pas
parcourues pour trouver les beautés
d’un lac aux eaux glaciaires et d’une folie
qui vous poursuit et vous dicte des ballades
sur le temps qui fuit et le goût des fleurs
lorsque d’un torrent l’on se sent traversé
Vous auriez pensé en contemplant la voie lactée
qui chavire dans les hortensias
couleur d’ail perdu et coque rouillée
comme il est doux de s’accouder à une balustrade
et de s’éprouver mortel sous la lune citron pâle
vendredi 26 novembre 2021
295. Tariatara
de ma vie vais-je vous dire
ce qu’entendis en grands sons
qui chacun portaient leçon
j’ai ouï d’une pierre affûtant
la faux et son chuinté
dans la fraîcheur des blés
Ouï aussi couiner un goret
selon Littré rimer goret
signifie irriter l’oïe
tariatara disait la ventoïe
J’ai eu o (ainsi s’est-il dit
laconique le verbe, jadis)
un joli bruit c’était celui
de la tarare, ou vanneuse
qui vantoisant blés et jupons
de la juponnante Manon
tariatara disait la venteuse
Oi la trieuse à patates
son girotapis était l’exéat
des tubercules secoués
sur une natte à trémulé
vibrante comme tonnerre
tariatara disait la venterre
Les aéronefs en l’air
ont aussi bruyants réacteurs
surtout les Fouga Magister
passant au-dessus des champs
trop vite pour que nos chants
saluent les apprentis pilotes
qui se rient de nous ilotes
tariatara disait la ventôte
et la chanson heureuse
de la tendre écrémeuse
par un doux tintement
elle salue l’avènement
de l’onctueux orpailleur
le joli prince de beurre
tariatara disait la vanteure
J’o des claviers la piaillante
causette des Atari 1040
dans les salles de rédaction
quand débute l’impression
de la première édition du soir
tariatara disait la rotarare
dimanche 21 novembre 2021
Des années où les étudiants maoïstes nous aidèrent aux travaux d'été
nous avions déjà tracé une croix
sur les rêves d’une vie harmonieuse
retranchés des solutions universelles et peu enclins
à défaire ce qui s’était fait avec l’accord
des savoirs instinctifs
La nouvelle doctrine entrait dans les faits
on parlait d’un grand bond technologique
ce qui dans tous les pays du monde a le même sens
mécanisation
sélection génétique du bétail
industrialisation de l’élevage
usage des pesticides
remembrement des terres
épuration de la campagne
tous procédés qui feront du paysan
un farmer accompli —
J’ai treize ou quatorze ans et la peine terrienne
née du sentiment d’échec de la génération mutilée de son espace
de l’évacuation planifiée qui gagne
a déjà planté ses griffes sur les épaules des parents
peu disposés à se défaire des intuitions ancestrales
et de la connaissance des échanges substantiels
entre rhizomes et racines
Pourtant nous les aimions ces jeunes gens
amoureux de la liberté et de la tyrannie
Mao leur Baal Hammon et son rival
ce chien de Tchang Kaï-chek
parfois enfants d’ouvriers
ou de bonne bourgeoisie pour nous c’était tout comme
venus nous enseigner la révolution prolétarienne
à nous autres paysandaille enfichée en parcelle
et cousue en terreuse cuirasse
en ce désert où nous étions oblats
et peu ouverts au prêche
ils trouvèrent pourtant à qui parler
C’est qu’ils s’y entendaient les maos à ramasser
en une paire de jours l’hectare de patates
et venant nous parler
égayaient notre solitude
à l’heure de l’angélus
Ils nous faisaient lire La Chine en construction
périodique imprimé sur papier cigarette
nous qui choisissions le livre selon son peu
d’épaisseur et de prix plutôt Vol de nuit que Guerre et Paix
Déversaient sur nous toute la bibliothèque révolutionnaire
À quatorze ans ein bisschen étouffe-croquant — je cite
Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt
De la juste solution des contradictions au sein du peuple
Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine
Questions de stratégie dans la guerre anti-japonaise des partisans
L’Impérialisme stade suprême du capitalisme
Le Marxisme et les problèmes de linguistique
Face au révisionnisme
À propos du bilan de l'exécution des thèses sur la question rurale
— critiquaient la fiction la musique occidentales
tout ça n’est pas la réalité elle est de l’autre côté
de la fenêtre la réalité
ne le savait-on pas assez
Nous eûmes les honneurs
d’une descente de gendarmerie sur le kolkhoze Kervoriou
On apprend de source sûre
que vous hébergez dangereux activistes
prochinois — père alors tenait sa grande scène
Il fut digne d’un tableau de l’opéra de Pékin
torse en avant ses yeux gris-bleus tutoyant le képi
Ces jeunes sont mes hôtes n’y touche point
puis la vague des camarades tarit nous répétions toujours
comme un mantra enfantin ce chien de Chiang Kai-shek
quelques uns les années passant restèrent nos amis
Je me rappelle surtout Béatrice
la dernière garde rouge
la prochinoise apprêtait avec art les meules de paille
et dévalait les charretées
comme dans un film de Sergueï Eisenstein
Béatrice dont les épaules émouvantes
me firent sentir moins longues les journées
dans les champs de pomme de terre
292. Rose
La rose traversait le dernier jour de clémence
la tête inclinée vers le sol les pétales brimés de froid
Ni l’air gris ni le balancement lent des saules
ne pouvaient tuer le rose de cette fleur
l’automne à son terme ne dépèce pas ses proies
il les laisse flétrir et observe en silence
comme le sang se retire des choses
Avec patience la lune déposera ses sucs
sur leur tête qui oscille et les apprêtera
pour leur dernière nuit
comme encloses entre deux mains de cristal
aucun bourdon n’aura suivi sa traversée de l’ombre
mais au matin la rose aura nourri d’autres soifs
elle aura glissé pétale par pétale sur l’herbe
la nuit aura embrassé ses lèvres déjà obscures
et déposé
un peu de nuit sur elles dans la nuit tremblante
292. Samedi 20 novembre.
vendredi 29 octobre 2021
Nuages
D’un coup d’aile
comme si tu avais
marché aux nuages
à tout considérer
c’est un petit trajet
pour aller saluer René
dans son nouvel appartement
boulevard de la Liberté
à la dernière tentative
pour lui rendre visite un motard
s’était tué sur Cheviré
impossible de passer la Loire
tout le pont bloqué
un poids-lourd l’avait écrasé
le chauffeur en état de choc
me dit René c’était
dans Presse-Océan
Voulais lui remettre
l’aquarelle promise
une vue de chalet suisse
d’après tutoriel vidéo exécutée
à mes débuts dans l’exercice
de la peinture en souvenir
d’un autre chalet qu’il avait
construit acte inconscient
m’en aperçois seulement
maintenant en l’écrivant
tu te débrouilles sacrément bien
j’ai senti qu’il le pensait
et le compliment m’a touché
je lui ai aussi donné le poème
sur sa Nicole celui qui l’avait
fait pigner lui son légionnaire
il m’avait dit au téléphone
Baudelaire n’aurait pas mieux fait
le chalet et le poème allaient rejoindre
la photo souvenir de Nicole au séjour
on a parlé des géraniums
c’est elle qui les rentrait l’hiver
et de la tempête de la nuit passée
et puis de la pose de son épithèse
invisible près de l’oeil
dans sa bonne tête de Belmondo
ça t’en bouche un coin
des fois le soir je l’enlève
ça gêne plus personne maintenant
et je lis le soir plus de télé
un peu de tabac je dis pas et le
vin un peu pas du bordeaux
t’en souviens-tu au temps qu’on a construit
au moment qu’elle fut souffrante
le chalet de ta grande fille
j’avais pas perdu la main
depuis la Mauritanie
et mes gaberneaux de chantier
en bordure du désert
pas un palace pas le lido
un bon petit vin c’était
il filait bien après l’effort
ils en font aussi pour le visage
des marins tapés par le soleil
Ce devait être à la même
époque de l’année deux mille neuf
toute fin octobre
le trente-cinq tonnes avait
bloqué la rue et déchargé ses
planches qu’on a bien rangées
sur la terrasse Elle regardait
pensive sa nouvelle cabane
ses amies l’appelaient Heidi
ce regard pensif me hante
comme une idée de dernier séjour
dans un visage de jeune fille
Je ne reçois plus dit-il que
de rares visites le gamin
oui maintenant il vient
après toutes ces
après tout ce temps d’ombre
on n’en sort pas indemne
et puis la beauté sa petite-fille
cheveux bouclés noirs Semiramis
petit fauve bondissant
épaules de belle tournure
lumière des jours de René
Pris le C1 toujours la même
voix synthétique et pénitentiaire
« le masque est obligatoire »
vis l’exposition sur l’esclavage
le plan de la Marie-Séraphique
avec à l’entrepont
ses esclaves bien rangés afin
que vous puissiez sucrer votre thé
un café au musée d’arts de Nantes
y reconnais la blondeur
boticellienne d’Ambra Senatore
déjeunant avec son équipe
du centre chorégraphique
tordait ses cheveux en parlant
j’ai vu qu’elle donne une pièce
dont le titre est
Il nous faut une secrétaire
le souffle atlantique animait
la rue Joffre où je passai
dire bonjour à la Vie devant soi
depuis si longtemps
Charlotte la libraire embrassai
achetai un livre de Sarah Chiche
Saturne dédié
aux vulnérables et endeuillés
nous nous sommes rappelés
une rencontre autour d’un roman
confidentiel que j’avais rêvé
tous les exemplaires avaient été
vendus cette journée-là
Do m’avait alors dit
on aimerait maintenant
te voir écrire des poèmes
tu as raison ça peut se tenter
un homme entre et dit j’aime
le nouvel Astérix vous voyez bien
qu’il n’est pas utile de viser si haut
nul besoin de vivre dans un phare
pour rencontrer la muse
Le chronobus C1 c’est
mon Guernesey à moi
bel observatoire pour voir
s’écheveler les comètes
Descendis à Chantenay
où nous habitâmes vingt ans
toujours un détour pour ne
pas passer par la rue Garibaldi
vingt ans y vécûmes
ces vingt ans nous ont vaincus
d’ici nous étions bien trop loin
pour entendre la grande voix qui console
pour entendre la mer
262. Jeudi 21 octobre. Nuages
vendredi 22 octobre 2021
260. Les monts qu’ont-ils de mieux que les méandres
et cet évasement sur l’horizon — quoi de mieux
que ce boutoir qui fait frémir décembre
et qui, froissant ses ébauches de châteaux,
d’un pont l’autre recalibre ses assauts
sous le regard des promeneuses de romans:
Dames des donjons et reines abandonnées
accoudées aux promontoires de la Touraine.
Leurs lèvres portent encore le baiser de malvoisie
une comète d’herbes tremble à leur chapeau
En velours cramoisi on voit ces héroïnes
perchées et retenant un ruban inquiet.
Elles ont les mains patientes et des crinolines
qu’on voit gonfler aux soirs de juillet.
Elles marchent, sabliers murmurants,
jusqu’aux lierres du pont Saint-Cyr
pour sentir le vent des petites mers
et rêver sur les brumes de Champtoceaux;
Là-bas, les nuages sont des glaciers mourants.
Pour ouvrir le bal, elle tendent la main,
ignorant les guenilles que le fleuve met à ses balcons,
et les yeux d’un fauve qui hume à pleins flacons
ses proies, et montre les crocs au ciel de Mindin.
lundi 4 octobre 2021
Le blues d'Issa au resto des SDF
![]() |
Toute une ambiance aux Restos ! Issa, ici devant sa barquette, se réchauffe le cœur en soufflant un air d'harmonica |
Ici, c'est le centre d'accueil de jour des Restos du coeur. 7, rue de la Galissonnière, à Nantes. Pas difficile à trouver. Il suffit de suivre les grands noms de l'astronomie, Cassini et Copernic. Vous rasez les puissantes voitures garées le long des trottoirs et vous tournez à gauche. Là, à cent mètres, c'est la galaxie SDF.
Issa finit sa Kro posée sur une poubelle. « C'est leur cantine, leur chez eux, alors ils n'aiment pas trop être embêtés », prévient Sylvie Rateau, la présidente des Restos. Profil bas, vous entrez. « Tu peux te mettre là », me dit Gérard, le directeur du lieu. Ça réchauffe le coeur d'être accepté.
« Les keufs m'ont serré »
Il y a donc Mamie, « une vieille des Restos, depuis 1988 », parmi quinze bénévoles. C'est elle qui distribue : « Taboulé ? Carotte ? Macédoine ? » C'est elle qui pigne pour qu'on ramène les gobelets de plastique, et qui les lave. Il y a Mario au micro-ondes, qui tourne à plein régime pour réchauffer les 90 plats du midi.Parmi les convives, il y a le vieux briscard qui aligne les vannes : « Pourquoi changer ? Pour être plus con ? » Lui, il a son logement. C'est aussi le cas de Salam, qui discute dehors. RMI, logé, mal logé. Il râle. « Les keufs m'ont serré au Champ de Mars. Je vendais des livres sur le trottoir. 20 centimes l'exemplaire, histoire de boucler le mois. »
Il cligne des yeux. Affûté comme un crayon. Un crayon à mine dure, mais cassante. Raconte son appartement insalubre. Les chiottes bouchées pendant deux ans. Le refus du proprio de réparer. « Une formation ? Non, j'ai une dépression. J'ai peur de me retrouver à la rue. Mon appart, je le supporte plus. Le parquet est rongé. Je chope des microbes. »
Issa a fini sa bière et s'assied. Salue ses amis, poings collés, poing au coeur. Eux vivent en squat.
« J'avais un groupe »
Le micro-onde fait sauter le compteur. « Jo-yeux zanni-versaiiire ! » Re-lumière. Entrée sans porc pour Issa, Sénégalais musulman. « Il aime pas le porc, c'est pas un grand voyageur, ah ah ! », plaisante Mario.À côté du passe-plat, une petite bibliothèque. Thierry cherche de l'index un livre qu'il n'aurait pas encore lu.
Il y a une place libre devant Issa. Il m'y invite : « Il faut communiquer dans la vie. J'espère qu'il a dit vrai Sarko, sur le droit au logement sans caution. Même si on a l'aide de la Caisse des allocations familiales, les propriétaires ne veulent pas nous loger. »
Issa a un brevet hôtellerie. Quelques remplacements à la Mutualité et au Lieu Unique. Trop courts. Il a dévissé le jour où sa meuf « s'est barrée ». Il me laisse son numéro de portable. L'autre objet qui ne le quitte jamais, c'est son harmonica Hohner « marine band » en mi, le même que Dylan. « J'avais un groupe. J'étais bon à l'harmonica. »
Allez Issa, play it for me, joue-le pour moi. Issa joue. S'interrompt pour me dire : « Mais tu ne manges même pas ? »
Thierry a trouvé à lire.
Daniel MORVAN.
244. Karo
"la ville sainte est carcasse de monstre
désossé par une armée d’insectes
qui en firent des confetti de à coups
de mandibules horrifficques"
-- euzuz on dit en breton
une ville qui ruisselle de piétas et de descentes de
croix de boursouflures de marbre de colonnes
pourpre cardinalice putti et sépulcres
pas une ville mais un déchet industriel
dit de Paimboeuf le sculpteur Christian Champin qui cisèle des broyats métalliques
en guerriers Maasaï sur des socles en cagette
mieux que les champions de quadrige péplum
Rom n’est plus dans Rom Read Only Memory
mémoire morte dans les flaques d’History
Cette ville est un navire Argo déclassé
le fatum qui assiège tes murailles
la dame de carreau au cœur piqué défailli
Damez Karo prie à genoux dans ses trèfles décapités
242. mash agreste & post-mortem
Des fois si le poème t’écœure survient
cette nausée purple lakers
lorsqu’il te semble devoir
rembobiner l’enfance éclaircir les ombres
jouer cartes sur tables sortir ton joker
comprendre qu’on ne voulait pas laisser
père mère derrière soi ce crève-cœur
ne m’a-t-il pas vraiment brisé le cœur
Reste l’impression d’être ventousé à la paroi
pousser devant soi un arceau gothique en forme de
thorax sous lequel passerait une colonne de fourmis
fuyant à l’arrière des colonnes ennemies
et encore l’idée qu’il suffirait de prendre
ces chemins terreux pour se laisser
reconduire à la boue nourricière à la frontière
où tu vois la bouche de l’eau et l’œil des étoiles
te ramener au fumier -- retour dans le game
essaie encore ta chanson de golem
cette forme dégradée de parole est ta mixture
de rural saupoudrée de lectures mais rien de moderne
rien de ce mash agreste & post-mortem
qui sied tant à la modern poetry
les pages du livre tourneront comme une montre Patek
quand tu sauras boutiquer de la versité
pour produire l'effet de vrille du vilain canard ayant couvé des signes
à quoi s’attendais-tu à ce que la nature
consente à descendre de monture
et ramasse l’épi chu du tas de blé
pour te dire que le monde sera sauvé
tu as trop médité sur des cadences tricotées
en marquant les basses laisse dériver la barque latine
O rus! quando ego te aspiciam attache des rames
aux berceaux d’osier et vogue si ça finit par dire une chose
ça s’est d’abord pointé en intrusion manifeste
sans surveillance une ligne mal bâchée vire à l’épique
ceux qui ont le flow inné te te mixent ça au buzzer
ça cartonne ça parle aux foules et ça check
tous les marqueurs de hype le poème est prêt
à rouler en inconduite intérieure ce crève-cœur
m’a-t-il pas vraiment crevé le cœur
lundi 20 septembre 2021
230. Kuhlmann
il n’en reste plus qu’un squelette et ce pavillon rouge
de brique
C’est des gens du nord qui sont venus
construire l’usine et faire de la ville une autre ville
Les ouvriers édifient leur quartier appelés cité des Castors
construction communautaire chaque maison tirée
au sort Les arômes de phosphore et soufre s’exhalent
des rues de la cité qui est une Lorraine
loin de la Lorraine
une brise jaune vous disait Tu es ici à Paimbœuf
Nous aurions cru marcher en pleine forêt
mais à ras de terre la Loire pleine écumait
deux millions de mètres cubes d’eau douce industrielle
voilà ce qu’elle donna chaque année à Kuhlmann
tout le temps
que le plomb occupa les têtes et les bras ici
Je m’en souviens encore disait-il comme un
guide de sanctuaires déserts
c’est moi qui ai coupé l’usine après quatre-vingts ans à produire
du chlore du soufre et des engrais azotés
Un jour comme un autre
J’ai fermé Kuhlmann comme on dit adieu à une maison
comme on ferme la porte
sur un monde sur un temps sur une ville
J’ai dételé Paimboeuf de la chimie et j’ai rendu les clefs
Tel était Kuhlmann un alliage délicat
avec le port fossilisé depuis le départ des grands voiliers
L’estuaire est la main qui réunit les eaux
l’usine rassemble les substances gaz de Lacq hydrocarbures
et le plomb voilà ce qu’ils en ont fait
de cette jolie petite ville dix-huitième siècle
Jusqu’en 1919 vous pouviez y tourner un film d’époque
genre Les contrebandiers de Moonfleet
jusque dans les années 90 une fresque sociale
comme La vie est à nous
depuis 1996 un décor pour La ville abandonnée
ou Bienvenue à Zombieland
Je suis né à Paimboeuf rue Raymond Berr
nom du directeur des Établissements Kuhlmann
déporté avec son épouse Antoinette et leur fille Hélène
assassinés à Auschwitz
c’est par le nom de ma rue natale
que j’ai découvert l’existence des camps d’extermination
A partir de 1946 les ouvriers des Usines Kuhlmann
se rencontraient pour le challenge Raymond Berr
à cette occasion fut créée la piste d’athlétisme de la ville
Premier au cent mètres du challenge Raymond Berr
j’avais mes chances pour l’embauche à Kuhlmann
Ainsi parle l’enfant de la cité des Castors se souvenant aussi
qu’une ou deux fois l’an un champignon dans le ciel
libérait les gaz retenus par l’usine
ces lâchers atmosphériques retombaient dans les jardins
sous forme de poussières de plomb il fallait alors
tout arracher au potager
Une industrie une maladie
À Neptune le scorbut à Saturne le saturnisme
dont le médecin-chef de l’usine était un spécialiste mondial
Saturne symbole du plomb en chimie
sa demi-vie dans les nappes est de sept cents ans
Les symptômes qui alerteront le médecin
sont asthénie retard mental céphalées surdité
Aujourd’hui que seule l’eau du ciel peut visiter
cette zone morte qui recouvre l’eau souterraine
et que la friche demeure là tel le scalp abandonné de la terre
par l’Usine qui usa ciel terre eau et tous leurs enfants
Il est nécessaire de dire pour toutes les vies à venir
comme Saturne fut ici un dieu adoré
La Lorraine vint à Retz comme un chef de guerre déplace
ses campements avec ses centuries et ses demi-dieux
les Ingénieurs nouvelle classe désignée par les pamphlets comme
celle des Parvenus de la Science
Nous allions au bout du monde dans un voisinage de hérons
fabriquer pour les voitures de barons de maçons
du plomb tétraéthyle
Dérivé antidétonant du plomb sous licence américaine
multiplie les performances des moteurs à explosion
tu les imagines morfondus au fond de leur calèche
traversant la province et ses fondrières découvrant
avec effroi le pays profond qui les nommait capitaines
et les marais surtout les marais de Vue à perte de regard
y cherchant en vain des pyramides n’y trouvant que des vasières
erreur
l’acclimatation fut parfaite courts de tennis club nautique
on adhéra peut-être au cercle littéraire qui jetait ses derniers
feux dans une bataille de pamphlets autour d’un vieil autel
d’église (marbre migrant d’un château à l’autre
vestige d’une abbaye cistercienne vendue à la Révolution)
Les cadres de l'usine arrivent souvent du nord ou de Paris
avant la rentrée des classes
Ses usines frontalières détruites par la première guerre mondiale
la pétrochimie se redéploie loin des fronts
Elle fait son entrée dans la ville des grands voiliers
dans ces lieux perdus au milieu de nulle part
On construit des villas des demeures de brique l’usine est reine
et la Loire évente son visage reconstruit
partout à l’arrière des saisons
l’odeur des framboises des pois en fleurs et des fèves
leur rappelle les jardins de la Lorraine
ce n’est pas le parfum de leurs patries ni celui de Paris
pourtant les enfants d’ingénieur
au coeur esseulé se voyant ensevelis dans un cloître
de calcaire sans se donner aux fêtes et aux carillons grêles
laissent leurs yeux se perdre sur les rives
où se lit l’empreinte d’une autre souveraine
celle qui gouverne au destin des lies et des âges
et enfouit les rêves comme se ferme un sillage
et il y avait là quelque mélange troublant
de regret et de volupté à se sentir rois d’un séjour si âpre
un cabinet des antiques investi par la chimie
Et dans cette ville jaune qui aimait tant l’usine
d’autres enfants d’autres filles semblables
rêvaient en regardant les enfants d’ingénieurs qu’il existait
une autre manière
de vivre sa jeunesse
trois décennies de plomb égale un âge d’or
pour la ville morte depuis qu’un jour Bonaparte
passant par là décréta
désormais le port de l’estuaire sera Saint-Nazaire
Et ça tourne mal
Kuhlman Ugine-Kuhlman Pechiney-Ugine-Kuhlman
autant de fusions liées aux crises de la chimie
jusqu’à l’acquisition par Elf-Aquitaine et
la fin du plomb tétraéthyle toxique en 1996
Paimboeuf entre dans l’âge de la friche
friche morale et sensorielle
Se taisent les sonnettes des bicyclettes de 700 salariés
le sifflet des locomotives acheminant le soufre
le sifflet des navires
le klaxon des cars Kuhlmann dans tout le pays
le réel industriel tombe comme un décor
La citadelle ouvrière mute en cité interdite
bientôt terrain de jeu des touristes de ruines
urbexeurs ivres du vestige qui donne à voir
les beautés du ravage et l’érosion des villes
Comme blessée par les traits que tirent du lointain
les archers des comètes et les catapultes galactiques
Paimboeuf la reine dort en ses désolations de vitrines mortes
Souvenez-vous madame on trouvait du Rodier à Paimbœuf
Rodier le fournisseur de Channel et Dior en tricot jersey
Du Rodier aujourd’hui à Paimboeuf
vous imaginez cela
mardi 31 août 2021
211. Urbex poésie
ou de Richard Ford on pouvait aussi rencontrer ce genre
de type mal réveillé
il faut accumuler beaucoup de noirceur pour y voir clair
Ensuite lâcher son encre dans un brouillard
typographique et produire assez de plomb pour nourrir la Pince à Linge
—la fille du pub de cette histoire
avec ses yeux qui trouent les décombres
et sa diction et les mots partout pas où il faut
mais les yeux si partout
ça commencerait juste au moment où
lui trop mal réveillé pour voir le clapot de marée
mais assez pour entendre sonner la détresse
qui lui noue la gorge à cette enfant Elle
a rendez-vous demain à la Nouvelle Orléans
pour son échographie
pas celle de ma mère plaisante-t-elle la mienne
Notre écrivain aurait rédigé
debout devant sa portative au bout du rouleau
Cette machine martelait les lettres comme pour les graver tombales
Et lui l’écriveur avec sa tête mal agencée
dans un geste théâtral il aurait commencé par embrasser
l’espace
—c’est l’espace qui fait l’histoire
parce que la tragédie est déjà inscrite dans le décor
oui c’est dans l’espace que vibrent les corps
pérore-t-il les jours d’euphorie
en se souvenant des cours de Paul Valéry
va laisse parler ton vieux sang de raconteur
ton Jack Kerouac intérieur
— l’inventaire des lieux ancien port de haute époque
Se résumant à deux rues affichant en remords
des vitrines passées au blanc d’Espagne
de vieilles enseignes Kodak Kaltex
parfois un quatuor de pianos poussiéreux y font comme
un quadrille de squelettes dans les clichés Urbex
un môle enlisé se souvenant des grands voiliers
trois quatre barcasses défoncées une étendue
d’herbiers gagnant sur l’envasement en cours
la Loire n’en a plus rien à faire de la rive sud
elle change de trottoir la Loire et se retire
par vagues les atterrements primitifs ont reculé de
deux cents mètres
maintenant
c’est plus que boulodromes
sur quoi d’ex-OS de chez Kuhlmann
anciens du plomb et ammoniaque
sont devenus ténors du carreau
Le lundi le Renaldo Food Truck et ses fish and chips
et là au bout du quai cette lampe de chevet—
le seul phare de l’estuaire portée vingt kilomètres
puis le quai Mathurin-Gautreau sous sa frange de platanes
après il y a la vedette grecque Rien de trop
à ce même niveau du quai Boulay-Paty la façade farce
en composants électroniques devant laquelle
fait halte
une cycliste stylée en short siglé Duncan Cotterill
nom d’un cabinet d’avocats de Nouvelle-Zélande
qui prend plusieurs clichés de la maison —
Puis
Les fileyeurs Mine de Rien C’reparti
Le Pas sans peine emplumés jusqu’au plat-bord
Dans la turquoise du chenal un remorqueur chasse devant lui
un bouillonnement de tulle
le Hangar exposition des peintres français
et des feintes de la narine
Après
quelques épaves comme la vedette Rescator III
on a les buveurs assis devant leurs 8,6
qui sont comme des pièces d’échecs offertes à leurs
calculs tactiques ils jouent plusieurs coups à l’avance
et en bord de cale les pêcheurs
de congres — genre de flasque ichtyosaure
c’est eux maintenant qui mènent le monde
et dictent la ligne politique du fleuve—
ces prédateurs immangeables se pêchent à la sardine
ils dévorent tout sandres brochets merlans de vraies
allégories de l’économie libérale de profit maximal
même les pigeons y passent, en coupe-faim
juste après
Le sabot de Vénus tabac presse appâts vivants
où Dodo essaie une nouvelle vapote arôme fougère rousse
et Momo l'arsène narre ses austérités héroïques de tambour-major
au vert depuis sept ans bien carré sur ses deux pieds
fermant la marche de l’armée prolétaire
Pour clore l’angle de la cale petit forum des scieurs de bois flottés
la place de la Frégate-Aréthuse
Puis bientôt rasée la maison natale d’une gloire
un Pitre qui publia les premières nouvelles de Jules
Verne dans son grand quotidien parisien
un peu plus loin après l’ancien café Navigateurs
(avec le « a » quille en l’air)
un camping-car fossilisé sur son trottoir en face
de la boulangerie bleue et autre maison bleue
l’ancienne gendarmerie murée rue Pitre-Chevalier
c’est là qu’il démarre ton chapitre
c’est dans ce capharnaüm que tu situeras
les yeux gris l’échographie pas de ma mère et
. . . quatorze quinze
les yeux gris-verts petit tablier nylon à fleurs
on mettra tout ça au clair
mercredi 28 juillet 2021
177. Nicole
À René
Jour après jour la neige qui pleut des greniers
saupoudrait ses jours Sur le genou seul resté
un peu de cendre souvent
déposait sa dîme comme la lune
sur la tête des oiseaux dans l’eau qui clapote
Ainsi qu’une voyante dans sa ruelle
au chef couronné d’un buisson de houx
elle lit le grand livre des étincelles
et déchiffre l’univers de sa margelle
Un peu de malice allumait son oeil
qu’embuait les vapeurs de soupe au choux
tandis que sa jambe la portait aux fourneaux
Oui je peux encore l’apercevoir
je vois une silhouette années cinquante je la vois
marcher sur les passerelles du quartier ouvrier
jetées sur des briques quand la Loire déborde
Les pieds agiles des filles du faubourg
savent marcher sur les rigoles du fleuve égaré
je la vois voler en jasant jusqu’au milieu de la ville
traverser le cours Cambronne à la manière des moineaux
je vois la primevère à travers les branches du saule pleureur
et la fauvette dans les griffes lance encore son chant
Sur Nantes où prospérait le couvent
bagne urbain de la rue de Gigant
prison d’orphelines arrachées à leur milieu
Ogre Gigant dévoreur d’enfants perdues
de saute-ruisseaux non réclamés des tribus
prolétaires passant d’une mère épuisée à une mère supérieure
et des singeries de la rue à la machine à coudre Singer
La rafle des filles errantes happait celles
du Chantenay ouvrier vivant dans un palais délabré
un atelier pour elles et pour les marguerites sabrées
par les sévices réservés aux jouvencelles
du faubourg à qui la cornette enseigne l’unique métier des bonnes
celui de coudre et de courber l’échine
Cependant dans les bois sombres j’entends un chant rebelle
celui d’une ronde enfantine sur un tapis de trèfle blanc
C’est un rêve je la vois chanter un air à danser de son Trégor
oui je l’ai surprise plus jeune dans cette vision des champs
peut-être y danse-t-elle maintenant sur un tapis de boutons d’or
une flûte y chante sans voir une dame blanche à l’abri d’une treille
qui la regarde danser et médite d’un oeil de foudre:
un jour nous l’aurons cette sans-pareille
qui danse sur les mousses et ne sait pas encore coudre
Plus tard la veille d’être libre les blanches la tondirent
pour la maudire encore jusque dans sa liberté
Ce matin les épaules de René ne portent que ses larmes
Elle est bien maintenant dit-il Là où elle se trouve est le paradis
Nicole a refermé son parapluie
mercredi 14 juillet 2021
165. Nous autres gars de cambrousse
venus comme les nuages bleutés
s’élèvent d’un ravage de feu
croyant rompre l’encerclement
Ceux qui venaient de la ferme
regardaient les choses de très loin
on avait croisé les fourches
sur nos petites villes à grelots
le jeune sang s’exalte aux
sauts de crapaud de la raison
et après avoir gravé des coeurs dans l’écorce
veut tout l’arbre dénuder
On était marxiste parfois maoïste
à cause du voisin Roger
qui en pinçait pour Mao
et des étudiants venant
s’éduquer auprès des masses
nous étions les masses
on se fichait de l’extrême-gauche
et des libertaires
des têtes pensantes sur des corps de charrue
mais pas de voyant instinct au tableau de bord
sans quoi pouvions-nous accepter
d’effacer par la vitesse la lenteur des remorques
prêts à s’écraser à la première mission
plutôt que de se montrer tels quels
garçons à complexe d’usurpation
pas bêtes à concours
trop enfants pour être
des enfants de soixante-huit
comme des pilotes novices
lâchés sur supersonique
ahuris par les tableaux urbains
dépeints par des cothurnes
plus dessalés que nous
on avait lu avant l’hypokhâgne
tous les caramels mous
du siècle moribond
Pierre Benoît Saint-Ex
et nous autres sortis des meules
pour adorer saint Texte
rien sur
Thomas Bernhard Carson McCullers
Rien sur Michon
qui campait pourtant
tout près à Locquirec
rien sur
Abraham élevant des chèvres métaphysiques
à deux pas de notre ferme
on avait méprisé Boris Vian
et les beaux gisants
de Saint-Germain-des-Prés
on adora les hédonistes
existentialistes marxistes
les loucheurs les bigleux les snobs
tous marchant au pas
Pierrot le fou oui on aime
pour son côté pur escroc
sans rien pour s’en défendre
que cette allure qui est de mise
aux foires aux cochons
chemise à carreaux
morgue de western et pas loin
de cracher par terre
pour pas montrer
qu’on tombait de la lune
Emily Dickinson Thomas Mann
des héros comme Bob Morane
On finit par comprendre
que la sémiologie ça se joue pas
comme un labour de plaine
et qu’un peu de doigté s’impose
on a capté les codes qu’on a
mélangés à l’allure distante
nécessaire pour sauver la face
mais en fin de mission
nombreux seraient les manquants
les arrivés de la cambrousse
avaient souvent les yeux noyés
des futurs jeunes morts de Normale
on s’est désintégrés à la verticale
du Paris mondain
crashés aux commandes des Tornados
sans même profiter des permissions
aux palais de Tokyo
mercredi 7 juillet 2021
157: Cantate
Il se promenait sur la falaise
vit un homme tombé d’un bateau
entre des écueils et des brisants
et les sauveteurs impuissants
à l’arracher aux flots
plus tard comme il se tourmentait
pour le malheureux noyé
alla chanter pour lui devant les eaux
Ich habe genug (je suis comblé)
air d’une cantate
de Johann Sebastian Bach
157. Mercredi 7 juillet. Cantate
lundi 5 juillet 2021
155. Pompidou
où le poème baisse les armes
à ce stade je ne puis rien pour vous
dit la muse
vous touchez au point zéro Ce creux ce vague
où l’aède vanné se vide
implore le pardon pour ses rimes fautives
ses rythmes bancals et les syllabes malhabiles
et puis sans le goût de parvenir
que fait sur terre un poète
et enfin chanter passe encore mais rimer à cet âge —
Celui qui écrit ces lignes se reconnaît
dans plusieurs des épitaphes prononcées
par Georges Pompidou dans une célèbre
Anthologie de la Poésie Française
(elle n’acceptait que des morts
écartant le vivant le schizoïde à vers libre
plutôt cimetière donc que florilège)
On a depuis longtemps oublié le Président
on se souvient encore du lettré
dont le florilège poétique fit autorité
de ses avis voici l’anthologie bien condensée —
Il était né pour d’autres époques pour être troubadour
ou pour la chambre bleue d’une marquise de Rambouillet
Il n’a écrit que de menus poèmes
Il y a dans son œuvre grimaçante beaucoup de la
nostalgie d’un génie qui n’a pas su éclore
Aurait-il su se dégager de l’amertume et du grincement
je le crois —
Poète si tu te sens visé par Georges Pompidou que peux-tu répondre
d’autre que pom pom pi dou
il me revient l’anecdote
contée hier au bistrot par mon sonneur attitré Gilles Vaillant
d’une adolescente fugueuse aux trousses de qui
la police lançait un chien pisteur après lui avoir donné
ses chaussettes à humer
pour retrouver sa trace
Une nouvelle fois arrêtée
Au poste de police l’enfant se tourne vers le chien
ôte une de ses baskets la renifle et lui dit
Médor je n’envie pas ton métier
Ainsi en va-t-il de Pompidou qui humait les odelettes
des poètes
remuait la queue en disant c’est du bon vers de France
(évoquant Verlaine Hérédia ou Perse)
ces stances qui fleurent le lyrisme inégalé
du génie français
et les rangeait dans un livre
samedi 29 mai 2021
116. Le syrinx du V8 à la déchetterie de St Brevin
À 11:37 un coupé Porsche huit
cylindres de 4 litres
550 chevaux
0 à 100 km/h en 3,9 secondes chrono
vitesse maximale de 286 km/heure
soit la vitesse au décollage
d’un A 340 ou d’un jet
Prix d’appel 149 217
émissions de CO2 de 268 à 289 g/km
Fait son entrée à la déchet’
de Saint-Brévin-les-Pins
le coffre arrière
s’ouvre une femme
en tire un objet le jette à la benne
puis remonte dans son coupé Cayenne
la scène a duré moins de deux minutes
l’homme d’astreinte
grande pelle gilet jaune fluo
laisse échapper une plainte
au syrigma* du V8
sidération aérolithe
elle a (dit-il) tout en double sous le capot
carburateur soupapes biturbo
appartenir à l’élite c'est tout avoir en double
lunettes noires et manteau
luxueuse caisse et bonne trieuse
A Delphes le sifflement du python agonisant qu'Apollon a frappé de ses flèches était un passage obligé des concours de composition musicale
(116. Jeudi 27 mai 2021)
mercredi 19 mai 2021
108: Poème sans sujet pour une journée à thème (2021)
Princes, gloire, amour et premiers de cordée
Sans sujet sans emploi le poète sorti du star système
privé de son rôle de maître de cérémonie — MC
se trouve au volant d’un bolide à la casse
L’art du verbe tu aimes c’est
comme s’asseoir au volant d’une carcasse
de Maserati sans moteur — un jeu infantile
où tu imites par raillerie le bruit
mécanique et narre ta vie rêvée
Comme reconversion possible il y a
chroniqueur du coin de la rue
avec un brin de talent un bon dico de rimes
(la toile le fait pour toi si ça te brime)
échange l’épique pour le banal
et fais de tes poèmes un masque facial
dis-toi bien le sublime est plus facile que la rigueur
dont fait preuve un maître bâtisseur
l’ouverture des terrasses et des musées
les muscadet éclusés
tout ça en vers démesurés
au café de la Loire le premier expresso
depuis sept mois
Pas plus de six à table en ajoutant la Loire
qui s’invite ici à tous les repas
pour voir être vu et prendre ses infos
ouvrir un journal style pétanque news apéro
au ciné c’est Drunk en VO
côté météo averses sur la France
Là-bas les bombes pleuvent sur Gaza ville
Territoire qui ramasse
en riposte aux roquettes sol-sol du Hamas
1500 raids en huit jours frappes ciblées
(immeuble de la télé explosé speaker radio radio criblé)
L’état du monde t’arrache aux écritures
te fait sortir les lances d’obsidienne et le
poignard d’améthyste du vers
Un nouveau front s’ouvre depuis le Liban
Tirs du Hezbollah
Sprint diplomatique en cours
pour obtenir une désescalade
MC des anciens thèmes tes ballades
ne sont d’aucun secours pour le salut du monde
mardi 11 mai 2021
100. Passé
que là où des vies se sont nouées autour de murs
où force marins capitaines gabier cordiers aubergistes
métallurgistes décidèrent d’un amas
de pierre au long d’un fleuve
pour faire de ces tuffeaux de Touraine nos demeures
rien dans ces pignons dans ces faîtages dans ces
balcons à monogramme
dans ces palais dans ces ateliers ces salons
ces soupentes ces cheminées
derrières ces lucarnes et ces hautes fenêtres
rien ne dit
comment c’était alors de poser sur un siège son séant
comment c’était de se taire en 1785
pendant quelques minutes en regardant l’océan
et les vaisseaux vers Saint-Domingue
tribord amures
et en quelle langue
pensait-on alors et qui pensait quel était le
son du silence et si
l’on pensait à son oncle du Tennessee
ou à une oie farcie
et si un funambule à la manche essayait ses acrobaties
et une femme de Croatie ses nécromancies
et si ces craquelures dans la pierre s’apercevaient déjà
s’il y avait des dieux pour ces gens-là
et lesquels
(si certains d’entre eux étaient priés à l’insu
du priant et du prié) et si
soulevant un rideau pour observer
une partance ou un retour des lointains
Une larme venait parfois
et combien de temps
—peut-être les pavés en gardent une trace
ou seulement cette herbe folle
mercredi 5 mai 2021
93. Nuit
Cette cité fut une île et tient son origine
De ce que les eaux ont ce pouvoir
de faire naître des villes où elles creusent des lits
Tout ici appelle aux reconnaissances
aux tumultes d’appareillage tout y appelle même
Les frayères à limandes et les migrations des civelles
L’eau qui va invite à rejoindre l’identique envol
Cependant que le pied suivait le chemin d’arène
Vers la luisante berge où se raffinent les huiles
Et les cheminées qui formaient un dôme de soufre
Sur les jardins mouvants et les portes de la ville
Ce chemin n’était pas le tien qui longeais sans désir
le bord de l’eau au reflux de la marée
Voir et sentir ne te sont aucune joie c’est la nuit
que tu veux c’est elle qui t’emporte
mercredi 28 avril 2021
86. Mardi 27 avril. Cinéma MacCormick
écrit Yannis Ritsos dans Le chef d’œuvre sans queue ni tête
& faut être très malin pour dire tel jour le sens de ma vie m’est
apparu dans le ciel — revenons sur terre
Mon grand-père assis aux commandes de la faucheuse-lieuse McCormick modèle 1956
moi (quasi même millésime)
au volant du tracteur Massey-Ferguson dit « petit gris »
Avec pour tâche de mener l’attelage sur la ligne de fauche
au millimètre
je ne l’entendais pas bien crier
Lui derrière sur siège métallique à trous
pour couvrir le bruit des machines
La faucheuse est équipée
d'un moulinet-rabatteur
grande roue de moulin à giration lente
qui s’élève avec majesté comme une grand-voile
et d'une barre de coupe (petites dents cisaillantes)
dont le machiniste règle la hauteur
comme dans un film de Dziga Vertov
et prévient la bourre à l’entrée
cela fonctionne un peu comme un projecteur de cinéma
Les tiges fauchées sont projetées dans une toile
puis expédition vers mécanisme éjection
en gerbes liées sur le sol
avant d'être livrées à la dévoration des batteuses
je dois avoir douze ou treize
Il y avait une charrette couleur charrette
c’est-à-dire verte?
Non, bleue
rêvant sur mon siège
je restais soucieux de ne pas dévier
et d’entendre derrière le bruit mécanique de fond
les consignes de tad-koz Kersaint
Ce sont des choses qui ne peuvent entrer dans un poème
—Justement dis-toi que c’en est pas un (poème)
& mets-les y & joue-la faucheuse McCormick
ça avale tout paille et fleurs
Après en peignant en liant des pigments assemblés
j’y repense à ces tiges fauchées ces gerbes projetées sur une toile
Comme un tableau de Jackson Pollock (Cody 1912-Springs 1956)
Tout ce qui ne peut entrer
dans un tableau y entre quand même
de même que le peintre américain
Rothko (Daugavpils 903-New York 1970) affirme dans un
entretien imaginaire:
« Il suffit d’arrêter de dire
qu’une toile représente le réel pour commencer
vraiment à peindre
— Diriez-vous qu’elle montre
la vérité sacrale de l’univers ?
—dites que le sens de ça c’est l’acte de le chercher
l’art sera la vie quand il cessera de — »
et tout le baratin comme dit mon dabe
Je crois qu’elle (mam-goz)
les saignait par l’oeil sans être sûr
c’est d'une vision à Keragraz que je garde ce souvenir du lapin suspendu
— L’art sera la vie quand il cessera de la représenter
pour être la vie même
Ne sont plus les peintres
tenus de chercher une source en dehors d’eux-mêmes
ils travaillent depuis l’intérieur d’eux
C’est une forme d’hypnose pariétale?
Pas face au tableau mais dans le tableau?
De même sur le siège du Massey-
Ferguson comme dans un Pollock
Pas face aux gerbes mais dedans
ce n’est pas le hasard qui peint le tableau
C’est ta liberté qui trouve son chemin
Appelle-la comme tu veux mais
pas hasard au contraire tout le sens
toute la vérité est dans ce chemin orbital
ça fauche et ça lie
les épis projetées sur la toile
samedi 24 avril 2021
82. Vendredi 25. Satory
Sorti de grande école chacun
pour s’acquitter du devoir national
avait accès à stalle sommitale
en consulat ou lycée français
Beyrouth Moscou New York
Timor oriental palais gouvernemental
piédestal ornemental
plus que guérite chef-lieu du Cantal —
je ne sais quelle maladresse
piston crevé d’un général
deux étoiles et demie
entrevu du côté de Saint-Servan
(ami du père de cothurne)
me fit retrouver mes frères de classe
bombardé deuxième pompe
au régiment du train
Caserne Satory —là même
où furent fusillés en 1871
Vingt-sept communards
Dos au polygone d’artillerie
qu’on appelle mur des Fédérés
Louise Michel y fut détenue
avant d’être déportée—
Satory est au 35 tonnes
ce que Sartre est au néant
Tentai donc négociation frontale
afin de solliciter fissa
un poste genre Établissement
cinématographique et
photographique des armées
ECPA? s’interloqua colon
dans un rire fractal
Côté cinéma on a ce qui faut
du Riefenstal
à la pelle et du Truffaut
plus qu’il n'en faut
du moins ici vous apprendrez
à camionner
ça peut servir dans l’existence
à défaut d’être le nouveau Rivette
Tout se termina bloc des fous
pour dissociation psychique
bouclez et réformez-moi ça
Principe de réel leçon une
le réel c’est l’impossible
dit Jacques Lacan je réfute
Possible il l’est
Satory en est la preuve
samedi 27 mars 2021
53. Clef de huit
Jour après jour divers aperçus
de l’existence sont ici évoqués
en vers pairs conçus
dans un mètre corseté
Pour bricoler à sa guise
Enfiler bleu de chauffe
clef de huit en poche
Puis édifier mode Eiffel
Une tour d’octosyllabes
Docte parenthèse: —
l’octo apparaît au dixième
siècle dans une vie de saint
et dans les 129 quatrains
de la Passion de Clermont
Huit syllabes petite barque
Pour haute mer et rivière
On le dit de peu d’étoffe
style bout-rimé de pot d’adieu
Le valet de pied du vers françois
Court si l’on veut du court
Étirable au gré des foules
selon la longueur des houles
Dans tous les genres, antique
et breton, en dizain, en neuvain
En carré magique (autant de syl-
labes que de vers)
Parfois une alternance
de sept huit syllabes déclenche
un effet d’accélération
(énergumènes Prigent Cadio
le boostent façon turbo —
Fin du pédant topo)
Octosyllabe tube à essai
cristallise le mémorable
phénomène de ce vendredi
vingt-six mars où peu de choses
se sont passées en apparence
le monde roulait ses cadences
Merkel tance la France
Classée à haut risque viro
logique par Berlin
trafic mondial ralenti par
porte-conteneurs Ever Given
monstre de quatre cent mètres
en travers dans le canal
de Suez, mort d’un cinéaste
Trop popu pour les bobos
trop chichi pour les prolos
Collision ferroviaire en Égypte
Locos De-Luxe en frontal
32 trépassés Sanction dissuasive
Exigée par président Sissi
Échappe-t-on à l’octo sur la terre?
Dites-le moi seulement
au cas contraire et dans quel script
faut-il vous le dire pour être compris
Je voudrais dans ce coffret
de huit syllabes conserver
Ainsi qu’une capsule temporelle
une file d’attente de poissonnerie
extérieure juste à la sortie
des chantiers de l’Atlantique
Sous les tourelles et les bielles
Du prochain paquebot XXL
barcasse pathétique
est Virtuosa pas un caïque
Babel de manchots à fric
Départ le premier avril
7 h 45 à la marée
2421 cabines 6334 passagers
21 bistrots, barman humanoïde
Kitsch façon Raoul Georgette
Roulette blanquette piquette
Bétaillère climatisée
Au moins ça leur fait du boulot
Ça ou compter les bulots
Dit Roger au blond à collier
(Jésus en guitariste crucifié)
Tout cela vous a un côté
Fin du monde vivement Gibraltar
Va pas gêner la croisière
Virtuosa de tes galères
L’Humanoïde te sert un Spritz
avec voix et expressions Ritz
pour une expérience de
bar totalement immersive
Le ferons-nous seulement ce voyage
dimanche 14 mars 2021
40. sam 13/03/21 Le baiser de Marguerite d’Écosse à un poète
L’anecdote est rapportée par un auteur nommé Lebrun:
Un poète dormait dans la cathédrale
Quand une fille de Perth
Jeune épouse du roi de France et princesse d’Écosse
Passa par là. S’avisant en experte
De la présence d’un trouvère
Elle déposa un baiser sur sa bouche close:
C’est ainsi que font les muses
En rencontrant un mortel qui les honore
Assura l’exquise altesse.
Et sans prévoir les effets d’une charmante audace
L’osée Marguerite s’assura l’immortalité.
Comment? Voici: L’aimable histoire fit bruiter
L’entourage, dames d’honneur et pages
Chambellans, dames d’atour et roi:
Cette reine qui trouva la bonne page
De son destin dans l’écriture
Ruina sa réputation par l’excessive cour
que lui firent les poètes, de l’estropieur de vers
au maître des rimes en « M ».
Cela lui valut d’être espionnée, méthode immonde,
Par son époux le dauphin Louis, futur XI.
Elle mourut à dix neuf
ou vingt ans sur ces mots: Fi de la vie en ce monde
Ne m’en parlez plus.
Mais on parle encore d’elle, et jusqu’à à Paimboeuf,
Pour ce baiser volé.
mercredi 16 décembre 2020
Perros, Keineg, Rougé: Dialogues avec le visible (2005)

Georges Perros © Thersiquel/amis de Michel Thersiquel

Georges Perros
« La peinture, dit ma voisine, ça défatigue ». Cette note des « Papiers collés » dit bien la familiarité de la relation du poète Georges Perros au dessin et au visible. Et nous étions loin d’imaginer qu’il existait une œuvre graphique du poète, dont l’intérêt a justifié une exposition du musée des Beaux-arts de Bordeaux. En préface de cet album, Michel Butor raconte comment les lettres de son ami Perros se sont peu à peu mêlées d’images. Cette attraction fut certainement encouragée par l’amitié du peintre Bazaine. Elle correspond aussi à la perte de la voix, douloureusement vécue par l’auteur d’Une vie ordinaire : « la poursuite du dessin est une conversation muette avec soi-même », écrit Butor, qui voit dans ces essais graphiques une forme de thérapeutique, « comme les Indiens Navajos soignent encore leurs malades par des peintures de sable ». L’album publié par les éditions Finitudes va au-delà de l’anecdotique et nous montre un écrivain travaillé par la pulsion graphique, qui éprouve « l’envie de dessiner plutôt que d’écrire, de dessiner ce qu’on a envie d’écrire. » Ce sont tour à tour des « tracés de nerfs » à la Henri Michaux, des collages (« je colle un tas de saloperies, allumettes, sables, algues, fleurs »), des gouaches et encres de Chine grattées, où il excelle. Poète amoureux de la peinture, Perros est ici le continuateur d’une tradition où l’écrivain élabore son esthétique dans le rapport au tableau, comme Baudelaire avec les « peintres de la vie moderne » et Francis Ponge avec Fautrier et Braque. On décèle aussi chez l’ermite de Douarnenez une idéalisation de la peinture comme espace protégé : « Un homme qui peint est préservé (…), plus préservé, en tout cas, que l’homme qui écrit. » Et pourquoi ? Parce que « la peinture est une pensée sous scellés », un secret bien encadré, un noyau qui résiste à la parole. Georges Perros, par ses propres dessins, s’avoue faire partie des « grands jaloux dont le martyre d’écrire a été atténué, enchanté, par leur fréquentation des ateliers, les amitiés qui s’ensuivirent ».
Paol Keineg
Faire image, tel est le métier des poètes, même s’ils disent parfois le contraire, comme l’écrit Paol Keineg : « Moins d’images, moins de malheur ». Depuis longtemps libéré de son étiquette de « poète breton », comme le dit Marc Le Gros en postface de ce livre paru au Temps qu'il fait, Keineg propose un dégagement poétique, entre ici et ailleurs, présence et absence : « Là, et pas là ». On mesure l’écart pris avec la flamboyance adolescente des années 1970, le verbe est concis, tranchant et péremptoire. Le prosaïsme rôde, mais n’est admis à la faire que sous la forme du slogan, de la formule ironique : « Un coin à jonquilles sous le ciel bleu. Le souvenir absurde d’une étendue de broussailles. L’ego s’offrant en forme vide. Trois raisons d’adorer les terres étrangères. Trois raisons d’abhorrer le capitalisme. » Keineg trouve, dans son rapport au parler véhiculaire, des accents à la James Sacré : « C’est vraiment chouette d’avoir trouvé refuge dans les phrases quand on préfère l’esclavage à la mort. » Toujours lapidaire, déroutant, Keineg se montre particulièrement drôle dans ces petites formes condensées, ces formules que l’on voudrait toutes citer : « l’adoration des actrices, il faut que ça reste un péché », une façon de se planter dans la langue courante et de lui couper le souffle : « C’est un pays toqué, plein de haine. Pas de rouspétance, je vous embrasse sur la bouche. »
Dans cette même veine, on lira Yves Deniellou dans un grand poème lyrique sur la campagne, la cueillette des mûres et l’amour : « On fait dire/ des choses aux mots/ en portant aux lèvres/ une petite photo ».
Poésie en siège tracteur
Erwann Rougé est un poète de la perception, profondément incarnée, mais étrangère aux appartenances, presque extatique. Nous le retrouvons dans un livre dont le titre vient d’Artaud, « Paul les oiseaux ». Il s’agit d’éprouver la présence du monde et d’exister poétiquement, en faisant le fou, en déformant les vieilles chansons : « Colchique sur un pied, le ciel, le ciel ». Il serait facile d’opposer à cette écriture à vif les petites vignettes campagnardes de Thierry le Pennec, mais le titre même laisse bien entendre qu’ici aussi, on embrasse l’aube d’été, et pas du bout des lèvres : « Je tourne la terre/ au tracteur pour la première fois/ de mon rêve ça sent le maraîchage les champs/ tassés par la poussière la sueur sous les bras/ de chemise ô mes quinze ans les voici les beaux nuages/ d’Ouest les voisins viennent voir/ comment je m’y prends et si/ ça poussera bien le fils assis sur le pneu/ tient la clef à molette il est dans son bleu. » Une vraie révélation que cette poésie en siège de tracteur.
Daniel Morvan.
Dessiner ce qu’on a envie d’écrire, de Georges Perros. Editions Finitude & Musée des Beaux-Arts de Bordeaux. NP, 28 euros.
Là, et pas là, Lettres sur Cour, de Paol Keineg. Le temps qu’il fait, 160 pages, 17 euros.
Le mur de Berlin ou la cueillette des mûres en Basse-Bretagne, de Yves Denniellou. Wigwam, NP, 5 euros.
Paul les oiseaux, de Erwann Rougé. Le dé bleu, 86 pages, 10,50 euros.
Un pays très près du ciel, de Thierry Le Pennec (prix de poésie 2005 de la ville d’Angers). Le dé bleu, 86 pages, 10,50 euros
jeudi 22 octobre 2020
Les chemins de la liberté de Liv Maria
À nouveau l'univers de Julia Kerninon vous emporte, par son mélange de précocité, d'appétit de dévorer le monde dans toutes les langues. Avec pour armes favorites une bibliothèque gigantesque, une machine à écrire et un sérieux romanesque qui bouscule toutes les objections, notamment celles qui peuvent invoquer la vraisemblance, elle raconte à nouveau une conquête de liberté. Nous retrouvons dans "Liv Maria" l'univers intense et excessif de la romancière, fait de dépaysement aux quatre points cardinaux, de secrets lourds à porter, malgré lesquels se construit un destin, la rage au ventre.
Liv Maria est la fille unique de Mado Tonnerre, tenancière taciturne d’un bar sur une île bretonne et de Thure Christensen, marin norvégien. Ce dernier entreprend d'initier à sa fille, avant même son adolescence, aux classiques de la modernité littéraire. Beckett, Faulkner, Jack London sont les lectures du soir pour la petite fille, et Murphy ou le trappeur malheureux de "Faire un feu" sont ses héros de contes de fées. Elle a 17 ans quand elle subit une agression sexuelle. Par mesure de sécurité, les parents optent pour un éloignement de leur fille, qui est envoyée à Berlin, où elle découvre l'amour dans les bras d'un Irlandais qui a l'âge d'être son père. Vive passion qui s'achève par la disparition de l'amant, qui pourrait passer par pertes et profits s'il n'était la clef de toute la suite du roman, car si Fergus s'éclipse, c'est pour faire apparaître un autre Irlandais, Flynn - n'en disons pas davantage.
Après cette volatilisation de l'amant, les parents de Liv Maria meurent dans un accident de voiture, et c'est au Chili que la jeune femme part oublier son chagrin. Survient un nouvel amour (Flynn, donc), et nous plongeons dans un scénario tragique, où il apparaît que les amours nouvelles sont toujours les enfants du passé. La voici mère, libraire, à la manière de ces romans anglais où les brumes celtes protègent les cœurs ardents, les vies antérieures et multiples: «Je suis la jeune maîtresse du professeur, la femme-enfant, la fille-fleur, la chica, la huasa, la patiente de van Buren, la petite amie, la pièce rapportée, la traîtresse, l'épouse et la madone, la Norvégienne et la Bretonne. Je suis une mère, je suis une menteuse, je suis une fugitive, et je suis libre.»C'est asséné comme une devise ou un slogan, et cela figure en bandeau de couverture.
On ne l'oublie pas si facilement, cette Liv Maria, sœur de Jane Eyre et de Mrs Dalloway. Et à travers elle, personnage qui porte toutes les aspirations à sortir de soi-même, et si l'expatriation et les expériences amoureuses en sont le moyen, la fidélité religieuse envers les livres en est la boussole. "D’emblée, explique la romancière nantaise, il y avait cette idée d’une femme avec un secret, une femme qui échappe au jugement des autres par le silence, l’idée d’entrelacer la tragédie grecque au prosaïsme de la réalité. Je voulais parler du quotidien, de la vie matérielle, de l’amour, de la façon dont on change à la fois sans arrêt et jamais, mais aussi de la grande rébellion qui se cache presque toujours derrière l’image de la mère. Je voulais faire le portrait d’une femme telle que je les connais, telle que je les sais vivre autour de moi – libres, incontrôlables, fières. "
Le jeu des coïncidences peut sembler un brin artificiel, mode Alexandre Dumas, mais le livre tient par son style très tendu, acéré, qui contraste avec une atmosphère de romantisme fou, un retour décomplexé au personnage romanesque classique, et la souveraineté intraitable de cette passionnée de Beckett à 10 ans qui, de métamorphoses en ruptures, devient elle-même. Et il y a cette belle métaphore du livre où la vie est une bibliothèque (grande comme celle de Trinity College, dit-elle!), s'apprivoise comme elle et n'épuise jamais tous ses mystères: "Elle regardait le mur de livres et savait qu'une part de lui (Fergus) y était conservée, et elle n'y touchait pas." Ce spectacle ouvre sur le vertige que lui donne sa propre vie, et sur la présence des objets dont l'enfance semblait pouvoir se passer, lorsque l'imaginaire prenait toute la place, bijoux, boîte à couture, moules à sablé: "...les tournevis, les marteaux, les clous, toute la grande quincaillerie de l'adulterie. Les choses qu'elle possédait lui semblaient pourtant des choses utiles, comment expliquer qu'elle n'en ait eu aucune utilité auparavant? C'était le mystère. J'avais le courage et j'avais le mystère/J'avais la sagesse et j'avais la maîtrise." La citation-mantra du poète Wilfred Owen (et la rime mystery/mastery), parmi celles que se récite Liv Maria face à l'étrangeté de sa vie, est l'un des outils les plus efficaces de sa boîte, celle avec lesquels elle force les verrous du monde. On serait tenté de paraphraser la formule: On ne naît pas femme, on devient un personnage de Julia Kerninon.
Daniel Morvan
Julia Kerninon: Liv Maria. L'Iconoclaste, 272 pages, 19€. En Folio Gallimard en mars 2022
Julia Kerninon est née en 1987 à Nantes, où elle vit. Elle est docteure en littérature amé- ricaine. Son premier roman, Buvard (2014), a reçu notamment le prix Françoise-Sagan. Outre des ouvrages autobiographiques, trois romans ont paru : Le dernier amour d’Attila Kiss (2016), Ma dévotion (2018) et Liv Maria (2020)
Lire aussi: à propos de Ma dévotion